Santé mentale des enfants : « Les efforts sont insuffisants au regard des besoins et du retard accumulés »
Tribune
A l’occasion de la tenue prochaine des Assises nationales de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, la présidente de l’Unicef-France, Adeline Hazan, et les pédopsychiatres Marie-Rose Moro et Thierry Baubet appellent, dans une tribune au « Monde », à garantir à chaque enfant l’accès à des soins de qualité, notamment en créant de nouveaux postes.
Publié aujourd’hui à 17h30 Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/17/sante-mentale-des-enfants-les-efforts-sont-insuffisants-au-regard-des-besoins-et-du-retard-accumules_6169898_3232.html
En France, on estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles psychiques, mais 750 000 à 850 000 seulement bénéficient actuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par les professionnels spécialisés (en ambulatoire et en hospitalisation partielle ou complète).
Or, si la santé mentale constitue évidemment un enjeu de santé publique, il s’agit d’abord d’un droit fondamental pour chaque enfant. La Convention internationale des droits de l’enfant y consacre ainsi un article soulignant le droit de « jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux » [article 24], rappelant l’obligation pour l’Etat d’assurer « qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à des services de santé efficaces ».
L’explosion des besoins en matière d’accompagnement et de prise en charge médicale s’accroît de manière dramatique. Entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques chez les moins de 18 ans, notamment des tentatives de suicide, a augmenté de 65 %. En parallèle, le nombre de pédopsychiatres diminue et l’on compte aujourd’hui seulement 700 pédopsychiatres dans le pays, pour 15 000 psychiatres.
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Ce manque de moyens se traduit par des inégalités territoriales inacceptables. Le taux de suicide chez les jeunes de Guyane est huit fois plus élevé qu’en France métropolitaine et en 2021, huit départements ne disposaient toujours d’aucun lit d’hospitalisation en soins psychiatriques réservé aux moins de 18 ans.
Urgence
Pire encore, quand une prise en charge est possible, les délais d’attente peuvent aller jusqu’à dix-huit mois, voire deux ans. Les nombreuses alertes lancées ces dernières années par les pédopsychiatres montrent l’importance de renforcer les dispositifs de prise en charge, par exemple avec des équipes mobiles, ainsi que les leviers de prévention en santé afin de réduire le recours aux soins en situation d’urgence.
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Aujourd’hui, particulièrement depuis la crise du Covid-19, la santé mentale des enfants fait l’objet d’une attention croissante des politiques publiques, notamment à partir de la « feuille de route santé mentale et psychiatrie » lancée en 2018 mais les efforts sont insuffisants au regard des besoins et du retard accumulés.
Le ministre de la santé et de la prévention a annoncé la tenue prochaine des Assises nationales de la pédiatrie et de la santé de l’enfant « avant l’été 2023 ». En s’engageant à relever le défi de la santé mentale des enfants, ces Assises présentent une réelle occasion de répondre – au-delà des déclarations – à l’urgence actuelle, et de mieux préparer l’avenir des enfants.
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C’est pourquoi à cette occasion, nous appelons le gouvernement à garantir un soutien financier et structurel à la hauteur des besoins. Cela doit passer par plusieurs étapes.
Elargir le réseau d’acteurs
Tout d’abord, garantir à chaque enfant l’accès à des soins de qualité en créant de nouveaux postes – mieux valorisés – de pédopsychiatres et des équipes mobiles pouvant aller vers les enfants les plus vulnérables éloignés du système de prise en charge et en développant les capacités d’accueil des structures. De plus, le déploiement des infirmiers en pratique avancée ainsi que la valorisation de la médiation en santé mentale doivent faire l’objet d’une certification et d’une reconnaissance spécifiques.
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En parallèle, il s’agit de renforcer les dispositifs de prévention en santé, en élargissant le réseau d’acteurs pouvant jouer un rôle de détection précoce des troubles. En ce sens, les futurs médecins traitants devraient être mieux formés en psychologie et psychiatrie infanto-juvénile. Cet investissement dans la prévention est complémentaire mais absolument déterminant, puisque la moitié des troubles de santé mentale apparaissent avant l’âge de 14 ans et la plupart ne sont pas détectés.
En faisant le choix de sensibiliser et de former les adultes du domaine médical, éducatif, social aux besoins des enfants, nous pourrons favoriser une culture commune du soin et soutenir les professionnels qui doivent actuellement « trier les patients » dans des situations d’urgence.
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Enfin, il est nécessaire d’effectuer un changement de narratif sur les troubles de la santé mentale, exprimant une vision positive et non stigmatisante de la santé mentale, au même titre que celle sur la santé physique.
