Programme environnement d’Ensemble pour la République : loin d’une « planet great again »
Le programme de la majorité présidentielle actuelle a été présenté hier, 20 juin 2024, par le Premier ministre. S’il a le mérite de proposer quelques mesures phares, il est marqué par sa brièveté et des omissions surprenantes. Éclairage.
Décryptage | Gouvernance | 21.06.2024 https://www.actu-environnement.com/ae/news/programme-environnement-energie-climat-ensemble-pour-la-republique-44287.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzU2MA%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© Rochagneux
David Ascher, directeur de la publication d’Actu-Environnement, et Arnaud Gossement, avocat, docteur en droit, cosignent une série de tribunes pour analyser les programmes parus, ou à paraître, des principales formations candidates aux prochaines élections législatives.
Si les deux personnalités engagées pour l’environnement depuis plus de vingt ans se sont toujours illustrées pour leur neutralité politique, la gravité du contexte politique actuel les incite à prendre la parole aujourd’hui.
Objectif : apporter un éclairage juridique et factuel sur les propositions qui sont avancées, notamment par le Nouveau Front populaire, Renaissance et le Rassemblement national pour contribuer au débat public et permettre à chacun de se faire son opinion, en toute indépendance.
Cette deuxième tribune porte sur le programme « Ensemble pour la République » publié hier, 20 juin 2024, par la majorité présidentielle actuelle.
Le Premier ministre, Gabriel Attal, a présenté, ce jeudi 20 juin 2024, le programme pour les élections législatives de la formation « Ensemble pour la République » (1) soutenue par les partis composant la majorité présidentielle actuelle : Renaissance, Modem, Horizons, UDI, Parti radical. Ce programme est marqué par l’absence de bilan des politiques publiques menées depuis 2017 et sa brièveté : seules quelques mesures phares sont présentées.
S’il se distingue par des choix clairs – sur le nucléaire ou la voiture électrique par exemple – et des annonces intéressantes, telle que celle relative au lancement des services civiques écologiques, ce programme de transition électrique reste sans doute insuffisant pour accélérer une transition écologique qui marque actuellement le pas. Paradoxalement, ce programme oublie aussi des points qui auraient pu être des atouts, comme sur la contribution écologique des entreprises. L’écologie pour le bloc centriste n’est donc clairement pas encore centrale.
Notre méthode : ne pas comparer ce qui n’est pas comparable
À titre introductif, et comme nous l’avons fait dans un souci de transparence et d’honnêteté en rédigeant notre première note sur le programme du Nouveau Front populaire, nous souhaitons exposer notre méthode, qui en tant que méthode est donc nécessairement critiquable, d’analyse des programmes des trois principales formations politiques qui ont investi des candidats aux élections législatives.
En premier lieu, cette analyse ne porte que sur les mesures environnementales et ne comportera aucune comparaison entre les programmes du Rassemblement national, d’une part, et du Nouveau Front populaire et de Renaissance, d’autre part. Il n’y a pas qu’une différence de programme entre ces deux formations, mais aussi une différence de nature. Le choix historique du Rassemblement national de créer deux catégories de citoyens au motif d’une préférence nationale, qui s’apparente à une défiance vis-à-vis de la différence, nous apparaît incompatible avec l’universalisme des problématiques, notamment environnementale, et la légalité républicaine. Les programmes présentés, le 14 juin pour le Nouveau Front populaire et le 20 juin pour Renaissance, comportent des mesures qui – à quelques exceptions près – sont compatibles avec nos textes et principes constitutionnels, ainsi qu’avec nos engagements internationaux et européens.
En deuxième lieu, nous nous sommes bornés à l’analyse des programmes officiels, disponibles sur les sites internet de ces formations politiques. Seuls ceux-ci engagent tous les candidats, à la différence de certaines déclarations qui n’engagent que leurs auteurs.
En troisième lieu, nous nous sommes limités à une analyse sous un prisme juridique de ces programmes. L’imprécision et le caractère limité du nombre des mesures présentées rendent délicate une analyse économique par exemple.
Enfin, ces programmes peuvent, bien entendu, être interprétés au regard du bilan de ces mêmes formations lorsqu’elles ont, par le passé, compté des députés et/ou des ministres. Cela est surtout vrai pour Renaissance dont se prévaut la majeure partie des élus de la majorité présidentielle actuelle. Pour autant, soucieux de procéder à une lecture la plus objective possible des programmes, nous avons laissé de côté notre propre appréciation de ces bilans.
L’écologie pour le bloc centriste n’est pas encore centrale
Le programme d’« Ensemble pour la République » comporte quelques mesures phares en matière d’environnement, mais n’en fait pas une priorité pour autant au même titre que la défense du pouvoir d’achat. Cet enjeu n’est pas au centre de toutes les politiques publiques qui seront mises en place par cette formation si elle accède aux responsabilités, au Parlement comme au Gouvernement. Le lien entre l’environnement et la santé, l’éducation, l’emploi ou bien la fiscalité n’est jamais établi. Ce programme relègue l’essentiel des mesures environnementales dans un chapitre aussi maigre qu’hétéroclite et placé avant-dernier au sein des chapitres du programme. En page 12, une seule des mesures urgentes à mettre en place parmi les 100 premiers jours intéresse l’environnement : le « lancement des services civiques écologiques ».
