La réintégration lundi des soignants non-vaccinés consacre l’échec de Santé publique en France et la catastrophe qu’a entraîné la politisation à outrance de la pandémie (Christian Lehmann) – Réponse de F. Pierru sociologue

Journal d’épidémie

Le fantasme débile du soignant vacciné contre le Covid inféodé à Big Pharma

Journal d’épidémie, par Christian Lehmann

Santé 21 mai 2023 abonnés

https://www.liberation.fr/societe/sante/le-fantasme-debile-du-soignant-vaccine-contre-le-covid-infeode-a-big-pharma-20230516_2OCE3PLTKJFA7OQR7DL4VBOSXM/

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société longtemps traversée par le coronavirus. La réintégration lundi des soignants non-vaccinés consacre l’échec de Santé publique en France et la catastrophe qu’a entraîné la politisation à outrance de la pandémie.

Les mensonges réitérés et jamais admis du gouvernement sur la pénurie d’équipements de protection des soignants, le refus de prendre en compte la transmission par aérosol… tout ceci a fait le terreau de la défiance. (Albert Facelly/Libération)

par Christian Lehmann, médecin et écrivain

publié le 16 mai 2023 à 15h43

La réintégration des personnels soignants non-vaccinés lundi 15 mai sera saluée par celles et ceux qui en ont fait le combat d’une vie, de Caroline Fiat à Florian Philippot. Elle a un goût de revanche, parfois bien amer, pour les principaux intéressés, dont un nombre non négligeable se sont éloignés du soin. Elle inquiète et consterne de nombreux soignants vaccinés, des patients aussi. Mais avant tout, elle consacre l’échec de Santé publique en France et la catastrophe qu’a entraîné la politisation à outrance de la pandémie.

Il faut écouter les suspendus, ne serait-ce que pour tenter de saisir les étapes qui les ont attirés au fond du labyrinthe du lapin blanc. Ainsi, dans Libération lundi, David, ambulancier du Samu, qui déclare : «Ces personnes croient en la médecine, mais elles ne croient pas dans les politiques.» La phrase est factuellement fausse, mais elle interpelle, dans la mesure où c’est la défiance envers les politiques qui semble amener à douter, par exemple, du vaccin ou des mesures-barrière voire, pour certains parmi les plus atteints, de l’existence du virus. Mais restons sur cette affirmation : «Elles ne croient pas dans les politiques.» Bien que vaccinés, on a envie de leur dire : «Mais nous non plus, on ne croit pas dans les politiques… seulement cela n’a rien à voir…»

Rodomontades ridicules

Combien de gens ont, dès le départ, fait le lien entre les restrictions sanitaires et les tendances liberticides du gouvernement, entre le Covid et Emmanuel Macron (qui un temps fut adoubé par certains comme «le vrai virus») ? Les hésitations initiales, compréhensibles et inévitables, sur le mode de transmission de Sars-Cov-2, sur la durée d’incubation du virus, la période de contamination, amenèrent dans l’urgence et la panique confiner les populations, à isoler les pensionnaires des Ehpad, à dénuer certaines fins de vie de toute humanité. Les mensonges réitérés et jamais admis du gouvernement sur la pénurie d’équipements de protection des soignants, le refus de prendre en compte la transmission par aérosol, le jeu dangereux de nombreux politiques avec un gourou marseillais grisé par le pouvoir qu’il exerçait sur une population terrorisée à qui il offrait, du haut de sa munificence, une solution simple, évidente et fausse, tout ceci a fait le terreau de la défiance. Défiance encore aggravée, alors qu’arrivait le vaccin, par des postures médiatiques ridicules quand, dans l’attente de la communication des premiers éléments scientifiques sur l’efficacité vaccinale, au début de l’hiver 2020, certains éditorialistes de plateau et députés LREM fustigeaient une population qui, au vu du peu d’information dont elle disposait, attendait de se faire une opinion. A les croire, pour bien faire, il aurait fallu que des Français à qui on avait expliqué qu’il fallait se méfier des effets d’annonce et des pseudo-traitements miraculeux, se ruent sur des vaccins dont les résultats des études de mise sur le marché n’étaient pas encore publiés ou évalués par la communauté scientifique. Cerise sur le gâteau, les rodomontades ridicules d’un président s’enorgueillissant«d’emmerder les non-vaccinés».

