Ces milliards d’euros d’argent public qui financent l’économie de la malbouffe

Par Morgane Bertrand Publié le 17 septembre 2024 à 6h30 https://www.nouvelobs.com/economie/20240917.OBS93676/ces-milliards-d-euros-d-argent-public-qui-financent-l-economie-de-la-malbouffe.html#:~:text=Temps%20de%20lecture%20%3A%204%20min,qui%20montre%20pourtant%20ses%20limites.

Décryptage  Un rapport publié par quatre associations évalue à 67 milliards d’euros le montant des dépenses publiques destinées à soutenir un système agricole et alimentaire qui montre pourtant ses limites. 

« On ne peut pas tout avoir : une alimentation de qualité, à un prix accessible et qui rémunère bien les agriculteurs… » A force d’entendre cette affirmation en boucle dans les manifestations d’agriculteurs et dans la bouche des grands distributeurs, on aurait presque fini par y croire. Et si c’était faux ? Et s’il était possible de faire mentir cette équation fatale qui veut qu’il y ait toujours un perdant sur le parking du supermarché – le consommateur, le producteur ou la planète ? C’est ce qu’ont entrepris de démontrer quatre associations – le Secours catholique-Caritas France, le réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des Diabétiques – confrontées au quotidien à des personnes précaires et malades. Dans un rapport intitulé « L’injuste prix de notre alimentation », qui s’appuie sur l’expertise du Bureau d’analyse scientifique et d’information citoyenne (Basic), elles pointent du doigt « les choix et les non-choix faits collectivement » pour soutenir un système agroalimentaire aux effets désastreux sur la santé, l’environnement et la société tout entière. 

Au départ, il y a un constat. Quand un pays compte 8 millions de personnes en insécurité alimentaire, voit croître le nombre de diabétiques de 160 % en vingt ans, l’obésité se transformer en épidémie, 18 % de ses agriculteurs vivre sous le seuil de pauvreté ou encore 30 % des oiseaux des champs disparaître en quinze ans, c’est qu’il y a un problème. 

Les causes sont multiples. Côté production, des exploitations agricoles « de moins en moins nombreuses mais toujours plus importantes en termes de taille », hyper-spécialisées et dépendantes des échanges commerciaux. Côté distribution, la concentration des grands distributeurs et la guerre des prix qu’ils se livrent. Des acteurs de la transformation et de la restauration de plus en plus concentrés – McDonald’s, la plus grosse entreprise de restauration commerciale du pays, totalise 71,5 % du chiffre d’affaires des fast-foods en France. Des dépenses alimentaires globalement en baisse, mais qui augmentent pour les plats préparés…

« Cinq fruits et légumes par jour »

A ce système « à bout de souffle » s’ajoute le malaise intime, non chiffrable, des personnes accompagnées par le Secours catholique ou la Fédération française des Diabétiques. « C’est très difficile pour moi d’avoir mes petits-enfants à la maison car les enfants, ça a toujours faim et mon frigo est souvent vide », témoigne Josette, citée dans le rapport. Les mêmes se voient marteler qu’elles doivent consommer cinq fruits et légumes par jour sans en avoir les moyens, et exposées à la machine de guerre publicitaire de l’industrie agroalimentaire. Selon le rapport, le secteur a dépensé plus de 5,5 milliards d’euros en 2023 pour promouvoir des produits trop gras, trop sucrés ou salés. Soit « plus de 1 000 fois le budget de communication du programme national Nutrition Santé, qui finance des campagnes de sensibilisation comme le célèbre “Cinq fruits et légumes par jour” ».Des injonctions contradictoires qui « font naître frustrations, colère et sentiment d’impuissance, lit-on dans le rapport. Elles sont vécues, par beaucoup, comme une humiliation. Elles font le lit de tensions sociales profondes, et accélèrent la fracturation de la société ». Un malaise qui ne se lit pas sur le ticket de caisse, mais peut s’exprimer dans les urnes. 