Aux Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, la santé mentale doit être une priorité absolue pour que chaque enfant puisse bénéficier du soutien et des soins dont il a besoin.
Les signataires : Adeline Hazan, présidente d’Unicef France ; Marie-Rose Moro, psychiatre de l’enfant et l’adolescent ; Thierry Baubet, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent.
*« En psychiatrie, se priver de molécules ayant des effets bénéfiques est un choix regrettable »
Tribune
Tous les traitements ont leur place en psychiatrie dès lors qu’ils font l’objet d’une évaluation scientifique, affirment quarante-deux jeunes psychiatres qui répondent, dans une tribune au « Monde », au rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, mettant en cause la prescription médicamenteuse chez l’enfant.
Publié aujourd’hui à 13h00 Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/17/en-psychiatrie-se-priver-de-molecules-ayant-des-effets-benefiques-est-un-choix-regrettable_6169867_3232.html
Dans son rapport du 7 mars (« Quand les enfants vont mal : comment les aider »), le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) décrit une augmentation de la prescription de psychotropes chez les enfants et les adolescents. Il conviendrait de mettre en miroir ces prescriptions (2,5 % des enfants et adolescents, selon le HCFEA) avec la prévalence très élevée des troubles psychiatriques dans cette population (13 % selon le rapport de la Cour des comptes du 21 mars).
Ce Haut Conseil suggère que cette augmentation de la consommation de psychotropes serait forcément néfaste et affirme qu’il n’y a « pas de preuve d’une étiologie biologique des troubles mentaux » chez les enfants.
Deux personnalités qualifiées au sein du HCFEA, Sébastien Ponnou et Xavier Briffault accusent les tenants de la psychiatrie biologique, qui serait impliquée, selon eux, dans les pires dérives et la « surmédication », avec des résultats thérapeutiques limités. Sans doute les partisans de la différence entre le corps et l’esprit espèrent-ils réactiver le vieux conflit dualiste et opposer psychanalyse et biologie.
En tant que jeunes psychiatres, au fait des avancées majeures de notre discipline, nous nous étonnons de ces prises de position qui sont à rebours des connaissances scientifiques récentes et ne permettent pas d’améliorer les soins proposés aux personnes concernées par les troubles psychiques.
Les données de la science
Nous estimons que les principes de l’« evidence-based medicine » (médecine basée sur les preuves scientifiques) doivent prévaloir dans notre spécialité, qui mérite mieux qu’une idéologie dogmatique, exclusive et dont les principes remontent à plus d’un siècle. Nos pratiques doivent être perpétuellement réactualisées en fonction des connaissances.
Tout en ayant des spécificités, la psychiatrie s’inscrit dans le champ de la médecine. Il convient donc de mettre en balance les bénéfices et les risques éventuels d’une prise en charge et de privilégier l’intérêt du patient aux croyances du soignant.
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Nous ne sommes pas partisans de la médication systématique, mais nous souhaitons nous appuyer sur les données de la science pour soigner nos patients, sans leur nuire et sans obérer leurs chances de rétablissement, voire de guérison. Aujourd’hui, il est évident qu’un traitement médicamenteux est indispensable dans certains troubles psychiatriques. Les psychotropes peuvent aussi venir en appui d’autres approches, notamment dans les troubles du neurodéveloppement.
Se priver de molécules ayant des effets bénéfiques est un choix regrettable qui ne peut que conduire à laisser les patients dans une impasse thérapeutique avec des conséquences lourdes. Les associations de patients et leurs familles, confrontées quotidiennement aux symptômes et à leurs conséquences, n’ont d’ailleurs pas hésité à s’émouvoir de ces prises de position antitraitement.
De nouveaux modèles théoriques
Conscients de la nécessaire pluralité des approches dans notre spécialité, nous ne voulons pas non plus délaisser le champ des psychothérapies. Tous les traitements ont leur place en psychiatrie, dès lors qu’ils font l’objet d’une évaluation scientifique. D’autres démarches nécessiteraient des mesures au sein de la société et à l’école. Le retard d’accès aux approches non médicamenteuses, avec des délais de plus d’un an, conduit aussi trop souvent à intervenir en urgence et tardivement, sans avoir pu mettre en place des démarches préventives et à un moment où la prescription de traitement est devenue inévitable.
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La psychiatrie est une spécialité en plein essor qui doit répondre aux enjeux de son temps et nécessite des débats constructifs et pragmatiques. Il est temps d’accepter une pensée complexe, loin de l’ancien réductionnisme. Il ne sert à rien de nier que l’esprit humain est relié à un corps et qu’il est, par conséquent, tributaire de facteurs biologiques autant que de facteurs environnementaux. Le cerveau est un organe dans un corps, qui se pense, dans une société. Le consensus scientifique admis est celui d’interactions entre génétique et environnement, qui ne pourront se comprendre que par une démarche intégrative et scientifique.
