Le déclassement des élus

Rémi Lefebvre, politiste : « Il y a de moins en moins de diversité sociale chez les élus »

Un ouvrage universitaire collectif, coordonné par le politiste et le sociologue Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS, revient sur les transformations du profil des élus, le sentiment de déclassement et la perception d’un métier qu’ils n’envisagent plus « à vie ». 

Propos recueillis par Marion Dupont

Publié le 11 mars 2024 à 10h00, modifié le 11 mars 2024 à 10h34

Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/11/remi-lefebvre-il-y-a-de-moins-en-moins-de-diversite-sociale-chez-les-elus_6221345_3232.html

Dans Des élus déclassés ?, ouvrage collectif (PUF, 132 pages, 11 euros), des universitaires posent à nouveaux frais la question de la condition des élus au sein de notre société. Le sociologue Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de sociologie des organisations, et le politiste Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille et chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Ceraps), coordinateurs scientifiques de l’ouvrage, reviennent pour Le Monde sur les transformations récentes du métier et sur la réalité d’une éventuelle perte de prestige.

La question de la condition des élus est rarement posée en tant que telle dans le débat public. Pourquoi, selon vous ?

Rémi Lefebvre : Cet impensé est dû, selon moi, à deux éléments : d’abord, l’idéologie démocratique stipule que la politique est un engagement, et non un métier, ce qui rend difficile de l’analyser en tant que tel. Deuxièmement, il y a aujourd’hui une telle suspicion à l’égard de la politique et des élus, considérés par les Français comme des privilégiés, que les élus eux-mêmes ont peur d’aborder ces questions-là. Nous essayons, avec ce livre, de poser cette question à nouveaux frais en insistant notamment sur le fait qu’en France, qui compte près de 500 000 élus, cette catégorie ne peut être pensée de manière unifiée car elle recouvre des situations extrêmement hétérogènes.

Comment le métier d’élu et la façon dont il est valorisé se sont-ils transformés dans les dernières décennies ?

Didier Demazière : Prenons l’exemple des maires : ils ont connu un alourdissement et une technicisation de leur travail qui impacte beaucoup les élus des petites communes, disposant de peu moyens humains. L’intercommunalité a souvent eu pour conséquence un transfert de pouvoir vers l’échelon supérieur. Globalement, l’activité des élus est aussi davantage surveillée : le cumul des mandats est restreint, les contrôles sur leurs frais de représentation se multiplient…

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C’est dans ce contexte de transformation de leur activité qu’est intervenue la série d’agressions de maires, et qu’elle a été interprétée par leurs assemblées représentantes comme le signe d’une dévaluation de leur image.

Le déclassement se mesure donc de manière objective et subjective ?

D.D. : Oui, et les deux sont à prendre en compte. Le déclassement, c’est aussi le sentiment de déclassement. Par exemple, les études sociologiques montrent que lorsqu’une profession se féminise, une partie des membres vit cela comme une dévalorisation de la profession. Cela ne signifie pas que la profession encourt objectivement un déclassement, mais elle peut le ressentir ainsi. Dans l’ouvrage, Catherine Achin et Sandrine Lévêque montrent que s’il y a bien une féminisation objective des élus, il reste que les positions les plus convoitées – celles qui se caractérisent par une capacité de pouvoir plus grande – restent fortement masculines.

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R.L. : Similairement, de nombreux travaux démontrent qu’il y a de moins en moins de diversité sociale chez les élus : un nombre toujours plus faible d’entre eux est d’origine « populaire », tant chez les parlementaires que chez les élus locaux. Or, quand on est issu d’un milieu social élevé, on n’a pas les mêmes attentes à l’égard du rôle d’élu que quand on vient de milieux populaires : cela a un impact sur le sentiment de déclassement.

Si certains éléments pointent vers une forme de déclassement du métier d’élu, d’autres dynamiques tempèrent-elles donc ce constat ?

D.D. : Oui. Le chapitre d’Antoine Vauchez montre notamment qu’aujourd’hui un certain nombre d’élus – les plus influents – ont la possibilité de convertir leur capital politique en position avantageuse dans le champ économique : c’est une nouvelle forme de rétribution « différée ». Concernant la limitation du cumul des mandats, Guillaume Marrel souligne que celle-ci a surtout porté sur le cumul entre mandat parlementaire et mandats locaux. Mais, à l’échelle locale, des cumuls sont toujours possibles, et parfois plus qu’à l’époque où les élus locaux étaient concurrencés par les parlementaires pour accéder aux positions les plus convoitées : de nouvelles perspectives se sont ouvertes, ce qui va contre la thèse du déclassement. Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Carole Delga : de grandes figures politiques nationales préfèrent aujourd’hui s’appuyer sur les collectivités locales, qui leur confèrent des pouvoirs considérables.

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R.L. : Autre exemple, si les lois de moralisation de la vie politique ont eu des effets incontestables, on voit bien que les élus ont toujours la capacité de les contourner. Quant à un éventuel déclassement des élus sur le plan financier, si leur indemnisation a connu un léger recul, il faudrait analyser non seulement ce qu’ils perçoivent, mais aussi ce qu’ils ne payent pas.

Le métier politique aurait-il tendance à se normaliser, à devenir une profession comme une autre ?

D.D. : Si on l’entend au sens où l’exercice des mandats se réduit de moins en moins à des fonctions de représentation (qui sont spécifiques aux élus) et implique désormais une multiplicité d’activités, alors, oui : la spécificité de la fonction d’élu a tendance à s’atténuer, sans disparaître.

R.L. : Dans son chapitre, Louise Dalibert montre, avec une étude quantitative, qu’il y a de plus en plus de retraits volontaires de la vie politique – c’est-à-dire des retraits qui ne sont pas dus à des défaites aux élections. Les dernières générations sont sans doute plus sensibles au coût familial et conjugal considérable de l’activité politique, et elles sont d’autant moins prêtes à sacrifier leur vie personnelle que les parlementaires, notamment, ont l’impression croissante d’être inutiles. Cela peut être interprété comme une forme de normalisation car, jusqu’ici, on entrait souvent en politique « à vie ».

« Des élus déclassés ? »

Défiance croissante des Français envers leurs représentants, augmentation des violences à l’encontre des élus locaux, départs fracassants de la vie politique… Autrefois gage de pouvoir, de stabilité et de respectabilité, la condition d’élu ne serait-elle plus une situation enviable ? Si elle est difficilement audible dans le contexte politique et médiatique actuel, la question méritait d’être prise au sérieux. C’est chose faite avec Des élus déclassés ? (coordonné par Didier Demazière et Rémi Lefebvre, PUF, 132 pages, 11 euros), qui propose d’examiner, au travers de six articles, les transformations du profil des élus, de leurs carrières et de leur perception du métier.

Coût biographique de l’engagement en politique, reconfiguration du pantouflage, effets ambivalents de la féminisation rapide et contrainte de la profession, mise en place de nouvelles stratégies de cumul des mandats, opacité du système d’indemnisation… Les chercheurs dépeignent une fonction par certains égards plus difficile, plus ingrate et plus précaire qu’autrefois, mais qui continue d’être prisée, tant ses rétributions sont variées.

« Des élus déclassés ? », coordonné par Didier Demazière et Rémi Lefebvre, Presses universitaires de France, 132 p., 11 €.

« Des élus déclassés ? », coordonné par Didier Demazière et Rémi Lefebvre, PUF, 132 pages, 11 euros.
« Des élus déclassés ? », coordonné par Didier Demazière et Rémi Lefebvre, PUF, 132 pages, 11 euros. 

Marion Dupont

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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