Quentin Haroche| 14 Août 2024 https://www.jim.fr/viewarticle/variole-du-singe-lafrique-décrète-létat-2024a1000eyj?ecd=wnl_all_240814_jim_daily-doctor_etid6746632&uac=368069PV&impID=6746632&sso=true
Kinshasa – Sans attendre la décision de l’OMS, l’Union africaine a décidé de déclarer l’état d’urgence face à la montée de l’épidémie de variole du singe.
C’est ce qui s’appelle prendre les devants. Ce mercredi, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) réuni son comité chargé du règlement sanitaire international (RSI) pour décider s’il est opportun de déclencher à nouveau une « urgence de santé publique de portée internationale » (USPPI) concernant l’épidémie de variole du singe. Mais sans attendre cette décision de l’agence onusienne, le centre de contrôle des maladies d’Afrique (CDC Afrique), organisme lié à l’Union africaine, a décrété ce mardi l’état d’urgence.u
Désormais connu sous le nom de mpox, la variole du singe est une zoonose virale endémique dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. En 2022, une épidémie mondiale avait mis cette maladie méconnue sur le devant de la scène. Alors même que la maladie n’était pas connue pour être sexuellement transmissible (mais à dire vrai, peu de choses étaient connus sur cette maladie), le virus s’était essentiellement transmis chez les hommes homosexuels. L’épidémie avait touché environ 100 000 personnes et fait environ 200 morts dans le monde avant de connaître une décrue progressive en 2023. Après avoir déclaré l’état d’urgence internationale en juillet 2022, l’OMS l’avait levé en mai 2023.
Un nouveau variant plus mortel et plus contagieux
Un peu plus d’un an plus tard, c’est une forte augmentation des cas en Afrique centrale qui pousse les autorités sanitaires à s’intéresser de nouveau à cette maladie. Depuis janvier 2022, le CDC Afrique a recensé un peu moins de 40 000 cas dans seize pays africains différents, ayant causé environ 1 500 décès avec, et c’est le plus inquiétant, une augmentation de 160 % des cas en 2024 par rapport à l’année précédente. L’est de la République Démocratique du Congo (RDC) est le principal foyer de cette nouvelle épidémie : on y recense depuis le début de l’année environ 15 000 cas et plus de 500 morts. Mais d’autres pays voisins de la RDC, comme le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda ou le Kenya, ont également
enregistré des cas.
Plus inquiétant encore, cette épidémie congolaise est favorisée par l’apparition d’un nouveau variant. On ne connaissait jusque là que deux variants du virus : le clade I, majoritaire en Afrique centrale et le clade II, plus fréquent en Afrique de l’Ouest et moins létal, celui-là même qui s’est répandu chez les homosexuels occidentaux en 2022.
Le virus qui se transmet actuellement en RDC est le variant Ib, dérivé du variant I. Il serait à la fois plus mortel (le taux de mortalité est estimé à 5 % chez les adultes et 10 % chez les enfants) et plus contagieux. Il se transmettrait ainsi à la fois par voie sexuelle comme le clade II (plusieurs foyers épidémiques ont été observés chez des prostituées) et par contact rapproché, comme le montre le nombre important d’enfants touchés par l’épidémie (60 % des patients ont moins de 15 ans).
Une épidémie bientôt mondiale ?
La déclaration d’état d’urgence par le CDC africain va permettre de débloquer des fonds, de favoriser l’accès aux vaccins et de mieux coordonner la politique sanitaire des différents gouvernements. « Cette déclaration n’est pas une simple formalité, c’est un appel clair à l’action. C’est une reconnaissance du fait que nous ne pouvons plus nous permettre d’être réactifs. Nous devons être proactifs et agressifs dans nos efforts pour contenir et éliminer ce fléau » a expliqué Jean Kaseya, président du CDC Afrique.
En prenant cette décision de déclarer l’état d’urgence sans attendre l’avis de l’OMS, l’Union Africaine affiche également sa volonté de vouloir gérer elle-même cette épidémie pour le moment cantonnée à l’Afrique. « La dépendance excessive à l’égard de l’aide extérieure a souligné jusque-là une faille majeure dans les efforts de réponse actuels » commente le Pr Boghuma Titanji, virologue à l’université d’Emory aux Etats-Unis d’origine camerounaise.
Les experts s’accordent à dire que les pays occidentaux ont tout intérêt à épauler l’Afrique dans cette lutte contre la variole du singe, en lui fournissant vaccins et antiviraux, d’abord pour des raisons d’humanité mais aussi car ce nouveau variant peut à tout moment parvenir en Occident. « Les virus ne respectent pas les frontières » rappelle l’OMS.
