Les citoyens sont invités à préserver un système de santé malade alors que c’est au système de s’adapter aux besoins des Français pour leur meilleure santé possible

« Ce n’est pas aux malades de soulager le système de santé, c’est l’inverse »

Tribune

Thierry Lang Professeur de santé publique

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/18/ce-n-est-pas-aux-malades-de-soulager-le-systeme-de-sante-c-est-l-inverse_6170038_3232.html

La nécessaire remise à plat du système de santé ne doit pas se limiter au seul secteur public, alors que de grandes manœuvres agitent le secteur privé de la santé, affirme le professeur de santé publique Thierry Lang, dans une tribune au « Monde ».

Publié hier à 15h00  Temps de Lecture 3 min. 

Depuis 2020, un curieux sophisme s’est installé dans le paysage médiatique qui, par sa répétition, semble avoir perdu toute capacité d’étonner. Confinements, comportements de prévention, masques, vaccination ne semblent avoir qu’un but : préserver l’hôpital. Cet objectif s’accompagne de bulletins de santé réguliers pour un hôpital qu’il s’agit de « soulager » et dont on se demande s’il va « tenir ».

Le temps n’est pas si loin où le raisonnement était inverse. Au lieu de développer prévention et soins pour ménager le système de santé, la question était de mesurer les besoins de santé de la population pour définir les budgets nécessaires, la répartition et le dimensionnement des structures sanitaires. En d’autres termes, l’objectif recherché n’était pas d’adapter l’état de santé des citoyens au système, mais leur meilleure santé possible.

Cette nouvelle façon de penser, inversant les valeurs, s’est installée progressivement. Depuis 2020, elle est devenue le nouveau paradigme.

Les préoccupations financières – Ondam [pour « objectif national de dépenses d’assurance-maladie »] hospitalier amputé de l’inflation, tarification à l’activité (T2A) dans les hôpitaux, paiement à l’acte en médecine de ville, liberté d’installation et de participation aux gardes… – façonnent le système de santé.

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Malgré les appels répétés de nombreux professionnels de santé, le navire poursuit sa route, imperturbable, et les citoyens sont tenus de veiller à préserver un système malade. Il y a peu, la presse ne titrait pas sur les morts ou les handicaps que risquait de générer une nouvelle « vague » de Covid-19, ni sur la recrudescence prévisible de trois infections Covid-19, grippe et bronchiolite, encore moins sur les reports de soins.

La question angoissante était : l’hôpital, les professionnels vont-ils tenir ?

Bateau ivre sans boussole

Pourtant, ce n’est pas aux malades de soulager le système de santé, c’est l’inverse. Mais revenir à un système de santé qui aurait pour objectif d’augmenter la durée et la qualité de vie des Français, et pas simplement de « tenir », est-ce trop cher, trop luxueux, utopique ? On objectera réalisme, maîtrise budgétaire, déficit de l’Assurance-maladie, part élevée de la santé dans le produit intérieur brut (PIB)…

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La nécessité d’une « remise à plat » du système de santé est régulièrement rappelée. Elle suppose une régulation qui a concerné, pour le moment, le seul secteur hospitalier, jusqu’à l’asphyxie. Sous l’effet notamment de la tarification à l’activité, la durée moyenne de séjour en médecine-chirurgie-obstétrique a été divisée par deux, entre 1980 et 2011. Il est vrai que l’efficacité des prises en charge autorise désormais des séjours courts et le développement des soins et de la chirurgie à domicile. Ce « virage ambulatoire » redéfinit le rôle de l’hôpital et souligne la responsabilité des soins de ville.

Mais le système de santé est un bateau ivre, sans boussole, puisque notre système de surveillance statistique est réduit au minimum. On ne sait rien, ou presque, de la pertinence des actes de soins ou de prévention ; les effets globaux et territoriaux de la démographie médicale sur l’accès aux soins ne sont pas plus suivis ni connus que ceux du virage ambulatoire sur les personnes isolées, pauvres en ressources culturelles, sociales et financières.

La mortalité infantile a augmenté en France, sans que l’on sache précisément à quoi attribuer cette dérive inquiétante.

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Le débat sur la santé ne peut rester interne à la santé. Il s’agit de débattre du degré de priorité que tient la santé parmi d’autres objectifs dans les politiques publiques.

Un bien commun qui s’effondre

La question est loin d’être simple. La santé entre parfois en concurrence avec d’autres politiques publiques. Les conflits sur le Nutri-score ont bien montré l’antagonisme avec le secteur agroalimentaire. Ce n’est pas toujours le cas. La crise liée au Covid-19 a rappelé que le logement est un élément essentiel pour la santé. Les conditions de travail, et pas seulement l’emploi, fabriquent des maladies professionnelles, souvent de façon silencieuse ou méconnue.

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La réflexion ne peut pas se tenir non plus en se limitant au seul secteur public, un bien commun dont on voit qu’il s’effondre. Cette déshérence du secteur public de la santé n’est pas désolante pour tout le monde. Le Covid-19 a fait grimper les valorisations des actifs en santé.

