Les médicobus se multiplient dans les territoires; aujourd’hui avec la CTPS Tinée Vésubie

« Dans cette vallée, le médicobus ne remplace pas le médecin traitant » mais assure « la continuité des soins »

Depuis le 19 juillet dernier, un médicobus va à la rencontre des habitants des villages isolés des Vallées de la Tinée et de la Vésubie (Alpes-Maritimes). Un projet d’amélioration de l’accès aux soins porté par la CPTS Tinée Vésubie qui espère que cette expérimentation d’une durée de trois ans va s’ancrer de manière pérenne sur le territoire.

17/09/2024 https://www.egora.fr/actus-pro/acces-aux-soins/dans-cette-vallee-le-medicobus-ne-remplace-pas-le-medecin-traitant-mais?utm_source=Newsletter&utm_medium=gms_egora&utm_campaign=En_bref___mercredi_18_septembre_2024&utm_medium=gms_egora&utm_source=email&utm_campaign=En%20Bref%20-%20mercredi%2018%20septembre%20202420240918&sc_src=email_4380367&sc_lid=162726799&sc_uid=XYBlorZBtz&sc_llid=1298&sc_eh=5d463c22601bc0401

Par Isabel Soubelet

bus

Tout a commencé par un appel à projets lancé en janvier 2024 par l’ARS Provence Alpes-Côte d’Azur sur le thème « Améliorer l’accès aux soins en milieu rural grâce au déploiement d’un médicobus » qui s’inscrit dans le cadre du plan « France ruralités » de juin 2023 avec un objectif-cible de 100 médicobus d’ici à la fin 2024 au niveau national. Un dispositif « d’aller-vers » qui permet d’apporter une offre de soins de proximité aux territoires ruraux et enclavés.

« Ce projet émane d’un diagnostic de terrain de notre territoire classé en zone d’intervention prioritaire (ZIP), souligne Raphaèle Castaings, directrice-coordinatrice de la CPTS Tinée Vésubie. Nous l’avons écrit et coconstruit avec les professionnels de santé et il répond aux difficultés d’accès aux soins des personnes sans médecin traitant, en affection longue durée (ALD) ou isolées, et/ou ne pouvant pas se déplacer. Dans la pratique, nous ne refusons personne. Il offre une nouvelle possibilité d’accès aux soins aux patients qui en sont dépourvus. Et assure des consultations de médecine générale, et en collaboration interprofessionnelle, des consultations avec des spécialistes*. Nous travaillons en complémentarité avec l’offre qui peut exister sur place, notamment les maisons de santé ou les cabinets d’infirmières libérales, mais jamais en concurrence. Notre objectif est vraiment d’assurer la continuité des soins. » 

Cela est rendu possible grâce à la mobilisation des professionnels de santé et au soutien de plusieurs partenaires que sont le département des Alpes-Maritimes – qui mutualise notamment son bus deux jours par semaine avec la CPTS Tinée Vésubie et met à disposition le chauffeur –, ainsi que Ma Région Sud, la MSA et la CPAMmedicobus

Crédit : CPTS Tinée Vésubie – de g. à dr. : Raphaèle Castaings, directrice coordinatrice de la CPTS Tinée Vésubie, Magali Maurin, chauffeur, et à droite, Marie Danduran, médecin généraliste

Dans chaque commune, le médicobus stationne sur la place centrale près d’une salle de la mairie. « Les personnes viennent avec ou sans rendez-vous pris auprès du secrétariat de la CPTS, les élus sont là, et l’équipe constituée du chauffeur, du médecin généraliste et d’une personne de la CPTS, est attendue avec des chaises et le café, souligne Nicole Raibaut, chargée de mission à la CPTS. C’est très convivial. Nous avons débuté avec moins de 10 personnes par jour, et depuis septembre, nous sommes en moyenne à 15 personnes avec même un pic à 17… Le secrétariat de la CPTS gère la continuité des soins, et après chaque passage dans le médicobus, un compte-rendu est envoyé au médecin traitant qui n’est pas sur place. »

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Les tournées s’organisent le lundi pour la vallée de la Vésubie (4 communes) et le vendredi pour la vallée de la Tinée (8 communes), de 9h30 à 12h00 et de 14h30 à 16h30, à raison de deux villages par jour. Au total, douze villages sont concernés : Bairols, Belvédère, Ilonse, La Bollène-Vésubie, Marie, Rimplas, Roubion, Roure, Roussillon, Tournefort, Utelle et Venanson. « Nous nous attendions à une résistance de la population. Or elle est ravie et demandeuse, ajoute Raphaèle Castaings. Certains ont même déjà pris leur rendez-vous pour le mois d’octobre. Nous arrivons vraiment au bon moment. »

