Arrêté « nuisibles » : le juge des référés rejette la demande de suspension
Biodiversité | Aujourd’hui à 15h54 | L. Radisson

© AxelL’étourneau sansonnet est inscrit sur la liste des Esod.
Par une décision du 20 novembre, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) qui demandait la suspension de l’arrêté du 3 août 2023. Celui-ci a reconduit pour trois ans la liste des « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (Esod). La raison de ce rejet ? Le défaut d’urgence.
Selon l’article L. 512-1 du code de justice administrative, la suspension ne peut être prononcée que si l’urgence le justifie et qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision. « La seule circonstance que la destruction d’un spécimen d’une espèce mentionnée par l’arrêté litigieux présente un caractère irréversible et porte atteinte à l’objet statutaire [de l’association requérante] (…) est insusceptible, par elle-même, de justifier l’intervention du juge des référés », juge le Conseil d’État. Ce dernier estime que, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, il est nécessaire de tenir compte de plusieurs éléments : présence et état de conservation de l’espèce en cause dans les départements où sa destruction est autorisée ; importance de sa contribution aux équilibres écologiques ou à d’autres intérêts publics ; conditions et limites posées par l’arrêté à sa destruction ; nature et ampleur des atteintes que l’espèce serait susceptible de causer en l’absence d’exécution de l’arrêté.
Le Conseil d’État a donc appliqué ces critères à six espèces visées par l’arrêté (corbeau freux, martre des pins, fouine, étourneau sansonnet, geai des chênes, renard roux *) pour aboutir à la conclusion que la condition d’urgence n’était présente pour aucune d’entre elle.
On attend maintenant la décision sur le fond de la Haute juridiction, tandis que, au plan administratif, la secrétaire d’État à la Biodiversité, Sarah El Haïry, a commandé un rapport sur la question des Esod à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd).
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement
*Le classement du renard comme « nuisible » n’est pas justifié sur le plan sanitaire
Dans une expertise remise en juin, l’Agence de sécurité sanitaire estime que le motif sanitaire ne justifie pas le classement du renard comme nuisible. Dans la foulée, le Gouvernement a pourtant reconduit ce classement pour trois ans.
Biodiversité | 18.08.2023 | L. Radisson

© michel Le renard pourrait jouer un rôle positif par la prédation de rongeurs hôtes d’agents zoonotiques.
L’expertise avait été demandée à l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) en mars 2022 par plusieurs directeurs généraux des ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture et de la Santé. Ils souhaitaient connaitre les impacts sur la santé publique des populations de renards dans une approche « One Health » afin de pouvoir en tenir compte dans la révision de l’arrêté triennal classant certaines espèces comme « susceptibles d’occasionner des dégâts » (Esod).
Le risque de transmission de certaines zoonoses par le canidé est en effet mis en avant, en plus de la prédation exercée sur les élevages avicoles et le gibier, comme un motif de classement en Esod. Un classement qui conduit à abattre environ un million de spécimens chaque année.
La réponse de l’Anses, dans un avis publié le 29 juin 2023, est sans équivoque. « Sauf situations sanitaires très particulières nécessitant des mesures locales et ciblées, la réduction de populations de renards ne peut pas être envisagée comme option globale pour lutter contre un agent pathogène ». Et d’ajouter : « Des effets inverses de ceux attendus (augmentation de la charge parasitaire, dispersion virale) ont, au contraire, pu être observés ».
Pas de diminution du risque d’échinococcose
Les experts du groupe de travail de l’Agence estiment que la réduction de la population de goupils ne permet pas une diminution du risque d’échinococcose alvéolaire, maladie parasitaire provoquée par des ténias, « voire pourrait l’augmenter ». Ils relèvent également que les renards ne jouent actuellement pas de rôle dans le risque de rage, dont la France est indemne depuis 2001, et que leur abattage est de toute manière « inefficace pour lutter contre cette maladie ». Le canidé pourrait même jouer un rôle positif par la prédation de rongeurs hôtes d’agents zoonotiques, mais les experts ne sont pas en mesure de conclure sur ce rôle épidémiologique à ce stade.
Quant au rôle du renard comme source d’agents pathogènes pour les animaux domestiques, il est « difficile à évaluer mais semble le plus souvent faible ». « L’élimination préventive des renards en zone indemne de tuberculose bovine ne peut en aucun cas être justifiée au motif de la lutte [contre Mycobacterium bovis, agent infectieux responsable de la tuberculose] », soulignent les experts.
La réduction de populations de renards ne peut pas être envisagée comme option globale pour lutter contre un agent pathogène.
Anses
« Il n’est pas possible d’évaluer de manière globale quelle influence les variations des populations de renards, à la hausse ou à la baisse, ont sur le risque de transmission d’agents pathogènes aux humains ou aux animaux domestiques », estiment au final les auteurs du rapport. En l’état actuel des connaissances, l’Agence considère que le motif sanitaire ne justifie pas le classement Esod des renards. Ils recommandent par conséquent « de ne pas engager d’action spécifique pour faire varier les populations de renards en France, que ce soit à la hausse ou à la baisse, dans une optique générale de santé publique, humaine comme animale ».
Destruction par tir, piégeage ou déterrage
Malgré ces conclusions, le ministre de la Transition écologique a reconduit le 3 août le classement du renard comme Esod pour trois ans, en même temps que huit autres espèces. Cela signifie qu’il peut continuer à être détruit par tir, piégeage ou déterragetoute l’année et dans toute la France, à quelques nuances près.
« Voleur de perdrix, tueur de poules, vermine porteuse de maladies… Tout est bon chez les champions de la dérégulation (sic) pour stigmatiser Vulpes vulpes et obtenir le droit de le chasser et de le détruire de manière illimitée 12 mois sur 12 dans la quasi-totalité des départements français à l’aide de pièges, de fusils ou de pioches de déterrage… », réagit l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), qui annonce attaquer l’arrêté devant le Conseil d’État.
La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a fait de même. « L’efficacité de la destruction [des Esod] n’est pas démontrée, les risques pour leur état de conservation ne sont jamais évalués et leur importance dans le fonctionnement des écosystèmes naturels n’entre pas en ligne de compte », dénonce l’association de protection de la nature.
Parmi les actions de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité dévoilée le 20 juillet dernier, figure pourtant celle d’une « objectivation de l’impact » des Esod sur les écosystèmes. Les conclusions de l’Anses sur les bénéfices/risques de la régulation du renard y sont mentionnées en tant que jalon de cette action pour 2023. On ne peut pas dire que le Gouvernement ait fait grand cas de l’expertise de l’Agence en publiant cet arrêté de reconduction, même si une analyse socio-économique complémentaire est attendue de cette dernière.
Une analyse que l’Anses estime pouvoir mener mais en la limitant à l’évaluation du rôle du renard dans l’échinococcose alvéolaire. « Cependant, le rôle du renard ne saurait se réduire à son impact sur les zoonoses, et une analyse socio-économique devrait intégrer plus largement les différents rôles qu’il joue dans l’écosystème, notamment en évaluant précisément les pertes de gibier ou dans les élevages avicoles », estime l’Agence.