Facilitées par les difficultés de l’hôpital public, de grandes manœuvres agitent le secteur privé de la santé ; le fonds d’investissement américain KKR, détenteur de 42 % des actions d’Elsan, numéro deux français de l’hospitalisation privée depuis 2020, a jeté son dévolu sur Ramsay Santé (ex-Générale de santé, aujourd’hui filiale du géant australien Ramsay Health Care), et pourrait devenir le leader de l’hospitalisation privée en France.

Un rapport du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé, université de Lille-CNRS) qualifie la France d’« Etat providence caché en faveur des entreprises », avec plus de 157 milliards d’euros d’aides en 2019, soit 30 % du budget de l’Etat. Ces aides sont justifiées pour partie au nom des investissements.

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Le sociologue Gosta Esping-Andersen (Les Trois mondes de l’Etat-providence. Essai sur le capitalisme moderne, PUF, 2007) et le politiste Bruno Palier (Trois leçons sur l’Etat-providence, Seuil, 2008) appellent à voir l’Etat-providence non comme une charge à réduire, mais comme un moyen de créer de nombreuses richesses, notamment économiques. Dans le grand débat nécessaire sur la santé, il est donc impératif de ne pas ranger la santé dans les dépenses, mais dans les investissements.

Thierry Lang est professeur émérite de santé publique (université Toulouse-III) et chercheur associé au centre de sociologie des organisations à Sciences Po, ancien responsable d’une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médiale (Inserm) d’épidémiologie et ex-directeur d’une fédération de recherche interdisciplinaire (université de Toulouse).

Thierry Lang (Professeur de santé publique)

*« La crise de l’hôpital est une crise démocratique »

Tribune

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/10/la-crise-de-l-hopital-est-une-crise-democratique_6101596_3232.html

Collectif

Les trois économistes de la santé Florence Jusot, Clémence Thébaut et Jérôme Wittwer expliquent, dans une tribune au « Monde », que la crise de l’hôpital public est due à l’encadrement des dépenses d’assurance-maladie dans le cadre de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie voté chaque année, et à la manière dont il a été choisi d’appliquer la tarification à l’activité.

Publié le 10 novembre 2021 à 08h00  Temps de Lecture 4 min. 

Tribune. La crise de l’hôpital public résulte de nombreux facteurs. Parmi eux, il est utile de revenir sur le rôle de la réforme du financement de l’hôpital en 2004 qui est souvent mis en cause. Les hôpitaux publics sont financés depuis 2004 par un système particulier, la T2A (tarification à l’activité), qui consiste à rémunérer l’hôpital en fonction de la quantité et de la nature des séjours qu’il réalise.

En elle-même, la T2A n’induit pas de pénurie de moyens pour les établissements. Tout au contraire, puisque la T2A consiste à fixer le tarif des séjours hospitaliers en fonction du coût de production.

Une difficulté réelle

Ce coût de production est estimé par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), qui évalue, grâce aux données comptables d’un panel d’hôpitaux, l’ensemble des ressources consommées pour produire chacun des séjours en fonction du diagnostic principal du patient : temps passé par les soignants, médicaments, équipements techniques, hôtellerie, immobilier, etc.

Au-delà de la difficulté de l’exercice, il est reproché à la T2A de pénaliser les établissements souffrant de coûts structurellement plus élevés que la moyenne notamment en raison des caractéristiques sanitaires et sociales des patients accueillis. C’est une difficulté réelle de ce mode de tarification, mais qui ne peut expliquer la pénurie actuelle.

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Si la T2A a mis en difficulté financière les établissements de santé, c’est parce qu’en France le tarif des séjours n’est pas équivalent à leur coût de production évalué par l’ATIH. En effet, il a été choisi d’ajuster les tarifs des séjours pour respecter les objectifs nationaux de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), votés annuellement par le Parlement.

L’Ondam représente le pourcentage d’augmentation des dépenses de santé financé par l’Assurance-maladie que l’on s’accorde collectivement à viser. Plus l’Ondam est bas, plus les tarifs des séjours hospitaliers diminuent par rapport aux coûts de production. Et les tarifs diminuent plus encore lorsque les volumes augmentent, pour respecter l’Ondam.

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Dans les années qui ont suivi la mise en place de la T2A, l’Ondam était compris entre 4 % et 6 %.

A partir de 2008, l’Ondam a baissé chaque année pour atteindre 1,75 % en 2016.

Jusqu’en 2016, la dépense de soins hospitaliers était tirée vers le haut par les volumes dont l’augmentation annuelle était supérieure à celle de l’Ondam (environ 2 %). Pendant ce temps, les tarifs stagnaient, voire baissaient, ce qui est particulièrement remarquable dans un contexte où l’innovation technologique était constante et conduisait structurellement à une augmentation du coût de la prise en charge des patients.

Des effets délétères

L’augmentation des volumes de soins hospitaliers sur cette période résulte en premier lieu du vieillissement de la population qui a augmenté ses besoins en soins.

