Tribune d’Agnès Buzyn contre la suppression de l’AME

Agnès Buzyn : « Qui peut penser qu’un hypothétique refus de soins décourage l’immigration clandestine ? »

Date de publication : 29 novembre 2023

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Le Monde publie une tribune signée par Agnès Buzyn, hématologue, ministre des Solidarités et de la Santé de 2017 à 2020.


Elle écrit ainsi qu’« à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration, le Sénat a voté en première lecture la transformation de l’aide médicale d’Etat (AME) en aide médicale d’urgence (AMU), obligation qui, au demeurant, figure dans les différents textes du droit international, au chapitre du droit à la santé ».
« Cette mesure-choc est présentée comme un marqueur de grande fermeté, qui réduirait l’attractivité de notre pays en matière d’immigration clandestine et les coûts afférents. Un sondage de l’Institut CSA pour Cnews, réalisé en septembre et en octobre 2023, montrerait que les Français y seraient majoritairement favorables. Encore faudrait-il expliquer avec sincérité les implications d’un tel choix », 
souligne Agnès Buzyn.
Elle remarque que « tout a déjà été écrit par les collectifs de soignants sur les risques que de telles restrictions d’accès aux soins font courir à la santé publique, notamment pour prévenir la propagation des maladies infectieuses, et à quel point cette obsession de supprimer l’AME est étonnante provenant d’élus clamant régulièrement leur attachement à la prévention et à l’hôpital public ».
« Mais il convient d’exposer pourquoi notre système de santé, déjà mis à rude épreuve, sera le premier à en pâtir et surtout pourquoi il s’agit d’un simple déplacement du problème, voire de son effacement »,
 continue Agnès Buzyn.
L’hématologue poursuit : « Ne nous plaçons pas du côté moral, ni même du côté de la santé publique. Tirons simplement le fil de cette proposition qui se heurte immédiatement au réel. Ainsi, avec le nouveau dispositif AMU, mesure qui, selon les sénateurs Les Républicains, alliera fermeté et humanité, aucune maladie chronique ne pourra bénéficier d’une prise en charge pour ne pas créer d’incitation au voyage. De ce fait, ces migrants illégaux ne pourront pas être soignés par un médecin de ville faute de moyens pour payer une consultation ou des traitements à la pharmacie. Toutes les personnes malades, que leur pathologie soit urgente ou non, voire connue et ancienne, se présenteront a priori à l’hôpital et seront reçues par les urgences ou les services de consultations ».
Agnès Buzyn observe que « si l’urgence est avérée – si tant est qu’on sache placer un curseur entre urgence, semi-urgence et chronicité pouvant amener des complications graves –, l’AMU couvrira les frais. A l’inverse, si la pathologie est aiguë mais peu sévère, chronique, voire ancienne (diabète, hypertension, asthme, maladie inflammatoire ou lésion précancéreuse), le patient ne devrait pas, selon le nouveau mécanisme, bénéficier d’une prise en charge jusqu’à ce qu’il fasse une complication grave ».
« Le législateur estime donc qu’aux urgences ou en consultation hospitalière, si la pathologie s’avère non urgente, les médecins devront refouler le patient sans le soigner. Bien entendu, un tel acte serait totalement contraire au serment d’Hippocrate »,
 constate l’ancienne ministre.
Agnès Buzyn écrit que « la transformation de l’AME en AMU revient donc à faire peser la lutte contre l’immigration clandestine sur le budget des hôpitaux et la responsabilité sur les médecins hospitaliers, en espérant que ceux-ci, oubliant le serment d’Hippocrate, refusent de pratiquer de la bonne médecine. Qui peut décemment penser que ce plus qu’hypothétique refus de soins décourage l’immigration clandestine en France ? ».

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/28/agnes-buzyn-qui-peut-penser-qu-un-hypothetique-refus-de-soins-decourage-l-immigration-clandestine_6202759_3232.html#:~:text=Qui%20peut%20décemment%20penser%20que,dans%20des%20politiques%20européennes%20coordonnées.

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Agnès Buzyn : « Qui peut penser qu’un hypothétique refus de soins décourage l’immigration clandestine ? »

Tribune

Agnès BuzynAncienne ministre de la santé

Voulue par le Sénat, la transformation de l’aide médicale d’Etat revient à faire peser la lutte contre l’immigration clandestine sur le budget des hôpitaux et sa responsabilité sur les médecins hospitaliers, en espérant qu’ils oublieront le serment d’Hippocrate, déplore, dans une tribune au « Monde », l’ancienne ministre de la santé.

Publié hier à 15h30, modifié hier à 15h55  Temps de Lecture 4 min. 

A l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration, le Sénat a voté en première lecture la transformation de l’aide médicale d’Etat (AME) en aide médicale d’urgence (AMU), obligation qui, au demeurant, figure dans les différents textes du droit international, au chapitre du droit à la santé. Cette mesure-choc est présentée comme un marqueur de grande fermeté, qui réduirait l’attractivité de notre pays en matière d’immigration clandestine et les coûts afférents. Un sondage de l’Institut CSA pour Cnews, réalisé en septembre et en octobre 2023, montrerait que les Français y seraient majoritairement favorables. Encore faudrait-il expliquer avec sincérité les implications d’un tel choix.

