Législatives 2024: sur quoi reposent les accusations d’antisémitisme qui vient La France Insoumise
Par ricochet, ces accusations touchent le Nouveau Front populaire, auquel LFI appartient. Lors de la présentation du programme commun à Paris, des manifestants ont dénoncé « l’antisémitisme » comme « promesse de campagne ». En s’alliant au parti de gauche radicale, « les partis de la gauche républicaine ont sacrifié la lutte contre l’antisémitisme », a fustigé auprès de franceinfo Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Alors que les actes antisémites sont en forte hausse en France en 2024, et que le débat reste tendu autour du conflit israélo-palestinien, sur quoi se fondent ces accusations ?
« Des dérapages importants » depuis le 7 octobre
Face aux critiques, La France insoumise dénonce des « attaques politiques » visant à la discréditer en pleine campagne électorale et à faire oublier l’antisémitisme historique de l’extrême droite. « Nous ne sommes pas antisémites, l’égalité fait partie de notre ADN », martèle auprès de franceinfo une cadre de LFI. « Si quelqu’un prétendait être insoumis en étant antisémite, il n’aurait pas sa place dans notre mouvement. »Dans une tribune publiée sur le Club de Mediapart, des intellectuels et militants proches de la formation ont également dénoncé « l’infamie »consistant à désigner LFI comme un « parti antisémite ».
Une qualification en effet « fausse » pour l’historien Robert Hirsch, auteur de La Gauche et les juifs (2022). Le parti n’a rien à voir avec des mouvements comme l’Action française au XIXe siècle, qui prônait un antisémitisme d’Etat.
« LFI n’est pas un parti qui a un programme antisémite, dont les militants diffusent une haine des juifs. »Robert Hirsch, historien
à franceinfo
En revanche, il y a eu « des dérapages importants » depuis le 7 octobre, observe l’historien, lui-même juif et membre du Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes. Il cite le refus d’élus insoumis de qualifier le Hamas d’organisation « terroriste », au lendemain des massacres commis par le mouvement islamiste palestinien en Israël. En réponse, LFI a répété qu’elle ne minimisait pas la gravité de ces attaques, préférant le terme de « crimes de guerre », en référence au droit international. « Quand on minimise les actes d’un mouvement antisémite, c’est qu’au fond, l’antisémitisme ne dérange pas », estime toutefois Yonathan Arfi, du Crif.
Marche contre marche
D’autres propos ont nourri ce procès ces derniers mois. Le 22 octobre, sur X, Jean-Luc Mélenchon accuse la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de « camper » à Tel Aviv alors que l’élue est en Israël pour exprimer sa « solidarité »avec l’Etat hébreu. L’usage du mot « camper » pour parler d’une femme aux origines juives suscite l’émoi. Contacté par franceinfo, Jean-Luc Mélenchon n’a pas donné suite à nos sollicitations. Dans une interview à Orient XXI, il a expliqué que pour « sa génération », le « campisme » fait référence à un positionnement pour le bloc de l’Est ou de l’Ouest durant la guerre froide.
Le 12 novembre, nouvelle polémique lorsque LFI choisit de ne pas participer à la marche contre l’antisémitisme. Ses élus boycottent le rendez-vous en raison, entre autres, de la présence du Rassemblement national, parti ayant compté dans ses rangs des pétainistes et au moins un ancien Waffen-SS, et du refus des organisateurs d’appeler à un cessez-le-feu à Gaza.

Des manifestants juifs dénoncent le rassemblement contre les racismes et l’extrême droite organisé par La France insoumise, le 12 novembre 2023, place des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver à Paris.
GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
« Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous », écrit alors Jean-Luc Mélenchon sur X. Or, la marche est en partie organisée en réponse à la hausse des actes antisémites en France. « Beaucoup de participants étaient juifs. Dire cela, c’était les porter à la vindicte », s’émeut Robert Hirsch. Pour Simon Assoun, porte-parole de Tsedek, un collectif juif décolonial, « certains propos [au sein de LFI] ont pu être maladroits. Mais il y a un biais à tous les interpréter pour démontrer que Jean-Luc Mélenchon est antisémite. » Le même jour, le parti organise un autre rassemblement au square de la place des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver, à Paris. Initiative une nouvelle fois décriée sur X par le Crif, qui y voit des « récupérations » mémorielles.