Elle résulte également des incitations adressées par les directions hospitalières à l’attention de leurs équipes. Les directions les ont incitées à augmenter les nombres de séjours pour compenser la baisse des tarifs, ce qui, à terme, était contreproductif, puisque cette augmentation des volumes a conduit à diminuer encore les tarifs des séjours. L’Ondam est une enveloppe fermée, plus le nombre de séjours augmente, plus les tarifs de ces séjours diminuent.

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Depuis 2016, l’Ondam augmente légèrement chaque année, mais il est vraisemblable que l’impact qu’ont eu ces contraintes financières sur les conditions de travail soit irréversible à court terme car celles-ci ont conduit à dégrader l’attractivité des métiers de soignants, si bien que l’hôpital public se trouve aujourd’hui confronté à une pénurie de main-d’œuvre dramatique dénoncée avec justesse par le Collectif inter-hôpitaux.

La crise actuelle de l’hôpital est une crise démocratique. Elle est pour partie le résultat de la recherche d’une efficience productive reposant sur une gestion budgétaire aveugle appliquée sans discernement et dévoyant la T2A, dans un contexte de refus d’augmenter les prélèvements sociaux à la hauteur des besoins de soins de la population et du coût du progrès technique.

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Elle génère aujourd’hui des effets délétères, à la fois sur le bien-être des professionnels de santé et sur la qualité des soins. Il ne s’agit pas bien sûr de renoncer à améliorer la productivité des hôpitaux quand c’est possible, et la T2A est certainement un outil de gestion utile dans ce but. Mais cela ne suffira pas et le Parlement ne peut continuer à voter des Ondam trop bas faisant des paris intenables sur les gains de productivité.

Des choix

Il reste deux voies : accepter une augmentation des dépenses de santé et, par conséquent, une augmentation des prélèvements obligatoires, et/ou s’engager dans une réflexion sur des stratégies de priorisation pour orienter le financement vers les soins les plus efficients, c’est-à-dire ceux qui apportent le maximum de gains en santé, ce qui implique de renoncer à ceux qui le sont moins.

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Après deux années de crise sanitaire liée au Covid-19, notre collectivité est bien placée pour effectuer cet arbitrage. Cette crise nous a amenés à constater la valeur très importante que nous accordions à la santé et à l’accès aux soins de tous. Elle nous a forcés à admettre que certaines situations imposaient d’effectuer des choix, lorsque les ressources étaient limitées, et que ces choix devaient s’appuyer sur un processus démocratique et concerté, pour garantir leur acceptabilité.

Toutes les conditions sont donc réunies pour permettre un débat public éclairé sur le budget que nous souhaitons fixer pour notre système de santé. Il est indispensable pour ce faire d’accroître l’information transmise au Parlement et au public sur l’évolution des besoins de soins et leur impact sur l’évolution attendue des dépenses de santé.

Cette évaluation doit être confiée à une institution publique indépendante, comme le recommande le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie dans son avis du 22 avril 2021.

Les signataires : Florence Jusot, économiste de la santé, professeure à l’université Paris-Dauphine ; Clémence Thébaut, économiste de la santé, maîtresse de conférences à l’université de Limoges ; Jérôme Wittwer, économiste de la santé, professeur à l’université de Bordeaux.

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Collectif

**« Le pilotage du système de santé doit être confié aux régions »

Tribune

Antoine Brézin Professeur à l’Université de Paris, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Cochin

Aucune leçon ne semble avoir été tirée de la crise sanitaire, s’alarment, dans une tribune au « Monde », Antoine Brézin, chef de service hospitalier, Guy Collet, ancien directeur d’hôpital, et Gérard Vincent, ancien directeur des hôpitaux, qui appellent les candidats à la présidence à réformer le système de santé et à libérer l’hôpital de la bureaucratie.

Publié le 24 février 2022 à 05h00  Temps de Lecture 4 min.  https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/24/le-pilotage-du-systeme-de-sante-doit-etre-confie-aux-regions_6115015_3232.html

Tribune. Le Ségur de la santé n’a en rien apporté une réponse à la crise hospitalière – à la désespérance des soignants – et encore moins aux insuffisances du système de santé, notamment au niveau des territoires. Aucune leçon ne semble avoir été tirée de la crise sanitaire. Les corporatismes, en période préélectorale, poussent les feux, la bureaucratie reprend ses droits, voire s’accentue, et le système de santé donne tous les signes d’un effondrement « programmé ».

C’est pourquoi nous interpellons directement les candidats à la présidence de la République sur la nécessité de réformer le système de santé. Ce sujet est aussi important que ceux de l’immigration ou de la sécurité, qui occupent quotidiennement les médias. Nous proposons deux mesures de rupture pour « réenchanter » notre système de santé et, singulièrement, l’hôpital public, auquel nous sommes viscéralement attachés : donner une responsabilité aux régions en matière de santé et libérer l’hôpital public de ses contraintes bureaucratiques.