Pourquoi l’OMS a classé l’épidémie de mpox en Afrique « urgence de santé publique de portée internationale »
Il s’agit du plus haut niveau d’alerte de l’agence onusienne, déclenchée pour la deuxième fois en deux ans pour cette maladie.
Coup d’accélérateur dans la mobilisation contre le mpox (anciennement monkeypox, la variole du singe). Sur les conseils d’un groupe d’experts, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus – dit « docteur Tedros » –, a décidé, mercredi 14 août, de décréter une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) contre la maladie qui sévit depuis le début de l’année dans plus d’une dizaine de pays d’Afrique.
Il s’agit du plus haut niveau d’alerte de l’organisation, qui y a recours pour la deuxième fois contre cette maladie depuis 2022. D’autres épidémies ont fait l’objet de déclarations d’urgence : la grippe H1N1 (2009-2010), Ebola (2013-2016 puis 2019-2020), la polio depuis 2014, le virus Zika (2016) et le Covid-19 (2020-2023). L’USPPI permet notamment à l’organisation onusienne de prioriser davantage ses moyens contre le mpox, alors que son budget, très contraint, est défini en mai lors de son assemblée annuelle. C’est par ailleurs le seul outil dont elle dispose pour mobiliser en urgence tous ses pays membres sur une situation de crise.
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Le docteur Tedros a motivé cette décision lors d’une conférence de presse mercredi soir par « la détection et la propagation rapide d’un nouveau clade [une souche virale] dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), sa détection dans des pays voisins qui ne l’avaient pas encore signalé jusque-là, et son potentiel de propagation en Afrique et au-delà ».
Ce nouveau clade, appelé « 1b », a été identifié pour la première fois en septembre 2023 dans la région minière de Kamituga, dans le Sud-Kivu. Depuis, il s’est diffusé dans quelques pays voisins jusque-là épargnés par la maladie : le Burundi, le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda, où quelque 90 cas ont été identifiés ces derniers mois.
Plus de 17 000 cas probables depuis le début de l’année
Depuis le début de l’année, plus de 17 000 cas probables ont été remontés dans plus de treize pays, comptabilisant pour le moment 517 décès, principalement en République démocratique du Congo (RDC). Il s’agit d’une accélération de l’épidémie par rapport aux plus de 7 000 cas recensés en 2022 et près de 15 000 cas de 2023. « Il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg si l’on considère les nombreuses faiblesses de la surveillance, des tests de laboratoire et de la recherche des contacts », commente Africa CDC dans un communiqué.
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« C’est une situation qui devrait tous nous préoccuper », a ajouté le docteur Tedros, précisant : « L’OMS s’engage, dans les jours et les semaines à venir, à coordonner la riposte mondiale, en collaborant étroitement avec chacun des pays touchés et en tirant parti de sa présence sur le terrain, afin de prévenir la transmission, de traiter les personnes infectées et de sauver des vies ».
L’OMS devra notamment travailler avec Africa CDC, l’agence de santé publique de l’Union africaine, qui avait pris les devants en activant, la veille, son propre niveau d’alerte maximal, « l’urgence de santé publique continentale », qu’elle n’avait pas encore activée depuis sa création en 2017.
Concrètement, ce dispositif va permettre à l’agence de coordonner la réponse continentale contre le mpox, en émettant des recommandations temporaires et en obligeant les Etats-membres à lui notifier les mesures sanitaires qu’ils auront décidé de prendre. Le directeur général d’Africa CDC, Jean Kesaya, souligne également que cette urgence va permettre d’augmenter le financement et les ressources provenant des pays et des organisations internationales pour faciliter l’accès aux traitements, vaccins et tests.
Procédure d’autorisation d’urgence pour les vaccins
« Nous devons travailler pour que ces déclarations d’urgence changent vraiment la donne cette fois, parce que la fois passée, les pays africains n’avaient pas reçu de vaccins ni de médicaments », assure au Monde Jean Kesaya, faisant référence à l’USPPI déclarée contre le mpox de juillet 2022 à mai 2023, lorsque l’épidémie s’était diffusée pour la première fois hors d’Afrique, provoquant quelque 140 morts sur environ 90 000 cas disséminés dans le monde. Une fois l’épidémie terminée dans la plupart des pays à haut revenu, l’intérêt de la communauté internationale pour la maladie s’est émoussé malgré la multiplication des cas en Afrique.
