Les évêques de France en dehors des pas de Jésus-Christ !

Législatives 2024 : les réactions contrastées des responsables des cultes

Les représentants des différentes religions n’adoptent pas tous la même attitude durant cette campagne éclair pour les élections législatives. Si certains appellent à faire barrage aux « extrêmes », d’autres, à l’instar des évêques de France*, se montrent plus timorés. 

Par Gaétan Supertino

Publié le 22 juin 2024 à 13h00, modifié le 22 juin 2024 à 14h59

Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/06/22/legislatives-2024-les-reactions-contrastees-des-responsables-des-cultes_6242533_3224.html

De gauche à droite : le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Fédération protestante de France, Christian Krieger, à l’Elysée, à Paris, le 13 novembre 2023.
De gauche à droite : le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Fédération protestante de France, Christian Krieger, à l’Elysée, à Paris, le 13 novembre 2023.  LUDOVIC MARIN / AFP

« La dissolution de l’Assemblée nationale plonge notre pays dans une situation d’une gravité inédite. (…) Alors que les législatives devraient permettre un débat démocratique constructif, des délais trop courts et des promesses démagogiques irréalistes menacent de semer un profond désordre. » Comme l’illustre cette réaction du pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, dans un communiqué, l’incertitude politique actuelle préoccupe aussi les représentants des cultes français. Mais tous n’adoptent pas la même attitude.

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Christian Krieger, pour sa part, choisit de renvoyer dos à dos « le racisme de l’extrême droite et l’antisémitisme de la gauche extrême ». « La paix, la dignité et la fraternité, que notre foi nous pousse à rechercher, ne peuvent s’ériger sur la haine ou la détestation ; ni celle d’une personne, ni celle des institutions démocratiques, ni celle de groupes stigmatisés, qu’ils soient juifs, musulmans ou étrangers », justifie ainsi le leader protestant, exhortant « chaque citoyen à exercer son droit de vote avec conscience et responsabilité ».

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) franchit un pas supplémentaire, en nommant les partis contre lesquels il appelle à faire barrage. « Ni le RN [Rassemblement national], ni LFI [La France insoumise]lit-on dans un communiqué sur son site, reprenant en partie des propos de son président, Yonathan Arfi, dans Le MondeLe RN est un parti extrêmement dangereux, qui n’a jamais été un rempart contre l’antisémitisme : tout ce qui menace le cadre républicain et l’universalisme est fondamentalement dangereux pour les juifs. »

Quant au Nouveau Front populaire, il est, selon le communiqué du CRIF, entaché de « l’antisémitisme de LFI »Si elle admet la mise en avant, par l’alliance de gauche, d’un projet de campagne « qui énonce noir sur blanc la lutte contre le racisme et l’antisémitisme », l’instance juive continue de trouver « indigne de faire comme si l’antisémitisme était une question secondaire, et non plus la ligne rouge fondamentale pour la gauche depuis l’affaire Dreyfus ».

« Supercherie »

La France insoumise s’est depuis longtemps attiré la colère des représentants du judaïsme, qui accusent ses leaders de cultiver une dangereuse ambiguïté. Jean-Luc Mélenchon avait par exemple raillé les « génuflexions » de certains politiques devant « les communautaristes du CRIF »en décembre 2019, ou encore assuré que l’antisémitisme était « résiduel en France », le 2 juin.

  Antisémitisme : comment Jean-Luc Mélenchon cultive l’ambiguïté

Les responsables musulmans se gardent, quant à eux, d’émettre une quelconque consigne de vote, tout en soulignant leur préoccupation de voir le RN arriver au pouvoir et en déplorant « l’obsession des politiques et des médias envers l’islam », dit Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris« Ceux qui voient dans le Front national [sic] une bouée de sauvetage, je les exhorte à examiner les solutions proposées. Ils se rendraient compte de la supercherie, poursuit-il dans un billet sur le site de l’institution. Les solutions simplistes ne résoudront pas les problèmes complexes de notre société. Au contraire, elles ne feraient qu’ajouter aux divisions et aux tensions, détournant l’attention des véritables enjeux économiques qui affectent notre quotidien. »

« Il est légitime, dans le climat actuel, de vouloir apporter son soutien à celles et à ceux qui promeuvent encore les valeurs de vivre-ensemble, luttent contre la haine et l’intolérance et œuvrent pour la construction d’une société juste, fraternelle et solidaire », ajoute, pour sa part, le Conseil français du culte musulman (CFCM) dans un communiqué, sans citer de parti.

« Etat de contorsion »

Quid des évêques français ?

Sans nommer ce contre quoi ils s’opposent, certains tentent de faire passer des messages. « Des hommes et des femmes se sentent un peu perdus, délaissés et sans avenir. (…) Ce sentiment légitime est cependant ambigu car il peut verser dans la nostalgie, la victimisation de soi ou la quête d’un bouc émissaire », ont ainsi réagi les évêques du Nord dans un communiqué, ** appelant, dès le lendemain des élections européennes du 9 juin à une « sagesse politique ancrée courageusement dans la tradition humaniste (…) et la solidarité universelle ».

Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France s’est montré plus timoré.* Voyant dans la situation actuelle le symptôme de « l’individualisme et l’égoïsme dans lesquels nos sociétés se laissent entraîner depuis des décennies », voire de « l’effacement de Dieu dans la conscience commune », les représentants des évêques français proposent, dans un texte publié dix jours après l’annonce de la dissolution, une « prière » pour aider les fidèles à « discerner ce qui est juste » et éviter de « mépriser quelque être humain que ce soit ».