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Pour nous, il est clair que le pilotage du système de santé doit être confié aux régions en matière de tutelle et de régulation. C’est ce qu’ont fait la grande majorité des pays qui nous entourent. La présidence du conseil d’administration des agences régionales de santé (ARS) doit être assumée par la région. En même temps, les délégations départementales des ARS doivent disposer de compétences générales inscrites dans les orientations stratégiques définies au niveau régional.

Les compétences des régions doivent être élargies à la santé, en complément de leurs compétences en matière de formation, de recherche, d’environnement et d’aménagement du territoire. Donner le pouvoir de décision à ceux qui connaissent les problèmes et difficultés du terrain relève à nos yeux du simple bon sens. Bien sûr, le rôle de l’Etat est important, mais il doit être limité à l’essentiel : les priorités nationales de santé publique, le financement du système de santé avec le Parlement, les normes de sécurité sanitaire et les règles d’exercice des métiers de la santé.

Intérêts corporatistes

Nous pensons que l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) doit être décliné en enveloppes de santé par région, sur la base de critères de population et de santé publique. Les conseils régionaux pourront participer au financement des investissements ou d’équipements dans le domaine de la santé tout en abondant à la marge les tarifs nationaux Bien évidemment, les conseils régionaux deviennent, dans un tel schéma, responsables des équilibres financiers régionaux. Des pouvoirs accrus impliquent une responsabilité financière.

Nous proposons que les régions soient en charge d’un véritable « service public de santé régional » incluant l’ensemble des acteurs de santé, y compris les cliniques commerciales, qui pourront disposer de missions de service public dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens avec les ARS. Elles pourraient ainsi se transformer en entreprises à mission. 
Enfin, les régions pourraient mettre leurs compétences à disposition des acteurs de santé dans de nombreux domaines comme la gestion du patrimoine hospitalier, la mise en place de campus d’enseignement et de recherche en santé, la lutte contre les déserts médicaux, la création de plates-formes numériques… Mais cette révolution systémique de la régulation du système de santé n’aurait aucun sens si le pilier du système de santé, l’hôpital public, n’était pas libéré de ses chaînes bureaucratiques.

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Nous proposons de transformer le statut de l’hôpital, aujourd’hui établissement public à caractère administratif, en fondation hospitalière. Tous les gouvernements, quels qu’ils soient, n’ont fait qu’amender à la marge les règles de fonctionnement de l’hôpital public. Ce manque de courage ou de vision politique sur le rôle et la place de l’hôpital n’a pas changé son mode de fonctionnement. Cela a abouti, au contraire, à une sédimentation constante de règles élaborées par la technocratie ministérielle avec la complicité, il faut bien le dire, d’intérêts corporatistes ou catégoriels. Pour nous, l’hôpital n’est pas une administration, mais une entreprise de service public qui doit, en permanence, s’adapter aux enjeux liés aux évolutions de la science médicale et des innovations technologiques, tout en répondant aux besoins de santé dans chaque territoire. Cela suppose souplesse et responsabilité.

Libérer les énergies

C’est la raison pour laquelle nous demandons au prochain président de la République de libérer les énergies de nos soignants en changeant radicalement le statut de l’hôpital public et en lui donnant celui de fondation. Cela suppose ambition et courage. Résumer la crise hospitalière à l’insuffisance des moyens budgétaires est une tromperie voire une lâcheté. 
Bien sûr, nous savons qu’il faut distinguer le statut de l’hôpital de celui de ses salariés. Le rapport de Gérard Larcher sur l’avenir de l’hôpital avait abordé intelligemment ce sujet. Il proposait déjà, une transformation du statut de l’hôpital tout en permettant aux personnels médicaux et non médicaux de garder leur statut public ou de choisir le statut de la convention collective des établissements privés à but non lucratif.

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Dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), ces fondations hospitalières doivent contractualiser leurs relations avec les facultés de médecine pour assurer les missions de recherche et d’enseignement. Il n’est plus temps de tergiverser. L’hôpital est en danger. Si les décisions ne sont pas prises, c’est tout le système de santé français qui risque d’être emporté dans la tourmente. Nous savons que, dans ce cas, la médecine lucrative l’emportera et nous aurons un système à deux vitesses. Tous ceux qui crient à l’insuffisance de moyens, à la course aux créations de postes tout en préservant leurs statuts et intérêts particuliers affaiblissent en réalité le service public de santé.

Sur le plan de la méthode nous appelons, dès le début de la législature à la nomination d’une personnalité, entourée d’une équipe rapprochée, chargée, pour la fin de l’année 2022, de proposer au président de la République, une grande réforme du système de santé publique dans ses missions et son organisation.

Antoine Brézin(Professeur à l’Université de Paris, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Cochin)

***« A focaliser les projecteurs sur l’hôpital, on court le risque de passer à côté des vrais enjeux »

Tribune

François Crémieux directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille

Jean-Luc Jouve président de la commission médicale d’établissement de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille

On ne pourra résoudre les difficultés des hôpitaux sans impliquer de nombreux acteurs (médecine de ville, secteur privé, régions…) affirment, dans une tribune au « Monde », les responsables des hôpitaux de Marseille François Crémieux et Jean-Luc Jouve.

