La fusion nucléaire se voit promettre un avenir plus proche que prévu 2030 ?

L’Allemagne veut accélérer sur la fusion nucléaire

Berlin, qui vient pourtant de sortir de l’atome, doit présenter d’ici à la fin juin un plan de soutien renforcé au développement de cette technique, qui promet de révolutionner la production d’énergie décarbonée. 

Par Cécile Boutelet(Berlin, correspondance)Publié hier à 06h03, modifié hier à 08h03

Temps de Lecture 4 min. 

Dans la salle de contrôle de l’expérience de fusion Wendelstein 7-X, à Greifswald, dans le land du Mecklembourg-Poméranie occidentale, en Allemagne, le 13 décembre 2022.
Dans la salle de contrôle de l’expérience de fusion Wendelstein 7-X, à Greifswald, dans le land du Mecklembourg-Poméranie occidentale, en Allemagne, le 13 décembre 2022.  STEFAN SAUER / DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP

L’Allemagne, qui a mis hors réseau, au mois d’avril, sa dernière centrale nucléaire, n’en a peut-être pas terminé avec l’atome. Mais au lieu de recourir à la fission, procédé utilisé dans une centrale atomique, elle place ses espoirs dans une autre technologie : la fusion nucléaire. Cette méthode de production d’énergie théoriquement illimitée, propre, décarbonée et sûre, objet de recherche depuis plus de cinquante ans, vit actuellement un engouement mondial.

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Ce sont 4,8 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) qui ont été investis sur le sujet dans le monde en 2021. Une trentaine de start-up y travaillent, dont les deux tiers se trouvent aux Etats-Unis. L’Allemagne, qui s’estime bien placée sur le sujet, a décidé de jouer ses atouts dans la course.

Lundi 5 juin, le ministère de l’éducation et de la recherche et la Fédération de l’industrie allemande ont tenu un premier symposium dédié à la fusion, qui rassemblait des représentants d’instituts de recherche fondamentale spécialisés, des industriels bien établis comme le groupe Siemens Energy et le spécialiste allemand Trumpf, en pointe sur le laser, ainsi que des « jeunes pousses ».

Ni catastrophe ni déchets de long terme

« La fusion a le potentiel de révolutionner notre approvisionnement énergétique. Nous voulons donner un signal clair que la fusion est souhaitée politiquement en Allemagne », a déclaré la ministre allemande de la recherche, Bettina Stark-Watzinger, membre du parti libéral allemand FDP, traditionnellement plutôt pro-nucléaire. La dirigeante espère faire du pays une nation leader de la fusion.

D’ici à la fin du mois de juin, elle veut présenter une large stratégie, afin d’étoffer les subventions à la recherche-développement sur le secteur. La patience reste de mise : les experts mandatés par le ministère estiment possible d’exploiter une usine pilote « d’ici à 2045 ».

« Ce qui s’est passé lundi est un signe très positif, une telle réunion de tous les acteurs allemands du secteur aurait été impensable il y a encore deux ans, explique au Monde Heike Freund, directrice opérationnelle de la start-up Marvel Fusion. Maintenant, il faut que cela se concrétise rapidement dans un plan de soutien concret, ouvert sur le plan technologique, qui inclut toutes les méthodes de fusion actuellement expérimentées. »

La fusion nucléaire consiste à unir deux noyaux atomiques légers pour en former un seul plus lourd, ce qui libère une énorme quantité d’énergie. C’est la réaction qui se produit à l’intérieur du soleil. Une installation qui parviendrait à domestiquer la fusion nucléaire pour en faire de l’électricité présenterait deux avantages majeurs par rapport à une centrale nucléaire à fission.

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Tout accident du type Fukushima (Japon, 2011) ou Tchernobyl (URSS, 1986), lié à une réaction en chaîne incontrôlée, est exclu ; aucun déchet radioactif à longue durée de vie n’est produit. Précisément les deux obstacles qui ont conduit les Allemands à renoncer définitivement à exploiter l’énergie nucléaire sur leur sol.