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La défiance préexistante envers Emmanuel Macron de nombreux intellectuels de gauche a fait le terreau d’une défiance envers la médecine, et particulièrement envers le vaccin, parce que son déploiement nécessitait une mise en œuvre à l’échelon national, et fut accompagnée de mesures cherchant à obtenir une traçabilité exacte de l’état vaccinal des populations. De nombreux penseurs de gauche, Laurent Mucchielli, Barbara Stiegler, Frédéric Pierru, se trouvèrent dans l’incapacité de saisir en quoi l’irruption du biologique, la réalité de la pandémie, constituait un changement de paradigme. Il aurait été possible de continuer à lutter contre la politique autoritariste néolibérale d’Emmanuel Macron, son déni et son mépris du peuple, sans abandonner une politique de santé communautaire destinée à protéger l’ensemble de la population, y compris les plus faibles économiquement, les plus vulnérables médicalement, sans se rassurer faussement en considérant que pour une partie de la population, les plus jeunes, les plus sains, Sars-Cov-2 ne présentait aucun risque.

Aucune contradiction

C’est pourtant ce qu’on lit, aujourd’hui encore, sous la plume de Frédéric Pierru, sociologue du CNRS proche de LFI qu’on connut plus inspiré quand il luttait pour un accès aux soins égalitaire, qui ayant recueilli des centaines de témoignages de non-vaccinés affirmait dans Marianne en juillet 2022 : «Les soignants suspendus n’étaient pas d’affreux individualistes égoïstes. On l’est difficilement quand on est soignant, ou alors on s’est trompé de métier. Ils ont fait face à l’épidémie avec tout leur dévouement mais ils n’ont pas été convaincus par le vaccin à ARN messager, présenté d’abord comme non obligatoire et comme solution magique à la pandémie, avant que ne soient imposées aux soignants une, puis deux, puis trois, bientôt, quatre doses.» Ils auraient même «risqué leur métier pour des convictions le plus souvent médicales», poursuivait celui qui aujourd’hui dans Libération explique au sujet des réfractaires, «très massivement des femmes… la plupart sont aides- soignantes, infirmières, et employées dans le secteur médico-social» «Ces femmes âgées en moyenne d’une trentaine d’années avaient compris n’avoir pas grand-chose à craindre du virus.» Le reste de la diatribe, sur les bénéfices limités du vaccin, en termes de protection comme de transmission, sur les effets indésirables, montre l’adhésion du chercheur aux thèses de celles qu’il a écoutées. Aucune contradiction, aucun rappel du fait qu’une femme «âgée en moyenne d’une trentaine d’années» peut mourir du Covid, ou être lourdement handicapée par un Covid long. Aucun rappel du fait que, même si hélas les variants Omicron ont significativement contourné la protection vaccinale contre la transmission, la vaccination diminue significativement, aujourd’hui encore, la transmission du Sars- Cov-2, et le risque d’hospitalisation et de décès.