Publié le 24 mars 2023 à 10h00  Temps de Lecture 3 min.  https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/24/a-focaliser-les-projecteurs-sur-l-hopital-on-court-le-risque-de-passer-a-cote-des-vrais-enjeux_6166802_3232.html

Nos hôpitaux publics sont confrontés à des difficultés majeures : les vagues épidémiques ont exténué les professionnels d’un hôpital public déjà fragilisé, les infirmières manquent et des disciplines comme les urgences, la pédiatrie ou la psychiatrie traversent une période difficile. Nous consacrons notre énergie à chercher des solutions et à régler les problèmes, et n’avons donc aucune intention de minimiser ces difficultés.

Néanmoins, l’AP-HM dispense des soins de grande qualité à tous sans distinction, l’enseignement médical et paramédical dans nos CHU demeure d’excellente qualité et la recherche médicale française reste de très haut niveau, grâce notamment à nos CHU. Nos hôpitaux restent donc parmi les meilleurs au monde.

Nous sommes fiers de notre hôpital public et voulons alerter : à focaliser les projecteurs sur l’hôpital, certes on décèle toutes ses difficultés, mais on court le risque de ne chercher les solutions que sous cet éclairage et ainsi, de passer à côté de vrais enjeux, voire de déstabiliser ce qui fonctionne sans régler aucun problème.

Le binôme médecin-directeur efficace et complémentaire

Ainsi, depuis bientôt vingt ans, un premier projecteur cible la gouvernance des hôpitaux et les relations entre directeurs et médecins, jusqu’à pousser les corporatismes de tous bords à s’étriper pour un rien. Et pourtant, le binôme médecin-directeur nous semble efficace et complémentaire. L’un est nommé, l’autre est élu ; l’un a l’expérience de la médecine, l’autre de la santé publique et de la gestion.

Nos responsabilités se complètent, nous agissons ensemble et notre sujet n’est pas de pinailler sur nos pouvoirs respectifs mais de mettre en œuvre nos décisions communes pour transformer nos hôpitaux aussi vite que l’exigent les défis à relever.

Un deuxième projecteur vise le financement des hôpitaux et les dérives de la tarification à l’activité. Il faut une réforme du financement mais sans esquiver d’autres débats. Tout d’abord, notre pays est confronté au besoin de renouvellement des grands investissements de l’après-guerre. Certains hôpitaux, comme à Marseille, nécessitent des investissements considérables, notamment pour faire face à la nécessaire réduction de l’empreinte carbone.

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Ensuite, notre pays doit cesser de tolérer l’abondance d’offre de soins dans certains territoires et la pénurie ailleurs, le coût humain et financier de l’une rendant difficile la lutte contre les déserts médicaux. Il faut adapter le financement de l’hôpital public mais aussi transformer ceux des hôpitaux et cliniques qui mobilisent trop de moyens au regard du service effectivement rendu.

Enfin, si l’hôpital public a besoin d’un changement de modèle de tarification, c’est d’abord pour ne plus devoir subir les stratégies du secteur privé que la tarification actuelle incite à des stratégies financières, sans lien avec les besoins de santé publique.

La lente évolution de la médecine de ville

Un troisième projecteur à focale courte éclaire les services d’urgence et leur épuisement à pallier la très lente évolution de la médecine de ville pour passer du médecin de famille solitaire à des équipes pluridisciplinaires et affronter ainsi les défis du vieillissement et des maladies chroniques. On peut débattre à l’infini des causes de la pénurie de médecins ou de leur abandon des gardes et rien ne nous exonère des efforts pour mieux organiser les urgences de Marseille.

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Mais à n’éclairer que les brancards des urgences et à mettre la responsabilité sur les seuls hôpitaux publics, on esquive la question majeure du rythme d’adaptation de la médecine de ville aux défis du siècle alors même que des solutions ont prouvé leurs effets.

L’évolution des responsabilités entre professionnels est une nécessité

Un quatrième projecteur pointe le manque de médecins en ciblant à juste titre les conditions de travail. Il faut certes agir sur la charge de travail ou la rémunération mais aussi élargir la focale. Il faut prendre acte que la pénurie de professionnels de santé est mondiale, durable et structurelle, et due à la croissance démographique et à l’augmentation des maladies chroniques.

Et, puisque en France et dans le monde les besoins de santé augmentent si vite que le nombre de médecins n’y suffira pas, l’évolution des responsabilités entre professionnels n’est plus une question de curseur à la marge mais une nécessité à grande échelle.

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De même, les hôpitaux ne sont pas seuls responsables du départ de médecins passionnés. Nous travaillons chaque jour à améliorer leurs conditions de travail mais nos universités doivent engager une réforme des carrières pour rendre compatibles les missions de soin, d’enseignement, de recherche et d’animation d’équipe avec la réalité du temps de travail.

