Maltraitance dans les crèches : insultes, déshydratation, couches souillées… ce que dénonce le rapport de l’Igas
Un rapport de l’Igas dénonce la maltraitance dans les crèches. Pexels
Société, Faits divers, France – Monde
Publié le 11/04/2023 à 14:20
l’essentiel
L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) s’alarme sur les cas de maltraitance au sein des crèches françaises dans un rapport publié ce mardi 11 avril.
https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2022-062r_tome_1.pdf
La « qualité de l’accueil » n’est pas toujours au rendez-vous dans certaines crèches, où les bambins peuvent être exposés à des risques de négligences, voire de maltraitance, souligne un rapport remis mardi au gouvernement, qui appelle à un « changement de regard » sur un secteur longtemps considéré sous le seul prisme du manque de places.
La situation est « très disparate » d’un établissement à l’autre, le meilleur côtoyant le pire, s’alarme l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui préconise de profondes réformes pour mieux prévenir les maltraitances aux enfants.
Ce sujet est « trop peu interrogé », alors même que « les zones de risque et les faits remontés sont identiques à ceux que l’on constate dans tout accueil de personnes vulnérables et dépendantes », c’est-à-dire dans les maisons de retraite ou les établissements pour personnes handicapées, relèvent les auteurs du rapport.
Un bébé de 11 mois mort il y a près d’un an
Interrogée par l’AFP, la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) a indiqué qu’elle étudierait en détail le rapport, et qu’elle comptait « faire des propositions pour que l’ensemble des dysfonctionnements signalés ne puissent plus se reproduire ».
L’Igas avait été missionnée par le gouvernement après la mort d’un bébé de 11 mois dans une crèche privée à Lyon en juin, une affaire dans laquelle une salariée a été mise en examen, soupçonnée d’avoir fait ingérer à l’enfant un produit caustique.
Pour mener leurs travaux, les inspecteurs se sont rendus dans 36 établissements publics et privés à travers la France. Ils ont également diffusé un questionnaire auquel ont répondu 5 275 directeurs, 12 545 salariés de crèches et 27 671 parents. Beaucoup d’adultes interrogés ont décrit des situations s’apparentant à de la maltraitance, soulignent les auteurs, évoquant des enfants oubliés sur les toilettes, privés de sieste faute de lits en nombre suffisant, ou au contraire qu’on laisse pleurer jusqu’à ce qu’ils s’endorment.
Humiliations et insultes
D’autres témoignages font état d’enfants à qui on ne donne pas à boire, « comme ça, on change moins les couches », que l’on laisse trop longtemps dans leur couche souillée, que l’on humilie ou insulte (« tu chouines pour rien », « tu sens mauvais »…), que l’on nourrit de force en leur pinçant le nez pour qu’ils ouvrent la bouche, ou même que l’on maltraite physiquement en leur tirant les cheveux ou en les attachant à un radiateur.
Face à ces constats, « l’ensemble des recommandations » du document seront prises en compte, a assuré dans un communiqué le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, qui souhaite « agir rapidement ». « Je serai vigilante à la mise en œuvre des recommandations et des contrôles », a tweeté la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel. « Pas question de vivre une crise des Ehpad 2.0. »
Jean-Christophe Combe devrait annoncer des mesures dans le courant du printemps, dans le cadre du « service public de la petite enfance » promis par le président Macron: ce chantier a une dimension quantitative, avec la création nécessaire de davantage de places, mais aussi une dimension qualitative, a souligné l’entourage du ministre.
Difficultés à bien accueillir les enfants
Pour l’Igas, rehausser la qualité de l’accueil doit passer par un renforcement des contrôles, un relèvement des taux d’encadrement et du niveau de qualification des professionnels, mais aussi par un mode de financement des établissements conditionné à des objectifs de qualité.
Les rapporteurs soulignent également la nécessité de remédier au manque d’attractivité des métiers de la petite enfance, qui entraîne un sous-effectif chronique et donc un épuisement des professionnels en poste. Il s’agit là d’un « facteur aggravant autant que (d’un) symptôme » des difficultés à bien accueillir les enfants, selon eux.
Pour un bébé de moins d’un an, passer 40 heures par semaine en crèche, avec ce que cela « implique de bruit, d’agitation, de risques de surstimulation » n’est de toute façon pas forcément la réponse la plus adaptée à ses besoins, estime l’Igas. Elle appelle en conséquence à « revoir la durée et les règles de rémunération des congés maternel, paternel et parentaux » pour « accroître la possibilité de présence parentale auprès de l’enfant pendant la première année de vie ».
La rédaction avec l’AFP
Petite enfance : un rapport de l’Igas alerte sur la « maltraitance institutionnelle » pesant sur le personnel des crèches
Commandé après la mort d’une fillette dans une crèche privée en 2022, le diagnostic souligne de nombreuses défaillances et n’hésite pas à faire un parallèle avec les Ehpad. Les auteurs appellent à un « changement culturel » dans les établissements d’accueil des jeunes enfants.