Une position bien trop timide aux yeux de certains. « Pourquoi les responsables de l’Eglise catholique en France sont-ils, pour la plupart d’entre eux, dans cet état de contorsion devant ce qui devrait être l’évidente condamnation du vote pour le RN et ses épigones ?, s’interrogent Christine Pedotti et Anthony Favier, respectivement directrice de la rédaction et rédacteur en chef de la revue Témoignage chrétien, dans un texte envoyé au MondeIl y a une radicale opposition entre le sens profond de l’Evangile et les choix de société de RN, un parti qui fait de la différence entre ceux et celles qui ont des droits et ceux et celles qui n’en ont pas à cause de leur origine la base même de sa politique. »

Une telle divergence de vues reflète le tiraillement de l’électorat catholique pratiquant. Historiquement fidèle à la droite républicaine ou au centre, celui-ci a voté de façon inédite pour l’extrême droite lors du dernier scrutin, selon différentes études.****

Lire le reportage :   Les jeunes catholiques français plus conservateurs que leurs aînés : « J’ai plus de mal avec la messe normale, la messe traditionnelle est belle, elle est plus verticale »

Gaétan Supertino

*Au sujet de la situation en France : prière des évêques du Conseil permanent de la CEF à l’attention des fidèles

Publié le 20 juin 2024 https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/553159-au-sujet-de-la-situation-en-france-priere-des-eveques-du-conseil-permanent-de-la-cef-a-lattention-des-fideles/

Conseil permanent de la conférence des évêques de France

Le résultat des élections européennes est un symptôme de plus d’une société inquiète, douloureuse, divisée. La dissolution de l’Assemblée nationale a placé notre pays dans un trouble inattendu. Comme tous nos concitoyens, nous, catholiques, avons à exercer notre responsabilité démocratique.

Comme chrétiens, cependant, nous avons une vive conscience que les élections législatives ne résoudront pas tout.  C’est dans l’espérance du Règne de Dieu inauguré par le mystèrede la mort et de la résurrection de Jésus que nous voulons être des citoyens responsables et apporter notre contribution à la qualité de la vie démocratique et sociale de notre pays.

Le malaise social que nous constatons a certes partie liée à des décisions politiques, mais il est plus profond. Il tient aussi à l’individualisme et à l’égoïsme dans lesquels nos sociétés se laissent entraîner depuis des décennies, à la dissolution des liens sociaux, à la fragilisation des familles, à la pression de la consommation, à l’affaiblissement de notre sens du respect de la vie humaine, à l’effacement de Dieu dans la conscience commune. Les parlementaires et les responsables politiques ne peuvent pas tout. Ils ont à chercher le meilleur pour nous tous, pour l’unité, la prospérité et le rayonnement de notre pays dans un monde en profonde mutation. Ils ne peuvent agir qu’en fonction de la détermination de tous à agir pour le bien commun.

Demain, le 8 juillet, quels qu’auront été nos choix électoraux, nous tous Français, nous aurons encore et toujours à respecter nos concitoyens qui auront d’autres opinions que les nôtres et à œuvrer ensemble à la continuité et à l’amélioration de notre vie sociale commune. Nous aurons encore à vouloir que notre pays honore ses engagements et serve la paix et la justice dans le monde. Nous aurons toujours à nous garder de la violence, à veiller à ne pas diffuser la colère et la haine, à ne pas nous résigner à l’injustice mais à lutter pour la justice par les moyens de la vérité et de la fraternité. Demain, chacun devra toujours s’inquiéter de ceux qui vont moins bien que lui.

Nous, catholiques, nous le ferons en puisant dans la grâce de Dieu et dans notre foi en son salut, pour surmonter peurs, colères, angoisses et pour être des « artisans de paix » et des acteurs de l’amitié sociale. Nous pourrons nous appuyer sur la communion qu’est notre Église.

C’est pourquoi, évêques du Conseil permanent, nous formulons la prière suivante et nous la proposons aux fidèles qui voudront bien s’y associer.

« Dieu de vérité et de bonté, en ces temps de décisions fortes
pour notre pays la France,
aide-nous à discerner correctement ce qui est juste.

Renouvelle en nous, chaque matin, le goût de servir, pour que nous accomplissions nos tâches avec cœur
et garde-nous de mépriser quelque être humain que ce soit.

 Viens, Esprit-Saint, éclairer ceux et celles qui seront choisis comme députés ou auront à gouverner notre pays. 

Qu’ils puissent ensemble chercher le meilleur pour nous tous. 
Imprime en eux un grand sens du service du bien commun. 

Sainte Vierge Marie, sainte Jeanne d’Arc, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronnes de la France, veillez sur notre pays.
Qu’il soit une terre de liberté, de justice, de fraternité et se tienne à la hauteur de son rôle dans l’histoire.

 Aidez-nous à y être, à notre modeste place mais selon toute notre responsabilité, des disciples de l’Évangile.

Amen. »

**Déclaration : pour une sagesse politique

Au vue de la situation politique actuelle, l’archevêque de Montpellier, Mgr Norbert Turini, fait sienne la déclaration des trois évêques du nord de la France.

POUR UNE SAGESSE POLITIQUE

Les résultats des élections européennes et l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale qui a suivi sont un symptôme des profonds malaises ressentis face aux crises et aux bouleversements qui agitent les sociétés dans notre monde. Des hommes et des femmes se sentent aujourd’hui un peu perdus, délaissés et sans avenir. Ils aspirent à reprendre en main leur destinée dans une plus grande sécurité. Ce sentiment légitime est cependant ambigu car il peut verser dans la nostalgie, la victimisation de soi ou la quête d’un bouc émissaire. 

