La soeur de Samuel Paty, l’enseignant assassiné à Conflans-Sainte-Honorine pas tendre avec l’Etat

Mickaëlle Paty accuse l'État : "Il n'a pas honoré sa part du contrat social en assurant protection à mon frère"
« Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n’est plus François-Jean Lefebvre de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C’est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. »
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Mickaëlle Paty accuse l’État : « Il n’a pas honoré sa part du contrat social en assurant protection à mon frère »

Audition

Par Etienne Campion

Publié le 17/10/2023 à 18:12 https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/mon-frere-a-ete-condamne-a-mort-devant-les-senateurs-mickaelle-paty-accuse-letat-et-les-ministres?utm_source=nl_quotidienne&utm_medium=email&utm_campaign=20231017&xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiOGFhNDgzMzIwMWE0MDhlOGE1ZDc3NmFjMGI4NDRiYmMifQ%3D%3D

Ce mardi 17 octobre, Mickaëlle Paty a prononcé un discours et répondu aux questions des sénateurs, au cours d’une commission d’enquête sur les faillites idéologiques et étatiques qui ont conduit à la mort de son frère.

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« Nul ne pouvait ignorer son calvaire ». En mai, dans une lettre adressée au Sénat que nous avions publiée Mickaëlle Paty demandait l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour éclairer les failles et les responsabilités qui ont conduit à l’assassinat de son frère, Samuel Paty. Mardi 17 octobre, au lendemain d’un évènement en hommage à son frère (dont Marianne était partenaire) et où elle a pu raconter le cours qui lui a coûté la vie, Mickaëlle Paty a livré ses vérités devant les sénateurs.

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Grâce à un discours écrit et préparé en amont, la sœur du défunt professeur d’histoire-géographie a livré, trente minutes durant, son analyse, à la fois intellectuelle et juridique, sur ce qu’elle voit comme les failles étatiques et idéologiques qui ont conduit au drame. Elle a accusé « ceux qui choisissent une vérité alternative défendue par quelques courtisans cherchant carrière », et « ces éternels adeptes de l’idéologie du pas-de-vaguisme, paralysante et tétanisante qui semble avoir atteint par contagion l’État tout entier. » Phénomène qui conduira selon elle son frère« à être livré seul en pâture à la mouvance islamiste » : « Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n’est plus François-Jean Lefebvre de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C’est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. »

FAILLITES IDÉOLOGIQUES

À 15 heures, le sénateur Laurent Lafon a lancé l’audition de Mickaëlle Paty en lui affirmant que certaines de ses sorties « ont été prémonitoires », citant l’entretien qu’elle a donné à Marianne le 2 octobre dernier lorsqu’elle nous prévenait que « nous ne sommes pas dans l’après Samuel Paty mais dans le pendant », quelques jours avant l’assassinat de Dominique Bernard à Arras. Le professeur de français d’Arras tué trois ans après Samuel Paty ? Mickaëlle Paty a commencé son propos par lui rendre hommage, « celui qu’on n’a pas sauvé », « ce professeur assassiné dans une attaque terroriste islamiste mettant à exécution les ordres de ceux qui veulent détruire notre école pour détruire notre démocratie ».

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« Le simple fait qu’un professeur ait pu être décapité pour blasphème en France en 2020, démontre que faille il y a », a commencé Mickaëlle Paty « afin de comprendre les failles administratives et politiques qui ont pu concourir à l’assassinat de Samuel Paty, d’analyser les mesures correctives qui en ont découlé et d’en tirer les évidentes recommandations ». Avant d’en remettre une couche, encore sur le plan des lâchetés idéologiques, à commencer par celle de la bienveillance face au sentiment religieux : « Prôner la tolérance et invoquer toujours plus de bienveillance (sous-entendant ainsi que le professeur pourrait être malveillant par nature) n’a pourtant ouvert la voie qu’à des dérives incontrôlables et finalement au renforcement des extrêmes. Si la référence n’est plus la loi mais le fait de ne pas offenser certains musulmans qui mettent leur créateur au-dessus de tout, de la justice comme de la fraternité, cela n’entraînera que censure et immanquablement, une application différenciée des règles en fonction de l’appartenance religieuse, octroyant finalement plus de droit à certains, véritable ferment de discorde et de séparatisme. »

Plutôt que la fausse bienveillance, la sœur du professeur d’histoire-géographie a réaffirmé la force de l’empathie : « Sans empathie, sans cette capacité, il est impossible de comprendre les principes de la laïcité et les valeurs de la république, ni même celle de la liberté d’expression. Sans empathie, on n’accorde aucun crédit à la vie de l’autre, l’autre étant relégué au rang d’ennemi. »

LES ACCUSATIONS

Le moment des accusations après le récit aux sénateurs du triste lendemain du 16 octobre 2020 : « ‘Qu’est-ce qu’on devient après ça ?’, Il allait bien falloir que j’en fasse quelque chose de ce ‘ça’, un ‘ça’ sans nom, juste un visuel à l’institut médico-légal où ma réaction première a été de dire: ‘Ce n’est pas lui !’, je crois que je ne voulais pas que ce corps meurtri soit celui de mon frère. » Première mise en cause ? L’Éducation nationale et le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) du 3 décembre 2020 : « Ici, où on parle de ‘gérer un trouble’, l’origine du trouble étant ‘le cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty’. La formulation choisie trahit l’intention véritable de ce travail. Il s’agit non de faire la lumière sur les responsabilités et les éventuelles erreurs des uns et des autres dans cette affaire, mais avant tout de dédouaner l’institution de toute responsabilité éventuelle. On s’interrogera sur la conception très particulière du dialogue que cette mission d’inspection a pu avoir avec les acteurs de terrain », a affirmé la jeune femme.