Une confusion autour de l’antisionisme ?
Six mois plus tard, alors que la guerre a fait plus de 35 000 morts à Gaza, LFI demeure l’un des rares partis à se mobiliser clairement pour les Palestiniens. La formation a d’ailleurs placé le conflit au cœur de sa campagne pour les européennes. Au point, pour ses détracteurs, de manquer de subtilité. Une confusion s’installe notamment autour de l’antisionisme. Sur franceinfo, la députée LFI de Seine-Maritime Alma Dufour qualifie le positionnement du socialiste Jérôme Guedj de « sioniste », précisant qu’elle utilise ce terme pour dénoncer « la colonisation » d’Israël.
Mais l’évocation de l’antisionisme sert-elle « à critiquer le gouvernement de Nétanyahou, ou est-ce que cela signifie que les juifs doivent retourner de là où ils sont ?, interroge l’historien Robert Hirsch. Il faut se rappeler pourquoi les juifs sont allés en Palestine. Cela demande un effort de réflexion qui existe moins dans une partie de la gauche. »
>>Antisémitisme, antisionisme… Quelles définitions derrière ces mots ? Les réponses d’un historien
Les critiques s’accumulent le 2 juin, lorsque Jean-Luc Mélenchon écrit sur son blog que « l’antisémitisme reste résiduel en France« , en référence aux mobilisations propalestiniennes, parfois soupçonnées d’antisémitisme. La sortie choque, y compris à gauche. « L’antisémitisme n’est pas résiduel. Il explose », répond sur X la députée écologiste Sandrine Rousseau. « Une dérive incompréhensible », regrette le patron des socialistes, Olivier Faure, sur Sud Radio.
« Jean-Luc Mélenchon n’a pas utilisé le terme ‘résiduel’ dans le sens où ce n’est pas important. Il l’a utilisé pour s’opposer à ceux qui accusent les mouvements propalestiniens de faire monter l’antisémitisme. »Une cadre de LFI
à franceinfo
Cette déclaration entend battre en brèche la thèse du « nouvel antisémitisme », reprise notamment par le RN. Elle attribue l’antisémitisme contemporain aux musulmans ou aux habitants des quartiers populaires. Une thèse à laquelle s’oppose aussi Jonas Pardo, du mouvement de juifs de gauche Golem. Il constate toutefois qu’« une partie de la gauche n’est pas capable de considérer les problèmes d’antisémitisme tels qu’ils sont, par peur de stigmatiser les banlieues.Il faut affronter l’antisémitisme d’où qu’il vienne. »
« Le racisme n’a rien à voir avec les intentions »
D’autres propos sèment le doute. Comme lorsque le député sortant du Nord David Guiraud fait référence dans un tweet aux « dragons célestes »pour désigner l’Observatoire juif de France. Ces personnages riches et puissants du manga One Piece sont devenus des allusions antisémites sur les réseaux sociaux. Mais le député assure l’ignorer et efface le message. Auprès de Libération, il explique plus tard avoir « fait son introspection » et « manqué de compassion ».
« Je vois des images horribles de morts palestiniens, ça me désensibilise du 7 octobre. »David Guiraud, député LFI sortant du Nord
à « Libération »
« On peut faire une faute, ça arrive. Mais ce qui est grave, c’est la déferlante de messages antisémites sous son message, déplore Jonas Pardo. Le racisme n’a rien à voir avec les intentions. Ce qui compte, ce sont les effets. Or, la parole incite à la violence, au passage à l’acte. »
Même ambiguïté lorsque Jean-Luc Mélenchon compare le président de l’université de Lille au dignitaire nazi Adolf Eichmann, après que le responsable a annulé une conférence de LFI dans ses locaux. Le leader insoumis a évoqué une référence au livre Les Origines du totalitarisme, d’Hannah Arendt, mais « c’est pour le moins une relativisation de ce que fut le nazisme », estime Robert Hirsch. Des « propos excessifs qui discréditent tout le reste », a également réagi le patron du PCF, Fabien Roussel.
