Michel Barnier se prend déjà les pieds dans le budget
Le nouveau premier ministre a annoncé que le projet de loi budgétaire pourrait être transmis le 9 octobre à l’Assemblée, soit avec huit jours de retard sur le délai légal. Des députés de l’opposition dénoncent en outre le fait que des documents n’ont pas été envoyés à la commission des Finances, les empêchant de travailler.
Publié le 17 septembre 2024
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© Ludovic MARIN / AFP
Emmanuel Macron aura décidément offert à la France une sacrée collection de scènes surréalistes. On en rirait si elles n’étaient pas synonymes d’un marasme politique tragique. Voir : ce mardi 17 septembre, les députés Éric Coquerel (FI-NFP) et Charles de Courson (centriste, Liot) se sont rendus tous deux à l’hôtel de Matignon pour réclamer des documents relatifs au budget qui ne leur ont pas été communiqués.
Toute la presse était conviée à ce coup d’éclat, premier bras de fer d’une session parlementaire qui s’annonce à couteaux tirés, entre le nouvel exécutif macroniste et le pouvoir législatif. « Le retard dans la transmission ne permet pas à la commission des Finances de préparer l’examen du projet de loi de finances pour 2025 dans des délais raisonnables », expliquent les deux parlementaires, respectivement président de la commission et rapporteur du budget, et tous deux membres de l’opposition.
Vers un débat écourté ?
« C’est la conséquence de monsieur Macron, qui a eu une urgence à dissoudre avant les jeux olympiques, plongeant la France dans une crise politique, dans le retard, et mettant en danger le budget », découpe Charles de Courson, trente et un ans d’expérience au Parlement, et reconnu pour son expertise sur la question des finances publiques.
Pour cause, la dissolution et l’interminable tergiversation du chef de l’État pour contourner les urnes ont suscité un bazar inédit dans le fonctionnement des institutions. À tel point que le nouveau premier ministre, Michel Barnier, a annoncé, lundi, qu’il serait probablement incapable de transmettre le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 avant le délai légal, le 1er octobre. L’ancien commissaire européen est en effet toujours empêtré dans la constitution de son gouvernement et n’a pas eu le temps, de fait, de cadrer un PLF qui porterait sa marque.
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Le texte, à voter en début de session parlementaire puisqu’il conditionne tous les autres, pourrait donc être reporté au 9 octobre. Ce qui fait craindre des temps réduits de discussion dans l’Hémicycle. « Il n’y aura pas, a priori, de session extraordinaire. Pour construire le budget, ça va être une difficulté », a ajouté Fabien Roussel à sa sortie de Matignon où il était reçu, mardi, avec les représentants des députés et sénateurs communistes Stéphane Peu et Cécile Cukierman.
De ce rendez-vous, le secrétaire national du PCF retient que « Michel Barnier a dit son souhait d’une plus grande justice fiscale. » Sans se faire d’illusion : « On attend d’en savoir plus. Ça ouvre l’appétit. »
Ce nouveau budget pourrait une fois encore passer au forceps, avec un hypothétique 49.3 (Michel Barnier espérant éviter la censure grâce au soutien tacite du RN). Un scandale démocratique de plus sur une pile trop haute : ce débat, fondamental, tranche les orientations en matière de service public, d’accès à la santé, de qualité de l’éducation…
« On nous a refusé un droit constitutionnel »
Pour le moment, les premières lignes de cap budgétaire ont été fixées par Gabriel Attal durant l’été, alors qu’il était déjà démissionnaire. Mi-août, le prédécesseur de Michel Barnier a ainsi transmis des « lettres plafond » aux différents ministères – avec plusieurs mois de retard sur le calendrier habituel. Ce sont ces documents qu’Éric Coquerel et Charles de Courson se plaignent de ne pas avoir reçu.
Lesdites lettres déterminent en effet les ressources par ministère, à la suite d’un arbitrage de Bercy et de Matignon. Et constituent donc un indicateur des priorités fixées pour l’année à venir. « Ça nous intéresse, par exemple, de savoir si la question du logement est impactée par la baisse des dépenses publiques », a illustré Éric Coquerel, interrogé sur BFM TV.
« Sidérés », l’insoumis et Charles de Courson sont repartis de Matignon sans rien obtenir : « C’est un droit constitutionnel qui est octroyé au président de la commission des Finances et au rapporteur général du budget, on nous l’a refusé », dénonce le député FI.
Gabriel Attal avait annoncé, le 20 août, que ces « lettres plafond » reconduisaient les crédits votés pour 2024 : soit un gel des crédits de l’État à hauteur de 492 milliards d’euros. Une réponse à l’impasse politique, mais surtout un faux statu quo : avec l’inflation, geler les crédits revient à réduire les dépenses publiques. Installé à Matignon, Michel Barnier n’a pas eu le temps, pris dans la tempête politique suscitée par sa nomination, de revenir sur cette ébauche de budget, bien que la gauche ne se fasse guère d’illusion sur la « patte Barnier ».