Avant de poursuivre en pointant la méthode du rapport : « Seuls trois professeurs ont été entendus sur les 51 qui composent l’équipe pédagogique contre quatre représentants des parents d’élèves, inversant le rapport de force. On pourrait également s’interroger sur la rapidité de sa rédaction, le rapport ayant été bouclé, ou bâclé, en quinze jours, ce qui ne laisse d’interroger sur le but attendu. Je tiens également à souligner la volonté constante de l’Éducation nationale, à travers ce rapport, de faire totalement abstraction d’une quelconque notion de péril grave et imminent comme ce fut le cas la semaine précédant l’attentat et de continuer de transformer une campagne islamique en problème pédagogique. »

L’ÉDUCATION NATIONALE ET SES NON-DITS

Vient le tour des « non-dits de l’Éducation nationale » : « Là où on parle d’élèves et de familles compliqués, jamais difficiles ou tout simplement impossibles à gérer et refusant de s’insérer dans la société française ; l’administration préfère juger que les professeurs sont en difficulté et que les chefs d’établissement sont insuffisants. Il me semble également nécessaire d’évoquer les excuses, qu’on a demandé à Samuel de formuler auprès de ses élèves ». Là encore, elle vise le poids des parents d’élèves : « Ce comportement donne tout pouvoir aux parents d’élèves qui ont un compte à régler avec l’institution. On se retrouve avec des élèves victimes et s’ils n’y avaient pas encore pensé, on les désigne obligeamment comme tels et le professeur devenant le coupable aux yeux de tous, même de certains de ses collègues. »

Mickaëlle Paty évoque alors, sans le nommer « ce petit professeur meurtri d’avoir perdu son titre de coordinateur de matière au profit de mon frère », « faisant du zèle pour l’accabler et se mettre en scène devant ses classes de troisième, ce qui aura certainement motivé ceux-ci à se retrouver à 17h le 16 octobre 2020 pour livrer Samuel à son bourreau ». Et puis ces professeurs, qui auraient dû « resserrer les rangs » : « Même lorsque le 9 octobre 2020, la vérité éclatera, c’est-à-dire l’absence de la petite menteuse dans le cours incriminé, tout le monde sans exception continuera à propager la calomnie et traitera mon frère en coupable. L’imaginaire s’est donc substitué au réel. »

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Après avoir expliqué que « les abayas, les qamis et même le voile affichent ostensiblement l’appartenance religieuse islamique de ceux qui les portent » et souligné l’inéluctabilité de l’interdiction de l’abaya, Mickaëlle Paty a ensuite alerté sur « les crise des démissions qui continuent de s’aggraver, mettant en évidence une pénurie croissante d’enseignants qualifiés ». De même que leur auto-censure devant « la menace de « se prendre une ‘Samuel Paty’ », « devenue l’arme de toute censure islamique » : « Pour cela, il faut que l’institution endosse les rôles qui lui incombent c’est-à-dire sa capacité à prendre sous sa responsabilité les sujets les plus sensibles. (…) Pourquoi les enseignants prendraient-ils le risque de défendre les valeurs républicaines s’ils ne sont pas assurés d’être protégés et ainsi rassurés. Il faut restaurer une République au comportement ferme sur ses principes, exemplaire et responsable. Alors, on pourra parler d’autorité légitime et ainsi obtenir l’adhésion par respect et non par soumission en infantilisant ou en manipulant le sentiment de peur. »

LES POLITIQUES PASSÉS AU CRIBLE

Parmi les politiques, Mickaëlle Paty a commencé par tancer Jean-Michel Blanquer, dont « la fameuse phrase ‘Il y aura un avant et après Samuel Paty’ n’a pas eu les effets attendus ». Avant d’égratigner son successeur Pap Ndiaye, qui « préfère parler de la culture du signalement afin de minimiser la gravité du phénomène comme si les signalements étaient inéluctables et qu’il faudra bien s’habituer, tout en se refusant d’admettre que le nombre réel d’atteintes à la laïcité est sous-évalué, que nombre de faits ne sont pas signalés et qu’il y a une recrudescence depuis l’attentat de mon frère. » Puis ce fut le tour des responsables au ministère de l’Intérieur. Laurent Nuñez ? « Quelques mois après l’attentat qui a coûté sa vie à mon frère, dans l’émission ‘La fabrique du mensonge’, j’ai pu le voir se féliciter d’avoir triplé les effectifs de Pharos, soit un peu plus de 90 policiers et gendarmes. Cela pourrait passer pour une bonne nouvelle, si les signalements entre 2020 et 2021 n’avaient pas triplé également, ce qui revient donc mathématiquement au même. »

