Publié le 04/12/2023
La suppression de l’AME serait contre-productive tranche un rapport commandé par le gouvernement

Paris, le lundi 4 décembre 2023
– En plein débat parlementaire sur l’AME, le rapport commandé par le gouvernement recommande de maintenir tel quel ce dispositif.
Faut-il ou non supprimer l’aide médicale d’Etat (AME), ce dispositif qui garantit un accès aux soins gratuits aux immigrés clandestins (sous conditions de ressources) ? Le débat divise les médecins et la classe politique (et les lecteurs du JIM) depuis plusieurs semaines. Le 7 novembre dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’immigration, le Sénat a voté un amendement visant à transformer l’AME en une aide médicale d’urgence (AMU), limitée à la prise en charge des soins urgents, au traitement des maladies graves et à la prophylaxie. Mercredi dernier, la commission des lois de l’Assemblée Nationale a supprimé l’amendement mais le débat devrait revenir sur le devant de la scène lors de l’examen du texte en séance publique la semaine prochaine.
Face aux divisions sur la question au sein de son gouvernement (Gérald Darmanin était favorable à la suppression de l’AME, tandis qu’Aurélien Rousseau et Olivier Véran y étaient opposés), la Première Ministre Elisabeth Borne a confié le 10 octobre dernier à l’ancien préfet de droite Patrick Stefanini et à l’ancien ministre de la Santé de gauche Claude Evin la rédaction d’un rapport sur l’AME et ses différentes perspectives d’évolution. Un rapport que les deux anciens hauts fonctionnaires ont remis ce lundi au gouvernement et qui conforte la position de l’exécutif et de la majorité sur la question.
La suppression de l’AME, une mesure contre-productive
Patrick Stefanini et Claude Evin concluent en effet que l’AME est « un dispositif sanitaire utile et globalement maitrisé ». Certes, ils reconnaissent que ce mécanisme créé en 2000 a été en partie mis à mal ces dernières années par l’augmentation du nombre de bénéficiaires et corrélativement de son budget : 466 000 personnes bénéficient actuellement de l’AME, soit 13,4 % de plus qu’en 2022 et 47,5 % de plus qu’en 2015, tandis que l’Etat a dépensé l’an dernier 968 millions d’euros au titre de l’AME, 66 % de plus qu’en 2012. Mais cette hausse des bénéficiaires et du coût ne suffise pas selon eux à remettre en cause l’opportunité de ce dispositif dans son ensemble.
Les auteurs du rapport fustigent ainsi la proposition du Sénat de transformer l’AME en AMU. Ils soulignent tout d’abord que cette mesure repose sur une distinction floue entre soins urgents et non-urgents et risquerait de complexifier inutilement la situation. Reprenant des arguments classiques en faveur de l’AME, ils considèrent que la création d’une AMU aurait non seulement des conséquences néfastes sur la santé des immigrés clandestins mais également potentiellement « sur la sollicitation des établissements hospitaliers fragilisés qu’il faut impérativement préserver ». Privés de soins gratuits, les migrants clandestins ne se rendraient en effet à l’hôpital que lorsque leur état se serait considérablement aggravé, entrainant des soins finalement plus lourds et plus couteux pour la collectivité. « Il n’est pas acquis que le remplacement de l’AME par une AMU se traduirait par des économies pour les dépenses de l’Etat » concluent-ils.
Les deux anciens hauts fonctionnaires réfutent également l’argument de la droite et de l’extrême-droite selon lequel l’AME serait un dispositif incitatif pour l’immigration. Selon eux, leurs investigations ont établi que « l’AME n’apparait pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration », bien qu’ils reconnaissent que « l’offre de soins délivrée dans notre pays fait probablement partie d’un ensemble de facteurs qui oriente les parcours de migration ».