Mercredi, l’Africa CDC a d’ores et déjà fait savoir que la Commission européenne s’était engagée à fournir 175 420 doses du vaccin MVA-BN, initialement développé contre la variole, mais qui a démontré son efficacité contre le mpox. Le laboratoire danois Bavarian Nordic, qui le produit, fera également don de 40 000 doses supplémentaires. Ces plus de 215 000 vaccins seront distribués aux pays touchés par l’intermédiaire de l’Africa CDC, qui espère obtenir 10 millions de doses à l’horizon 2025. L’agence recevra également une subvention européenne de 3,5 millions d’euros au début de l’automne pour développer les capacités de dépistage et de séquençage de la région.
Le 7 août, le docteur Tedros a déclenché une procédure d’autorisation d’urgence pour les vaccins contre le mpox afin que ces derniers puissent être utilisés dans les pays n’ayant pas encore approuvé les deux produits actuellement sur le marché : celui de Bavarian Nordic et celui du Japonais KM Biologics. Il revient désormais aux laboratoires de faire leur demande auprès de l’OMS. L’organisation onusienne a également d’ores et déjà débloqué 1,45 million de dollars de son fonds d’urgence pour lutter contre l’épidémie, espérant obtenir grâce à son USPPI un total de 15 millions.
« Nous n’avons pas affaire à une seule épidémie : nous avons affaire à plusieurs épidémies de différents clades dans différents pays avec différents modes de transmission et différents niveaux de risque », a déclaré le docteur Tedros dans son discours d’ouverture au comité d’urgence, mercredi. Les projecteurs sont actuellement braqués sur le clade 1b en raison de ses nouvelles mutations lui assurant une meilleure transmission interhumaine, notamment par voie sexuelle. Mais dans la plupart des régions de RDC, c’est le clade « classique » 1 qui domine, comme en République centrafricaine ou en République du Congo. Dans d’autres pays, comme le Ghana, le Liberia, le Nigeria ou l’Afrique du Sud, s’est imposé le clade 2, dont est issu le virus qui s’était diffusé dans le monde, et considéré comme moins mortel. Au Cameroun, les deux clades circulent.
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Situations très contrastées
Sur le terrain, les ONG font état de situations très contrastées entre les régions d’un même pays. Dans le nord-ouest de la RDC, la diffusion endémique du clade 1 se fait à partir de contaminations de l’animal à l’humain, en grande majorité des enfants, avec des chaînes de transmissions qui s’arrêtent souvent à l’entourage familial, mais avec un taux de létalité très fort (au moins 3 %).
Dans l’est du pays, « le clade 1b se transmet de manière ininterrompue », témoigne Sylvie Jonckheere, référente maladies infectieuses pour MSF, qui revient de plusieurs semaines de mission en RDC. « A Goma, où 600 000 à un million de personnes sont déplacées, la situation est terrible, avec un accès à l’eau très compliqué et un très haut niveau de violences sexuelles, raconte-t-elle. Autant de difficultés pour stopper la transmission de la maladie. » La létalité réelle de ce nouveau clade est encore difficile à établir avec certitude.
La prise en charge des malades consiste essentiellement à gérer les symptômes. « C’est une maladie éruptive qui peut mener à des surinfections des pustules », explique Rodrigue Alitanou, directeur des opérations de l’ONG Alima. Des antibiotiques classiques sont alors nécessaires, mais dans certaines régions éloignées des structures de santé, l’accès à ces soins de base est parfois difficile. « Il faut aussi traiter la douleur et les nombreux cas de déshydratation et de malnutrition qui aggravent l’état des malades », explique l’humanitaire. Le principal antiviral, le Tecovirimat, est encore en cours d’étude clinique, et son utilisation est limitée aux cas compassionnels. « Avec le niveau de l’épidémie aujourd’hui, il est nécessaire de mobiliser les ressources pour mieux soigner les malades », plaide M. Alitanou.
Variole du singe : le nouveau variant arrive en Europe
Quentin Haroche| 16 Août 2024 https://www.jim.fr/viewarticle/variole-du-singe-nouveau-variant-arrive-europe-2024a1000f3h?ecd=wnl_all_240816_jim_daily-doctor_etid6751860&uac=368069PV&impID=6751860&sso=true
Stockholm – L’OMS a déclenché son niveau d’alerte maximum ce mercredi concernant la recrudescence de la variole du singe. 24 heures plus tard, le nouveau variant était découvert pour la première fois en Europe.