Selon le Parisien, néanmoins, le chef du gouvernement n’excluait pas, ce mardi, des hausses d’impôts – un tabou en Macronie – visant les plus riches. À condition que « Les Républicains », et surtout le Rassemblement national, qui y sont opposés, n’y voient pas une ligne rouge. L’envasement ne fait que commencer.
Budget : le bras d’honneur de Barnier et Macron à la représentation nationale
En déniant aux dirigeants de la commission des finances de l’Assemblée le droit d’examiner les « lettres plafonds » préparant les choix budgétaires de 2025, le pouvoir franchit une sérieuse ligne rouge et abîme un pilier des démocraties parlementaires.
InouïeInouïe, la scène qui s’est nouée à la mi-journée ce mardi à l’hôtel de Matignon. Encore plus inouïe, et même scandaleuse, son issue. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel (La France insoumise – LFI), et le rapporteur général du budget, Charles de Courson (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires – Liot), se sont déplacés jusqu’aux bureaux du premier ministre Michel Barnier pour exiger d’obtenir des documents de préparation du budget 2025 du pays, comme la loi leur en donne le droit.
Il s’agissait d’une première dans l’histoire de la Ve République. Mais les deux plus hauts responsables de la commission des finances sont ressortis les mains vides. Le chef de cabinet de Michel Barnier, Baptiste Rolland, et la secrétaire générale du gouvernement, Claire Landais, qui les ont reçus, ont tout bonnement refusé de se plier à la loi.
Il faut prendre le temps de réaliser ce que signifie cet épisode. Historiquement, la construction du parlementarisme et l’édification de la séparation des pouvoirs ont reposé, partout dans le monde, sur l’instauration d’une forme de contrôle des dépenses publiques par les représentant·es du peuple.
« On est assez sidérés […] parce qu’on nous a refusé la consultation de ces documents, dont je rappelle que c’est un droit constitutionnel », s’est exclamé Éric Coquerel, devant la presse. « C’est un déni de plus des droits du Parlement », n’a-t-il pu que constater. « On prive le Parlement d’informations nécessaires auxquelles il a le droit pour préparer les discussions budgétaires », s’alarme le député dans un entretien à Mediapart.

Notons que l’actuel directeur de cabinet de Michel Barnier, Jérôme Fournel, était précédemment celui de Bruno Le Maire à Bercy. Il connaît donc parfaitement le contenu des lettres plafonds, mais il n’a pas même pris la peine de recevoir en personne Éric Coquerel et Charles de Courson.
« L’évaluation, le contrôle et l’adoption du budget sont des droits constitutionnels donnés au Parlement », rappelle Éric Coquerel. On retrouve en effet cet impératif à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi ».
La loi organique relative aux finances publiques (LOLF) ne souffre non plus d’aucune ambiguïté. Son article 57 dispose que « tous les renseignements et documents d’ordre financier et administratif » que les présidents des commissions des finances et leurs rapporteurs généraux demandent « doivent leur être fournis », hors secret-défense.
Ce droit de contrôle « sur pièces et sur place » est un classique du contrôle de l’action de l’exécutif par le Parlement, même s’il vise généralement les ministères de l’économie ou du budget – qui ne sont pas occupés actuellement, faute de gouvernement nommé. En février 2000, le rapporteur général du budget, le socialiste Didier Migaud, s’était déjà lancé dans l’exercice, suivi entre autres par sa successeuse Valérie Rabault en 2014. Le député Joël Giraud avait fait de même en juillet 2018, alors même qu’il était issu du camp macroniste.
Plus récemment, Jérôme Guedj, vice-président de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, s’était fait communiquer en 2023 des chiffres précis sur la réforme des retraites. Et en mars dernier, le rapporteur général Les Républicains (LR) de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, s’était encore rendu à Bercy pour « obtenir des réponses » sur la dégradation du déficit.
Une décision très politique
Cette fois, les députés voulaient mettre la main sur les « lettres plafonds » fixant les crédits prévus pour l’année 2025, ministère par ministère, tels que les a établis fin août le gouvernement démissionnaire. Ils avaient fixé un ultimatum au premier ministre : sans communication de ces documents, ils iraient les chercher eux-mêmes. Tard dans la nuit de lundi à mardi, Michel Barnier avait envoyé un courrier aux deux députés, ainsi qu’à leurs homologues du Sénat, pour leur signifier que le budget 2025 serait « construit sur la base des lettres plafonds », tout en se réservant le droit de l’amender. Mais sans leur donner les fameuses lettres, qu’ils réclament depuis des jours.