L’Académie de Médecine défend l’AME
Au final, les aménagements proposés par les auteurs du rapport concernant l’AME sont limités. Ils préconisent ainsi de renforcer les contrôles sur le respect des conditions d’accès à l’AME, d’organiser un bilan de santé pour les primo-bénéficiaires de l’AME et d’étendre la procédure permettant de soumettre à une autorisation préalable de la CNAM les soins considérés comme non-urgents.
Deux propositions sont citées comme n’ayant « pas fait consensus » chez les auteurs du rapport : obliger les bénéficiaires de l’AME à demander en parallèle leur régularisation (afin que l’AME n’incite pas les immigrés à rester clandestins) et subordonner la poursuite de soins chroniques à la vérification que le clandestin ne puisse pas recevoir les mêmes soins dans son pays d’origine (afin de lutter contre le tourisme médical).
A la réception du rapport, le gouvernement a indiqué que « les propositions formulées par les rapporteurs pourront faire l’objet d’une évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique » mais qu’une telle réforme ne sera pas intégrée au projet de loi sur l’immigration actuellement examiné au Parlement.
Depuis quelques semaines, de nombreux médecins ou organisations de professionnels de santé se sont exprimés publiquement en faveur de l’AME, au nom du devoir d’humanité qui sied aux professionnels de santé. Dernière intervention en date, celle de l’Académie de Médecine qui, dans un communiqué publié ce mardi, rappelle que « l’AME obéit au principe qui guide notre éthique de médecin avec le devoir de prendre en charge tout patient quelle que soit sa situation » et réaffirme « son opposition à toute restriction du champ d’application des soins qu’implique la distinction artificielle entre soins urgents et non-urgents ».
Quentin Haroche
Un rapport conforte l’aide médicale d’Etat, tout en préconisant son resserrement
Les conclusions rendues par Claude Evin et Patrick Stefanini, à qui le gouvernement avait confié une mission d’évaluation sur l’AME, ne soutiennent pas la suppression de ce dispositif mais esquissent des pistes de réforme.
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L’aide médicale d’Etat (AME) a-t-elle un « effet d’attractivité » ? Faut-il modifier les soins pris en charge par cette couverture maladie qui bénéficiait, mi-2023, à près de 440 000 étrangers sans papiers ? Une réforme comporte-t-elle des risques pour la santé publique ou les finances des hôpitaux ?
C’est à ces questions que devait répondre la mission d’évaluation confiée par le gouvernement à l’ancien ministre de la santé, socialiste, Claude Evin et à l’ancien préfet, et homme de droite, Patrick Stefanini. Des travaux publiés lundi 4 décembre, alors que le Sénat a voté, en novembre, un amendement de suppression de l’AME lors de l’examen du projet de loi « immigration ». La droite et le centre ambitionnaient ainsi de lutter contre les dépenses liées à ce dispositif, qui s’établissent autour de 1 milliard d’euros.
A quelques jours de l’arrivée du texte en séance publique, le 11 décembre, à l’Assemblée nationale, le rapport Evin-Stefanini offre une porte de sortie au gouvernement, divisé sur la nécessité de s’attaquer à l’AME. D’un côté, pour faire voter sa loi, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, veut trouver un terrain d’entente avec la droite aux yeux de laquelle l’AME est le symbole du laisser-faire migratoire ; d’autre part, la première ministre, Elisabeth Borne, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, ou encore le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, ont manifesté leur attachement à l’AME, se faisant l’écho d’une opinion très majoritaire au sein du monde médical.
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Au prix de quelques paradoxes, les propositions formulées par les rapporteurs oscillent entre ces deux lignes. Elles « pourront faire l’objet d’une évolution réglementaire ou législative », ont déclaré, lundi, M. Darmanin et M. Rousseau dans un communiqué commun, estimant en revanche qu’elles ne pourraient pas être intégrées dans la loi « immigration », au risque de se voir retoquer par le Conseil constitutionnel car considérées comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire qui n’ont pas de lien avec le texte. La commission des lois de l’Assemblée nationale a d’ores et déjà supprimé l’amendement sénatorial enterrant l’AME.