Plus les temps sont troublés, plus nous avons besoin de sagesse, une sagesse politique ancrée courageusement dans la tradition humaniste, la fidélité au service du bien commun, l’attention aux plus petits, l’humilité de l’écoute et la solidarité universelle.

Le temps n’est plus où l’Eglise catholique donnait des consignes de vote en s’immisçant dans les consciences.

Evêques de Lille, Arras et Cambrai, nous encourageons cependant les chrétiens et les personnes de bonne volonté à s’engager dans la société en regardant la figure du Christ et en appelant les lumières de l’Esprit Saint.

+ Laurent Le Boulc’h, archevêque de Lille Vincent Dollmann, archevêque
+ de Cambrai Olivier Leborgne, évêque d’Arras

****Législatives 2024 : « Le vote des catholiques s’est éparpillé et radicalisé »

Tribune

Yann Raison du CleuziouPolitiste

Historiquement acquis à la « droite de gouvernement » et opposé aux extrêmes, le vote catholique français connaît, depuis moins d’une décennie, une évolution inédite, qu’analyse le politiste Yann Raison du Cleuziou dans une tribune au « Monde ».

Publié hier à 08h30, modifié hier à 14h35  Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2024/06/23/legislatives-2024-le-vote-des-catholiques-s-est-eparpille-et-radicalise_6242776_6038514.html

Parmi les forces sociales qui structurent les droites, les catholiques ont longtemps occupé une place centrale. La démonstration en avait été faite en leur temps par les sociologues Guy Michelat et Michel Simon dans un ouvrage magistral Classe, religion et comportement politique (Presses de Sciences Po, 1977). Selon eux, tous les catholiques ne votent pas en catholiques (la foi ne motivant pas nécessairement leur vote), mais les pratiquants réguliers (c’est-à-dire allant à la messe au moins une fois par mois) le font, et à hauteur d’environ 70 % au profit de la « droite de gouvernement », identifiée aux héritiers du gaullisme et de la démocratie chrétienne.

Les pratiquants réguliers ont souvent constitué un bloc résistant au vote Front national [FN, l’ancien nom du Rassemblement national], contrairement aux catholiques non pratiquants qui choisissent historiquement plus le parti lepéniste que le reste des Français. Longtemps, le vote FN a quasiment valu indice de détachement religieux, sauf dans les petites chapelles traditionalistes.

En outre, les pratiquants réguliers ont largement soutenu la construction européenne. A l’occasion des référendums sur le traité de Maastricht (1992) ou sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe (2005), le oui fut majoritaire parmi eux (IFOP). Lors des élections européennes de 2019, Nathalie Loiseau, candidate LRM avec un positionnement très proeuropéen et catholique revendiquée, obtenait encore 43 % parmi les pratiquants réguliers (IFOP-La Croix).

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Les catholiques ont donc joué un rôle de stabilisation, de modération et de promotion européenne au sein des droites. Mais force est de constater que celui-ci s’épuise. Le vote en faveur du RN progresse depuis les élections régionales de 2015, en pleine vague d’attentats islamistes. A la présidentielle de 2022, parmi les pratiquants réguliers, Marine Le Pen obtient 21 % et arrive en seconde position derrière Emmanuel Macron à 25 % des voix (IFOP-La Croix). La hantise de l’islamisme, du déclassement culturel et une logique « dégagiste » attisée par l’échec des espoirs politiques nés de La Manif pour tous ont accéléré le détachement à l’égard de la droite modérée. En additionnant Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et Lassalle, on obtient alors 42 % des pratiquants réguliers exprimant des votes que l’on peut qualifier de « contestataire » de droite ou d’extrême droite.

En 2017, François Fillon obtenait encore 55 % des voix parmi eux (IFOP-Pélerin). Cela montre qu’entre-temps, le vote catholique s’est pour la première fois éparpillé et radicalisé, reflétant l’ampleur des conflits de valeurs et des choix tactiques qui divisent les catholiques.

Attraction de Reconquête !

L’élection européenne du 9 juin confirme ces tendances parmi les pratiquants réguliers. Renaissance s’effondre, même si les variations des sondages ne permettent pas de mesurer si cette dynamique est plus ou moins forte que dans le reste de l’électorat : 10 % pour l’IFOP ; 21 % pour Ipsos. Le soutien à LR est aussi à un niveau historiquement très bas : Ipsos et l’IFOP s’accordent sur 16 % de votes en faveur de François-Xavier Bellamy. Le vote LR des catholiques pratiquants représente néanmoins encore le double des moyennes nationales. C’est une forme de consolation pour le philosophe catholique. Quant au RN, même s’il se banalise, c’est à un niveau inférieur aux moyennes nationales : 18 % pour l’IFOP ; 26 % pour Ipsos lors des européennes. Le constat de Michelat et Simon demeure donc valable. Mais est-ce vraiment la foi qui fait obstacle au vote RN ?

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Mes enquêtes me font penser que le programme économique et un certain mépris de classe sont plus déterminants. Marine Le Pen néglige également les enjeux bioéthiques auxquels les catholiques sont attachés. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tendance xénophobe parmi les catholiques. Le vote Reconquête ! l’illustre car cette fois, il y a une attraction électorale propre aux catholiques les plus pratiquants qui doublent la moyenne nationale, ce qui était déjà notable en 2022. Aux européennes, 10 % des catholiques pratiquants ont voté Reconquête ! selon l’IFOP et 12 % pour Ipsos. Eric Zemmour et Marion Maréchal ne cessent de mobiliser le catholicisme comme fondement de l’identité nationale. Et le « grand remplacement » qu’ils mettent en avant attise la crainte d’une partie des catholiques de voir l’islam devenir la première religion de France.