Prises une par une, les mesures environnementales défendues par cette formation méritent néanmoins la considération, à l’instar de ce « service civique écologique », qui pourrait permettre de soutenir l’action des associations de protection et de gestion de l’environnement. Aucune mesure n’est directement contraire à nos engagements internationaux ou européens. Reste que ces propositions sont en nombre trop réduit et rédigées de manière si imprécise qu’il est délicat, sinon impossible, d’en apprécier correctement le sens et la portée.
De grands absents : le bilan et l’international
Notre lecture du programme « Ensemble pour la République » pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains nous amène à une première surprise : ce programme ne comporte que quelques mots introductifs sur le bilan de l’actuelle majorité présidentielle depuis 2017.
Un bilan contrasté qui comporte certes des mérites (création du Haut Conseil pour le climat et du Secrétariat général à la planification écologique, la loi Antigaspillage de 2020, la loi Climat et résilience de 2021, la création de nouvelles filières de responsabilité élargie du producteur, l’abandon de projets dépassés comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le centre commercial Europacity, le Plan vélo et marche de 2023, la construction du cadre juridique de l’agrivoltaïsme, le soutien au vote des textes du Pacte vert européen sur l’objectif « fit-for-55 » de réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la restauration de la nature), mais aussi beaucoup de limites : revirements sur l’utilisation de pesticides (néonicotinoïdes et glyphosate), retards dans la réalisation des objectifs de développement des énergies renouvelables, retards dans l’élaboration de la Programmation pluriannuelle de l’énergie et du Plan d’adaptation au changement climatique, hésitations sur la lutte contre l’artificialisation des sols, mise en cause de la police de l’environnement (OFB) lors du mouvement de protestation d’agriculteurs début 2024…
Il aurait été précieux que le programme d’« Ensemble » commence par ce bilan et les enseignements qui en ont été tirés. Il faut en effet rappeler que les députés qui seront élus le 7 juillet auront à faire un choix important de poursuite ou d’arrêt de plusieurs chantiers législatifs en cours. Au moment où le président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, celle-ci était saisie de plusieurs propositions et projets de loi qui intéressent l’environnement : projet de loi d’orientation agricole, proposition de loi sur la fast fashion… Outre la prochaine loi de finances pour 2025, d’autres textes de transposition de directives européennes devront être prochainement discutés, comme sur le devoir de vigilance des entreprises ou les allégations environnementales. Sur tous ces sujets, il aurait été utile que « Ensemble pour la République » prenne position pour informer les électeurs et électrices.
De même, alors que le président de la République s’est illustré, en 2017, par la formule « Make the planet great again » et a fait preuve d’activisme – par l’organisation du « One planet summit » par exemple -, il est étonnant, pour le moins, que le chapitre « Ensemble pour que la France rayonne dans le monde » ne comporte pas de mesure ou de développement sur les négociations sur le climat, la biodiversité ou la pollution plastique.
Énergie : la transition électrique
Le volet énergie-climat du programme d’« Ensemble » présente néanmoins deux mérites. D’une part, celui de la conformité avec l’objectif clé du Pacte européen : « D’ici à 2030, nous baisserons de 55 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ». D’autre part, celui de la clarté. Dans la ligne du discours prononcé à Belfort par Emmanuel Macron, le 10 février 2022, cette formation conserve un choix clair pour l’électricité en général, et la production électronucléaire en particulier, contrairement au Nouveau Front populaire qui, manifestement faute de consensus en interne, fait l’impasse sur ce sujet pourtant inévitable.
Reste que quoi que l’on pense du nucléaire, cette mesure ne saurait constituer à elle seule toute une politique énergétique. Rappelons que cette source d’énergie ne représente pas la totalité de la production d’électricité, tandis que l’électricité elle-même ne représente qu’une partie de notre consommation d’énergie.
Aussi, il est particulièrement regrettable que ce programme ne dise rien sur la production de chaleur ni sur aucune des énergies renouvelables, y compris les énergies marines. Alors que le Rassemblement national défend un moratoire sur toutes les énergies renouvelables, le bloc centriste se serait honoré à préciser ses intentions pour l’éolien terrestre, le solaire, le biogaz, ou bien encore la géothermie et l’hydroélectricité. Après avoir été plébiscitées, les énergies renouvelables ont été malheureusement mises de côté dans la plupart des programmes.
La question du prix de l’énergie est, en revanche, abordée avec une mesure relative à la baisse attendue du tarif de l’électricité. Mais il est difficile de savoir s’il s’agira du résultat d’une évolution du marché européen de l’électricité ou d’une autre décision prise sur le plan strictement national. Surtout, cette proposition laisse le champ à une baisse ponctuelle, de telle sorte qu’il aurait été précieux de faire un point sur tous les dispositifs d’accompagnement social des ménages les plus modestes face aux augmentations du coût de l’énergie (chèque énergie…).