« Utilité sanitaire confirmée »
Appelés à éclairer les débats, M. Stefanini et M. Evin affirment que « l’utilité sanitaire [de l’AME] est confirmée ». Ils estiment que le projet du Sénat de remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence comporte un « risque important de renoncement aux soins », qui « aurait pour triple impact une dégradation de l’état de la santé des personnes concernées, des conséquences possibles sur la santé publique et une pression accentuée sur les établissements de santé ». Sans AME, les étrangers ne pourraient plus recourir à la médecine de ville, solliciteraient davantage les hôpitaux, dans des états plus dégradés, et donc de façon plus coûteuse pour le système de soins.
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Au contraire, conscients qu’une part non négligeable des gens qui pourraient bénéficier de l’AME n’y ont pas recours (51 %, selon une étude de 2019), les auteurs recommandent « le renforcement des actions de communication en faveur du droit là l’AME » pour éviter le « recours au système de santé en situation dégradée ».
Ils encouragent aussi à informatiser la carte AME, à l’image de la carte Vitale, pour lutter contre les refus de soins de soignants rebutés par les lourdeurs de la gestion administrative. Ils préconisent, en outre, de porter d’un à deux ans la durée de validité de l’AME, ou encore d’étendre à ses bénéficiaires l’obligation de déclaration du médecin traitant.
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Contrairement à une idée rebattue à droite, les rapporteurs ne trouvent pas que l’AME attire des flux migratoires, mais observent le parcours « chaotique » des migrants et leurs nombreuses « ruptures de droits et de prises en charge ». Ainsi, écrivent-ils, « plus de 100 000 bénéficiaires actuels de l’AME ont connu une discontinuité de droits », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu de couverture santé pendant un temps, après avoir bénéficié d’une protection maladie lorsqu’ils étaient en situation régulière (détenteurs d’un titre de séjour ou demandeurs d’asile) ou parce qu’ils n’ont pas pu renouveler leur AME, «ce qui est de nature à relativiser l’effet aimant de l’AME ».
Ils tirent de ce constat la proposition de basculer les demandeurs d’asile sous le bénéfice de l’AME pour unifier le système. « Ce serait un nivellement par le bas », regrette Sophie Du Jeu, membre du Collectif des professionnels hospitaliers de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Renforcer les contrôles
Loin de l’idée, encore agitée à droite, d’un dispositif exposé à la fraude, les rapporteurs rappellent que rien n’étaye l’idée d’« abus », et qu’avec 14 % des dossiers contrôlés, l’AME est « la prestation gérée par l’Assurance-maladie dont le taux de contrôle est le plus élevé », alors qu’elle ne constitue que 0,5 % des dépenses globales. Les anomalies détectées (3 %) sont comparables à celles concernant les autres assurés sociaux.Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétencesDécouvrir
« Le rapport insiste sur le caractère utile du dispositif », relève Christian Reboul de Médecins du monde, qui regrette cependant que certaines propositions visent à « complexifier l’AME et à ériger de nouvelles barrières dans son accès ». « Des progrès en matière de maîtrise des risques et des fraudes peuvent encore être réalisés », considèrent en effet M. Stefanini et M. Evin, face à « l’augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires ».
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Ils encouragent notamment un renforcement des contrôles et le resserrement des critères d’éligibilité. Aujourd’hui, pour bénéficier de l’AME, il faut résider en France depuis plus de trois mois, ne pas gagner plus de 809,90 euros par mois et fournir une pièce d’identité. La mission propose d’inclure dans les ressources déclarées celles du conjoint ou d’exclure des ayants droit les enfants âgés de 18 à 20 ans. Elle propose aussi d’obliger le demandeur à se présenter physiquement à la Caisse primaire d’assurance-maladie pour tout renouvellement de dossier et de mieux former les agents à la détection de faux papiers.