L’efficacité des traitements médicamenteux est démontrée, même si leurs mécanismes d’action ne sont pour certains pas encore complètement identifiés. Il est aussi clair que des mécanismes de compensation face aux troubles mentaux existent et peuvent être développés grâce aux psychothérapies, à la rééducation et aux apprentissages.
La psychiatrie moderne n’oublie pas non plus de s’autoquestionner sur la définition des maladies, sur la différence entre normal et pathologique et propose de nouveaux modèles théoriques. Cette compréhension du cerveau sous toutes ses formes passe par un investissement massif dans la recherche, puis par l’implémentation des découvertes dans la prise en charge médicale.
Stigmatisation et dénigrement
Au moment où notre société peine à se remettre d’une pandémie, avec des conséquences importantes sur la santé mentale, notre spécialité doit poursuivre ses efforts pour améliorer ses pratiques et lutter contre la stigmatisation des patients et des familles ainsi que le dénigrement dont elle fait l’objet.
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Dénigrement qui passe par des attaques régulières contre ses pratiques thérapeutiques et contre les professionnels qui prennent en charge des patients souffrant de troubles mentaux. Attaques idéologiques qui risquent de rajouter de la confusion et d’augmenter la peur des traitements chez des patients qui sont déjà très éprouvés par les maladies, de retarder leur accès à des soins appropriés et de détourner les étudiants en médecine de notre belle spécialité, pourtant riche de ses avancées scientifiques.
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Loin d’une « surmédication », notre spécialité fait plutôt face à une inadéquation de l’offre de soin, comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes.
En tant que jeunes psychiatres, dépassant les vieux débats et clivages, nous affirmons avec force que la psychiatrie du XXIe siècle doit être humaniste, intégrative et basée sur les preuves scientifiques.
Liste des premiers signataires : Boris Chaumette, maître de conférences des universités, praticien hospitalier en psychiatrie, chercheur en neurobiologie (université Paris-Cité, groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences, Inserm U1266) ; Ariel Frajerman, chef de clinique de psychiatrie, service hospitalo-universitaire de psychiatrie de Bicêtre, équipe Moods, Inserm U1178, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), université Paris-Saclay, faculté de médecine Paris-Saclay ; Thomas Gargot, chef de clinique de pédopsychiatrie, centre d’excellence autisme et troubles du neurodéveloppement Exac-T (Excellence Autism Center and TND), CHRU et université de Tours, Inserm U1253 imagerie et cerveau.
Pour retrouver la liste des signataires : https://docs.google.com/document/d/1iaTGw1SdExTfMjpFa8qHnnsjgvtGfviIyNzTP-2YFlY/edit?usp=sharing
« Les familles d’enfants “dys” sont en droit d’attendre des pouvoirs publics une réponse coordonnée et davantage de moyens »
Tribune
Nathalie GrohPrésidente de la Fédération française des dys
François VonthronCofondateur et directeur général de la start-up Mila
Alors que des millions de personnes sont atteintes de troubles spécifiques du langage et des apprentissages, trois spécialistes du sujet appellent l’Etat, dans une tribune au « Monde », à mettre en place un plan d’action pour améliorer la prise en charge.
Publié le 05 avril 2023 à 15h00, modifié le 05 avril 2023 à 15h00 Temps de Lecture 2 min.
Certains troubles « dys » sont très connus – comme la dyslexie – d’autres méconnus, comme la dysphasie ou la dyscalculie. Les troubles « dys » touchent 7 millions de personnes en France. Ils représentent un défi majeur lancé à nos institutions éducatives et médicales, car l’avenir de centaines de milliers d’enfants dépend de la qualité de leur prise en charge. Ils sont même un défi pour notre société tout entière, car l’inégal accès à cette prise en charge est une atteinte au principe d’égalité des chances, un des fondements de notre contrat social.
Ce défi – reconnaissons-le – est de taille. Tout d’abord, les troubles « dys » sont difficiles à diagnostiquer et les personnes qui en souffrent en cumulent souvent plusieurs. Le risque d’une « errance diagnostique » qui peut durer des années est bien réel, avec des conséquences dramatiques surtout pour les enfants : échec scolaire, perte de l’estime de soi, etc.
Le volet thérapeutique est tout aussi complexe. La prise en charge des troubles spécifiques du langage et des apprentissages fait appel à de multiples compétences (médecine pédiatrique, pédopsychiatrie, orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, psychologie, neuropsychologie, etc.) auxquelles il n’est pas toujours possible de recourir : selon les territoires, selon que les consultations sont ou non prises en charge par la Sécurité sociale ou les mutuelles et, bien sûr, selon le niveau d’expérience et de connaissance des praticiens.