Un besoin de plans Marshall régionaux pour la vie des soignants

Si les métiers n’évoluent pas vite et si la réforme des parcours universitaires reste enlisée, l’hôpital pourra dérouler un tapis rouge aux professionnels, cela ne suffira jamais. Autre focale trop étroite, des soignants nous quittent à cause de l’hôpital mais aussi souvent malgré lui et à cause d’une vie impossible. Ils ne sont certes pas seuls à faire face à ces difficultés, mais ces professionnels en cumulent beaucoup : horaires décalés avant le réveil et après le coucher des enfants, travail les week-ends et jours fériés, parfois la nuit.

Dans ses vœux aux soignants, le président de la République en a appelé à la mobilisation des collectivités locales : c’est une urgence et nous avons besoin de plans Marshall régionaux pour la qualité de vie des soignants qui sont le plus souvent des femmes et parfois des parents isolés : crèches, gardes d’enfants, transports et logements accessibles.

Quel que soit le tandem de direction, nous ne trouverons pas les solutions en disséquant toujours plus finement les problèmes à la seule lumière des projecteurs éclairant l’hôpital. Un diagnostic et des actions sur une focale large sont urgents et doivent mobiliser tous les acteurs.

François Crémieux(directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille) et  Jean-Luc Jouve(président de la commission médicale d’établissement de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille)

****« La cause de la crise du système de santé est la décision de privatiser les services publics »

Tribune

Anne Gervais Praticienne hospitalier hépatologue CHU Bichat

André Grimaldi Professeur émérite diabétologue CHU Pitié-Salpêtrière

Olivier Milleron Praticien hospitalier cardiologue CHU-Bichat

Les médecins hospitaliers Anne Gervais, André Grimaldi et Olivier Milleron notent, dans une tribune au « Monde », que les engagements pris par Emmanuel Macron face aux soignants ne s’attaquent aucunement au véritable problème : la privatisation du secteur de la santé.

Publié le 23 janvier 2023 à 06h00, modifié le 23 janvier 2023 à 06h00  Temps de Lecture 3 min.  

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/23/la-cause-de-la-crise-du-systeme-de-sante-est-la-decision-de-privatiser-les-services-publics_6158916_3232.html

Le discours prononcé le 6 janvier à l’hôpital Sud francilien par le président de la République à l’occasion de la présentation de ses vœux aux professionnels de la santé comportait une liste de promesses agréables à entendre pour son auditoire : poursuite de la revalorisation des salaires des personnels hospitaliers, augmentation du paiement du travail de nuit et des week-ends ainsi que des gardes et des astreintes, plan de logements alloués dans les grandes villes, travail en équipe, assouplissement des plannings horaires pour plus de stabilité, accroissement du nombre d’infirmières spécialisées dites de « pratique avancée », rôle essentiel des services cliniques, liberté d’organisation des établissements, fin de la tarification à l’activité (T2A), gouvernance partagée entre soignants et gestionnaires.

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Ces propos furent cependant entachés de deux contre-vérités. Contrairement à ce qui a été dit, le gouvernement n’a pas augmenté les tarifs de la T2A en 2018, il les a au contraire baissés cette année-là de 0,5 % et ne les a réaugmentés, seulement de 0,2 %,qu’en 2019. Quant aux 19 milliards d’investissements annoncés de façon répétée, ils sont programmés sur dix ans, comportent une part de reprise de la dette et ne sont pas destinés qu’à l’hôpital, mais aussi à la ville et au médicosocial.

Pour la médecine de ville, il a été réaffirmé la priorité au premier recours (développement des communautés professionnelles de territoire, doublement des assistants médicaux, augmentation des revenus des médecins libéraux en échange de leur participation à la formation des jeunes, à la permanence des soins et à l’acceptation de nouveaux patients). Pas de contrainte, seulement de l’incitation.

Mais la dénonciation de l’irresponsabilité des patients « trop nombreux à ne pas honorer leurs rendez-vous » renvoie à une vision libérale et individuelle de la santé où « demandeurs » et « offreurs » de soins se rencontrent sur un marché libre. Cette vision est incompatible avec la santé publique et la solidarité collective pour l’utilisation d’un bien commun supérieur financé par la nation et « placé hors des lois du marché », pour reprendre les mots utilisés par le président Macron lui-même lors de la première vague de Covid-19.

Au privé ce qui est rentable

La fixation du budget de l’Assurance-maladie et sa régulation comptable sont de la responsabilité des gouvernements successifs. Et ils doivent assumer l’état de délabrement du système de soins et en particulier de l’hôpital public. Ce n’est pas la conséquence de l’irresponsabilité des individus consommateurs de soins, mais la faute des gouvernants qui n’ont pas adopté de ratio de soignant par patient hospitalisé, qui n’ont pas fortement soutenu les maisons de santé pluriprofessionnelles et les centres de santé, qui n’ont pas revalorisé les tarifs remboursés par la Sécurité sociale pour supprimer les dépassements d’honoraires, aggravant les inégalités sociales de santé, qui n’ont pas régulé la liberté d’installation des médecins, et surtout qui ont accepté la privatisation croissante de secteurs de la santé.

