Présentation de l´ouvrage sur le « wokisme » par son auteur le sociologue Frédéric PIERRU

L’objectif de cet ouvrage est d’objectiver les polémiques sur le « wokisme », d’en faire un objet sociologique. Le pari est de comprendre l’écart entre la place disproportionnée occupée par ces thématiques identitaires dans les champs politico-médiatiques et leur très faible « implantation » sociale en rompant avec tout biais idéaliste. Sur ce point, les récentes analyses de Todd sont éclairantes : stratification éducative, héritocratie des écoles d’élite, blocage de la mobilité sociale, déclin économique, de territoires entiers, embourgeoisement des partis et des syndicats… Bref, il s’agit de saisir le « wokisme » comme un symptôme mais aussi comme une industrie au sens de la sociologie des problèmes publics : création d’associations militantes, de collections ou de maisons d’édition, spécialisation d’avocats, création de départements DEI, transformations du champ journalistique, etc. Tous ces acteurs participent de la conductivité sociale accrue de ces thématiques. Cf. Hillgartner et Bosk. Sur ce point, je recycle ma connaissance de la littérature de la sociologie des problèmes sociaux mais aussi des de la sociologie des échanges transnationaux, acquise lors de ma thèse.

 On l’aura compris il s’agit ici de rompre avec les biais idéalistes des livres et ouvrages sur le wokisme : ces derniers se contentent souvent de façon ironique de souligner les apories logiques, les syllogismes, les paralogismes, des écrits « wokes ». Cela a donné lieu à une littérature polémique, pléthorique et largement redondante. Il nous semble bien plus intéressant d’adopter une posture plus sociologique et matérialiste, tout en reposant une question qui était centrale chez Bourdieu : la tendance du champ politico-médiatique à se refermer sur ses jeux et enjeux. Comment expliquer la place centrale de thèmes méconnus de 86 à 90% de la population ? Ceci ouvre plusieurs portes : la sociologie des élites et ses transformations, la disparition des catégories populaires dans le personnel politique, le souci pratique d’éviter des enjeux clivants à gauche (et particulièrement le rapport à l’UE) tout en permettant à la droite d’accaparer des valeurs historiquement de gauche comme la laïcité, etc. Les professionnels de la politique, pour beaucoup issus de Sciences Po Paris, participent d’un jeu du consensus (Dobry) qui en mettant en avant des thématiques identitaires leur permet d’esquiver les enjeux économiques et sociaux, dont le gouvernement n’a plus la maîtrise. En résumé, la « sociétalisation »-moralisation des termes du débat public est l’envers de la disqualification du « social » à l’œuvre depuis 1983 et qui s’est accélérée au XXIème siècle avec le passage à l’euro et l’abandon de pans entiers de la souveraineté économique, financière, budgétaire, commerciale, géopolitique à l’UE. De ce point de vue, le « wokisme » et ses luttes identitaires viennent combler un vide et de façon inédite : l’inversion du recrutement sociologique des partis de gauche et de l’extrême-droite. On a assisté à la « terranovisation » de partis de gauche embourgeoisés tandis que le RN recrute désormais prioritairement dans les catégories populaires. Derrière le « wokisme » se déroule un conflit entre « bobos » métropolitains et « beaufs » des petites préfectures et des zones rurales. Sur ce point, l’analyse électorale des trois derniers scrutins est édifiante. Les polémiques sur le wokisme sont, pour faire court, une lutte des classes euphémisées sur le plan des « valeurs ». Il suffit, pour l’anecdote, de rappeler la polémique autour du « barbecue », symbole populaire s’il en est, lancée par un des partis les plus bourgeois-éduqués, EELV. On aura compris que les polémiques publiques sur le wokisme doivent être saisies comme le révélateur de transformations de plusieurs univers sociaux et des relations qu’ils tissent entre eux : fermeture sociologique des grandes écoles, embourgeoisement et fermeture du champ politique sur lui-même, dépendance économique croissante des médias, emprise, bien sûr, des « réseaux » dits sociaux auxquels s’abreuvent des journalistes de plus en plus précaires, perte de souveraineté du gouvernement en matière économique et sociale, etc. En ce sens, le « wokisme » est un fait social total. Nous essayons dans cet ouvrage en cours d’écriture, d’en explorer le maximum de dimensions (sociologique, idéologique, électorale, politique, économique, etc.).
Conclusion. Le projet n’est pas de participer à la mêlée navrante dont le wokisme est l’objet. Du reste, et le lecteur de ce rapport le sait, j’estime que ces « travaux » sont une régression intellectuelle terrible pour les sciences sociales. Un sociologue fameux m’a écrit : « si Bourdieu était encore vivant, rien de tout cela ne serait publié ». J’essaie donc de transformer mon indignation de scientifique en libido sciendi. Je me repose sur mes acquis de sociologue dont je pense qu’ils ne peuvent être guère mis en question, comme en attestent toutes mes évaluations. J’ai acquis, au cours de ces 25 dernières années, une connaissance solide en matière de sociologie des problèmes publics, de sociologie des médias, de sociologie politique, de sociologie des processus d’import-export. Je complète, parallèlement à l’enquête, mes lacunes notamment en matière de sociologie des intellectuels.