L’histoire de la variole du singe (ou mpox) s’est brutalement accélérée ces 48 dernières heures. Alors que l’épidémie provoquée par le variant Ib était pour le moment cantonnée à l’Afrique centrale, un premier cas de ce nouveau variant a été détecté en Europe ce jeudi. Un ressortissant suédois a en effet testé positif a annoncé le gouvernement de Stockholm. « La personne touchée a été infectée lors d’un séjour dans une région d’Afrique où sévit une importante épidémie de mpox du sous-type clade I » a détaillé l’agence suédoise de santé publique.
« Nous estimons que la Suède est bien préparée pour diagnostiquer, isoler et traiter les personnes atteintes de mpox de manière sûre et efficace » a ajouté l’agence sanitaire, qui se montre plutôt optimiste quant au risque d’épidémie. « Qu’une personne soit traitée pour le mpox dans le pays n’implique pas de risques pour le reste de la population » estime ainsi l’agence. Même optimisme du côté du centre européen de contrôle des maladies (ECDC) qui considère que le risque d’épidémie en Europe demeure très faible.
L’Europe doit s’attendre à plus de cas prévient l’OMS
Le ton est bien plus pessimiste du côté de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). « Il est probable que d’autres cas importés du clade I soient enregistrés dans la région européenne au cours des prochains jours et des prochaines semaines » a commenté l’agence onusienne dans un communiqué, le cas suédois « reflétant clairement l’interconnexion de notre monde ».
Comme une réponse à ce communiqué, le Pakistan a déclaré avoir détecté son premier cas de variole du singe ce vendredi, tandis que la Chine a annoncé mettre en place des contrôles sanitaires aux frontières pour les personnes venant des pays d’Afrique centrale touchés par l’épidémie.
24 heures avant la découverte du cas suédois, l’OMS avait, après une réunion de son comité d’experts, décidé de déclencher une « urgence de santé publique de portée internationale » (USPPI), son niveau d’alerte maximale, à propos de la variole du singe. L’agence onusienne avait déjà déclenché le même niveau d’alerte lorsque le clade II de la variole du singe, moins létal, s’était répandu en Occident, notamment chez les hommes homosexuels, en 2022. Après avoir contaminé quelques 100 000 personnes et causé la mort de 200 individus, l’épidémie avait ralenti et l’OMS avait levé son alerte en mai 2023.
Si l’OMS a décidé de tirer à nouveau la sonnette d’alarme, c’est parce qu’elle s’inquiète de la situation actuelle en République Démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays d’Afrique centrale, le clade I est endémique. Mais le pays connait depuis neuf mois une épidémie particulièrement virulente, avec environ 15 000 cas et plus de 550 morts en 2024.
L’Afrique a besoin de vaccins
Une poussée épidémique provoquée par le clade I mais également par un nouveau variant, le clade Ib, considéré comme à la fois plus contagieux, puisqu’il peut se transmettre par voie sexuelle mais également comme plus mortel. En RDC, son taux de létalité est actuellement estimé à 3,6 % et il semble toucher particulièrement les enfants (mais ce taux de létalité devrait être moindre en cas d’épidémie dans des pays riches).
Ces dernières semaines, le nouveau variant a été détecté dans plusieurs pays voisins de la RDC (Kenya, Rwanda, Ouganda, Burundi…) qui n’avaient encore jamais recensé de cas de variole du singe, ce qui a incité l’OMS à déclencher l’alerte.
L’USPPI va permettre à l’OMS de débloquer des fonds pour combattre l’épidémie et de demander aux pays occidentaux d’épauler les pays africains, afin d’éviter que cette épidémie locale ne se transforme en pandémie. Pays extrêmement pauvre ravagé par des années de guerre civile, la RDC manque de tout. La communauté internationale est appelée à lui acheminer des antiviraux (le técomovirat a prouvé son efficacité contre la maladie en 2022) mais surtout des vaccins.
Le seul vaccin disponible, l’Imvanex, a été développé par le laboratoire danois Bavarian Nordic, au départ pour contrer un éventuel retour de la variole classique. En 2022-2023, une campagne de vaccination menée chez les hommes homosexuels avait permis de favoriser le recul de l’épidémie. Ce jeudi, après l’alerte de l’OMS, le laboratoire a annoncé qu’il avait la capacité de produire 2 millions de doses en 2024 et 10 millions supplémentaires en 2025. Plus de 200 000 doses vont être acheminées en Afrique dans les prochains jours grâce à un accord entre l’Union Européenne et la firme danoise.