Il y a bien un lien entre une consommation forte de canabis et le trouble schizophrénique.

Schizophrénie liée au cannabis : les jeunes hommes sont les plus vulnérables

Une vaste étude danoise montre le lien entre une consommation forte et le trouble schizophrénique. La hausse de la teneur en THC, le principe actif du chanvre, dans les produits en circulation inquiète d’autant plus que les usagers débutent tôt. 

Par Pascale SantiPublié le 24 mai 2023 à 06h00, modifié le 24 mai 2023 à 09h48 https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/05/24/schizophrenie-liee-au-cannabis-les-jeunes-hommes-sont-les-plus-vulnerables_6174570_1650684.html

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Un jeune fumant un joint, lors de la Cannaparade, manifestation en faveur de la légalisation du cannabis, à Paris, le 12 mai 2018.
Un jeune fumant un joint, lors de la Cannaparade, manifestation en faveur de la légalisation du cannabis, à Paris, le 12 mai 2018.  BENJAMIN MENGELLE/HANS LUCAS VIA AFP

Le lien entre cannabis et schizophrénie a toujours fait couler beaucoup d’encre. Dès le XIXe siècle, il a été montré que le cannabis pouvait déclencher des épisodes délirants. Le psychiatre Jacques-Joseph Moreau (1804-1884) a même étudié les effets de l’aliénation mentale engendrée par l’absorption de haschisch.

Une étude publiée le 4 mai dans la revue Psychological Medicine confirme que la consommation abusive de cannabis augmente le risque de schizophrénie, surtout chez les jeunes hommes. Pour ce faire, des scientifiques des services de santé mentale du Danemark et de l’institut de recherche américain sur les addictions, le National Institute on Drug Abuse, ont examiné les dossiers médicaux de près de 7 millions de Danois âgés de 16 à 49 ans, de 1972 à 2021.

Très différente d’une personne à l’autre, la schizophrénie, pathologie complexe qui se traduit par une perception perturbée de la réalité, touche environ 1 % de la population. Les symptômes sont très variables – repli sur soi, délires, hallucinations, troubles cognitifs…

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Les chercheurs confirment que plus la consommation est précoce et fréquente, plus le risque est grand. Certes, ce travail ne fournit pas la preuve irréfutable du lien entre cannabis et schizophrénie. Mais ils observent que la consommation de cannabis a fortement augmenté au Danemark ainsi que sa teneur en THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), principe actif, passée de 13 % en 2006 à 30 % en 2016, de même que le nombre de diagnostics de schizophrénie chez les hommes.

Ils ont relevé 45 327 cas de schizophrénie au total. En isolant les consommateurs de cannabis, il ressort que 15 % des cas de schizophrénie auraient pu être évités chez les hommes âgés de 16 à 49 ans, et 4 % chez les femmes de 16 à 49 ans, et jusqu’à 30 % chez les hommes de 21 à 30 ans.

« Période de vulnérabilité de 13 à 16 ans »

« Cette étude danoise est robuste et réalisée par une équipe très solide. Elle montre que les jeunes hommes semblent les plus vulnérables. Elle conforte d’autres travaux qui ont montré une très forte corrélation entre les usages du cannabis et la présence de troubles psychotiques », souligne le psychiatre Jean-Michel Delile, président de Fédération Addiction.

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Ainsi, une étude suédoise portant sur 45 000 conscrits, publiée dans The Lancet en 1987, mettait en évidence que plus les jeunes avaient utilisé du cannabis avant d’entrer dans l’armée, plus le risque de développer un trouble psychotique était grand. De même, une étude conduite sur une cohorte de Nouvelle-Zélande en 2002 a montré que les sujets ayant consommé du cannabis en quantité relativement importante et qui, surtout, avaient commencé avant l’âge de 15 ans, présentaient un risque nettement accru de trouble psychotique : multiplié par trois pour les usagers réguliers et par dix pour ceux qui avaient utilisé du cannabis avant 15 ans. La consommation de cannabis précédant l’apparition des symptômes psychotiques et non l’inverse, rappelle Jean-Michel Delile, dans un article publié dans la revue Psychotropes en 2022.