« Une méconnaissance de l’antisémitisme »
Mauvaise interprétation des uns, maladresse des autres ? Après le 7 octobre, Raquel Garrido, députée non réinvestie par LFI aux législatives, a enjoint ses collègues à être « plus attentifs au vécu et au ressenti politique des juifs de gauche », sur franceinfo. Car les accusations d’antisémitisme visant LFI ne sont pas nouvelles. Depuis plus de dix ans, elles concernent en premier lieu son fondateur Jean-Luc Mélenchon. En 2012, il qualifie Mohamed Merah de « crétin sanglant », qui « n’est même pas un terroriste », cite La Montagne.Pourtant, en tuant des personnes, dont des enfants, parce que juives, « ses meurtres contiennent un message politique antisémite », pointe l’essayiste Illana Weizman dans son ouvrage Des Blancs comme les autres ? Les juifs, angle mort de l’antiracisme (2022). « Ce type de propos ignorants nous fait passer à côté des mécanismes systémiques de l’antisémitisme. »

Un manifestant porte une pancarte faisant référence à une déclaration de Jean-Luc Mélenchon, lors d’un rassemblement contre l’antisémitisme, après l’affaire du viol de Courbevoie, le 19 juin 2024 à Paris.
MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP
Un an plus tard, Jean-Luc Mélenchon accuse Pierre Moscovici de penser « finance internationale ». Une déclaration empreinte du stéréotype antisémite du banquier juif. Mais l’ancien candidat à la présidentielle assure ignorer la religion du ministre de l’Economie de l’époque, cite l’agence Reuters. « Etre juif n’est pas seulement une religion. Cela montre une méconnaissance de l’antisémitisme », rétorque Robert Hirsch. En 2019 encore, le patron de LFI accuse « les ukases arrogants » du Crif d’avoir contribué à la défaite du leader britannique travailliste Jeremy Corbyn, accusé de complaisance avec l’antisémitisme. « On peut être en désaccord avec le Crif » mais cette expression relève du « complotisme antisémite », déplore Jonas Pardo.
« L’antisémitisme est très souvent intériorisé, peu conscient. On peut parfaitement penser se battre politiquement contre et en être le vecteur. »Illana Weizman, autrice
dans « Les juifs, angle mort de l’antiracisme »
Nouveau tollé en 2020 lorsque Jean-Luc Mélenchon déclare sur BFMTV : « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix. Je sais qui l’y a mis, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes. » Une référence au « peuple déicide, la base la plus ancienne de l’antisémitisme chrétien », rappelle Robert Hirsch. A plusieurs reprises, le leader de gauche se défend, comme dans l’émission « Balance ton post » : « Chaque fois qu’il y aura une bataille contre le racisme, je serai là. » L’actualité lui donnera-t-elle l’opportunité de le prouver ?Alors que le drame de Courbevoie percute la campagne, le Premier ministre, Gabriel Attal, a appelé, jeudi 20 juin, les dirigeants politiques à « mettre des digues » face à l’antisémitisme.
Instrumentaliser l’antisémitisme au lieu de combattre l’extrême-droite est indigne et dangereux
Texte de la tribune
Ce texte est paru dans le journal Libération, le 20 juin 2024.
Instrumentaliser l’antisémitisme au lieu de combattre l’extrême-droite est indigne et dangereux
Alors que le danger de voir le Rassemblement national accéder au pouvoir n’a jamais été aussi grand que depuis la dissolution surprise du 9 juin dernier, différents apprentis sorciers ont choisi d’instrumentaliser l’antisémitisme pour attaquer la gauche et les écologistes par un détournement de sens invraisemblable.
Ainsi, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), le Fonds social juif unifié (FSJU), le collectif « Nous vivrons » et la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ont dénoncé l’alliance des partis de gauche et des écologistes au sein du nouveau Front populaire en la qualifiant de « honte » et d’ »accord infâme » au prétexte qu’elle inclut la France insoumise (LFI) accusée d’antisémitisme par ces organisations. En amalgamant critique de la politique israélienne et juste soutien aux droits légitimes du peuple palestinien avec l’antisémitisme, on en vient à s’opposer à l’indispensable combat de tous les démocrates contre le Rassemblement national (RN). De tels amalgames nourrissent l’antisémitisme, comme l’assimilation de tout musulman au Hamas ou au Djihad islamique nourrit l’islamophobie et le racisme anti-arabe.