Quelle est la vision du président ? Aucune régulation en vue sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et des algorithmes lucratifs tirés des données de santé. Pire encore, les nouvelles technologies semblent résumer l’espoir de réparer un système de soins effondré et devenu inaccessible à une partie de la population. Vous n’avez pas de médecin ? Appelez le 15, consultez une cabine de téléconsultation. Pas une parole sur le rôle propre d’un service public de santé. Seulement un appel à la coordination dans les territoires entre les professionnels et à la complémentarité entre les établissements publics et privés. La traduction la plus habituelle en est connue : au privé ce qui est rentable, au public le reste.

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S’il y a consensus sur le recensement des symptômes de la maladie du système de soins, rien n’a été dit de la cause de cette maladie chronique appelée « crise du système de santé ». Cette cause est la décision prise, au niveau des instances internationales de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], de privatiser d’abord la gestion puis le statut des services publics, et de favoriser le développement de chaînes commerciales internationales ayant parmi leurs actionnaires des fonds d’investissements et de pension.

Expansion progressive de la financiarisation

Des holdings financiarisées se sont emparées de la biologie de ville, des start-up ont mis la main sur les agendas médicaux, des fonds d’investissements ont acquis des cliniques privées, racheté des établissements privés non lucratifs, ouvert des centres de soins. Les chaînes des cliniques commerciales créent des centres de santé de premier recours. Le processus achevé pour la biologie est en cours pour la radiologie.

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Parallèlement, les mutuelles soumises à la concurrence des compagnies d’assurances se sont transformées en assurances commerciales qui cherchent à conventionner de façon sélective les professionnels pour créer des réseaux « low cost ».

Enfin, l’ubérisation de la santé est en marche avec Doctolib, le booking.com de la santé, et la création de plates-formes diverses pour les soins dentaires, ophtalmologiques, psychologiques, avec dérives et pratiques limites voire abusives. Face à cette expansion progressive de la privatisation/financiarisation de la santé facilitée par la numérisation, la médecine libérale canal historique s’arc-boute sur son modèle dépassé, du médecin travaillant en solitaire dans son cabinet et payé à l’acte, alors que la réponse devrait être une alliance entre hospitaliers et professionnels de ville, entre salariés et libéraux conventionnés avec la Sécurité sociale, pour construire ensemble un service public de santé intégré, territorialisé, démocratisé, cogéré.

La vision libérale de la santé défendant le libre commerce médical régulé par la responsabilisation des « producteurs » et des « consommateurs » est incompatible avec l’usage d’un bien commun.

Anne Gervais est hépatologue au centre hospitalier universitaire (CHU) Bichat (Paris) ; André Grimaldi est professeur émérite, diabétologue au CHU Pitié-Salpêtrière (Paris) ; Olivier Milleron est cardiologue au CHU Bichat.

Anne Gervais(Praticienne hospitalier hépatologue CHU Bichat)André Grimaldi(Professeur émérite diabétologue CHU Pitié-Salpêtrière) et  Olivier Milleron(Praticien hospitalier cardiologue CHU-Bichat)

*****« Lutte contre les déserts médicaux, combat pour une santé accessible à chacun, préservation de l’hôpital public : voilà l’ébauche d’un projet »

Tribune

Collectif

Un collectif de jeunes médecins, de sensibilité de gauche, dont Florian Porta Bonete, médecin psychiatre hospitalier à Bordeaux, entend dans une tribune au « Monde » défendre « beaucoup de suite dans peu d’idées » sur le terrain social et de l’hôpital.

Publié le 10 novembre 2021 à 08h00, modifié le 10 novembre 2021 à 09h07  Temps de Lecture 5 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/10/lutte-contre-les-deserts-medicaux-combat-pour-une-sante-accessible-a-chacun-preservation-de-l-hopital-public-voila-l-ebauche-d-un-projet_6101594_3232.html

Tribune. Les sondages se suivent et se ressemblent : la santé est aujourd’hui parmi les premières préoccupations des Français. Jadis marginale dans le débat public, elle s’est soudainement placée sur le devant de la scène politique, à l’occasion d’un virus venant bouleverser nos existences. Jamais le concept de biopolitique cher à Michel Foucault n’avait trouvé aussi brûlante actualité.

Mais, au-delà de la seule question du Covid-19, c’est bien l’ensemble de notre système de santé qui va devoir être repensé. Nous, jeunes médecins, de sensibilité de gauche, voulons que le camp social porte une parole forte à ce sujet. Avoir beaucoup de suite dans peu d’idées est notre maxime : voici celles qui nous semblent incontournables à l’approche des prochaines élections présidentielle et législatives.

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Tout d’abord, la lutte contre les déserts médicaux. Nous regrettons l’absence d’anticipation politique du manque criant de médecins qui nous touche. En plus de l’augmentation des capacités de formation, il faut encourager davantage l’installation en zones sous-dotées (développement de l’exercice collectif en maisons de santé, offres de pratique salariée…).