« La poursuite d’un usage de cannabis par une personne ayant un trouble psychotique lui fait courir le risque de présenter plus d’épisodes délirants, de devoir être plus souvent et plus longuement hospitalisée en psychiatrie, et d’idées suicidaires accrues », précise le psychiatre.

« L’étude danoise montre par l’épidémiologie qu’il existe une période à risque, de vulnérabilité, pour les garçons de 13 à 16 ans », observe Jean-Luc Martinot, pédopsychiatre responsable de l’unité de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) intitulée Trajectoires développementales et psychiatrie (Ecole normale supérieure Paris-Saclay, université Paris-Saclay). « La maturation du cerveau est plus tardive chez le garçon que chez la fille, en termes de structure de la matière grise et de la microstructure de substance blanche », ajoute-t-il. Durant la période de l’adolescence, les circuits du cortex préfrontal – connu pour son implication dans les processus cognitifs complexes, le langage, le raisonnement… – subissent d’importants remaniements, le cerveau est extrêmement plastique et sa vitesse de développement considérable.

Circuits cérébraux altérés

Pour mémoire, le THC du cannabis agit sur les récepteurs cannabinoïdes, qui jouent un rôle important dans la maturation cérébrale. Ce principe actif agirait au niveau des zones du cerveau impliquées dans les pathologies psychiatriques, et particulièrement dans les régions où la plasticité est importante à l’adolescence, indique l’Inserm. Le cannabis peut altérer certains circuits cérébraux importants dans la cognition, la réflexion et la régulation des émotions, d’où des répercussions sur le plan scolaire, des relations, des troubles anxieux. S’il est souvent utilisé initialement en contexte festif, c’est un facteur aggravant d’isolement, de retrait lorsque la consommation devient régulière.

« Le cannabis est l’un des facteurs de risque les plus importants de développer un trouble schizophrénique, les autres facteurs étant une prédisposition génétique ou familiale, l’existence de symptômes atténués », insiste la psychiatre Marie-Odile Krebs (Inserm, université Paris Cité), cheffe de pôle au GHU Paris Sainte-Anne. Elle fait le parallèle avec le tabac et le cancer du poumon.

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La consommation de substances n’a pas les mêmes effets pour tous. « Les mauvaises expériences (épisodes paranoïaques, hallucinations auditives ou visuelles, crises d’angoisse, syndromes de dépersonnalisation, désorganisation de la pensée, etc.), lors des premières expérimentations avec le cannabis, peuvent être prédictives d’un risque d’évolution accru vers un trouble psychotique », explique la psychiatre. Dans tous les cas, « il importe donc d’avoir une action de repérage précoce et d’accès aux soins, de mieux informer le grand public, les professionnels de première ligne, soignants ou non », souligne-t-elle.

« Faire de la prévention adaptée »

« Dès qu’un jeune qui consomme commence à avoir des symptômes, à changer de comportement, il faut agir sur ses consommations », plaide Marie-Odile Krebs. D’autant plus que, lorsqu’ils réduisent la consommation de cannabis, ils vont plutôt mieux. C’est un cercle vertueux. « Dans certaines situations, la prise en charge précoce va vraiment limiter le handicap et les effets collatéraux sur la scolarité, les autres prises de risques… », ajoute-t-elle. Certaines pratiques, comme le sport, l’alimentation équilibrée, un bon sommeil ou la gestion du stress, protègent de la survenue de troubles psychiatriques. C’est la psychoéducation.

« Il faut faire de la prévention adaptée, prenant en compte les périodes physiologiques, en particulier chez les jeunes garçons, et les facteurs de risque individuels », précise Jean-Luc Martinot. Selon lui, « les messages de prévention universels ne fonctionnent pas bien ».

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« Alors que le mouvement actuel tend vers une dépénalisation, le trouble de l’usage du cannabis chez des jeunes, notamment des très jeunes, ne doit surtout pas être banalisé », prévient Jean-Michel Delile. Il faudrait, selon lui, être ferme sur l’interdiction aux mineurs et le plafonnement des teneurs en THC. Point positif, la consommation de cannabis chez les jeunes diminue en France depuis une bonne dizaine d’années, selon la dernière enquête Escapad de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Il n’est jamais trop tard pour arrêter.

Pascale Santi

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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