Dans leur litanie contre ce qu’ils appellent « les extrêmes » qu’ils renvoient dos à dos, Emmanuel Macron, ses ministres et ses candidats, accusent eux aussi « l’extrême-gauche » d’antisémitisme, n’hésitant pas à enrôler Léon Blum dans leurs accusations diffamantes qui sont reprises dans de multiples déclarations et véhiculées à l’envi à travers plusieurs médias.
Nous, citoyennes et citoyens juives et juifs, dont l’histoire nous a appris ce qu’est l’antisémitisme, condamnons les accusations d’antisémitisme infondées contre LFI et les différents partis du nouveau Front populaire. Nous récusons cette falsification de la réalité politique qui rejoint les falsifications de l’histoire.
Cette instrumentalisation de l’antisémitisme est condamnable à de nombreux titres.
D’abord parce qu’elle dédouane l’extrême-droite dont l’histoire et les racines sont indissociables du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie.
Ensuite parce qu’elle empêche la constitution d’une digue capable de faire barrage au RN.
En troisième lieu parce qu’elle vise à briser l’alliance des gauches et des écologistes – une rupture qui ne profiterait qu’à l’extrême droite -, et parce qu’elle tente ainsi de détruire la seule alternative crédible et souhaitable à ce risque majeur pour la liberté, l’égalité, la fraternité, pour la démocratie.
Enfin parce qu’elle sabote le combat contre les résurgences de l’antisémitisme en France et en Europe, un combat crucial, inséparable de la lutte contre les autres formes de racisme.
Certaines et certains ont été heurtés et ont été en désaccord avec telle déclaration ou telle prise de position de certains militants ou responsables de LFI ou des autres partis du nouveau Front populaire. Pour autant, nous refusons de cautionner des accusations politiciennes, et l’instrumentalisation d’antisémitisme qui vise à délégitimer plutôt qu’à débattre.
Comme tous les racismes, l’antisémitisme est un délit qui tombe sous le coup de la loi. Or, aucun dirigeant ou élu des partis composant le nouveau Front Populaire – dont le programme affirme : « l’antisémitisme a une histoire tragique dans notre pays qui ne doit pas se répéter. Tous ceux qui propagent la haine des juifs doivent être combattus » – n’a été condamné pour ces faits, à l’inverse de nombreux responsables du FN ou de Reconquête et aucune plainte pour antisémitisme n’a été diligentée contre un responsable de gauche ou de l’écologie politique.
Que le RN soutienne désormais le gouvernement israélien et la colonisation dans les territoires occupés ne change rien à sa nature profonde. C’est toujours à l’extrême-droite que les préjugés et actes racistes, anti-arabes et antisémites en particulier, sont les plus répandus, comme en témoignent avec constance les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH).
La lutte contre l’antisémitisme et contre tous les racismes est un combat fondamental. Il ne peut pas, il ne doit pas, être dévoyé par des jeux politiciens.
Citoyennes et citoyens juives et juifs, nous considérons de notre devoir historique, tant au nom de nos mémoires individuelles et collectives, que vis-à-vis de l’Histoire et de l’avenir, de faire barrage à l’arrivée au pouvoir du RN. Là est l’urgence, là se mène le vrai combat contre l’antisémitisme et tous les racismes.
Signataires de la tribune, au 23 juin 2024
Premiers signataires :
Isabelle Avran, journaliste ; Sophie Bessis, historienne ; Edgar Blaustein, militant associatif ; Rony Brauman, ex-président de Médecins Sans Frontières ; Dominique Glaymann, professeur émérite en sociologie ; Pierre Khalfa, économiste, Fondation Copernic ; Alain Lipietz, économiste, ancien député européen ; Danièle Lochak, universitaire ; Véronique Nahoum-Grappe, chercheure en sciences sociales ; Pierre Tartakowsky, Président d’honneur de la LDH ; Michèle Zemor, ex-conseillère Région IDF, vice-présidente agglomération Plaine Commune.