 Voici quelques conclusions provisoires :

 

1.     La « synthèse identitaire », académique ou « dégradée » (Mounk), est d’abord un réflexe essentialiste qui va à l’encontre des enseignements des maîtres de la sociologie qui exhortaient à penser de façon relationnelle : configuration, espace, champ, chaînes d’interdépendance, interactions, etc. La relation prime la substance. La sociologie est la science des relations entre êtres sociaux. Ces relations peuvent être de domination, sinon agnostiques, mais aussi de coopération. En termes de posture, le sociologue n’est pas là pour créer des groupes, ce qui relève du travail politique, mais pour observer comment les individus s’assemblent ou se divisent et selon quelles lignes et quels principes. Il s’agit ici d’un point capital. Le sociologue n’a pas pour vocation de tenter d’amener à la réalité des « collectifs nominaux non réalisés ». « Les femmes », « les hommes », les « racisés », les « Blancs » n’existent pas en tant que groupes mobilisés. Ainsi du terme « racisé », devenu d’usage courant. Il est terrible d’avoir à rappeler une telle évidence : le racisme est une relation, il n’est pas la propriété éternelle d’un individu. Comme les sœurs Fields le dénoncent, avec ce type de langage militant, le racisme devient ce que les gens sont et pas ce que les gens font. Le sociologue doit rendre compte de la réalité observable, celle des pratiques, et le faire le plus finement possible (Cicourel). Ainsi l’adjectif « systémique » devrait être banni, car il nous ramène à la Grande Théorie Parsonienne. « Systémique » renvoie à une réalité gazeuse et donc indémontrable. Il est un postulat. On peut parler de « racisme institutionnel » à propos d’une institution précise, par exemple la police, et il revient au sociologue de comprendre, au sens wébérien, la banalité de ces pratiques racistes, sans tomber dans le culturalisme, autre forme de l’essentialisme. Tout autre position épistémologique contrevient aux règles du métier de sociologue. Le texte de Daniel Bizeul est à cet égard irréfutable, sauf si l’on est un militant. Il est indispensable de lutter politiquement contre les dires et pratiques racistes mais pas lorsqu’on est un scientifique. C’était d’ailleurs la mise en garde de Bourdieu et Wacquant en 1998, quand ils dénonçaient l’importation sauvage de la notion de « race », au sens historiquement chargé nord-américain. Peu de temps après, deux sociologues, Emmanuel Pierru et Alexis Spire, s’inquiétaient du crépuscule des CSP dans la RFSP. On a ici affaire à une lutte proprement politique entre principes de visions et de di-visions du monde social, propre à chaque trajectoire nationale. Les deux sociologues visaient, grâce à une enquête à l’INSEE, l’économétrie. Ils n’avaient pas encore vu que d’autres principes de classement étaient en train de s’imposer (race, genre). Le livre revient en préambule sur ces tensions, et même contradictions, entre tradition sociologique et « synthèse identitaire ». Nous les résumerons par ce proverbe : les bonnes intentions font de la mauvaise science (sociale).

2.     Ce remaniement des sciences sociales a conduit à ce que Bernard Lahire a appelé la « division pathologique du travail scientifique » avec la prolifération des « studies », qui abandonne toute visée intégratrice de la science sociale. Tout se passe comme si avaient proliféré des « mondes », au sens de Becker, interlopes entre « scientifiques » et « militants » axés sur telle ou telle « identité ». Il en résulte de fâcheux double jeux où des militants jouent aux scientifiques dans des arènes épistémiques et où des scientifiques jouent les avocats (advocacy) dans les milieux militants. Scientifiques et militants sont d’ailleurs souvent les mêmes et on les retrouve principalement dans des partis comme LFI ou EELV. Division pathologique du travail scientifique et confusion des genres sont, de notre point de vue, particulièrement délétères pour la qualité des connaissances produites.