Tout a déjà été écrit par les collectifs de soignants sur les risques que de telles restrictions d’accès aux soins font courir à la santé publique, notamment pour prévenir la propagation des maladies infectieuses, et à quel point cette obsession de supprimer l’AME est étonnante provenant d’élus clamant régulièrement leur attachement à la prévention et à l’hôpital public. Mais il convient d’exposer pourquoi notre système de santé, déjà mis à rude épreuve, sera le premier à en pâtir et surtout pourquoi il s’agit d’un simple déplacement du problème, voire de son effacement.

L’AME permet à des personnes en situation irrégulière disposant de ressources faibles, au-dessous d’un certain plafond, et présents sur le territoire depuis plus de trois mois – ce critère a été ajouté en 2019 pour réduire le risque de tourisme médical – de bénéficier d’une couverture sociale pour pouvoir se faire soigner en ville comme à l’hôpital. En sont déjà exclus les soins de confort, esthétiques ou contre l’infertilité.

Lire aussi la tribune :    Projet de loi sur l’immigration : « L’asile ne doit plus être l’instrument d’une importation continue de travailleurs dociles »

Ce dispositif serait, selon certains, une incitation à venir en France. Peut-être… même s’il n’y a pas d’études permettant aujourd’hui de connaître la part d’un tel avantage dans le départ de personnes de leurs pays d’origine, sa place par rapport à d’autres allocations ou, tout simplement, face au désir de venir vivre dans un pays en paix ou d’y transiter. Mais admettons que ce soit une incitation pour certains, cela ne change rien aux conséquences prévisibles de sa suppression.

Refouler sans soigner

Ne nous plaçons pas du côté moral, ni même du côté de la santé publique. Tirons simplement le fil de cette proposition qui se heurte immédiatement au réel. Ainsi, avec le nouveau dispositif AMU, mesure qui, selon les sénateurs Les Républicains, alliera fermeté et humanité, aucune maladie chronique ne pourra bénéficier d’une prise en charge pour ne pas créer d’incitation au voyage. De ce fait, ces migrants illégaux ne pourront pas être soignés par un médecin de ville faute de moyens pour payer une consultation ou des traitements à la pharmacie. Toutes les personnes malades, que leur pathologie soit urgente ou non, voire connue et ancienne, se présenteront a priori à l’hôpital et seront reçues par les urgences ou les services de consultations.

Si l’urgence est avérée – si tant est qu’on sache placer un curseur entre urgence, semi-urgence et chronicité pouvant amener des complications graves –, l’AMU couvrira les frais. A l’inverse, si la pathologie est aiguë mais peu sévère, chronique, voire ancienne (diabète, hypertension, asthme, maladie inflammatoire ou lésion précancéreuse), le patient ne devrait pas, selon le nouveau mécanisme, bénéficier d’une prise en charge jusqu’à ce qu’il fasse une complication grave. Le législateur estime donc qu’aux urgences ou en consultation hospitalière, si la pathologie s’avère non urgente, les médecins devront refouler le patient sans le soigner. Bien entendu, un tel acte serait totalement contraire au serment d’Hippocrate, dont la première phrase dit bien : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé… »

Lire aussi la tribune :    « Supprimer l’aide médicale d’Etat serait une faute grave »

En pratique, les malades seront donc soit étiquetés comme « urgence » pour bénéficier de l’AMU, ce qui permettra in fine aux hôpitaux d’être rémunérés pour les soins, soit tout de même pris en charge par les équipes hospitalières. Les médicaments leur seront alors donnés pour une certaine durée sur les stocks des services, aucun médecin digne de ce nom ne pouvant décemment attendre que le cas d’un malade s’aggrave pour mettre en place un traitement préventif ou curatif (antalgique, antihypertenseur, traitement de fond de l’asthme, corticoïdes pour une maladie inflammatoire…).

Casser le thermomètre

Dans les deux cas, cette mesure fera juste reporter la charge de travail sur l’hôpital public, alors qu’aujourd’hui elle est répartie également dans le secteur privé libéral. Une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé montre que la consommation de soins de l’AME est superposable à celle des assurés sociaux les plus pauvres de notre pays, ceux couverts par la Complémentaire santé solidaire non contributive.

Lire aussi la tribune :    « Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »

Plus déconcertant encore, une partie du coût des soins liés à l’immigration clandestine sera ainsi transférée subrepticement du budget de l’Etat (AME) vers le budget des hôpitaux (Assurance-maladie), réduisant ainsi mathématiquement le 1,2 milliard d’euros de dépenses d’AME de 2022 (selon le rapport du Sénat sur les crédits de la mission santé en 2022), pour fondre ces mêmes dépenses dans le budget de la Sécurité sociale sans qu’on puisse plus ni les isoler ni les suivre.

A croire que le but des sénateurs serait de casser le thermomètre… La transformation de l’AME en AMU revient donc à faire peser la lutte contre l’immigration clandestine sur le budget des hôpitaux et la responsabilité sur les médecins hospitaliers, en espérant que ceux-ci, oubliant le serment d’Hippocrate, refusent de pratiquer de la bonne médecine. Qui peut décemment penser que ce plus qu’hypothétique refus de soins décourage l’immigration clandestine en France ?

Certes, la lutte contre l’immigration illégale est une problématique complexe. Elle se joue dans les pays hôtes, dans les pays de transit et dans des politiques européennes coordonnées. Mais l’hôpital public et les soignants ne méritent pas d’être ainsi instrumentalisés. Aucun marqueur politique, quel qu’il soit, ne peut se substituer à une politique publique digne de ce nom.

Agnès Buzyn, hématologue, a été ministre des solidarités et de la santé de 2017 à 2020.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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