Deux grandes techniques et une percée

La promesse d’une utilisation commerciale de la fusion enthousiasme les scientifiques depuis des décennies, mais sa réalisation concrète, très complexe, est sans cesse repoussée. Pourtant, les choses sont peut-être en train de s’accélérer : au mois de décembre 2022, un groupe de recherche du gouvernement américain, le National Ignition Facility (NIF), en Californie, a réussi une percée majeure. Pour la première fois, la quantité d’énergie libérée dans un processus de fusion a été supérieure à celle fournie.

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Cette réussite a suscité un regain d’investissements privés dans le secteur. Deux grandes voies sont actuellement expérimentées pour parvenir à la fusion. Celle utilisée par le NIF est appelée fusion « par confinement inertiel », ou par laser : elle consiste à faire converger des faisceaux de lumière laser vers une microbille contenant un combustible composé de deutérium et de tritium, deux variants atomiques de l’hydrogène.

L’autre, la plus ancienne, est le procédé de fusion dit « par confinement magnétique », qui consiste à chauffer un gaz à 150 millions de degrés Celsius pour créer un plasma, confiné par un champ magnétique. C’est la méthode expérimentée depuis les années 1960 dans des installations appelées tokamak ou stellarator, et favorisée jusqu’ici outre-Rhin.

C’est aussi celle du projet international ITER, développé sur le site français de Cadarache, à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône). En Allemagne, plusieurs start-up travaillent sur la fusion magnétique : Gauss, à Hanau, et Proxima, à Munich, en partenariat avec l’Institut Max-Planck de physique des plasmas, qui exploite le Wendelstein 7-X, le plus grand stellarator du monde. En France, Renaissance Fusion, à Grenoble, mise aussi sur cette méthode.

Enjeu européen

Mais deux autres entreprises, Marvel Fusion, basée à Munich, et Focused Energy, une société américano-allemande basée à Austin (Etats-Unis) et à Darmstadt, croient, elles, que la fusion par laser est une option bien plus réaliste pour obtenir des résultats commerciaux dans un avenir proche, dès les années 2030.

« La fusion par laser a obtenu des résultats significatifs en beaucoup moins de temps et moins d’argent que celle par confinement magnétique, c’est la meilleure approche », estime Hendrik Brandis, cofondateur et partenaire associé du fonds de capital-risque Earlybird, qui a investi dans Marvel Fusion.

La start-up bavaroise développe une méthode originale, expérimentée seulement chez une autre start-up australienne : des lasers à impulsions très courtes et à haute intensité créent une réaction de fusion à partir d’un combustible hydrogène-bore 11.

L’idée est d’obtenir des réactions de fusion plus stables et beaucoup moins coûteuses en énergie. L’entreprise a validé théoriquement la faisabilité de ce procédé et cherche actuellement à lever 200 millions d’euros pour financer la construction d’un site démonstrateur pilote.

Lire aussi :    A Bruxelles, la guerre du nucléaire entre l’Allemagne et la France fait ragePour André Loesekrug-Pietri, président de JEDI, l’Initiative européenne d’innovation de rupture, la démarche allemande est cruciale : « La fusion nucléaire pourrait révolutionner l’énergie, et ce sont les Européens qui ont besoin de radicalement changer la donne. Maintenant, il faut savoir si la fusion peut devenir une vraie initiative européenne, ou bien si la France et l’Allemagne vont rester dans leurs habitudes au sujet de l’atome. » Le risque est de voir, une fois de plus, les Etats-Unis prendre l’avantage sur une technologie de rupture majeure.

Cécile Boutelet(Berlin, correspondance)

Renaissance Fusion redonne de l’espoir à l’industrie nucléaire

Grâce à plusieurs innovations de rupture, la jeune start-up affiche de fortes ambitions pour simplifier et accélérer le déploiement de cette technologie prometteuse pour la transition écologique.