Un quart à gauche

N’oublions pas la gauche catholique qui, bien que toujours minoritaire, représente autour de 25 % à 30 % du vote des pratiquants réguliers. La liste de Raphaël Glucksmann (PS-Place publique) est donnée à 11 % par l’IFOP et à 9 % par Ipsos ; Manon Aubry (LFI) à 9 % par l’IFOP et à 4 % pour Ipsos ; les Verts obtiennent 4 % selon l’IFOP et 6 % selon Ipsos. Même si c’est à une échelle modeste, la droitisation des pratiquants peut intensifier, par réaction, les engagements à gauche dans une partie de la jeunesse catholique mobilisée par l’urgence de la lutte contre le changement climatique et l’exclusion.

Observer les catholiques pratiquants réguliers permet de mesurer la profondeur des changements qui transforment irréversiblement les droites. Ils n’assurent plus le rôle stabilisateur et modérateur qu’ils jouaient auparavant. Pouvait-il en être en autrement ? L’éparpillement des voix ne fait qu’accélérer l’érosion quantitative qui, de toute façon, limite leur influence. Ils ne représentent plus qu’environ 4 % de la population française (Bayard-Ipsos 2016).

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Après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, un théologien dominicain, Thomas Michelet, écrivait sur Facebook que les catholiques pouvaient refuser de choisir et légitimement s’abstenir. Quoi qu’il advienne, avec l’effondrement statistique du catholicisme, c’est déjà tout un ancrage social, une mémoire et des valeurs fondatrices des droites qui s’affaissent, favorisant les aventures personnelles et les sorties de route collectives.

Yann Raison du Cleuziou est professeur en science politique à l’université de Bordeaux, spécialiste du catholicisme français. Il a notamment publié « Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous » (Seuil, 2019) et a codirigé, avec Florian Michel, l’ouvrage « A la droite du père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours » (Seuil, 2022).

Yann Raison du Cleuziou (Politiste)

***« En votant RN, est-ce que je serai un mauvais chrétien ? », s’inquiètent des catholiques à Cholet

Par Benoît Floc’h (Cholet [Maine-et-Loire], envoyé spécial)Publié le 20 juin 2024 à 06h30, modifié le 21 juin 2024 à 11h06 https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/20/en-votant-rn-est-ce-que-je-serai-un-mauvais-chretien-s-inquietent-des-catholiques-a-cholet_6241566_823448.html

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Reportage« La tentation du RN ». Dans la 5ᵉ circonscription de Maine-et-Loire, des catholiques, pratiquants ou non, s’affirment prêts à voter pour l’extrême droite aux législatives, au grand dam du clergé local.

Ce dimanche matin, après la messe qui vient de se tenir dans la chapelle du couvent Saint-François, à Cholet (Maine-et-Loire), l’encens se dissipe doucement. Les paroissiens s’égaillent. Jean Ortmans, 53 ans, s’attarde dans l’oratoire attenant. Le médecin aime cette église installée dans l’ancien carmel, un peu à l’écart du centre-ville. « Chaleureuse », elle accueille des fidèles « de tout âge et de toute condition sociale, qui se mêlent dans la fraternité, et sans jugement ». La chapelle était pleine, ce matin-là. « Pourtant, nous sommes aujourd’hui minoritaires, à Cholet… », glisse-t-il. Terre chrétienne de toute éternité, coincée entre la Bretagne et la Vendée, le Choletais compte en effet beaucoup de « sans-religion ».

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Jean Ortmans est minoritaire à un autre titre : il est de ces catholiques pratiquants qui ont longtemps résisté à la tentation de l’extrême droite. Mais les temps changent. « J’ai des patients catholiques qui ont voté Rassemblement national [RN] pour la première fois, alors qu’ils étaient macronistes, raconte le médecin. Ils m’en parlent beaucoup. C’est la première fois que je vois les gens aussi anxieux. » Lui-même, qui n’a « jamais voté pour le RN », reconnaît qu’il tangue. « Aujourd’hui, ça ne me dérangerait pas », finit-il par admettre« Je constate que les macronistes sont plus violents que le RN, justifie-t-il. Je ne peux pas voter pour quelqu’un qui professe la haine, ou pour un moralisateur. On nous a assez reproché de l’être, nous, les cathos. » « Les moralisateurs, pointe-t-il, ce sont les gens qui gouvernent, aujourd’hui. »

Les législatives anticipées, décidées dimanche 9 juin par le chef de l’Etat, mettent les catholiques pratiquants sur des charbons ardents. Enfin, les « vrais ». Un sondage, réalisé le 9 juin par l’IFOP pour La Croix montre que nombre de « catholiques pratiquants » (occasionnels et réguliers) ont basculé aux européennes : ils ont voté à 32 % pour le RN et à 10 % pour Reconquête !. Ils n’étaient que 18 % en 2019. Mais ceux qui vont à la messe régulièrement, eux, résistent : seuls 18 % ont voté RN et 10 % Reconquête !.

« On cherche le choix raisonnable »

Cholet est emblématique. On s’y est toujours méfié des extrêmes. Au premier comme au second tour de la présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen avait rassemblé moitié moins d’électeurs qu’ailleurs. En 2022, Emmanuel Macron a fait 38,2 %, dès le premier tour, et presque 73 % au second. Mais, aux européennes, le 9 juin le RN a pris la tête, avec 23,4 % des voix, devant Renaissance (21,2 %). Moins qu’au niveau national, certes, mais à Cholet, c’est un séisme. En 2019, le RN était arrivé troisième, loin derrière les macronistes. Fine mouche, le maire, Gilles Bourdouleix (divers droite), a annoncé, le 11 juin, être candidat pour les législatives avec le soutien du RN et d’Eric Ciotti, toujours président du parti Les Républicains (LR).