Un plan pour coordonner les efforts
Au même titre que la France s’est emparée du sujet des troubles du spectre de l’autisme à travers des plans stratégiques pluriannuels, les familles d’enfants « dys » sont en droit d’attendre aujourd’hui des pouvoirs publics une réponse coordonnée de même ampleur.
Cette réponse devra, bien sûr, être celle des moyens. Plus de moyens pour les professionnels de santé et particulièrement ceux qui sont directement confrontés au désarroi des parents : les orthophonistes et les médecins généralistes.
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Des ressources supplémentaires sont aussi attendues en faveur des dispositifs existants comme les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), des équipes pluridisciplinaires et mobiles encore trop peu nombreuses qui interviennent notamment en milieu scolaire.
Une attention particulière doit être portée à la formation, notamment à destination des centres médico-psycho-pédagogiques pour les accompagner dans leurs efforts de transformation. Enfin, bien sûr, les centres de référence, qui fédèrent les compétences afin de dépister et prendre en charge les cas complexes, mais qui sont aujourd’hui saturés.
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De nombreuses initiatives doivent être renforcées. Parmi elles, la plate-forme numérique Allo Ortho, qui fédère les principaux réseaux d’orthophonistes dans l’objectif d’apporter aux patients des informations, mais aussi – et surtout – une orientation pertinente vers les professionnels les plus adaptés.
Un annuaire numérique interactif prometteur
Parmi les « leviers » identifiés en 2018 par la Haute Autorité de santé pour améliorer le parcours de soins des enfants « dys » figure le Répertoire opérationnel des ressources, et de systèmes d’information partagés. Si ce projet d’annuaire numérique et interactif est prometteur, sa mise en œuvre prend du temps.
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En attendant, des initiatives régionales telles qu’Occitadys pallient cette carence et recensent professionnels et associations afin d’orienter les familles vers des équipes pluridisciplinaires. Là encore, sans moyens considérables, mais grâce à des outils d’information, on parvient à tracer des « raccourcis » dans le chemin parfois sinueux des parcours de soins.
La démocratisation des nouvelles technologies doit par ailleurs être favorisée. Des outils simples comme les ordinateurs portables ou les logiciels correcteurs qui apportent une aide précieuse aux enfants « dys » sont encore peu utilisés en classe, faute de pédagogie auprès des enseignants, qui y voient un risque de triche.
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D’autres dispositifs et logiciels médicaux à visée thérapeutique représentent un espoir. Leur reconnaissance par les pouvoirs publics est en marche et ils démontreront sans doute leur utilité pour soutenir au quotidien l’action des professionnels de santé et favoriser l’adhésion des enfants à la rééducation.
Relever le défi des troubles « dys » requiert des moyens, bien sûr, mais aussi de la créativité voire du bon sens, une approche de coconstruction avec les associations de familles, et une révolution de l’information pour fluidifier les parcours de soins. Il en va sans doute de même pour beaucoup d’autres défis auxquels notre système de santé doit aujourd’hui faire face.
Nathalie Groh(Présidente de la Fédération française des dys), David Cohen(Chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière) et François Vonthron(Cofondateur et directeur général de la start-up Mila)
**Protection de l’enfance : « Il est urgent de donner des moyens plus importants à la pédopsychiatrie et de créer des places dans le médico-social »
Tribune
Un collectif formé à l’initiative de Jean-Luc Gleyze, président (PS) du département de la Gironde, rassemblant une vingtaine de présidents de département, demande à Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », de respecter les engagements qu’il a pris pour la protection de l’enfance.
Publié le 23 janvier 2023 à 17h30, modifié le 23 janvier 2023 à 17h30 Temps de Lecture 3 min.
Aujourd’hui entre 20 % et 40 % des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont en situation de handicap, là où ils représentent de 2 % à 4 % dans le reste de la population. Présidentes et présidents de conseils départementaux, nous dénonçons le manque cruel de moyens alloués par l’Etat à la psychiatrie et à la prise en charge du handicap qui impacte particulièrement les enfants confiés à l’ASE.
« La protection de l’enfance sera au cœur des cinq années qui viennent » : ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron en conclusion du débat du second tour de l’élection présidentielle face à la candidate Marine Le Pen. Mais quelle est la réalité derrière la petite promesse de campagne ?