Vous pouvez consulter la liste complète des signataires et signer cette tribune à https://appeljuin2024.org
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IMPOSSIBLE À AFFIRMER
FACTCHECK. LÉGISLATIVES 2024 : JEAN-LUC MÉLENCHON EST-IL ANTISÉMITE ?
Création : 21 juin 2024 https://www.lessurligneurs.eu/legislatives-2024-jean-luc-melenchon-est-il-antisemite/
Auteur : Julia Terradot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétaire de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Compte Facebook, le 18 juin 2024
Le patron de LFI est accusé par ses détracteurs d’être antisémite. Une manière de décrédibiliser l’alliance de la gauche aux élections législatives anticipées, qui se couvriraient ainsi de “honte”. Les Surligneurs ont décidé de passer aux cribles les déclarations de l’ancien candidat aux élections présidentielles.
Cette petite musique n’est pas nouvelle, mais reprend du poil de la bête au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier. Selon plusieurs internautes, mais également des personnalités politiques et des journalistes, Jean-Luc Mélenchon serait antisémite.
Une preuve pour ses détracteurs que l’alliance du Nouveau Front Populaireavec la France insoumise serait “honteuse”, comme le raconte Etienne Gernelle, le directeur du Point dans une interview sur RTL, le 13 juin : “La réalité, c’est que s’allier aujourd’hui avec le LFI de Jean-Luc Mélenchon, c’est s’allier à Jean-Marie Le Pen“, accuse-t-il. “Aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon sur la question de l’antisémitisme, c’est l’équivalent non pas de Marine [mais] de Jean-Marie Le Pen. Et donc c’est déshonorant“, conclut l’éditorialiste.
Que ce soit posé : personne ne peut pénétrer l’esprit de Jean-Luc Mélenchon pour connaître le fond de sa pensée. Ce que l’on peut faire en revanche, c’est juger sur pièce. Les Surligneurs ont fouillé les déclarations du candidat de ces dernières années pour voir si l’ancien candidat à l’élection présidentielle avait pu tenir des propos antisémites.
Si Jean-Luc Mélenchon a bien eu des déclarations, que l’on peut qualifier de maladroites, voire d’ambiguës et donc critiquables, il n’existe aucune trace de propos antisémites ou négationnistes comparable à ceux de Jean-Marie Le Pen.
Ainsi, le comparer à l’ancien président du Front ou au Rassemblement national, dont l’histoire est belle et bien marquée par l’antisémitisme, est, à minima, injuste, au pire malhonnête.
VIEILLE RENGAINE
Les accusations visant Jean-Luc Mélenchon ne sont pas nouvelles. En 2012, déjà, plusieurs figures de l’UMP (aujourd’hui Les Républicains) dont Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Alain Juppé avaient attaqué Jean-Luc Mélenchon sur sa soi-disante proximité avec le compositeur grec, Mikis Theodorakis. Ce dernier avait défrayé la chronique pour ses prises de positions antisémites.

Jean-Luc Mélenchon en 2012. Photo : Philippe Huguen / AFP
Face à ces accusations destinées à dénigrer l’alliance entre le Front de gauche et le Parti socialiste, il avait alors déposé plainte. Les trois ex-UMP sont condamnés en première instance pour diffamation par le tribunal correctionnel de Paris.
“Il y a assez d’antisémites dans notre pays pour que des pyromanes puissent s’amuser à inventer de faux antisémites”, avait ensuite réagit l’élu de gauche. En juin 2015, Jean-François Copé obtiendra la relaxe en appel.
“SALIR UN ADVERSAIRE”
Car le président de la France insoumise a toujours considéré ces accusations comme une ignominie visant à décrédibiliser ses positions politiques, notamment sur la politique d’Israël : “L’antisémitisme est une réalité comme le racisme en général”, écrivait-il sur son blog en juin 2015. “À force de l’utiliser pour interdire tout débat sur la politique des gouvernements d’Israël, ou pour régler des comptes politiques, l’argument a changé de sens aux yeux du plus grand nombre en perdant son objet réel.”