3.     Pour comprendre ce phénomène « woke », il faut adopter une histoire longue qui remonte à la désillusion des militants soixante-huitards dans les années 1970 et qui se sont reconvertis dans les facs. Nous ne sommes pas convaincus par les trois moments identifiés par Laurent Dubreuil, professeur de culture comparée à Cornell, dans son livre pionnier de 2017. Nous préférons penser en termes de processus. Il est, par contre, indéniable que l’avènement de réseaux comme Trumblr ont boosté la diffusion élargie d’une « synthèse identitaire dégradée » ; Il n’en reste pas moins, que nos recherches montrent que ce qui allait devenir la « synthèse identitaire » remonte aux années 1970 et à la grande désillusion de 68 résumée par la fameuse réplique de Peter Fonda dans Easy Rider : « we blew it » (« on a merdé »). Nous avons ainsi travaillé la littérature sur le gauchisme américain et français (notamment sa variante maoïste). La fin des années 1970 a été le moment de reclassements de nombre de militants dans divers univers, notamment académiques. C’est avec la révolution néolibérale des années 80 que ces militants reclassés dans les universités ont abandonné le marxisme et/ou le socialisme pour les combats identitaires. Toutes les enquêtes sérieuses sur le sujet convergent vers ce constat. Les campus et les écoles d’élite sont devenues des espaces de consolation, isolées de plus en plus des catégories populaires, et où les idées wokes ont pu s’épanouir dans une formule que l’on pourrait résumer par « on n’a pas réussi à changer concrètement le monde, alors changeons le par les mots ». S’en est suivi un essaimage, les étudiants cherchant à créer leur propre position dans une Amérique libérale et faisant l’apologie de l’entrepreneuriat, sur fond de délitement de la classe ouvrière. Ils ont trouvé des positions dans les partis politiques, les médias, les réseaux sociaux, les fondations, etc. C’est ainsi que s’est peu à peu bâtie l’industrie de la « diversité », de « l’inclusivité », etc. Lorsque l’on est un sociologue sérieux, c’est ce type d’essaimage, d’institutionnalisation et de bureaucratisation qui doit être investigué : comment se sont imposés et  »diffusés » de nouveaux cadres de l’expérience qui modèlent les interactions quotidiennes (Goffman) ? Là encore, il ne s’agit que de tenir le fil de l’exigence objectivatrice des pionniers de la sociologie.

4.     Il est faux de dire que le « wokisme » est issu de la French Theory (Foucault mis à part). A Paris 8, il y a eu un coup de force contre Derrida et Cixous, figures de la French Theory, par des tenants du « wokisme » version américaine, comme Eric Fassin. Il n’y a pas de lien direct entre le wokisme et la déconstruction au sens philosophique. Tout cela est désormais bien établi par les acteurs et témoins (Roudinesco, Braunstein, Forest, Dubreuil, etc.). Le wokisme est plutôt l’enfant monstrueux d’un constructionnisme débridé que dénonçait en son temps un Ian Hacking, un John Searle ou en France un Bouveresse et un Engel. La philosophie analytique est d’ailleurs impitoyable avec ce qu’elle appelle du « bullshit ». Les origines intellectuelles de la révolution woke reste à préciser mais il y a là une confusion historiographique. Il faudrait pour être précis avoir les moyens de saisir la réception américaine des auteurs en question. Il existe cependant des livres anglo-saxons qui donnent des pistes (Intersectionnality. An intellectual history de Hancock par exemple). Nous avons privilégié de façon systématique les livres scientifiques ou historiographiques, faute de pouvoir mener notre propre enquête, hormis les entretiens menés avec des universitaires américains.