Certes, des reportages ont mis le doigt, ces dernières années, sur des situations d’enfants dénommés « cas complexes ». On y a vu des enfants en souffrance psychique, abîmés, dangereux pour les autres et parfois pour eux-mêmes. Des enfants qui n’ont plus leur place dans les foyers de l’enfance ni dans les familles d’accueil, et pour lesquels l’ASE recourt désespérément par défaut à des pis-aller. Et des personnels qui n’ont pas la capacité professionnelle à les prendre correctement en charge.
Une partie de ces enfants devraient être accueillis dans des établissements ou services spécialisés relevant de l’Etat, capables de prendre en charge leur handicap ou leur pathologie. Mais, faute de places, ils sont orientés vers des structures aux solutions inadaptées à leurs besoins et incohérentes au vu de leur parcours : placement dans des associations au-delà des places habilitées, prise en charge dans un établissement éloigné, dans des familles d’accueil ou dans une structure où les professionnels ne disposent pas des compétences pour prendre en charge des enfants aux handicaps lourds.
Des situations humaines insupportables
Aujourd’hui, les carences de ces secteurs sont abyssales partout en France. Il faut attendre dix-huit mois pour un premier rendez-vous en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) en Seine-Saint-Denis. Il faut attendre jusqu’à trente-six mois en Gironde pour obtenir une place en institut médico-éducatif (IME) ou en service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad).
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Ces défauts de prise en charge provoquent des situations humaines insupportables. D’abord parce qu’ils aggravent les difficultés et la souffrance des enfants, et cet état de fait est indigne de notre République qui doit les protéger en toutes circonstances.Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétencesDécouvrir
Ensuite, parce qu’ils conduisent de nombreux parents dépourvus face aux problématiques rencontrées par leur enfant, souvent isolés ou chargés de fratries, à l’épuisement au risque qu’ils deviennent négligents, voire maltraitants, malgré eux.
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Enfin, face à ces situations de détresse, ce sont aux services de l’aide sociale à l’enfance seuls qu’il est demandé de faire l’impossible. Si les éducateurs sont mobilisés, ils se heurtent au mur de compétences et de moyens qu’ils n’ont pas, face aux problématiques de santé des enfants qui leur sont confiés. Car malgré leur bonne volonté, ils ne peuvent être la bonne réponse à ces situations critiques. Dans un contexte de crise d’attractivité du métier sans précédent qui accentue le manque de travailleurs sociaux, ce rôle est d’autant plus difficile à assurer.
Ecouter les acteurs sur le terrain
Enfants, parents, professionnels sont donc affectés par le manque d’offre de soins et de places d’accueil en structures et services médico-sociaux. Outre son caractère alarmant, cette situation amène les départements à assumer, pour pallier la carence de l’Etat, la responsabilité juridique et financière d’une prise en charge par défaut.
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Car oui, dans nos départements, nous faisons de la protection de l’enfance une priorité. C’est un fait, nous n’avons de cesse que de renforcer nos moyens budgétaires et de dépasser nos compétences pour imaginer des modes d’accueil de substitution, afin de ne pas laisser ces enfants abandonnés par la République.
Mais cela revient à écoper l’océan à la petite cuillère si, dans le même temps, la prise en soin par l’Etat de ces enfants demeure un angle mort des politiques publiques de santé.
Il y a quelques mois, Emmanuel Macron déclarait donc faire de la protection de l’enfance la grande cause de son mandat, pourquoi ne pas le faire en commençant par écouter les acteurs sur le terrain ? Leurs remontées sont claires : il est urgent de donner des moyens bien plus importants à la pédopsychiatrie et de créer des places dans le médico-social.
Sinon, les enfants les plus fragiles de notre société se retrouvent dans une terrible impasse, et y entraînent celles et ceux qui tentent de compenser les manques d’un Etat qui fait preuve d’une affligeante désinvolture.
Les signataires sont tous présidents de département : Fabien Bazin, président (PS) de la Nièvre ; Bruno Bernard,président (EELV) métropole de Lyon ; Sophie Borderie, présidente (PS) du Lot-et-Garonne ; Philippe Bouty,président (divers gauche) de la Charente ; Jean-Luc Chenut, président (PS) d’Ile-et-Vilaine ; Christian Coail,président (PS) des Côtes-d’Armor ; Xavier Fortinon, président (PS) des Landes ; Jean-Luc Gleyze, président (PS) de la Gironde ; Chaynesse Khirouni, présidente (PS) de la Meurthe-et-Moselle ; Yves Krattinger, président (DVG) de la Haute-Saône ; Françoise Laurent-Perrigot, présidente (PS) du Gard ; Jean-Claude Leblois, président (PS) Haute-Vienne ; Jean-Claude Leroy, président (PS) du Pas-de-Calais ; Hermeline Malherbe, présidente (PS) des Pyrénées-Orientales ; Michel Ménard, président (PS) de la Loire-Atlantique ; Kléber Mesquida, président (PS) de l’Hérault ; Sophie Pantel, présidente (PS) de la Lozère ; Germinal Peiro, président (PS) de la Dordogne ; Christophe Ramond,président (PS) du Tarn ; Hélène Sandragné, présidente (PS) de l’Aude ; Christine Téqui, présidente (PS) de l’Ariège ; Stéphane Troussel, président (PS) de la Seine-Saint-Denis ; Sébastien Vincini, président (PS) de la Haute-Garonne.