Alain Le Moullec, 62 ans, ne sait pas encore pour qui il va voter aux législatives. « On est perdus. On cherche le choix raisonnable. La gauche a un projet destructeur pour la société. Le RN, lui, n’a pas les compétences dans le domaine économique. Sauront-ils s’entourer de technocrates ? » Il n’exclut pas de voter pour eux, mais « n’est pas sûr de ne pas avoir mauvaise conscience », après son vote. Cholet, le 16 juin 2024.

Alain Le Moullec, 62 ans, ne sait pas encore pour qui il va voter aux législatives. « On est perdus. On cherche le choix raisonnable. La gauche a un projet destructeur pour la société. Le RN, lui, n’a pas les compétences dans le domaine économique. Sauront-ils s’entourer de technocrates ? » Il n’exclut pas de voter pour eux, mais « n’est pas sûr de ne pas avoir mauvaise conscience », après son vote. Cholet, le 16 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Le basculement ne se fait pas sans douleur. Alain Le Moullec, 62 ans, a, lui aussi, participé à la messe au couvent Saint-François. « On est perdus, souffle-t-il. On cherche le choix raisonnable. Dans trois semaines, je vote sur la ligne de crête. Et je ne suis pas sûr d’avoir bonne conscience après… » La gauche propose « un projet destructeur pour la société », pense-t-il. Emmanuel Macron « ne sait pas où il va » et LR « n’existe plus. Or, il faut choisir des gens qui pourront agir », c’est-à-dire majoritaires. Le RN, donc ? « Il n’est pas compétent en économie », soupire M. Le Moullec. Mais « s’il va chercher des technocrates pour gérer la situation », lui, qui n’a « jamais voté RN », concède qu’« aujourd’hui, ce n’est pas exclu ».

Lire aussi le reportage |   A Louviers, des électeurs assument paisiblement leur vote d’extrême droite : « C’est le moment où tout peut changer, le RN me paraît prêt à gouverner »

Pour MM. Ortmans et Le Moullec, sur le sujet de la fin de vie, « l’euthanasie, c’est non négociable ». Et la question sociale compte aussi. « La gauche défend plus les bobos que les personnes fragiles. Et la droite, une mondialisation qui écrase les plus faibles », attaque le premier. Il explique travailler dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. « Je suis effrayé de voir comment le système de santé est détruit », déplore-t-il, se disant incapable de voter Macron.

Blanche Ponsire en a « ras le bol ». Aide-soignante pendant vingt ans, elle s’est mise en disponibilité. Elle votera « probablement » RN aux législatives, car, pour elle, le service public n’existe plus. « On n’est pas un pays pauvre. Où va l’argent ? » Cholet, le 15 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Ces affres, on les retrouve aussi chez les catholiques non pratiquants, même si eux votent déjà en nombre pour l’extrême droite : 42 % le 9 juin, selon le sondage IFOP. Ces croyants « de loin », on en croise beaucoup le samedi après-midi, au centre commercial L’Autre Faubourg à la sortie de Cholet. Arrivée entre deux averses, Blanche Ponsire est aide-soignante. « De gauche », elle votera « probablement » RN aux législatives. « Je n’ai jamais été en accord avec eux », tient-elle à préciser, mais elle veut sanctionner les gouvernants, « qui passent leur temps à déconstruire les services publics ». Après vingt ans d’hôpital, elle a cessé pendant un temps son activité professionnelle, parce qu’elle « n’en pouvai[t] plus, dit-elle d’une voix blanche de colère. On n’a plus les moyens de soigner correctement, et l’on finit par être maltraitants ».

Une peur qui s’exprime sans fard

Les non-pratiquants parlent aussi beaucoup de sécurité. Clara Gabard et son compagnon ont une petite vingtaine d’années. « J’hésite », reconnaît la jeune femme, inquiète à l’idée que le droit à l’avortement puisse être remis en cause par le RN. « Dans nos campagnes, constate-t-elle, il est passé partout. Parce que les gens en ont marre. Il y a des histoires que l’on n’entendait pas avant : trafic d’armes, drogue, et même des viols. » Le 27 mai, l’agression au couteau d’une enseignante à Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire) a fait grand bruit dans le Choletais.

Clara Gabard et Tanguy Fonteneau ont 22 et 23 ans. Le couple vit à la campagne et dit observer une augmentation de la violence dans les zones rurales qui les effraie. « Avant, ça touchait plutôt les grandes villes. Maintenant, il y a des histoires dans les campagnes. Trafic de drogue, viols, trafic d’armes. On n’est pas du tout habitués à ça, ici. » Cholet, le 15 juin 2024.
Clara Gabard et Tanguy Fonteneau ont 22 et 23 ans. Le couple vit à la campagne et dit observer une augmentation de la violence dans les zones rurales qui les effraie. « Avant, ça touchait plutôt les grandes villes. Maintenant, il y a des histoires dans les campagnes. Trafic de drogue, viols, trafic d’armes. On n’est pas du tout habitués à ça, ici. » Cholet, le 15 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Clara Gabard et Tanguy Fonteneau ont 22 et 23 ans. Le couple vit à la campagne et dit observer une augmentation de la violence dans les zones rurales qui les effraie. « Avant, ça touchait plutôt les grandes villes. Maintenant, il y a des histoires dans les campagnes. Trafic de drogue, viols, trafic d’armes. On n’est pas du tout habitués à ça, ici. » Cholet, le 15 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Pour les électeurs qui viennent de basculer, la peur s’exprime sans fard. Dimanche matin, en sortant de l’église Notre-Dame, qui accueille les vieilles familles bourgeoises du centre-ville, Danielle Gautier, 79 ans, l’admet : « J’ai été LR pendant des lustres. Mais là, je vais voter RN. Je suis très très inquiète pour la France. » Mme Gautier a vécu cinquante ans à Grenoble. « Une ville perdue, tranche-t-elle. A la fin, je n’osais même plus aller au cinéma. Je me faisais insulter dans le tram. » Son fils habite Toulouse. « Mes petits-enfants sont dans une école privée, Dieu merci. Mais on se demande toujours s’ils vont rentrer le soir… », dit-elle, effrayée.