M. Stefanini et M. Evin recommandent enfin d’élargir les prestations soumises à un accord préalable de l’Assurance-maladie et suggèrent qu’un étranger visé par une mesure d’éloignement pour menace à l’ordre public – soit quelque 15 000 personnes en 2022 – perde le bénéfice de l’AME. « Nous soignants, nous ne sommes pas là pour faire de la politique », met en garde Sophie Du Jeu.
Remise du rapport de la mission portant sur l’aide médicale d’Etat (Document)
Émis par : Ministère de la Santé et de la Prévention, Ministère de l’Intérieur et de l’Outre-mer
A la demande de la Première ministre, Gérald DARMANIN, ministre de l’Intérieur et de l’Outre-Mer, Aurélien ROUSSEAU, ministre de la Santé et de la Prévention et Agnès FIRMIN LE BODO, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé ont confié, le 10 octobre dernier, à Claude EVIN, ancien ministre de la Santé et Patrick STEFANINI, conseiller d’Etat honoraire une mission portant sur l’aide médicale d’Etat (AME).
Le rapport a été remis ce matin aux ministres et le gouvernement va désormais en prendre connaissance.
Les propositions formulées par les rapporteurs pourront faire l’objet d’une évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique.
Pour mémoire, aucune proposition relative à l’AME ne peut être intégrée au projet de loi immigration en cours d’examen, ces dispositions étant sans rapport avec l’objet du texte (cavalier législatif).
Le rapport, rendu public, est disponible.
Contact presse :
Ministère de l’Intérieur et de l’Outre-mer
Cabinet de M. Gérard DARMANIN
Mél : service-presse@interieur.gouv.fr
Ministère de la Santé et de la Prévention
Cabinet de M. Aurélien ROUSSEAU
Mél : sec.presse.cabsante@sante.gouv.fr
L’AME : questions de recherche, questions d’actualitéavec Paul Dourgnon (Directeur de recherche à l’Irdes) | |||
| . | Les podcasts de l’Irdes, lancés en décembre 2023, donnent la parole aux chercheuses et chercheurs de l’Irdes sur une question de recherche, en écho à l’actualité de la santé et de la protection sociale. Ils mettent à la disposition d’un large public, sous format audio, les résultats les plus récents des études, recherches ou enquêtes menées par l’Institut.Le premier épisode, « L’AME : questions de recherche, questions d’actualité », est consacré à l’Aide médicale de l’Etat (AME). Paul Dourgnon, directeur de recherche à l’Irdes, est interrogé à l’occasion de la parution en décembre 2023 du Questions d’économie de la santé n° 284, « Des assurés comme les autres. Une analyse des consommations de soins de ville des personnes couvertes par l’Aide médicale de l’Etat », réalisé avec Solène Petit, Jérôme Wittwer, Florence Jusot et Antoine Marsaudon. Cette étude, qui fait suite à de précédents travaux menés dans le cadre du projet de recherche Premiers pas, montre que les consommations de soins de ville des personnes couvertes par l’AME sont similaires à celles des personnes couvertes par la Complémentaire santé solidaire non contributive (CSS-NC), pour les postes de soins bénéficiant d’un niveau de couverture identique. Des résultats qui viennent apporter un éclairage aux débats actuels dans le cadre du vote du projet de loi sur l’immigration, en novembre et décembre 2023. ►A écouter ►Voir aussi les Questions d’économie de la santé sur l’AME : Des assurés comme les autres. Une analyse des consommations de soins de ville des personnes couvertes par l’Aide médicale de l’Etat. Accès aux soins et lieux de soins usuels des personnes sans titre de séjour couvertes par l’Aide médicale de l’État. Le recours à l’Aide médicale de l’État des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas. Etudier l’accès à l’Aide médicale de l’État des personnes sans titre de séjour.L’enquête Premiers pas. Protéger la santé des personnes étrangères en situation irrégulière en France. L’Aide médicale de l’État, une politique d’accès aux soins mal connue Nous restons à votre disposition pour tout renseignement complémentaire. | ||
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