Un processus de « réappropriation du droit à la parole de hauts fonctionnaires » face au devoir de réserve.

Réforme des retraites : ces hauts fonctionnaires qui préfèrent « l’intérêt général » au devoir de réserve

Énarques révoltés

Par Lucas Planavergne

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« Les membres des grandes institutions de l’État devraient jouir de la même liberté d’expression que les autres acteurs du service public », estime un agent de la Cour des comptes.

Publié le 14/04/2023 à 16:34 https://www.marianne.net/societe/reforme-des-retraites-ces-hauts-fonctionnaires-qui-preferent-linteret-general-au-devoir-de-reserve

Dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites, des agents de grands corps de l’État, comme la Cour des comptes, pratiquent eux aussi la grève. Un mouvement qui s’inscrit dans un processus de « réappropriation du droit à la parole des fonctionnaires » face au devoir de réserve.

Fini la discrétion. La réforme des retraites portée par Emmanuel Macron mobilise… jusque dans les grandes institutions de l’État. Ces dernières semaines, des dizaines de magistrats, agents et personnels de contrôle de la Cour des comptes et des Chambres régionales des comptes se sont mis en grève. « Nous avons été actrices, acteurs ou témoins de la mobilisation massive qui s’est exprimée depuis janvier avec calme et dignité sur la totalité du territoire, en opposition notamment au recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans », assurait le collectif Juridictions financières (JF), dans un communiqué diffusé le 22 mars sur Twitter, annonçant sa participation aux manifestations organisées à l’appel de l’intersyndicale.

Le timing de cette annonce n’est pas anodin. Elle intervient en réaction à l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, permettant à l’exécutif d’adopter le texte sans vote des députés. « Dans une période critique pour la stabilité de nos institutions et face au risque de fracturation de notre société, il est de la responsabilité de chacun de faire entendre sa voix, en tant que citoyen », juge un jeune fonctionnaire de la Cour des comptes et membre du collectif JF, interrogé par Marianne. D’après lui, la situation de blocage dans les rues s’explique aussi par une « absence de dialogue » et « l’utilisation d’un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale » pour faire passer la réforme.

OBLIGATION DE LOYAUTÉ ?

Auparavant, des agents du comité de mobilisation de la direction générale de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) avaient déjà pris position sur le sujet, en proposant des analyses statistiques du fond de la réforme. Dans un communiqué daté du 29 mars, ces derniers s’étaient même prononcés contre « la fermeture administrative des universités » qui empêche, d’après eux, les étudiants de se mobiliser. « Stop aux violences policières », appelaient-ils encore, après les heurts entre manifestants et forces de l’ordre lors des dernières journées de grève nationale. De leur côté, les hauts fonctionnaires de la Cour et des chambres régionales des comptes se focalisent seulement sur l’impasse démocratique liée à l’adoption du texte gouvernemental. Dans leur communication publique, les termes employés sont mesurés

« Nous ne pas parlons pas au nom de l’institution », n’oublient-ils, par ailleurs, jamais de préciser.« C’est aussi pour éviter le mélange des genres, notamment en raison de « l’impartialité des magistrats ». Ces précautions sont également nécessaires pour que notre message soit audible vis-à-vis de nos collègues, qui ne le percevraient pas de la même façon », confie l’agent de la Cour des comptes. Il précise que les interrogations soulevées sont« largement partagées en interne » et n’ont provoqué « aucune réaction négative » même si tout le monde n’est sans doute « pas prêt à passer le cap de l’expression ».Selon le haut fonctionnaire, ce mouvement s’inscrit dans « un processus progressif de réappropriation de la parole » et de « remise en cause » du principe de devoir de réserve. « Les membres des grandes institutions de l’État devraient jouir de la même liberté d’expression que les autres acteurs du service public, comme les professeurs ou le personnel hospitalier » estime-t-il. Avant de développer : « L’idée classique, c’est que nous sommes soumis à une loyauté envers notre hiérarchie. Mais nous jugeons que notre responsabilité, c’est plutôt d’être loyal à l’intérêt général du pays ! »CONFUSION ENTRE RÉSERVE ET NEUTRALITÉSi la liberté d’opinion des agents est depuis longtemps consacrée dans le code général de la fonction publique, la liberté d’expression à proprement parler n’y figure pas. « En réalité, c’est parce que l’on considère qu’en dehors de l’exercice de ses fonctions, un fonctionnaire bénéficie des mêmes droits que n’importe quel autre citoyen », détaille Alexis Zarca, maître de conférences en droit public à l’université d’Orléans. « Il y a régulièrement une confusion entre le devoir de réserve et l’obligation de
page3image36276048 page3image36287072neutralité, quiMnENeU renvoient pas aux mêmes prérogatives » constate-t-il encore, auprès de Marianne. Alors que l’obligation de neutralité relève
d’une interdiction stricte d’exprimer des opinions politiques ou religieuses dans le cadre de ses fonctions, le devoir de réserve ne figure pas dans les textes, à part dans le statut des militaires, les policiers et les magistrats. En revanche, il s’applique aussi dans la sphère privée.
« Rien n’interdit à un fonctionnaire d’exprimer ses opinions. Ce qui compte, c’est surtout que sa façon de le faire soit mesurée et non outrancière, pour ne pas discréditer le service public » commente l’universitaire, ajoutant que les manquements à ce devoir sont appréciés par les juges « au regard de considérations très diverses », notamment la forme, le contenu ou encore l’auteur des propos. Le poste occupé par l’agent et sa place dans la hiérarchie comptent également. « Au vu de la jurisprudence, il est clair que l’attente concernant le devoir de réserve est bien plus importante pour un haut fonctionnaire que pour des enseignants ou des collaborateurs de préfecture » conclut le spécialiste.
Par Lucas Planavergne

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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