Par Solène Cordier Publié Le 11 Avril 2023 à 09h00, modifié à 10h19 https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/11/petite-enfance-un-rapport-de-l-igas-alerte-sur-la-maltraitance-institutionnelle-pesant-sur-le-personnel-des-creches_6169031_3224.html
Plus de neuf mois après la mort d’une fillette dans une crèche privée à Lyon, après qu’une professionnelle l’eut forcée à ingérer de la soude caustique, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publie, mardi 11 avril, un rapport alarmant sur le secteur de la petite enfance. Elle avait été saisie par le ministre des solidarités, Jean-Christophe Combe, pour « apporter rapidement des éclaircissements quant aux facteurs qui, dans cette crèche, dans ce réseau et dans le cadre général des modes d’accueil collectif, auraient pu concourir à l’installation de telles situations ».
Leurs réflexions s’appuient sur des auditions, des visites de terrain dans huit départements et dans trente-six établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), mais aussi sur trois questionnaires adressés aux directeurs d’établissement, aux professionnels et aux parents, qui ont reçu respectivement 5 275, 12 545 et 27 671 réponses.
Fruit de quatre mois d’investigations, le document éclaire d’une lumière crue des défaillances majeures au sein des EAJE. Certes, le secteur se caractérise par une « grande hétérogénéité », ont souligné les auteurs lors d’une présentation en avant-première organisée au ministère des solidarités, jeudi 6 avril, devant les membres du Comité de filière petite enfance, qui réunit les principaux acteurs professionnels – présentation à laquelle Le Monde a assisté. Il n’empêche : bien souvent, « les conditions ne sont pas entièrement réunies, à ce jour, pour garantir un accueil de qualité ».
Trente-huit recommandations
Le rapport alerte sur la « maltraitance institutionnelle » pesant sur les professionnels, ce qui augmente le risque de situations de maltraitance individuelle. Une partie du document est consacrée à ce sujet délicat. « L’accueil des jeunes enfants présente des risques similaires voire supérieurs aux risques constatés dans tous les lieux d’accueil de personnes vulnérables ou dépendantes », préviennent les auteurs.
Lire aussi : Pénurie de professionnels, épuisement, risque de maltraitance : le secteur de la petite enfance à bout de souffle
Environ 2 000 situations de maltraitance sont remontées à l’Igas via les questionnaires. Un quart des répondants professionnels indiquent avoir travaillé dans un établissement considéré comme maltraitant. Contention, forçage alimentaire, violences physiques et psychologiques… La lecture des verbatims, reproduits dans le rapport, est éprouvante. Les auteurs plaident pour une autre approche de la maltraitance, qui reste encore bien souvent un « impensé » et prend racine dans la dégradation des conditions de travail, une formation et une culture du signalement insuffisantes ainsi que dans le manque de temps de réflexion sur les pratiques professionnelles. Le parallèle avec la situation des Ehpad est assumé.
Trente-huit recommandations sont énoncées en vue d’une refonte globale. Avec un impératif adressé aux pouvoirs publics ainsi qu’aux professionnels et aux familles : celui de sortir de la logique faisant des crèches en premier lieu un service rendu aux parents pour les replacer à leur « juste place », soit « celle d’un accueil de personnes en situation d’extrême vulnérabilité et d’extrême dépendance ». Et ainsi, de « prendre la mesure de ce que ce type d’activités implique en termes de conditions de travail, de temps nécessaire à l’accompagnement des personnes, de formation, de prévention des risques, d’évaluation et de contrôle ».
Pour aller vers le « changement culturel » que préconise l’Igas, plusieurs leviers sont identifiés, concernant la formation des professionnels, le financement, la gouvernance et le contrôle des établissements. Les inspecteurs se prononcent en faveur d’une révision des modes de tarification actuels – les prestations de service unique et d’accueil du jeune enfant – qui ne garantissent pas de financement « orienté vers la qualité d’accueil ».
Un rapport « criant de vérité »
Les normes en matière de taux d’encadrement, qui « ne rejoignent pas les recommandations du consensus scientifique et ne permettent pas aux personnels de respecter les rythmes individuels », sont sévèrement critiquées. Le contexte de pénurie des professionnels – 10 000 postes vacants, ce qui provoque la fermeture de 9 500 places – ne fait qu’accentuer la pression sur ceux en poste. Conscients de la fragilité de la situation actuelle, les inspecteurs de l’Igas plaident d’ailleurs, concernant la refonte des normes, pour des « trajectoires » plutôt qu’un relèvement brutal
.Lire aussi : Crèches : une pénurie de personnel et un manque de places partout en France
A l’issue de la présentation faite au ministère des solidarités, jeudi, plusieurs représentants du secteur ont témoigné de leur grande émotion et salué un « travail extraordinaire », « criant de vérité ». D’autres un « rapport assez douloureux ». Certains laissaient poindre leur inquiétude, soulignant le risque de « tempête médiatique et politique » et d’« opprobre sur tout le secteur ». Nombreux étaient ceux qui interrogeaient la suite qui sera donnée à ce travail.
Le ministère s’est engagé à s’y référer dans le cadre des négociations actuelles autour de la convention d’objectifs et de gestion 2023-2027 entre l’Etat et la Caisse nationale des allocations familiales. Surtout, le futur service public de la petite enfance, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, sera dévoilé prochainement. Il placera « deux priorités sur le même plan », assure-t-on au cabinet de M. Combe : « développer les places d’accueil, ce qui est une demande des parents, mais aussi mettre la qualité au cœur des places existantes et des futures places qui seront ouvertes ».