Un projet « qui a du sens »

Du côté des professionnels de santé, Marie Danduran, médecin généraliste installée à Valdeblore depuis plus de douze ans, adhérente de la CPTS Tinée-Vésubie depuis sa création et présidente de la MSP Valdeblore, croit fermement au projet. « Avec mon conjoint, nous sommes deux médecins généralistes sur la moyenne Tinée et il nous est impossible de passer dans les nombreux villages de ce territoire très étendu, explique-t-elle. Le médicobus ne remplace pas le médecin traitant. D’ailleurs, les personnes en ont souvent un, à Nice notamment, mais ce projet incite le patient à mieux prendre soin de sa santé. Par exemple, un patient diabétique peut être vu tous les trois mois au lieu de deux fois par an. La première pharmacie est à 45 minutes en voiture, le premier laboratoire d’analyse aussi. Ici, les habitants vivent à la dure, et se déplacent quand ils sont vraiment malades. »

Renouvellement d’ordonnances, suivi de patients chroniques, rendez-vous avec des personnes en séjour dans leurs résidences secondaires, consultations de mineurs et vérification du carnet de santé pour la rentrée scolaire… les situations sont multiples et variées. « Dans cette consultation souvent plus longue qu’en cabinet, je fais beaucoup de choses très différentes, estime la généraliste. Il faut trouver des solutions concrètes et faire avancer les choses. Je peux aussi voir des cas complexes (pathologie neurologique et addictions). Il faut avoir une approche globale, thérapeutique, sociale et sortir de sa coquille en tant que praticien. C’est un projet cohérent, qui a du sens pour moi, et qui est intellectuellement passionnant. Il facilite les échanges entre patients, soignants et élus. »medicobus

Pour le mener à bien, les professionnels de santé disposent de nombreux outils (logiciel partagé grâce à la CPTS Tinée Vésubie, dermatoscope, imprimante…) et d’un fort soutien local. Si le territoire compte 14 médecins généralistes, c’est un noyau dur de cinq personnes qui assurent les consultations. « Il en faudrait davantage afin que ceux qui intègrent les tournées du médicobus ne s’épuisent pas, précise Raphaèle Castaings. Nous avons besoin de monde, nous allons d’ailleurs ouvrir la possibilité à des médecins retraités qui seraient intéressés et même à ceux de la Côte d’Azur. »

Pour mieux faire connaître son territoire et le travail d’un professionnel de santé en milieu rural, la CPTS et la faculté de Nice ont d’ailleurs organisé les 7 et 8 septembre derniers un « Educ-Tour » sur ce territoire avec 27 étudiants en fin d’étude de médecine générale, kinésithérapie, infirmière, pharmacie et orthophonie. Avec peut-être à la clé, des envies.  


* Pour l’instant un psychiatre et un cardiologue à Saint-Sauveur sur Tinée et Roquebillière, et un dermatologue à Nice.

Article initialement paru dans Le Concours Pluripro

Auteur de l’article Isabel Soubelet

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« Les pouvoirs publics n’ont plus le choix » : les centres de santé inquiets de l’avenir de leur modèle économique

Le 25 avril, l’Institut Jean-François Rey a organisé au Conseil économique, social et environnemental (CESE), un séminaire portant sur les financements des centres de santé. La table ronde a notamment permis d’évoquer les nombreux changements à apporter pour rendre ce modèle économique viable et pérenne.

07/05/2024 https://www.egora.fr/actus-pro/exercice-coordonne/les-pouvoirs-publics-nont-plus-le-choix-les-centres-de-sante-inquiets

Par Lucile Perreau

Tirelire sur un sol fissuré

Article initialement paru sur Concours pluriprologo Concours pluripro

Cette table ronde, qui a réuni Eric Chenut, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS), a abordé plusieurs sujets très attendus par les centres de santé, notamment le futur accord national de ces structures et le futur cadre tarifaire. « L’étude réalisée par le cabinet ACE santé en décembre dernier, a confirmé que le modèle économique pose un problème aux centres de santé », a déclaré en préambule, Philippe Leduc, directeur du Think Tank Economie Santé et animateur de la table ronde. « Il y a aussi eu un rapport de l’Igas qui n’a pas été rendu public et Agnès Firmin Le Bodo avait promis un plan pour les centres de santé en début 2024. Nous voyons donc qu’il y a du mouvement. »