Danielle Gautier, 79 ans, est catholique pratiquante, elle se rend à la messe toutes les semaines. Elle vote traditionnellement LR, a sauté le pas, et a voté RN aux élections européennes. Les questions d’insécurité et d’immigration sont les premiers motifs de son choix. « On se demande toujours si mes petits-enfants vont rentrer le soir, même s’ils sont dans une école privée. On en est là. » Elle ne cache pas non plus sa colère contre Macron. « Un gamin pas content, qui cherche à nous punir. » Cholet, le 16 juin 2024.
Danielle Gautier, 79 ans, est catholique pratiquante, elle se rend à la messe toutes les semaines. Elle vote traditionnellement LR, a sauté le pas, et a voté RN aux élections européennes. Les questions d’insécurité et d’immigration sont les premiers motifs de son choix. « On se demande toujours si mes petits-enfants vont rentrer le soir, même s’ils sont dans une école privée. On en est là. » Elle ne cache pas non plus sa colère contre Macron. « Un gamin pas content, qui cherche à nous punir. » Cholet, le 16 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Danielle Gautier, 79 ans, est catholique pratiquante, elle se rend à la messe toutes les semaines. Elle vote traditionnellement LR, a sauté le pas, et a voté RN aux élections européennes. Les questions d’insécurité et d’immigration sont les premiers motifs de son choix. « On se demande toujours si mes petits-enfants vont rentrer le soir, même s’ils sont dans une école privée. On en est là. » Elle ne cache pas non plus sa colère contre Macron. « Un gamin pas content, qui cherche à nous punir. » Cholet, le 16 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Lors de l’office, l’un des prêtres était camerounais. Des baptêmes ont été célébrés, dont celui d’une femme noire qui, en larmes, a remercié la communauté de l’accueillir. Danielle Gautier a applaudi, comme les autres. Cela ne l’empêche pas de considérer, comme beaucoup de Choletais, qu’« il y a trop d’immigrés, c’est évident ». Elle n’est « pas raciste ». Ce qui la gêne, « ce sont ceux qui sont là pour bénéficier des avantages, quand des personnes âgées ne peuvent plus faire trois repas par jour… »

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C’est la rencontre avec « un mendiant de plus de 70 ans » qui fut « le déclencheur » du basculement d’Arthur Augereau, 19 ans, catholique pratiquant, passé de la droite au RN. C’est lors d’une randonnée de scouts en Touraine, à l’été 2023, qu’il a discuté avec le sans-abri. « Il a servi la France comme militaire, raconte le jeune homme. Malgré cela, pour les aides sociales, il passe après les gens “fraîchement débarqués”, comme il disait. » Il décide de militer au RN. Mais une question surgit : « En votant RN, est-ce que je serai un mauvais chrétien ? » Il cite l’Evangile selon saint Matthieu : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » « Pas forcément », conclut le jeune homme. « La motivation du vote RN n’est pas le mépris et la peur de l’autre », plaide-t-il. Ce à quoi il s’oppose est « l’immigration incontrôlée qui se fait aux dépens de certains Français ».

« Ils trahissent l’Evangile »

Pourtant, le discours des prêtres choletais est sans ambiguïté. Après la messe célébrée en l’église Saint-Louis-Marie-Grignion-de-Monfort, dans un quartier périphérique qui jouxte la cité Jean-Monnet, le père Christian Alain prend quelques instants. « Ce soir, j’ai été tonique dans mon homélie, sourit-il. J’ai rappelé que ce que propose le RN est habité par la peur et la méfiance. Or, l’Evangile repose sur la confiance et l’accueil de l’autre, dont le migrant. »

Arthur Augereau, 19 ans, est militant RN depuis septembre 2023. Etudiant, il a tracté durant la campagne électorale pendant son temps libre. Il a trouvé le public choletais curieux et sensible au message « dire non à Macron ». Cholet, le 16 juin 2024.

Arthur Augereau, 19 ans, est militant RN depuis septembre 2023. Etudiant, il a tracté durant la campagne électorale pendant son temps libre. Il a trouvé le public choletais curieux et sensible au message « dire non à Macron ». Cholet, le 16 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

Ce curé de gauche assure qu’il ne veut pas « revenir à une période où les prêtres faisaient de la politique ». Mais il admet que « c’est la première fois qu’[il est] autant mobilisé… On ne peut pas se cacher ». Le père Matthieu Lefrançois, qui officie à l’église Notre-Dame, tient le même discours. « Il y en a un paquet, chez les catholiques, qui ont fait le choix du RN », constate-t-il, se disant « désarçonné » par leurs arguments : « Ils veulent “du changement”… J’ai l’impression que la France a 13 ans, une ado qui demande que ça change, mais ne sait pas ce qu’elle veut. »

Le père Matthieu Lefrançois est curé-doyen à l’église Notre-Dame de Cholet (Maine-et-Loire). Il ne donne pas de consigne, mais pousse ses fidèles à s’interroger. Dans ses homélies, il pose la question : « Parfois, nous sommes une semence : on pousse là où on a été jeté. Parfois, nous sommes semeurs : que jetons-nous comme parole, comme geste, comme regard, comme bulletin de vote ? » Cholet, le 16 juin 2024.