Comment y remédier ? « Nos associations testent des solutions, comme les groupements d’achat ou les épiceries avec tarifs différenciés, mais on ne parvient pas à résoudre un problème qui est structurel », observe Marie Drique, du Secours catholique. Pour aller au-delà, le rapport s’intéresse à la façon dont est construit le prix de notre alimentation, « reflet d’un choix politique, par le jeu des soutiens publics, des régulations, des taxes, des exonérations fiscales ou sociales ». Une démarche qui permet de lever le voile sur un chiffre choc : 67 milliards d’euros. C’est ce que nous coûte l’entretien du système agricole et alimentaire. 

« Le coût des impacts négatifs du système alimentaire en France (2021) », extrait du rapport « L’injuste prix de notre alimentation ». SECOURS CATHOLIQUE-CARITAS FRANCE/RÉSEAU CIVAM/SOLIDARITÉ PAYSANS/FFD 

Une partie de cette somme, 19 milliards, correspond à des coûts de compensation et de réparation des effets négatifs de notre alimentation : 12,3 milliards d’euros en dépenses de santé pour accompagner obésité, diabète ou encore maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides. 3,4 milliards d’euros (en 2021) en dépenses environnementales, pour gérer les déchets, dépolluer l’eau ou prendre en charge des maladies liées à la pollution de l’air. Et encore 3,4 milliards d’euros (en 2021) « pour compenser la faiblesse des rémunérations dans le secteur agricole et tout au long de la chaîne ». Des dépenses qui, selon le rapport, ont vocation à s’amplifier : « Outre les avancées scientifiques qui aideront à mieux caractériser les causalités entre alimentation et santé, il faut s’attendre à ce que la raréfaction de l’eau, l’appauvrissement des sols, les maladies et les crises liées au dérèglement climatique rendent la facture plus salée encore. »

Droit à l’alimentation

Mais ce n’est pas seulement un système que l’on « subit », souligne le rapport. Ce sont aussi des choix agricoles et alimentaires que nous finançons, à hauteur de 48,3 milliards d’euros – montant des soutiens publics (en 2021) aux acteurs de ce système, par le biais de subventions, d’achats directs et d’exonérations fiscales ou sociales qui bénéficient par exemple aux exploitations les plus intensives et aux entreprises les plus grandes. L’ensemble des dispositifs d’aides publiques et de réparations permettent d’entretenir, selon le rapport,« une course aux volumes qui va de pair avec la standardisation des matières premières et une pression sur les prix payés aux agriculteurs ». Et sans lesquels l’édifice ne tiendrait pas. 

La bonne nouvelle de ce chiffrage, c’est que s’il faudra évidemment continuer de dépolluer l’eau et de traiter nos déchets, on peut en revanche imaginer d’autres orientations pour les 48,3 milliards d’euros de financement : « Avec [cette somme], nous avons un moyen pour orienter les 290 milliards d’euros de dépenses alimentaires des Français et pour changer de trajectoire. » 

« Répartition des sources de soutiens publics au système alimentaire français (2021) », extrait du rapport « L’injuste prix de notre alimentation ». SECOURS CATHOLIQUE-CARITAS FRANCE/RÉSEAU CIVAM/SOLIDARITÉ PAYSANS/FFD 

Les pistes ouvertes par le rapport sont nombreuses et stimulantes : mieux réguler la publicité, faire une place aux citoyens et aux collectivités locales dans les chambres d’agriculture, généraliser les soutiens financiers pour l’alimentation durable (sous forme de cartes prépayées, tarification différenciée…), massifier la transition agroécologique, créer des maisons solidaires de l’alimentation et des caisses alimentaires communes… Jusqu’à l’adoption d’une loi-cadre sur le droit à l’alimentation qui fixerait un « cap clair » aux politiques publiques. Un projet de « boussole sociale et écologique » dont pourrait s’emparer le ou la futur.e ministre de l’Agriculture et – pourquoi pas – de la Transition alimentaire ? 

Par Morgane Bertrand 

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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