Les Echos Planète

Planète

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Photographie de l’intérieur du système de fusion inertielle du NIF (National Ignition Facility) au Lawrence Livermore National Laboratory à Livermore, en Californie. (Damien Jemison/Lawrence Livermore National Laboratory/AFP)

Par Pierre Fortin

Publié le 24 janv. 2023 à 9:00 https://www.lesechos.fr/weekend/planete/renaissance-fusion-redonne-de-lespoir-a-lindustrie-nucleaire-1915214

Un pas en avant, un pas en arrière. Les partisans de la fusion nucléaire ne savent plus sur quel pied danser. En novembre dernier, leur enthousiasme a été douché par l’annonce d’un retard d’au moins cinq ans dans la fabrication du réacteur expérimental Iter, un projet international situé à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Quelques semaines plus tard, cependant, leur sourire revient lorsque le centre de recherche public National Ignition Facility (NIF), situé aux Etats-Unis, réussit pour la première fois à produire, grâce à la technologie de la fusion, plus d’énergie que n’en ont injectée les 192 faisceaux laser dans le plasma où se déroule la réaction. Une avancée majeure, tempérée cependant par la gourmandise de ces lasers qui ont nécessité, eux, pour fonctionner, presque cent fois plus d’électricité qu’il n’en a été produit au final.

L’administrateur adjoint des programmes de défense de la National Nuclear Security Administration, le Dr Marvin Adams, tient un cylindre alors qu’il explique la percée dans la recherche sur la fusion lors d’une conférence de presse au siège du ministère de l’Énergie le 13 décembre 2022 à Washington. Crédit : Chip Somodevilla/Getty Images/AFP

Il faut dire que les espoirs suscités par la fusion nucléaire, depuis les années 1930, sont à la hauteur du potentiel de cette technologie. Elle repose sur une réaction physique similaire à celle du soleil ou d’autres étoiles, à savoir la fusion de noyaux légers, souvent du deutérium et du tritium, pour créer un élément plus lourd. Le processus libère alors de l’énergie. Une approche différente du procédé au cœur de toutes les centrales nucléaires actuelles, la fission, laquelle consiste, au contraire, à casser des gros noyaux d’uranium pour former des éléments plus petits. La fusion nucléaire promet ainsi de conserver les avantages de la fission – électricité décarbonée, pilotable et non intermittente – sans en garder les principaux inconvénients : aucun risque de réactions en chaîne dévastatrices, ni déchets radioactifs pendant des centaines de milliers d’années, sans même parler de l’abondance dans la nature de l’un des deux éléments nécessaires, le deutérium.

Mais beaucoup reste encore à faire. Pour forcer le mariage entre ces molécules, elles doivent baigner dans un plasma chauffé à près de 150 millions de degrés – bien plus que le soleil ! – afin de garantir la continuité de la réaction«Les défis sont encore nombreux, énumère Simon Belka, chef de projet chez Renaissance Fusion, une start-up française engagée dans la construction d’un réacteur à fusion. Il faut trouver les bons matériaux pour résister à ces températures très élevées, il faut réduire la taille et le prix des réacteurs et, surtout, il faut démontrer qu’on peut produire beaucoup plus d’énergie que l’on n’en injecte dans le plasma pour le chauffer, en incluant le fonctionnement de l’installation. » Pour le moment aucune des deux technologies majoritaires aujourd’hui, le confinement inertiel expérimenté au sein du NIF ou le confinement magnétique utilisé par Iter, de type « tokamak », ne parviennent à surmonter ces défis. Pour tenter de les résoudre, Renaissance Fusion s’est engagée dans une troisième voie.

Fondée en 2019 à Grenoble, la start-up repose sur les travaux de son président-fondateur, le physicien italien Francesco Volpe«Pendant vingt-cinq ans, il a pu expérimenter les différents dispositifs de la fusion nucléaire et faire son choix, raconte Simon Belka. Le “stellarator” lui a semblé le plus adapté pour une production commerciale de l’énergie de fusion. »

Francesco Volpe, fondateur, PDG et directeur technique de Renaissance Fusion entouré de Simon Belka (chef de projet, à droite) et Diego Cammarano (directeur des opérations). Crédit : Renaissance Fusion

Sous ce nom barbare et un brin futuriste, cette technologie ressemble en certains points à celle du confinement magnétique de type tokamak utilisée par Iter. Dans les deux cas, le plasma est piégé à l’intérieur d’un champ magnétique qui l’isole des parois du réacteur afin de les protéger. Toute la structure peut ainsi être imaginée comme un gros beignet, tapissé d’aimants supraconducteurs pour créer le champ magnétique et faire circuler en son cœur le plasma.