Alors, les accusations visant l’ancien ministre de François Mitterrand n’émanent-elles que d’un simple calcul politique cynique, comme il l’affirme ? Rien n’est moins sûr, car l’ancien candidat à l’élection présidentielle a également tenu des propos — certes incomparables avec ceux de Jean-Marie Le Pen — mais qui ont choqué jusque dans son propre camp.
“TOUJOURS À LA LIMITE”
Parmi les déclarations “choc” les plus récentes, cette phrase publiée dans une note de blog au début du mois juin 2024. Jean-Luc Mélenchon y écrit que “ contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France. Il est en tout cas totalement absent des rassemblements populaires.”.
Une affirmation qui interpelle alors même que le nombre d’infractions traitées par la police pour des faits d’antisémitisme ont explosé en France à la suite de l’attaque du Hamas sur Israël, le 7 octobre 2023.
“Il veut opposer l’antisémitisme présent en France qui persiste, qui a toujours été là, et la peur dont on ne peut pas se débarrasser, à l’antisémitisme qui serait celui des luttes pour la Palestine,” tente de déchiffrer une proche de Jean-Luc Mélenchon auprès des Surligneurs.
Quelques semaines plus tôt, dans un texte d’une rare virulence à l’encontre du député PS Jérôme Guedj, publié sur le site l’insoumission.fr, l’Insoumis accuse l’élu de “renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France”, le renvoyant de fait à ses origines juives. “Je ne suis pas un juif de gauche, je suis un universaliste“, lui avait rétorqué Jérôme Guedj, dans une tribune au Monde.

Une manifestation contre l’antisémitisme le 19 juin 2024 à Paris. Photo : Alain Jocard / AFP
En octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon s’était également retrouvé dans la torpeur médiatique après avoir, sur Twitter, attaqué la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet : “Voici la France. Pendant ce temps, Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français !”, avait-il écrit.
Pour certains, l’utilisation du terme ‘“campe” est une référence à peine déguisée aux camps de concentration nazis. “Oui, [le tweet] est bourrin” défend la proche de Jean-Luc Mélenchon, “mais que le mot campe soit pris comme une possibilité d’une référence aux camps de concentration, je ne comprends même pas qu’on puisse envisager ça.”
Mais par-delà les proximités idéologiques ou les querelles politiques, qu’en pensent les historiens et spécialistes de l’antisémitisme ?
“MÉTAPHORES DANGEREUSES”
“Je ne pense pas qu’il soit antisémite, mais il utilise des métaphores très dangereuses qui lui viennent spontanément,” estime Pierre Birnbaum, historien, sociologue et spécialiste de l’histoire des juifs de France. “Mélenchon est très prudent, il est toujours à la limite” analyse-t-il.
“C’est quelque chose de chronique et régulier, et ça remonte à très loin,” abonde de son côté Jean-Numa Ducange, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de l’Histoire des gauches. Il décèle chez Jean-Luc Mélenchon une potentielle stratégie politique de “clash permanent”, qui l’empêcherait de tomber dans l’oubli. “[Cette stratégie] le met toujours au premier plan, même négativement […] je pense qu’il est tout à fait lucide sur ce qu’il fait. En politique, rien n’est pire que la disparition totale,”suggère l’historien.
Un calcul politique pour soi donc, mais aussi pour les autres, estime Jean-Numa Ducange. Selon lui, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon pourraient envoyer des signaux, volontairement ou non, aux personnes qui confondent la lutte contre la politique israélienne et la lutte contre les juifs, “alors qu’il serait tout à fait possible de critiquer fermement l’Israël en étant sans concession sur l’antisémitisme”.
Ainsi, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais réellement franchi le seuil d’un propos catégoriquement antisémite et n’a d’ailleurs jamais été condamné pour cela, contrairement à Jean-Marie Le Pen par exemple.
Ainsi, qualifier Jean-Luc Mélenchon d’antisémite sur la base de ses déclarations publiques est sans doute excessif, ce qui ne doit pas empêcher de critiquer ou de dénoncer les propos ambigus du patron de La France Insoumise.
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