Ces documents sont tout sauf anecdotiques. Traditionnellement, leur envoi, début août au plus tard, clôt la première étape de la préparation du budget, après des négociations serrées entre le ministère des comptes publics et les autres ministères. Cette année, elles ont été transmises tardivement en raison de la dissolution et des élections législatives. C’était la première fois sous la Ve République qu’un premier ministre démissionnaire fixait un cadre budgétaire à des ministres tout autant sur le départ.
Et elles fixent un cadre clair : le gel général des dépenses de l’État, à 492 milliards d’euros. Compte tenu de l’inflation prévue – autour de 2 % –, cette somme correspond à une baisse des dépenses réelles, de l’ordre d’« une dizaine de milliards d’euros d’économies », avait rapporté l’entourage de Gabriel Attal.
Une décision très politique, donc, visant à commencer à réduire le déficit budgétaire, passé en 2023 à 5,5 % du PIB. D’autant plus politique que les lettres plafonds, dont certaines ont fuité dans la presse, montrent en fait qu’un arbitrage a été effectué, assurant un meilleur sort à certains ministères. L’idée est de répondre « aux priorités définies par le président et le Parlement, notamment dans le domaine militaire », avait assuré Matignon, sans davantage de précisions.
Un examen dans un temps très limité
Depuis, motus sur les choix faits par Bercy et par Emmanuel Macron. Et ce alors qu’aucun gouvernement n’est annoncé avant dimanche prochain, au mieux. Certes, l’Élysée et Matignon assurent que les plafonds fixés pourront être modifiés lors de l’examen au Parlement dans les prochaines semaines. Il s’agit pour l’heure, d’un « budget réversible », avaient même juré les équipes de Gabriel Attal.
On avait déjà du mal à y croire en août, et ce doute est renforcé chaque jour qui passe par les choix d’Emmanuel Macron et de ses troupes. Michel Barnier a ainsi fait savoir qu’il ne serait pas en mesure de respecter le calendrier légal de dépôt du projet de loi de finances le 1er octobre, comme le prévoit pourtant la loi – c’est là aussi une première dans l’histoire de la Ve République. Il estime qu’il pourra transmettre le texte à l’Assemblée nationale le 9 octobre.
Tout laisse désormais penser qu’Emmanuel Macron entend réduire au maximum le temps du débat parlementaire sur le budget, censé être adopté définitivement avant la fin de l’année. Privé·es de précieux jours de discussions, les parlementaires ne seront peut-être pas en mesure d’imprimer leur marque face à un gouvernement pourtant clairement minoritaire depuis les dernières élections législatives.
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On se trouve là dans la droite ligne de la stratégie déployée par Bruno Le Maire depuis plusieurs mois, à coups de dissimulations répétées d’informations budgétaires clés et d’entretien de l’opacité, afin de mettre le Parlement devant le fait accompli et d’imposer ses choix budgétaires. Un pas de plus dans les mensonges répétés et les manœuvres destinés à exonérer Emmanuel Macron et l’équipe gouvernementale sortante de l’échec de la politiqueéconomique qu’ils ont menée pendant sept ans.
En laissant les deux députés repartir bredouilles de Matignon, Michel Barnier signifie clairement qu’il s’inscrit dans la même stratégie. La promesse d’un gouvernement autonome de l’Élysée, aussi peu crédible qu’elle ait pu paraître, a déjà fait long feu.
La prochaine étape est écrite : malgré les diverses déclarations de Michel Barnier laissant entendre depuis sa nomination qu’il ne refuse pas d’emblée toute hausse d’impôt, voire qu’il espère une forme de « justice fiscale », les économies budgétaires sont au programme. La France ne devrait pas échapper à une cure d’austérité douloureuse, alors même que l’Insee rappelle que la demande intérieure est au plus faible et que les ménages, inquiets, renforcent leur épargne.
Au bout du bout, le nouveau gouvernement trouvera-t-il une majorité pour approuver son budget ? Il est loin d’être certain qu’il pourra s’appuyer sur l’article 49-3 de la Constitution sans déclencher le dépôt d’une dangereuse motion de censure. On pourrait alors s’acheminer, conformément à l’article 47 de la Constitution, vers une adoption des dispositions du budget par ordonnances.
Mais utiliser cette voie nécessite que le Parlement n’ait pas voté le budget au bout des 70 jours prévus par la loi, et le gouvernement doit « demander d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts ». Reste l’option d’une « loi spéciale », déjà mise en œuvre en 1962 et 1979. Faute d’accord sur le budget, le gouvernement peut demander avant le 19 décembre le vote d’une loi lui permettant de percevoir les impôts, tels qu’ils ont été définis pour l’exercice budgétaire précédent. Une ligne rouge après l’autre, le pouvoir est peut-être engagé sur cette voie.