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Mais le tokamak présente plusieurs difficultés : « Le tokamak est intrinsèquement pulsé : sa production d’énergie est intermittente. Il produit la fusion pendant quelques minutes, explique Simon Belka. En outre, le courant qui circule à l’intérieur du plasma génère de l’instabilité et des disruptions, des faisceaux d’électrons peuvent apparaître, heurter et endommager les parois du réacteur. »

Autant de problèmes que peut résoudre le principe du stellarator. En employant des aimants de formes complexes, le plasma peut ainsi théoriquement circuler en continu et la réaction ne pas s’interrompre. Une avancée majeure par rapport aux technologies aux lasers ou au tokamak. Mais, jusqu’à présent et tel qu’il avait été par exemple testé en Allemagne, le stellarator était, de par ses aimants biscornus, très difficile à concevoir et à construire.

Plus petit, moins cher

Renaissance Fusion a mis au point deux technologies, protégées par une batterie de brevets, pour surmonter ces obstacles. La première est de faire graver grâce à un laser, directement sur l’enceinte du réacteur, les aimants à formes complexes. Ainsi, nul besoin de donner une forme compliquée à la structure et la présence de ces aimants permet d’assurer un processus continu.

La seconde repose sur la conception de parois à métal liquide à l’intérieur du réacteur, circulant grâce à un champ magnétique. « Cela nous donne plusieurs avantages, indique Simon Belka. Le lithium liquide protège les parois solides du réacteur, absorbe bien mieux les neutrons, guide la chaleur produite par la fusion vers le circuit secondaire et la turbine produisant de l’électricité et, enfin, en réagissant avec le plasma, il crée du tritium nécessaire à l’opération. »

Séance de travail chez Renaissance Fusion. Crédit : Renaissance Fusion

En outre, en utilisant une nouvelle génération de matériaux supraconducteurs, Renaissance Fusion permet la construction de réacteurs à fusion quatre à cinq fois plus petits que ceux actuellement en projet, et donc moins chers. Enfin, la continuité du processus assuré par les aimants à formes complexes permet d’éliminer les instabilités dans la réaction et d’envoyer l’électricité en majorité vers le réseau plutôt que d’être réutilisée pour l’entretien de la fusion. Résultat, la start-up annonce la production d’électricité à un coût estimé entre 40 euros et 80 euros le MWh, soit entre le solaire et le nucléaire à fission de nouvelle génération. Reste maintenant à mettre la théorie en pratique.

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Un premier réacteur d’ici dix ans

D’ici 2024, Renaissance Fusion compte finaliser l’ingénierie de ses deux technologies phares, la gravure des aimants supraconducteurs et sa paroi en métal liquide, afin de pouvoir lancer la fabrication et, surtout, leur commercialisation au sein de secteurs où elles présentent une réelle plus-value, comme l’imagerie médicale, le stockage d’énergie ou les accélérateurs de particules. «Pour cette première étape, nous avons bouclé une levée de fonds de plusieurs millions d’euros, auprès d’investisseurs privés, ce qui nous permet de nous financer en grande partie», fait savoir Simon Belka, sans révéler le montant de l’opération. L’équipe de la société devrait ainsi s’étoffer, en passant de 23 salariés à une soixantaine l’an prochain.

Une fois ces preuves de concept réalisées et la commercialisation lancée, la start-up s’attellera à la construction d’un premier réacteur expérimental afin de démontrer notamment qu’il est capable de produire plus d’énergie qu’il n’en requiert. Enfin, au début de la décennie 2030, elle devrait inaugurer son premier réacteur d’une puissance de 1 GW capable d’injecter de l’électricité dans le réseau.

« Par rapport aux grands projets publics internationaux, les start-up offrent une alternative intéressante : nous apportons des idées nouvelles, prenons plus de risques pour créer des ruptures et sommes moins dépendants des financements publics. Les deux sont complémentaires, je suis convaincu que l’avènement de la fusion passera par des partenariats public-privé», assure Simon Belka. Une nouvelle perspective pour espérer que la capture du soleil en boîte ne soit pas seulement un rêve d’Icare.

Pierre Fortin

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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