Quant à Gérald Darmanin, il a le tort, selon Mickaëlle Paty, d’avoir estimé en avril 2022 que nul ne pouvait prévoir le passage à l’acte d’Anzarov, habitant à plus de 80 kilomètres du lieu du drame, « qualifiant ainsi de fatalité l’évènement, ajoutant que son ministère n’aurait pas à en rougir, il précisera également je cite : ‘L’État n’a rien à cacher. L’État était au rendez-vous, il l’a protégé et il continue de protéger’ ». Or, rappelle l’infirmière, « les forces de police sont soumises à l’obligation de moyens, obligation en vertu de laquelle les forces de l’ordre doivent déployer tous les efforts pour atteindre l’objectif visé. Visiblement, il y a eu défaut de moyens à moins que l’objectif visé n’ait pas été de sauver mon frère. » Eric Dupont-Moretti en a aussi pris pour son grade. En cause ? Le fait que le ministre de la Justice ait dit, en 2021, que rien n’aurait pu éviter la mort de Samuel : « Que rien n’aurait pu l’éviter, c’est déjà un grand exercice de réécriture des faits. M. le ministre, lui-même ancien avocat au barreau de Paris ne peut nier l’existence d’un puissant arsenal juridique qui aurait pu protéger mon frère s’il avait été appliqué. Le tout n’est pas d’étoffer le code pénal même s’il est effectivement perfectible, mais c’est de restaurer la force de la loi en l’appliquant pour lutter contre la loi de la force. »

LA FAILLITE DU RENSEIGNEMENT

Mickaëlle Paty s’est ensuite attaquée à l’épineux sujet des faillites du renseignement, citant quatre articles de presses sur l’échec du Renseignement territorial des Yvelines, dont un de Marianne du 28 octobre 2020 intitulé « Dans les Yvelines, la grande compromission d’élus avec l’islam radical ». Ce faisant, elle a évoqué le raté des « renseignements territoriaux des Yvelines, dépendant de la Direction Centrale du Renseignement Intérieure, autrement appelé RT 78 » qui « ont rédigé une note, datée du 12 octobre 2020, soulignant que « la communication […] a visiblement permis d’apaiser les tensions » et que « pour l’heure les responsables de la communauté musulmane locale ne se sont pas manifestés » alors que visiblement de son propre aveu, le CIMY (Conseils des Institutions Musulmanes des Yvelines) avait eu connaissance de l’affaire des caricatures, que, je cite, « des démarches amiables avaient eu lieu et que la situation s’était apaisée » et cela avant le 16 octobre. (…) Quels ont été les critères objectifs pour dire que la situation était apaisée ? Ce mot ‘apaisé’ et cette analyse fallacieuse se retrouveront ensuite tels quels dans la note des RT 78 du 12 octobre 2020 et dans le rapport du référent laïcité daté du 12 octobre 2020 (c.f rapport IGESR).»

UNE CONCLUSION POUR RÉVEILLER LES ESPRITS

Mickaëlle Paty a conclu son discours aux sénateurs en expliquant qu’elle en veut à « ces éternels adeptes de l’idéologie du « pas-de-vaguisme », ceux qui sont les premiers à se mettre à genoux et à regarder tomber ceux qui sont restés debout, se murmurant à l’oreille « Ah, tu vois on a bien fait de se coucher ». Dans cette partie géante de ‘1,2,3 soleil’, le maître-mot est « T’as bougé, tu dégages ». Cette pathologie paralysante et tétanisante semble avoir atteint par contagion l’État tout entier. » La culture du « pas-de-vague » ? « Elle sera l’alibi à la soumission, terme injurieux mais surtout inavouable. Pour être capable et coupable du pire, il faut bien se trouver des raisons. Dans ce monde on valorise le sujet obéissant passif parfois lâche et on dénigre en qualifiant de traître le sujet rebelle qui pourtant a agi « comme il convient » au sens de la morale. »

Débat des lecteurs

Elle a été reconnue coupable par la justice à ce jour ? Est-ce que la présomption d’innocence existe toujours dans notre Droit ? Si elle est reconnue …Lire plus

Avant de rendre la parole avec émotion aux sénateurs sur ces mots, historiques et politiques : « Mon frère a été reconnu par certains et à tort coupable de déloyauté. Le coût de sa désobéissance sera qu’il finira seul et que l’État n’honorera pas sa part du contrat social en lui assurant protection. Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n’est plus François-Jean Lefebvre de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C’est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. Combien de temps vous faudra-t-il pour comprendre que la culture de l’alibi soit religieux soit ethnique, est utilisée pour commettre les pires exactions ? Finalement à vouloir éviter discrimination et stigmatisation, cette attitude amalgame et réduit au silence ceux qui pensent, comme mon frère, que je cite, « la vie de l’Homme est le droit le plus sacré ». »

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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