5.     Le wokisme ne « flotte pas dans l’air » : il a des soubassements matériels. C’est l’énorme défaut des ouvrages critiques sur le wokisme : non, les idées ne s’attrapent pas. Elles sont soutenues par des forces économiques, sociales et politiques qui leur donnent leur force sociale. Mounk d’ailleurs évoque de façon fort pertinente « l’isomorphisme » institutionnel qui explique que toute entreprise doit désormais montrer patte blanche sur les sujets identitaires. Cela conduit à une autre question, soulevée avec pudeur dans le livre de Laure Béréni : quel est le degré d’engagement de ces institutions dans ces « valeurs » ? On pourrait parler d’un woke washing comme on a parlé d’un green washing, selon un mécanisme bien connu des néo-institutionnalistes sociologiques… Le PDG de Goldman Sachs levant le point, un genou à terre en soutien à Black Lives Matter prêterait à sourire. D’autant que BLM n’est pas autre chose qu’un énorme détournement de dons au seul profit du couple Cullors…. Ici encore, la sociologie des mouvements sociaux a énormément à apporter. Nous avons affaire à des « entrepreneurs de cause » au sens de McCarthy et Zald. .

6.     Il est faux de dire que le « wokisme » est un phénomène exclusivement américain : il doit beaucoup à l’École de Birmingham des « cultural studies » comme le suggère, sans le vouloir, Erik Neveu (avec ou sans Armand Mattelard). Il montre bien comment le matérialisme marxiste des origines a cédé devant un idéalisme incontrôlé où tout ne serait que codage-décodage-recodage (Stuart Hall), opérations abstraites de leur substrat social et des dispositions des individus. C’est cette version tardive, et, il faut le dire, dégénérée, des cultural studies, qui n’a plus rien à voir avec les œuvres séminales d’un Stanley Cohen ou d’un Richard Hoggart, qui a franchi l’Atlantique pour gagner les campus.

7.     Il est vrai de dire que les campus US, de plus en plus élitistes socialement, ont été le creuset de ces influences croisées dont il est difficile de démêler l’écheveau.

8.     Il est vrai de dire que l’accélération de la transnationalisation des échanges entre écoles d’élite françaises et campus US a été le moteur du voyage de ces « idées » en précisant immédiatement que l’Europe du Nord a été en pointe. Désormais l’UE est un promoteur actif de ces thématiques via les ECR.

9.     Il est outrageusement faux de dire que les opposants au wokisme sont des conservateurs ou des réactionnaires. Aux États-Unis, deux gauches, l’une libérale, l’autre socialiste ou marxiste, sont de farouches critiques. On pourrait avancer que les partis de gauche les plus bourgeois et éduqués dans leur recrutement sont les plus en pointe sur la synthèse identitaire, pour des raisons d’habitus et de tactique.

10.  Nous validons la thèse de Todd : c’est bien la stratification éducative qui est première dans le succès des thèmes identitaires. Encore faut-il que parmi les 30% d’éduqués supérieurs, un bon nombre s’y opposent. Il suffit de regarder qui écrit les livres les plus férocement antiwokes : des femmes bourgeoises et éduquées (journalistes, écrivaines, etc.). Le terrain identitaire est, dans ses soubassements, une lutte des classes. Cela recoupe les chiffres que nous a fournis l’IFOP : le wokisme touche 14% grand maximum de la population, petite-bourgeoise, suréduquée, métropolitaine.

11.  S’il y a homologie structurale entre la France et les États-Unis, c’est bien avec la tectonique des plaques sociologiques, qui traversent toutes les sociétés occidentales en déclin : les 30% d’éduqués supérieurs, qui tirent leur épingle du jeu de la « mondialisation », font sécession par rapport au reste de la population. Les polémiques sur le wokisme ne sont que l’expression de cet exit par le haut et de cet exit par le bas. Christopher Lasch dans son livre posthume de 1995, à partir des transformations en cours depuis les années 1970/1980) fut l’un des premiers intellectuels à prédire cette évolution. Je ne résiste pas à la tentation de le citer : « « Une nouvelle fois, la gauche universitaire s’avère fondamentalement d’accord avec la droite. L’une comme l’autre ont la même conception avilie de la politique : c’est le plus fort qui commande, dans un concours d’invectives qui étouffe la voix de la raison. » (p. 248) ». Phrase prophétique s’il en est : gauche woke et droite conservatrice sont bien devenues des associés-rivaux.

12.  Des « idées » fausses, sinon ineptes, peuvent survivre parce qu’elles ont été le prétexte au déploiement d’une industrie dont les membres sont des professionnels identitaires, qui vivent de et pour l’identité. C’est ce qu’a montré la sociologie des problèmes publics depuis quarante ans. Des consultants, des président.e.s d’association, des médias, des bureaucraties DEA, des professionnels de la politique, entre autres, ont intérêt à faire perdurer ces polémiques qui sont incompréhensibles par 90% de la population. Autrement dit, une idée fausse peut survivre tant qu’il y a des gens qui la soutiennent (parce qu’ils y ont intérêt), et en vivent. D’ailleurs, cela a été démontré par l’approche cognitive des politiques publiques (Jobert, Muller et leurs élèves) depuis longtemps ! Aux États-Unis, sur les « réseaux de politiques publiques », Baumgartner et Jones, John Kingdon, et plein d’autres. Bourdieu le formulait autrement, à la suite de Spinoza : « il n’existe aucune force intrinsèque des idées vraies ».

