Climat : « Pour éviter les pénuries d’eau douce en milieu urbanisé, il existe des solutions alternatives »
Tribune
Si le « petit cycle de l’eau », qui va du point de captage à son rejet, a permis un accès à l’eau potable et à l’assainissement en milieu urbain, quatre chercheurs en traitement de l’eau affirment, dans une tribune au « Monde », que ce schéma paraît obsolète dans un contexte de pression accrue sur cette ressource.
Publié le 22 mai 2023 à 18h30, modifié le 23 mai 2023 à 12h31 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/22/climat-pour-eviter-les-penuries-d-eau-douce-en-milieu-urbanise-il-existe-des-solutions-alternatives_6174379_3232.html
Temps de Lecture 4 min.
Le cycle anthropique de l’eau, ou « petit cycle de l’eau », désigne le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou de la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Ce chemin est composé des étapes suivantes : le prélèvement d’eau brute, la potabilisation de l’eau dans des usines spécifiques, le stockage de l’eau potable dans des réservoirs ou châteaux d’eau, la distribution de l’eau potable à tous les usagers à travers les réseaux d’eau, la collecte des eaux usées par des réseaux unitaires (eaux usées et eaux pluviales collectées ensemble) ou séparatifs (avec un réseau réservé aux eaux usées et un autre pour les eaux pluviales), le traitement des eaux usées dans les stations d’épuration (l’assainissement collectif, qui concerne 85 % des usagers) et, enfin, le rejet dans le milieu naturel.
Lire aussi : « Ne réduisons pas la question de l’eau au débat sur les mégabassines »
Ces dernières décennies, ce « petit cycle de l’eau » a répondu efficacement à des enjeux de santé publique, puisque l’accès à de l’eau potable saine prévient un grand nombre de maladies. De plus, le traitement des eaux usées permet de limiter la dégradation du milieu récepteur et de préserver la biodiversité. Néanmoins, ce système est-il encore pertinent quand la ressource en eau se raréfie et que les enjeux deviennent multiples ? Contrairement au grand cycle de l’eau, le « petit cycle de l’eau » est plutôt appréhendé jusqu’à maintenant comme un système linéaire où chaque étape se succède jusqu’au milieu récepteur. Repenser ce cycle de l’eau avec des enjeux de circularités, en adoptant les principes de l’économie circulaire, apparaît aujourd’hui comme une nécessité.
En milieu urbanisé, la distribution d’eau potable et les flux occasionnels d’eaux de pluie peuvent être considérés comme les deux seuls flux entrants de ce « petit cycle de l’eau ». Les flux sortants sont les eaux usées urbaines traitées et les eaux de ruissellement. Repenser le schéma actuel nécessite de remettre en questions ces flux, notamment en optimisant la gestion des « bassins de stockage » utilisés pour réguler la circulation de ces flux dans la zone urbaine et périurbaine. Les eaux usées urbaines − en moyenne 150 litres par habitant et par jour en France métropolitaine − représentent environ 4 milliards de mètres cubes d’eau par an pour la France métropolitaine, quantité supérieure aux besoins d’irrigation agricole sur le territoire métropolitain. La réutilisation de ces eaux usées urbaines − qui ont des salinités relativement faibles et des besoins de traitement limités, donc peu énergivores, pour en faire des eaux de qualité d’usage défini − présente de nombreux avantages par rapport à celle des eaux saumâtres et marines.
Réutilisation des eaux grises
Dans la plupart des cas, les traitements que subissent les eaux usées sont suffisants pour rendre les eaux traitées conformes à des usages divers comme le maintien d’un flux minimal dans un cours d’eau en période d’étiage, une ressource pour l’irrigation d’espaces verts ou de plantations agricoles (vigne, vergers, jardins maraîchers…), le lavage de sols… Ces usages sont déjà largement répandus dans d’autres pays européens, et du Moyen-Orient jusqu’à l’Asie. Le manque d’eau douce a même déjà obligé à définir des systèmes de traitement complémentaires pour transformer ces eaux usées traitées en eau potable (Singapour et la Namibie, notamment), jusqu’à produire, à des coûts moindres qu’un dessalement, des eaux ultra-pures destinées à des industries spécifiques (microélectroniques ou pharmacies, par exemple).
Lire aussi la tribune : Sécheresse : « La réutilisation des eaux usées ne peut pas résoudre à elle seule le problème »
En outre, la réutilisation des eaux grises (eaux de douche, lavabo, lave-linge…) dans les bâtiments publics et les logements collectifs est une autre voie d’économie de la ressource en eau, encore très rare en France. A titre d’exemple, au Japon, cette pratique est encouragée par le gouvernement depuis les années 1990 afin de pallier les pénuries d’eau et de réduire la pression sur les nappes phréatiques. Les bâtiments japonais utilisent ainsi les eaux grises pour alimenter les toilettes, les lavabos, les machines à laver, etc.
La gestion des eaux pluviales est classiquement assurée en France par des réseaux séparatifs et par des réseaux unitaires, environ à proportion égale. A l’heure où la ressource en eau se raréfie, la gestion de ces eaux, généralement plus faiblement contaminées que les eaux usées, doit interroger.
Améliorer la valorisation des eaux pluviales
Plusieurs axes de développement sont à envisager. Le premier consiste à diminuer la proportion de réseaux unitaires au profit des réseaux séparatifs afin d’améliorer la valorisation des eaux pluviales. Le second, qui doit se développer en parallèle, est de repenser la gestion des eaux pluviales au regard des enjeux liés à la désimperméabilisation des villes. Cela doit passer par l’essor des solutions fondées sur la nature pour gérer les eaux de ruissellement au plus près de leur point de chute (noues, fossés, etc.) ou de manière plus centralisée (bassin de rétention ou d’infiltration) pour améliorer la recharge de nappe. L’avantage de ce type d’ouvrage est aussi de lutter efficacement contre les problèmes d’inondation en désengorgeant le réseau et en permettant l’infiltration des eaux.
Lire aussi : « La sécheresse nous rappelle que l’eau douce est un bien précieux, même en France »
Si le « petit cycle de l’eau » dans sa version actuelle a permis un accès à l’eau potable et à l’assainissement en milieu urbain, il paraît cependant obsolète dans un contexte de changement climatique et de pression accrue sur la ressource en eau. Il existe des solutions alternatives comme la gestion intégrée des eaux pluviales et la réutilisation des eaux usées traitées, pour limiter, voire éviter les pénuries d’eau douce en milieu urbanisé, et donc minimiser les conflits d’usage, tout en préservant les ressources conventionnelles. Elles nécessitent sans doute un regard neuf à tous les niveaux décisionnels dans le cadre de la gestion intégrée de la ressource en eau avant d’envisager des solutions plus drastiques (coupure d’eau et conflits d’usages associés). Il est urgent et nécessaire de repenser la gestion de l’eau dans nos villes.
Mathieu Gautier, maître de conférences à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon, mène des recherches en géochimie des milieux anthropisés au laboratoire DEEP (déchets eaux environnement pollutions) ; Alain Grasmick, professeur retraité de Polytech Montpellier, spécialiste en procédés de traitement des eaux ; Julie Mendret,maître de conférences à l’université de Montpellier, mène ses recherches à l’Institut européen des membranes et enseigne à Polytech Montpellier ; Michel Roustan, professeur émérite de génie des procédés à l’INSA de Toulouse. Ses recherches portent sur les procédés innovants du traitement des eaux à potabiliser et des eaux usées. Il est un des vice-présidents de l’International Ozone Association (groupe Europe-Afrique-Asie-Australie).