Des initiatives innovantes

Mais, entre ces mesures incitatives et une coercition trop brutale, d’autres pistes doivent être envisagées. On pourrait, par exemple, attribuer la possibilité pour les nouveaux médecins de faire des dépassements d’honoraires, préférentiellement à ceux ayant exercé suffisamment longtemps, et sans dépassement, en zone sous-dotée. Ou encore instaurer une année après l’internat avec exercice fléché dans des centres hospitaliers, couvrant ainsi l’ensemble du territoire.

Il faudrait aussi développer un partage des activités de recherche et d’enseignement des CHU urbains avec l’ensemble des pôles de soins du pays, pour rendre ces derniers plus attractifs. Ces propositions ne sont que des pistes, et doivent être discutées avec l’ensemble des acteurs du système de santé.

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Elles sont dans la lignée d’initiatives innovantes, qui naissent déjà ça et là, comme la création de premières années de médecine dans les villes moyennes, avec pour objectif de changer structurellement le profil des étudiants admis dans les études médicales, moins issus des grandes métropoles et possiblement plus enclins à s’installer sur tout le territoire. Le constat est donc clair et partagé, tout le champ des possibles mérite maintenant d’être exploré, sans dogmatisme !

Un changement de paradigme

Se battre, ensuite, contre les inégalités sociales de santé. Nous ne pouvons accepter que certains de nos concitoyens soient privés de soins pour motif financier. Il faut aller, évidemment, vers de meilleures prises en charge des soins dentaires et d’optique, qui cristallisent bien des freins à l’accès aux soins. Mais il faut aussi être attentif aux dépassements d’honoraires médicaux : ceux-ci doivent être davantage limités.

Nous souhaiterions que la Sécurité sociale retrouve son rôle central dans le remboursement, en définissant un panier de soins dont la prise en charge se ferait à 100 % par celle-ci. Quel plus beau message que cet élargissement de l’action initiée par le Conseil national de la Résistance ? La modification du paysage sanitaire, avec notamment, le problème majeur de la dépendance, doit être pleinement intégrée dans notre protection sociale.

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Cette problématique illustre le changement de paradigme qui doit s’opérer dans la prise en charge des coûts de santé, en développant un système de forfait prenant pleinement en considération les besoins de ressources humaines associés aux pathologies. La gauche ne doit jamais oublier de prendre soin de tous ceux que les difficultés économiques rendent plus vulnérables que les autres à la maladie !

Une autre gouvernance hospitalière

Redresser l’hôpital public, enfin. Par sa mission, il incarne l’égalité et la fraternité républicaines. Les Français y sont légitimement attachés, autant qu’ils craignent son déclin. Plusieurs dizaines de milliers de lits ont été fermés, alors même que la population augmente et vieillit.

Le financement de l’hôpital, lui non plus, ne répond pas aux grands enjeux de santé publique, avec une quasi-exclusivité de tarification à l’acte, qui alimente la course à la rentabilité et l’épuisement des soignants. Nous sommes révoltés par les conditions de travail des blouses blanches, alors même que le prendre soin d’autrui devrait commencer par le prendre de soin de soi.

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A ce titre, les mots d’amour ont vocation à se transformer en preuves : tous les métiers du sanitaire et du médico-social méritent une revalorisation financière. La gouvernance hospitalière devrait elle aussi évoluer vers davantage de parts décisionnelles données aux soignants et aux usagers de santé. Enfin, les soins hospitaliers ont un coût, qui doit être connu de chacun.

Notre système de santé, incarnation de la République

Nous pensons utile de développer cette information : le reste à charge réel pour les patients doit être le plus faible possible, mais chacun doit savoir de quelle solidarité il a bénéficié. Il en va du consentement à l’impôt et de la conscience d’appartenir à la République, c’est-à-dire à cette « chose publique » où la maladie de l’individu est prise en charge par la communauté.

Lutte contre les déserts médicaux, combat pour une santé accessible à chacun, préservation de l’hôpital public : voilà l’ébauche d’un projet que nous pourrions encore largement décliner. Les révélations quotidiennes telles que celles des « Pandora Papers » renforcent notre conviction qu’il existe des ressources financières majeures qui peuvent contribuer à l’ensemble de la communauté.

A l’heure où les fondements de notre République sont menacés, nous, jeunes médecins, pensons que notre système de santé est la plus belle incarnation de la République en actes. Comme le disait Montaigne, « c’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble » : rassemblons-nous et bâtissons un système qui fasse la fierté des Français. Que la gauche républicaine, populaire, celle qui aime la France et ne se résout pas à son déclin, y prenne toute sa part !

Les signataires de cette tribune sont : Lara Boissieras, interne de chirurgie viscérale et digestive ; Aude Grigoletto, docteur junior en médecine d’urgence ; Alexandre Lahens, interne de néphrologie ; Florian Porta Bonete, médecin psychiatre hospitalier, conseiller départemental remplaçant en Gironde ; Gaetane Pouget, médecin généraliste remplaçante non-thésée ; Manon Probst, médecin généraliste remplaçante non-thésée ; Fanny Rabbé, médecin généraliste remplaçante non-thésée ; Maxime Rifad, interne de médecine générale.

Collectif

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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