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***« Oui, par manque de moyens, la pédopsychiatrie doit depuis des années trier les enfants »
Tribune
Le collectif Pédopsy 93, qui regroupe l’ensemble des chefs de service de pédopsychiatrie et des médecins de centres médico-psychologiques de Seine-Saint-Denis, sonne l’alarme.
Publié le 24 novembre 2022 à 05h37, modifié le 24 novembre 2022 à 22h44 Temps de Lecture 4 min.
Qui prendre en soins lorsque l’on ne peut pas prendre tout le monde en soins ? Les enfants les plus gravement atteints, car ils n’ont pas d’autre lieu de soins que les nôtres ? Les adolescents suicidaires, car leurs vies sont menacées ? Les plus petits, car on aura plus de chances d’infléchir leur trajectoire développementale ? Les cas les plus « légers », car ils prendront moins de temps pour être soignés ? Bébés, enfants, ados ?
Telles sont les questions auxquelles se heurtent chaque jour les soignants en pédopsychiatrie. Est-ce humain ? Alors que la pédiatrie alerte sur son manque de moyens amenant les médecins à des stratégies de « tri » pour prendre en soins le maximum d’enfants, François Braun, ministre de la santé et des solidarités, s’est dit choqué. C’est le manque de moyens qui oblige les soignants à trier des enfants. C’est la France qui trie ses enfants.
La pédopsychiatrie est confrontée à ce constat depuis des années. En effet, par manque de moyens pour répondre aux multiples sollicitations, les services doivent, malgré eux, réaliser un « tri » des patients, car ils ne peuvent pas répondre à toutes les demandes. Les urgences et les situations graves, de plus en plus graves, car ayant eu à attendre longtemps un premier rendez-vous, augmentent sans cesse. Les professionnels sont débordés et doivent s’infliger ce « tri ».
L’attente pour un premier rendez-vous atteint dix-huit mois dans les villes de Seine-Saint-Denis. Au rythme du développement de l’enfant, ces délais sont insupportables, et la plupart du temps, les difficultés se seront aggravées.
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L’empêchement de remplir les missions premières – accueillir, soigner et, si possible, prévenir – est la cause de l’épuisement des professionnels et d’une crise des vocations. Il est de plus en plus difficile de recruter des soignants pour la santé mentale des mineurs.
Une génération sacrifiée
La Seine-Saint-Denis (93), département de 1,6 million d’habitants, dont un tiers d’enfants et d’adolescents avec un rythme de naissances soutenu, est un des plus mal pourvus en moyens de soins psychiques pour ses plus jeunes. Les familles sont souvent pauvres et précaires, beaucoup de mères élèvent seules leurs enfants et sont isolées.
Tour à tour, le tribunal de Bobigny, l’éducation nationale, le département, les services de protection de l’enfance et la pédopsychiatrie alertent, malgré leur devoir de réserve. Tous sombrent avec la population.
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Le 93 et ses enfants sont mis de côté par les politiques publiques et c’est une génération entière qui est sacrifiée du fait de l’abandon de l’Etat. La France trie ses enfants ; reconnaître et réparer cette inégalité d’accès à l’éducation, à la protection et aux soins est une urgence.
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La pédopsychiatrie en France alerte depuis plusieurs années, dans tous les territoires de la République. Celle du 93 lance un cri d’alarme. Toutes les communes construisent de nouveaux logements, écoles, collèges et lycées…. Mais aucune n’édifie de centres médico-psychologiques (CMP) ou médico-psycholo-pédagogiques (CMPP) pour la prise en charge des troubles psychiques des enfants et adolescents. Verrous administratifs, municipalités qui refusent l’octroi de locaux pour des structures de soins ou médico-éducatives, manque de moyens et difficultés de recrutement, complexité des prises en charge qui cumulent les facteurs sociaux aggravant les troubles psychiques : tous les indicateurs sont au rouge, et particulièrement pour la santé mentale des enfants de ce département.