« Plusieurs rapports, notamment de l’Igas, ont dévoilé que notre modèle économique était structurellement boiteux et cela n’a pas évolué. Actuellement nous sommes dans une situation un peu d’urgence », indique Hélène Colombani, qui insiste sur l’urgence de trouver des solutions au plus vite afin de maintenir leur viabilité. La présidente de la FNCS révèle que le modèle économique actuel entraîne de nombreuses déviances. « Nous voyons bien que ces derniers temps, la multiplication des actes inappropriés va générer une rentabilité de la structure au détriment de la société et du patient. »  

Même constat pour Eric Chenut. « Le modèle économique fait que beaucoup de nos structures sont en difficulté. Nous voyons que des centres de santé ferment, preuve de leur extrême fragilité […] C’est une réalité sur le terrain aujourd’hui. » Lui aussi rappelle que de nombreux rapports se sont succédé et que de nombreuses réformes ont été promises. « Certaines petites choses bougent, on ne peut pas dire que rien n’est fait mais ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu de l’accès effectif aux soins de premiers recours. Les centres de santé portent des missions que ne portent pas les cabinets de ville ou les MSP. »  Il s’interroge sur la prise en compte de ces missions de service public et de coordination. « Si nous voulons continuer demain la transformation structurelle de l’offre de soins de premiers recours, nous avons besoin des centres de santé. » Selon le président de la FNMF, pour que les centres de santé s’inscrivent davantage dans la permanence des soins, il est impératif de financer cette dernière correctement, ce qui n’est d’après lui, « pas le cas aujourd’hui ».

Frédéric Villebrun a ensuite pris la parole et a évoqué la question des professionnels en centre de santé. « Les patients ne demandent pas à ce que nous leur prescrivions des traitements mais bien de l’écoute et une relation thérapeutique, or cette dernière n’est plus possible par un abattage d’actes. Les professionnels recherchent une rémunération décente mais qui n’a pas à multiplier les actes. » Pour le co-président de USMCS, « les centres de santé remplissent cette cohérence et cette pertinence qui est nécessaire pour le système de santé ».

« Plus le choix »

Interrogé par Philippe Leduc sur la question d’un éventuel levier qui pourrait convaincre les pouvoirs publics de modifier le modèle économique, Eric Chenut a déclaré « que toutes les conditions étaient réunies ». « Aujourd’hui si nous n’y parvenons pas, nous sommes à la croisée des chemins, il y a un problème de soutenabilité du modèle. En 2024, les dépenses globales pour tout le système maladie (Assurance maladie, complémentaires, reste à charge) atteignent 110 milliards d’euros. » Il estime qu’à ce rythme et sans changement, le système ne pourra tout simplement plus être financé et des coupes budgétaires franches devront être réalisées. « Les pouvoirs publics n’ont plus le choix. Les enquêtes d’opinion montrent que les sujets de santé et d’accès aux soins deviennent des sujets de préoccupation majeurs. Il va donc falloir trouver des solutions »

Pour Eric Chenut, il faut désormais démontrer que les centres de santé font justement partie de la solution. « Nous devons le poser comme alternative. Nous devons démontrer que les besoins de financements complémentaires pour arriver à avoir des centres de manière pérenne, coûteront infiniment moins chers que l’inefficience que nous constatons. » De son côté, Hélène Colombani estime qu’il faudrait « changer d’organisation des soins primaires car elle n’est actuellement pas réfléchie. Tant que nous resterons dans une vision des soins de premiers recours de ce type, nous n’avancerons pas. L’organisation emmène les moyens et la manière de les financer. » Pour la présidente de la FNCS, l’attente des nombreuses promesses sur les centres de santé et leur modèle économique des ministres successifs a laissé place à de la déception. « Je ne sais pas si nous attendons d’en haut, mais je sais que les élus locaux nous sollicitent beaucoup. »

Pour Frédéric Villebrun, il peut être utile d’utiliser l’opinion publique pour faire pression sur les pouvoirs publics. « Il faut prendre tous les leviers possibles pour mobiliser. Nous n’avons pas de réponse concrète de la part de l’exécutif. Le plan annoncé par la ministre déléguée (Agnès Firmin Le Bodo) n’arrive pas mais en même temps, un plan pour les maisons de santé arrive. Nous pouvons nous dire que quelque part, la simple équité entre les deux modèles voudrait que nous ayons au prorata, un équivalent, mais nous ne l’avons pas. » Il regrette que le modèle des centres de santé « qui permet de porter de manière concrète et pratique » des évolutions comme par exemple Peps, ne soit pas « développé, encouragé ni même soutenu ».

Auteur de l’article

Lucile Perreau

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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