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Enfin, s’agissant de personnels soignants au contact quotidien de malades et de patients en état de vulnérabilité, la nécessité morale, éthique, professionnelle, de tout mettre en œuvre pour limiter le risque de contaminer ces patients, est systématiquement passée sous silence au prétexte que l’Etat lui-même, au pire de la pandémie, s’en était exonéré en poussant des soignants infectés à venir travailler quand même, ou n’avait pas suspendu les soignants non vaccinés aux Antilles, du fait de leur grand nombre. Puisque le gouvernement ne protège pas la population, emboîtons- lui le pas ! «Le soignant croquemitaine antivax est un fantasme», ose Frédéric Pierru, affirmant en dépit du bon sens que seule la technique ARN messager inquiétait légitimement ces soignants, quand des vaccins de technologie plus traditionnelle sont disponibles depuis deux ans maintenant… Alors même que dans Libération, Jacinthe, une aide- soignante non vaccinée de 47 ans en voie de réintégration, explique intégrer bientôt une formation de naturopathe et vouloir convaincre d’autres collègues : «Je n’ai plus confiance dans la médecine. Avec les médicaments et les antibiotiques, ça va être compliqué», le seul vrai fantasme de croquemitaine est celui que véhiculait Frédéric Pierru dans Marianne au sujet des soignants qui ont suivi un principe sanitaire de base, la protection des patients dont ils ont la charge : «On en arrive à des soignants déshumanisés, transformés en objets dociles, dépouillés de leur conscience, de leur libre-arbitre et de leur responsabilité.» Ce fantasme débile du soignant vacciné donc forcément inféodé à Big Pharma et au pouvoir politique est une ignominie, quand dans un pays comme le Brésil, des soignants fervents de santé communautaire et des militants réellement de gauche ont affronté au péril de leur vie un pouvoir authentiquement fascisant, pour avoir accès au vaccin. Mais on a les Jean Moulin qu’on peut.

Commentaires Frédéric Pierru:

Voici ma réponse : 

« Cher Christian,

J’espère que tu vas bien. 

J’ai vu que tu m’avais refait le portrait dans Libé. 

C’est étrange ce tropisme des médecins à attaquer les personnes. Jamais je n’aurais répondu sur ce ton : par exemple rappeler que tu es pour augmenter les médecins de 100 000 euros par an dans une France qui s’appauvrit (bonjour l’égalité d’accès aux soins pour tous !). Tu es d’une intransigeance sans faille pour des soignantes dans la merde, mais le corporatisme, voire une forme de poujadisme, te sont beaucoup plus supportables. 

Je crains hélas que tu ne sois passé à côté des résultats de l’enquête et du contexte. 1 / Je ne suis plus proche de LFI et depuis longtemps. J’en suis parti en 2018. LFI a été créée en… 2017. 

2 / Je suis vacciné trois doses. J’ai même écrit un article en Une du Diplo appelant à lever les brevets sur les vaccins anti-covid-19 (cf. PJ). Difficile d’être plus à côté de la plaque ! L’honnêteté intellectuelle minimale eût été de le signaler. 
3 / J’ose te renvoyer à l’avis motivé de la HAS levant l’obligation vaccinale : ce sont ceux qui refusent la réintégration qui sont des anti-science. 
4 / Ces soignantes sont soignantes et donc vaccinées… Certainement plus que la moyenne de la population. Beaucoup ont elle-même vacciné. 
5 / La suspension sans traitement, sans droit à la retraite, sans le droit à exercer une autre activité pro est pour moi inconstitutionnelle. 
6 / UN exemple ne fait pas une démonstration : par contre près de 500 témoignages, si. 
7 / Figure-toi que lorque j’ai commencé cette enquête, j’étais persuadé de rencontrer des antivax rabiques : c’est l’enquête qui m’a imposé ces résultats. 
8 / Ces soignantes auraient pu souvent tricher, comme nombre de leurs collègues que tu encensent : elles ne l’ont pas fait. 
9 / Tu te focalises sur le papier dans Marianne, car une enquête sociologique qui m’a demandé des mois est plus difficilement attaquable. Je n’ai pas « inventé » ce que j’ai écrit mais restitué des résultats. C’est juste mon boulot (je ne suis pas là pour donner mon opinion).  10 / 86% des soignants ne sont plus immunisés, faute de 4ème dose. Tu es donc pour les virer ? 

Pour faire court, je trouve la position des opposants à la réintégration d’une faiblesse insigne. Scientifiquement et humainement, voire juridiquement (je rappelle que le « droit au travail » est inscrit dans le préambule de la Constitution*), c’est indéfendable.  

Comme dit Emmanuel Todd, et la réforme des retraites l’a encore montré, le bloc bourgeois est désormais dans la « pédagogie de la soumission ». 

Ces soignantes ont refusé de s’agenouiller devant le pouvoir médical et on leur fait payer. Cher. Très cher. 

Je te conseille cette lecture ; ça n’a pas pris une ride. « Fusillés pour l’exemple ! « 

F

Voir aussi:

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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