Le père Matthieu Lefrançois est curé-doyen à l’église Notre-Dame de Cholet (Maine-et-Loire). Il ne donne pas de consigne, mais pousse ses fidèles à s’interroger. Dans ses homélies, il pose la question : « Parfois, nous sommes une semence : on pousse là où on a été jeté. Parfois, nous sommes semeurs : que jetons-nous comme parole, comme geste, comme regard, comme bulletin de vote ? » Cholet, le 16 juin 2024.  AXELLE DE RUSSE POUR « LE MONDE »

« Ces prêtres se trompent sur le RN, juge le jeune Arthur Augereau. Ils en ont une vision caricaturale. On n’est pas une bande de racistes. » André Cerqueus, 68 ans, renvoie la balle. Paroissien de Saint-Louis-Marie-Grignion-de-Monfort, militant socialiste, lui ne compte pas basculer. Comme beaucoup de fidèles de cette paroisse populaire, qui jettent un regard scandalisé quand on leur demande s’ils ont voté pour l’extrême droite. « L’idéologie du RN est en contradiction avec l’Evangile, affirme M. Cerqueus. Certains de ces électeurs chrétiens ne s’en rendent pas compte, mais ils font gravement erreur. D’autres adhèrent vraiment à ses idées et, à mon avis, ils trahissent l’Evangile. »

Commentaire Dr Jean SCHEFFER:

Je suis heurté violemment par le communiqué des évêques de France qui ne se prononcent pas concernant le vote RN. Je rappelle qu’à la dernière présidentielle, ils avaient subtilement déconseillé le vote pour le RN.

A l’inverse les protestants font comprendre qu’on ne peut pas voter RN.

Le reportage du Monde sur le vote des habitants de Cholet, montre bien comment cette attitude de nos évêques est lourde de conséquences: plusieurs catholiques disent bien avoir mauvaise conscience de passer de droite ou de gauche vers le RN, mais là ils reçoivent l’absolution !

Divisé sur le vote de dimanche, l’électorat catholique se retrouve sans guide

25 juin 2024 | Par Manuel Magrez

https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=HdcHeZlOVd3CboFkORIKcsMHHiVE76VbBAl2unIwErTj2H0rOwT1Ej3otOBqEvBVFZXPfPUfU7EONKtwbqQVDllZpJM5E

Dans des textes ou lors de rassemblements, certains fidèles prennent clairement position contre l’extrême droite. D’autres plaident au contraire la liberté de vote, voire légitiment le vote RN. La Conférence des évêques ne se mouille pas, au grand dam des premiers.

Derrière la petite scène placée devant l’hôtel des Invalides, une grande bâche sur fond blanc affiche le mantra du rassemblement : « Justice et espérance ». Des deux côtés du slogan est dessiné un poisson orange, symbole d’hospitalité catholique. Dimanche 23 juin, plusieurs centaines de personnes se sont réunies place Vauban, dans le VIIe arrondissement de Paris, pour dire non à l’extrême droite. « Comme catholiques. »

Le petit rassemblement a été lancé à l’initiative d’une dizaine d’associations humanitaires fondées ou portées par des fidèles. Au premier rang desquelles CCFD Terre solidaire et La Cimade, engagées dans la prise en charge des exilé·es, mais aussi d’autres associations, écologistes ou luttant pour promouvoir la place des femmes dans l’Église. En clair, une petite portion des « cathos de gauche », comme ils et elles s’en revendiquent.

« Le suivi de l’Évangile nous impose de nous dresser contre les idées de l’extrême droite », alertent les responsables associatifs sur la scène, applaudis par la petite foule. À tour de rôle, pendant près d’une heure et demie, représentant·es d’associations, de collectifs, et même la présidente de l’Église protestante unie ont dit « non » à l’extrême droite entre deux chants religieux.

Un rassemblement de chrétiens contre l’extrême droite a réuni 400 personnes dimanche 23 juin devant les Invalides, à Paris. © Photo Manuel Magrez / Mediapart

« L’idée, c’est d’interpeller les catholiques qui votent à l’extrême droite, défend Gabriel Waeles-Amieux, catholique pratiquant et membre du collectif à l’initiative du rassemblement. On est même là sur leur territoire. Entre l’École militaire et le siège de la Conférence des évêques. » Un quartier qui a été le décor de nombreuses mobilisations contre le mariage pour tous. « On a normalisé le fait que les catholiques étaient forcément de droite », regrette Gabriel. Alors, cet après-midi, c’est un peu comme une démonstration de force. « Il faut enfin montrer notre voix, car on entend très fort celles qui sont à l’opposé. »

Pour porter cette voix singulière, Bertrand du Marais pense « qu’il nous manque un abbé Pierre en ce moment ». Alors il était important de répondre présent « pour dire que tous les catholiques ne votent pas à droite et à l’extrême droite », explique le président des Poissons roses, organisation catholique proche du Parti socialiste (PS). « On avait même tenté de faire partie intégrante du PS à une époque, mais ça n’a pas fonctionné », explique Bertrand.

Un vote RN qui monte

« Des lignes rouges ont été oubliées », estime Martin, dans son uniforme de scout. Le vote catholique d’extrême droite ne l’étonne pas, car les fidèles « ne sont évidemment pas en dehors de la société et sont traversés par les mêmes questions ». Lui tient à rappeler ces lignes rouges, ici comme à l’écrit. Comme dix mille autres catholiques, il a signé un texte récemment paru dans La Croix, appelant solennellement « les chrétiennes et chrétiens – et plus largement toutes les personnes de bonne volonté – à voter contre l’extrême droite les 30 juin et 7 juillet prochains ».