On notera cependant que le bloc centriste ne propose pas de blocage ou de ristourne sur le prix à la pompe du carburant. Rappelons que le Gouvernement avait appliqué cette ristourne l’an dernier et qu’il s’agit de la première mesure du programme du Nouveau Front populaire qui tient à un blocage des prix, notamment sur l’énergie et le carburant. Une mesure dont l’intérêt écologique et social est très discuté et discutable.
Enfin, le programme comporte une mesure sur les économies d’énergie dans le bâtiment, avec la création d’un « Fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires financé par une taxe sur les rachats d’actions [qui] permettra de rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici à 2027 et d’accompagner les foyers concernés par le retrait-gonflement des argiles ». Si cette mesure présente l’intérêt d’être chiffrée, datée et adossée à un financement original, elle pose aussi des questions. Le fléchage de cette nouvelle taxe – dont le produit n’est pas estimé – vers ce programme de rénovation énergétique des logements n’est pas précisé. L’avenir du calendrier d’interdiction de location des passoires énergétiques n’est pas abordé et les financements actuels de la rénovation énergétique (MaPrimeRenov, certificats d’économies d’énergie…) ne sont pas non plus étudiés alors qu’ils sont régulièrement controversés, voire remis en cause.
Biodiversité : encore oubliée
En matière d’écologie, les programmes des différentes formations pour ces élections législatives présentent un point commun : ils se bornent encore aux questions du climat et de l’énergie et oublient la biodiversité. Pourtant, comme l’ont rappelé le Giec et l’IPBES, le changement climatique et la dégradation de la biodiversité devraient être combattus dans le même mouvement. Malheureusement, la biodiversité est généralement réduite à l’enjeu du bien-être animal, certes important, mais tout autant que celui de la chasse, du régime juridique de protection des espèces, ou bien encore de la lutte contre le gaspillage alimentaire en général, et de la consommation de viande animale en particulier.
Le programme d’« Ensemble pour la République », pour sa part, comporte deux mesures qui n’embrassent donc pas la totalité du sujet.
En premier lieu, il prévoit la poursuite du soutien du Fonds vert créé en 2023 et destiné à soutenir les investissements des collectivités territoriales en faveur de la transition écologique, notamment pour gérer les espaces naturels, lutter contre l’artificialisation des sols ou résorber les points noirs de la trame verte et bleue. « Ensemble » promet ainsi de poursuivre ce soutien à l’investissement local, mais sans préciser pour quel montant ni quelle durée. La mesure n’est donc pas chiffrable.
En second lieu, le programme prévoit une réduction de l’usage des pesticides « de 50 % d’ici à 2030, après avoir réduit l’usage des plus dangereux de 98 % depuis 2017 ». Toutefois, les auteurs de cette mesure ne prennent pas position sur l’autorisation controversée du glyphosate et ne précisent pas quelle suite ils entendent donner au plan Ecophyto ni au projet de loi d’orientation agricole, qui était en cours de discussion au Parlement au moment de la dissolution. À l’arrivée, ces deux mesures ne constituent pas une politique cohérente de protection de la biodiversité.
L’oubli paradoxal des entreprises
Si la majorité actuelle s’est illustrée par un discours « pro-business », comme l’a rappelé l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, ce 21 juin, devant le Medef, le volet économique de la transition écologique est paradoxalement assez peu fourni. Pour l’essentiel, il s’agit d’une mesure de baisse de la facture d’électricité pour les ménages ainsi que d’une référence – certes bienvenue, mais insuffisante – à l’objectif de transition vers une économie circulaire.
Il est donc étonnant que ce programme ne s’adresse pas davantage aux entreprises, qui constituent pourtant un levier essentiel de la transition écologique. Tous les sujets ou presque qui intéressent la contribution des entreprises au développement durable et aux politiques environnementales, sont passés sous silence : politiques RSE, intégration des exigences CSRD, transposition de la directive sur le devoir de vigilance, transposition des directives sur le greenwashing, déploiement des filières de responsabilité élargie du producteur, assurance des risques environnementaux… Sur tous ces sujets, il est regrettable que les auteurs du programme d’« Ensemble pour la République » n’aient pas dressé le bilan des politiques passées et évoquer leur avenir en s’adressant aux entrepreneurs et à toutes celles et ceux qui, dans leurs entreprises, s’emploient à améliorer la qualité des produits et services proposés.
De même, le présent programme ne comporte aucune prise de position sur l’enjeu de la simplification du droit. Pourtant, l’actuelle majorité a beaucoup insisté ces dernières années sur l’impératif d’une simplification du droit de l’environnement – au risque de la détricoter – qui pèse sur l’activité économique.
En conclusion, si le programme d’« Ensemble pour la République » témoigne d’un effort certain pour présenter des mesures relatives à l’environnement, il se borne néanmoins à quelques mesures phares et est marqué par beaucoup d’oublis. Paradoxalement, il n’insiste pas sur les points qui auraient pu être ses points forts, comme celui de la contribution écologique des entreprises.1. Télécharger le programme
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-44287-programme-legislative-2024-majorite-presidentielle.pdf