Une place pour sept enfants
Les acteurs libéraux du soin ne s’installent pas en Seine-Saint-Denis, car la charge de travail est immense, et le département est devenu un désert médical. Alors même qu’une majorité d’enfants a des difficultés particulières d’accès au langage oral et écrit du fait des parcours migratoires et d’exil, il n’y a pas de soins orthophoniques.
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Ici plus qu’ailleurs, beaucoup sont touchés par l’autisme. Les services de pédopsychiatrie comptent 20 % d’enfants autistes dans leurs files actives [patients vus au moins une fois dans l’année], 550 enfants pour un seul service. Les moyens alloués à la pédopsychiatrie pour exercer sa mission complémentaire des écoles et des établissements spécialisés, et prendre en soins les enfants autistes, sont limités : cinq hôpitaux de jour pour tout le département. Pour une place disponible, sept enfants sont adressés. Comment s’effectue ce « tri », au nom de quelle éthique ? Admettrait-on qu’une seule chimiothérapie disponible oblige à choisir entre trois enfants cancéreux ?
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Aucun moyen suffisant non plus pour créer des places en établissement spécialisé, dont le nombre est très faible. Si tout le monde est d’accord pour favoriser l’inclusion de ces enfants à l’école de la République, les moyens ne sont pas là pour le permettre : trop peu d’aides à la scolarisation, temps de scolarité réduit à quelques heures par semaine, beaucoup d’enfants déscolarisés. Les enseignants sont si peu aidés pour les accueillir qu’ils jettent l’éponge, et envisager l’aide de soignants au sein des classes est empêché par des verrous administratifs, des manques de moyens humains et des positions idéologiques qu’il est devenu urgent de lever afin de travailler pour le bien des enfants.
Une goutte d’eau
1 750 enfants sont en attente de places en établissement spécialisé, et certains sont « sans solution », c’est-à-dire sans scolarité, sans soins, sans éducation autre que la famille à la maison. En plus d’être un constat terrible, c’est un très mauvais calcul. Que vont devenir nos enfants « lestés » de pathologies non soignées ? Et leurs familles ?
Le rapport du Sénat sur la psychiatrie des mineurs de 2017 dressait déjà le « constat d’une grande difficulté de la discipline, traversant une crise démographique ne lui permettant pas de répondre à ses besoins en évolution ». Cette situation a été de nouveau reconnue lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en 2021. Des « mesures de rattrapage » se concrétisent dans des appels à projet, mais sont notoirement insuffisantes pour combler le retard pris. Leur montant est de 20 millions d’euros en 2022 pour l’ensemble de la France et de l’outre-mer. Une goutte d’eau en regard de l’aide nécessaire aux enfants et à la pédopsychiatrie, qui les soigne.
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Oui, par manque de moyens, la pédiatrie doit maintenant « trier » les enfants. Oui, par manque de moyens, la pédopsychiatrie doit depuis des années « trier » les enfants. Oui, en Seine-Saint-Denis, les enfants souffrent davantage qu’ailleurs, et reçoivent moins de moyens qu’ailleurs. Oui, le constat est alarmant dans le département de Seine-Saint-Denis, qui a besoin d’une aide massive et urgente. Ce ne sont pas les professionnels qui « trient » mais la France qui trie ses enfants, et délaisse ceux du 93.
Signataires :Thierry Baubet, chef du service de pédopsychiatrie du CHU Avicenne, Bobigny ; Jean-Pierre Benoit,chef du service de pédopsychiatrie du centre hospitalier Delafontaine, Saint-Denis, responsable de la commission de pédopsychiatrie de la communauté psychiatrique de territoire (CPT) 93 ; Assia Farhi, médecin directrice du centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) de la Courneuve ; Charlotte Flouest-Nguyen, médecin directrice du CMPP d’Aubervilliers ; Vincent Gaulin, médecin directeur du CMPP de Saint-Denis ; Ligia Gorini, chef de service de pédopsychiatrie à l’établissement public de santé (EPS) de Ville-Evrard, Neuilly-sur-Marne ; Noël Pommepuy, chef de service de pédopsychiatrie et président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’EPS de Ville-Evrard, Neuilly-sur-Marne ; Clémentine Rappaport, chef du service de pédopsychiatrie du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois ; Bertrand Welniarz, chef de service de pédopsychiatrie à l’EPS de Ville-Evrard, Neuilly-sur-Marne.
Tous sont membres du Collectif Pédopsy93.
****La Cour des comptes alerte à son tour sur l’offre de soins en pédopsychiatrie
Dans un rapport présenté mardi 21 mars, jugeant l’offre « inadaptée aux besoins de la jeunesse », peu lisible et saturée, la Cour appelle à une réorganisation pour faciliter l’accès aux soins.