« Face aux difficultés de nos vies, aux crises que traverse notre société, il peut être tentant de chercher un bouc émissaire. L’extrême droite nourrit notre peur d’un étranger qui nous mettrait en danger. Elle attise la rancœur et instrumentalise le sentiment de déclassement d’une partie de la population. La réponse qu’elle apporte à ces difficultés économiques et sociales – bien réelles – n’est que manipulation et illusion. Ne tombons pas dans son piège », développent les signataires.

En face, la réponse n’a pas tardé. Le lendemain de la publication du texte dans La Croix, la revue Nefpubliait une réponse argumentée, signée de la main de sa rédactrice en chef, décrivant la démarche des 10 000 fidèles comme « contre-productive » et considérant « qu’il n’est pas du tout évident que le vote Rassemblement national soit incompatible avec l’enseignement social de l’Église ». Elle dénonçait également « l’incompatibilité foncière de la vision de l’homme [du Nouveau Front populaire et de Renaissance] avec celle que promeut l’Église », pour avoir « fait de la constitutionnalisation de l’IVG un symbole républicain et une grande fête en janvier ».À lire aussi« Le catholicisme populaire ne fait pas de bruit mais il agit »

Bertrand du Marais, président des Poissons roses, tente de se rassurer en répétant les chiffres : « J’ai en tête une étude qui expliquait que plus on était catholique pratiquant, moins on votait d’extrême droite. » « Ce que montrent les chiffres, c’est que chez les électeurs catholiques, plus ils sont pratiquants, plus ils votent à droite. Mais c’est l’effet inverse pour l’extrême droite, car plus un catholique est pratiquant, moins il a de chances de voter à l’extrême droite », abonde Claude Dargent, professeur de sociologie à l’université Paris VIII.

Les résultats aux élections européennes étudiés par Claude Dargent l’ont encore prouvé : « Les plus pratiquants se sont encore opposés au Rassemblement national. » Pour autant, analyse l’universitaire, « le vote RN monte [chez les catholiques], comme dans toute la société »« Même s’il se banalise, [le vote RN parmi les électeurs catholiques] est à un niveau inférieur aux moyennes nationales, nuance Yann Raison du Cleuziou, professeur à l’université de Bordeaux (Gironde), dans cette tribune. Longtemps, le vote FN a quasiment valu indice de détachement religieux, sauf dans les petites chapelles traditionalistes. »

Une digue qui tient aussi pour partie en raison du positionnement de Marine Le Pen, qui « néglige également les enjeux bioéthiques », estime l’universitaire. « C’est quand même beaucoup pour ces raisons [les enjeux bioéthiques – ndlr] que les catholiques votent beaucoup pour la droite traditionnelle, au nom de la dignité humaine, souligne Benedicte Milhe, croisée au rassemblement parisien de dimanche. Mais il faut également leur dire que prendre soin des personnes migrantes, c’est aussi une question de dignité humaine. »

Les pratiquants catholiques sont de plus en plus âgés, et pour certains ont vécu la guerre, ce qui pourrait expliquer le rejet encore d’actualité du RN.

Claude Dargent, professeur de sociologie

Si le vote RN prend moins chez les électeurs et électrices catholiques qu’ailleurs, Yann Raison du Cleuziou et Claude Dargent s’accordent à dire que leur « attraction électorale » va plutôt du côté d’Éric Zemmour et de Marion Maréchal. Ce pourquoi Bertrand du Marais, des Poissons roses, estime urgent qu’une clarification advienne au plus haut niveau de l’institution. Il se dit d’ailleurs « déçu » que les évêques ne prennent pas position.

En guise de réponse à la situation politique, la Conférence des évêques de France a en effet opté pour une prière, publiée sur son site, appelant à ce que « notre pays soit une terre de liberté, de justice, de fraternité », à ce que Dieu aide « à discerner correctement ce qui est juste » et « à respecter nos concitoyens qui auront d’autres opinions que les nôtres ». Pas de quoi satisfaire les dix mille signataires de la tribune parue dans La Croix, qui demandent « aux institutions religieuses de se positionner explicitement ».

Par le passé, quand l’extrême droite était au second tour de l’élection présidentielle, les Églises avaient pourtant clairement dénoncé « les sirènes alléchantes de la “préférence nationale” [qui] masquent alors une fermeture, une exclusion, un rejet, un repli égoïste mortifère », peut-on lire dans le texte.À lire aussiLégislatives 2024 : Mediapart sillonne la campagne

Dans le rassemblement parisien, Jean-Baptiste porte une affichette qu’il a placardée sur quelques arbres aux environs. « Je demande que les responsables chrétiens se positionnent contre l’extrême droite et pour un partage juste de la maison commune », indique l’affichette scotchée sur son dos. « On vit une crise de la maison commune. Ils gèrent les dissensions, et ça les empêche de prendre véritablement position », s’alarme le fidèle.

« En 2002, la première fois que ce cas s’est déclaré, l’épiscopat avait pris clairement position. Mais c’est de moins en moins clair », à mesure que le vote d’extrême droite monte dans la société en général, pointe Claude Dargent. « Les pratiquants catholiques sont de plus en plus âgés, et pour certains ont vécu la guerre, ce qui pourrait expliquer le rejet encore d’actualité du RN », propose l’universitaire. Mais qu’en sera-t-il une fois ces vieux fidèles montés au ciel ?

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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