Deux plaintes visant Nestlé et Sources Alma relancent l’affaire de la fraude aux eaux minérales
L’ONG Foodwatch, qui conteste l’accord judiciaire signé avec Nestlé pour éteindre les poursuites, dépose deux plaintes contre X pour « tromperie ».
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Nestlé pensait en être quitte avec la justice dans l’affaire de la fraude aux eaux minérales (Vittel, Contrex, Hépar, Perrier) après avoir accepté de payer une amende de 2 millions d’euros dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) validée le 10 septembre. Pas si sûr. Selon les informations du Monde et de Radio France, une nouvelle plainte contre X avec constitution de partie civile pour « tromperie » a été déposée, mercredi 25 septembre, devant le tribunal judiciaire de Paris par l’association de défense des consommateurs Foodwatch.
Une deuxième plainte similaire vise le groupe Sources Alma (Cristaline, St-Yorre, Vichy Célestins, Chateldon…) sur la base de nouveaux éléments. Comme l’avaient révélé Le Monde et Radio France en janvier 2024, pendant de nombreuses années, des eaux vendues comme « de source » ou « minérales naturelles » ont subi des techniques de purification interdites notamment pour traiter des contaminations d’origine bactérienne ou chimique. Réputées les plus pures, ces eaux sont en effet censées provenir de ressources souterraines préservées et ne doivent pas subir de désinfection.
Mesure alternative aux poursuites destinée à accélérer les procédures, la CJIP a été étendue au domaine environnemental en 2021. La convention signée entre le parquet d’Epinal et Nestlé Waters a mis le géant de l’agroalimentaire à l’abri d’un potentiel procès en mettant un terme à deux enquêtes préliminaires : l’une sur les traitements interdits que le numéro 1 mondial de l’eau en bouteille a reconnu avoir mis en place pour ses eaux minérales ; l’autre sur des forages illégaux dans la nappe phréatique sur les sites de Vittel et Contrexéville, dans les Vosges.
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Décrite par le procureur d’Epinal, Frédéric Nahon, comme « la plus importante en matière environnementale signée à ce jour en France », la CJIP conclue avec la filiale du groupe suisse permet, selon le magistrat, « tout en sanctionnant les non-conformités constatées, de privilégier la régularisation la plus rapide de la situation, la réparation de l’impact écologique et l’indemnisation de plusieurs parties ».
« L’impunité est inacceptable »
Outre une amende de 2 millions d’euros (1 % de son chiffre d’affaires annuel) à régler à l’Etat dans les trois mois, l’engagement d’investir 1,1 million d’euros dans un « plan de renaturation et de restauration » de deux cours d’eau sur le territoire de Vittel et Contrexéville, Nestlé Waters doit aussi indemniser plusieurs associations de défense de l’environnement – qui avaient porté plainte – pour un montant total de 516 800 euros.
Bien que non satisfaites par une « une CJIP bradée au goût amer », France Nature Environnement ou encore UFC-Que Choisir ont préféré accepter l’indemnisation de crainte que « Nestlé Waters n’ait pas à répondre pécuniairement » de ces pratiques. Pas Foodwatch, qui souhaite un procès et son préambule, la nomination d’un juge d’instruction. « L’impunité est inacceptable, une tractation financière scellée à Epinal ne doit pas mettre fin aux investigations à une fraude d’une ampleur internationale, réagit Ingrid Kragl, spécialiste des questions de fraude chez Foodwatch. Nestlé Waters ne peut tromper les consommateurs pendant des décennies dans le monde entier en filtrant ses eaux en bouteille et s’en tirer à bon compte en sortant simplement le chéquier. Nestlé, mais également les autorités françaises qui ont enfreint sciemment les réglementations européennes, doivent être sanctionnées ».
L’avocat de l’ONG, François Lafforgue, fait remarquer que la CJIP ne concerne que Nestlé Waters Supply Est, la filiale pour la région Grand Est, et donc seulement les marques Vittel, Hépar et Contrex. « Mais le scandale des filtrations illégales touche aussi la marque Perrier et les captages situés dans le Gard », rappelle l’avocat. Contacté par Le Monde et Radio France, le procureur d’Epinal confirme que la convention judiciaire ne concerne pas les puits exploités par Nestlé dans le Gard.
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A ce jour, le site de production de Perrier n’est visé par aucune enquête. Contrairement à l’Agence régionale de santé (ARS) de la région Grand Est, l’ARS Occitanie n’a jamais signalé les faits de tromperie à la justice alors que l’article 40 du code de procédure pénale impose à toute administration de dénoncer tout crime ou délit qui viendrait à sa connaissance.
En avril, près de trois millions de bouteilles Perrier ont pourtant dû être détruites à la demande de la préfecture du Gard en raison de contamination d’origine fécale pouvant « faire courir un risque pour la santé du consommateur ». C’est notamment pour faire face à des problèmes récurrents de pollution de ses puits par des bactéries issues de contaminations fécales que Nestlé a utilisé, au moins pendant vingt ans, des traitements interdits (microfiltration, filtres UV et charbons actifs).
« Complaisance de l’Etat »
Nestlé a reconnu avoir eu recours à ces techniques illicites pour des eaux prétendument « minérales naturelles » ou « de sources ». Pas le groupe Sources Alma. « Nous n’utilisons aucun traitement non conforme sur aucune des marques Alma », avait répondu l’industriel fin janvier au Monde et à Radio France.
La plainte déposée mercredi par Foodwatch apporte de nouveaux éléments qui semblent prouver le contraire. Des échanges de mails, des bons de commande et des photos attestent que le site où sont embouteillés les marques St-Yorre et Vichy Célestins a utilisé du sulfate de fer, un composé non autorisé pour le traitement des eaux destinées à la consommation humaine – afin de rendre l’eau potable.
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Des documents confirment également que du gaz carbonique d’origine industriel a été ajouté à l’eau Chateldon, une eau minérale « finement pétillante » que l’on retrouve à la table des restaurants étoilés. « Il existe une procédure judiciaire en cours, que nous ne pouvons par conséquent pas commenter, qui porte sur des faits anciens et isolés propres à certains sites de production », déclare au Monde et à Radio France, le groupe Sources Alma. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Cusset (Allier) après un signalement pour fraude d’un salarié du groupe. « Nos eaux minérales et de source sont conformes aux arrêtés préfectoraux autorisant leur embouteillage », se défend Sources Alma.
Outre les deux minéraliers, les plaintes déposées par Foodwatch pointent « la complaisance de l’Etat dans cette affaire et posent la question de sa responsabilité ». Informé depuis août 2021 des pratiques illicites du groupe Nestlé Waters, le gouvernement a assoupli la réglementation dans la plus grande discrétion et sans en avertir la Commission européenne ni les Etats membres de l’Union européenne.
Dans un rapport d’audit très sévère publié la veille de l’ouverture des Jeux de Paris 2024, la Commission dresse la liste des nombreux manquements des autorités françaises (« lacunes graves affectant la mise en œuvre du système de contrôle », « absence de périodicité des contrôles officiels », « absence de mesures de suivi immédiats ») qui ont « rendu possible la présence sur le marché de produits non conformes et potentiellement frauduleux ». Des griefs auxquels devra répondre le nouveau gouvernement Barnier.