Par Mattea BattagliaPublié le 22 mars 2023 à 10h56, modifié le 22 mars 2023 à 11h36
C’est un coup de projecteur – et ce n’est pas le premier – sur l’état de la pédopsychiatrie en France. Mais face aux alertes, partagées par les spécialistes de l’enfance, sur la prévalence des troubles psychiques chez les plus jeunes, le rapport rendu public par la Cour des comptes, mardi 21 mars, a le mérite de rappeler, chiffres à l’appui, le défi d’un « accès et [d’]une offre de soins à réorganiser ».
C’est d’ailleurs le titre du rapport de 140 pages présenté à la presse, mardi matin, par le premier président de la Cour, Pierre Moscovici. Aboutissement d’une centaine d’entretiens, de près de 300 auditions, de déplacements dans quatre régions et dans deux pays étrangers – la Suède et la Belgique –, le rapport tel que l’a restitué le haut fonctionnaire s’articule autour de « trois messages » : « L’offre de soins psychiques est inadaptée aux besoins de la jeunesse ; le parcours, organisé en “secteurs” [un héritage des années 1970], est peu lisible et saturé ; enfin, la gouvernance est peu adaptée », en dépit du volontarisme politique affiché depuis 2018 et l’adoption par le gouvernement d’une « feuille de route » sur la santé mentale.
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Au centre du rapport, des enfants et adolescents en souffrance. Les magistrats de la rue Cambon, tout en insistant sur le manque de données épidémiologiques récentes, avancent le chiffre de 1,6 million de jeunes concernés. Entre 750 000 et 850 000 de ces mineurs bénéficient, annuellement, de soins prodigués en pédopsychiatrie. En creux, on mesure l’étendue de ceux qui n’en bénéficient pas, alors la crise du Covid-19 a accru – et mis en lumière – l’étendue des besoins.
Manque de soins de « première ligne »
Au centre du rapport, également, des soignants, des établissements et des centres de prise en charge en tension. Dans l’état actuel de l’organisation, en particulier dans les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ) – considérés comme la porte d’entrée dans le parcours de soins –, la Cour constate qu’une partie des jeunes suivis ne souffrent que de « troubles légers », au détriment de la prise en charge d’enfants affectés de troubles plus sévères.
L’écart entre les besoins et l’offre révèle des difficultés structurelles d’accès : manque de soins de « première ligne » adaptés à la diversité des troubles, insuffisante gradation des soins, inégalités territoriales. Quelques chiffres inscrivent ces tensions sur le temps long : ainsi de la diminution du nombre de pédopsychiatres de 34 % entre 2010 et 2022. Sur la période, le nombre de ces praticiens est passé de 3 113 à 2 039, selon les données transmises à la Cour par l’ordre des médecins.
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Ainsi, aussi, de la baisse du nombre de lits d’hospitalisation, estimée à 58 % entre 1986 et 2013, au nom de la politique du « virage ambulatoire » (visant à supprimer des lits au profit de prises en charge en CMP-IJ). En pratique, l’absence de solutions d’hospitalisation entraîne des refus d’admission, des priorisations sur les situations les plus graves, ou encore un accueil de mineurs dans des services pour adultes, relèvent les rapporteurs.
La Cour ne réclame pas de « coup de rabot » sur les dépenses en pédopsychiatrie, estimées à 1,8 milliard d’euros dans les établissements de santé et à 1,06 milliard d’euros dans les centres médico-sociaux (chiffrage de 2019). Soit, toutes structures et tous exercices confondus, quasiment 3 milliards d’euros annuels. « Ce n’est pas leur niveau qui nous interpelle, mais le sentiment que ces dépenses pourraient être mieux utilisées », commente-t-on rue Cambon.
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Entre autres préconisations, le rapport suggère de renforcer la formation des médecins généralistes et pédiatres, pour qu’ils jouent un rôle de premier plan dans l’accueil et l’orientation des jeunes patients, ou de s’appuyer sur les psychologues libéraux, qui « ont vocation à prendre progressivement une place dans le parcours de soins ». Autre proposition : élargir les expérimentations des maisons de l’enfance et des familles aux adolescents, dans l’optique de décharger les CMP-IJ d’une partie de leurs missions, en leur permettant de se recentrer sur le suivi des troubles modérés à sévères. Les « assises de la pédiatrie », promises par le ministère de la santé, pourraient être une occasion de revenir sur ce vaste chantier.
Voir aussi:
L’ensemble des chefs de service de pédopsychiatrie et des médecins de centres médico-psychologiques de Seine-Saint-Denis, sonne l’alarme https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/27/38265/
Pour le responsable Toulousain de la Pédo-Psychiatrie: « nous faisons du soin dégradé » https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/20/37988/