13.  La question finale est celle de l’autonomie des sciences sociales. J’estime que le rôle du sociologue n’est pas d’être un avocat ou un procureur. Il doit puiser dans la boîte à outils, riche, de ses prédécesseurs, pour objectiver son objet au lieu d’y plonger pour devenir une sorte de militant vaguement intellectuel. Sans vouloir l’enrôler, un livre comme celui de Bernard Lahire sur les structures fondamentales des sociétés humaines rend justice et dignité à la sociologie. On pourrait évidement en citer plein d’autres, et c’est heureux !

14.  La thèse centrale de ce livre est wébérienne : le « wokisme » est le dernier esprit du capitalisme financiarisé et consumériste. Il s’agit bien d’une religion, immunisée contre tous les démentis factuels, avatar d’un protestantisme zéro (Todd), qui est portée par les « gagnants de la modélisation » éprouvant la nécessité de fonder la sociodicée de leurs propres privilèges. Son essentialisme foncier débouche sur un racisme social et de l’intelligence (Bourdieu), lui-même adossé à des sociétés fracturées par la stratification éducative et le déclassement des catégories populaires et des classes moyennes inférieures. Ce n’est pas un hasard si le « beauf » français a son homologue américain : le « Bernie bro » inventé par le centre du parti démocrate, cherchant à disqualifier les sympathisants et militants de Bernie Sanders. Preuve en est que le conflit n’est certainement pas réductible à l’opposition entre « progressistes » – un chapitre est réservé à la floraison de ce terme en lieu et place de gauches – et conservateurs.

15.  Cette analyse, marxienne assumée, a une conclusion politique : que fait le wokisme à la gauche française, et, à cet égard, aura un écho dans le contexte pré-électoral de 2025 et 2026. Les gauches françaises sont profondément divisées quant à cet idiome identitaire, les thuriféraires d’hier devenant les critiques d’aujourd’hui (S. Rousseau : on ne peut gagner les élections avec des petites identités »). De fait, les données sondagières et électorales montre que l’idiome identitariste ne peut gagner aucune élection d’envergure. Il ne concerne qu’une grange petite-bourgeoise suréduquée (et mal formée) métropolitaine. Soit environ, étiage haut, 14% du corps électoral. Pire : il est un repoussoir pour la très grande majorité des électeurs dont l’agenda est orthogonal aux revendications (lesquelles, tant elles sont nombreuses ?) wokes. Les récents scrutins électoraux sont à cet égard édifiants : malgré les rodomontades de certains leaders de la gauche, le NFP n’a pas amélioré son score de 2017. L’étiage est de 28 – 30% des votants et il ne le dépassera pas. Encore faut-il préciser que parmi ces électeurs de « gauche » le sont par dépit et par rejet (du macronisme et des autres droites). Aux États-Unis, il semble que la vague woke soit en reflux tant elle mobilise peu. Le choix de Tim Walz comme colistier de Harris est révélateur : il s’agit d’aller chercher des électeurs ruraux hostiles au parti démocrate wokisé. Le choix de J.D. Vance, auteur d’un ouvrage retentissant sur l’Amérique des Appalaches, de la Rust Belt (Hillbily Elegie), n’est pas non plus anodin. Ces quelques données d’impression, qui seront creusées d’ici 2025, montrent que les sociétés occidentales sont conflictualisées par un clivage socio-éducatif que les querelles picrocholines sur le wokisme, à la surface publique démesurée, dissimulent des conflits de classe. Dans la progression de ce livre, j’anime une rubrique sur les politiques d’identité dans la revue en ligne Respublica. Publications bi-hebdomadaires. Entretiens réalisés avec Véra Nikolski, Aurélien Aramini, Nedjib Sidi Moussa et bientôt Bernard Lahire autour de leurs derniers ouvrages, en sus de la traduction de textes d’intellectuels américains (en particulier d’Adolph Reed Jr) et de la publication de textes originaux signés en nom propre. 

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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