Pêche : une ONG porte plainte contre le secrétaire d’État à la mer pour « propos mensongers »
Pour Bloom, une ONG de protection des océans, Hervé Berville a instrumentalisé la mobilisation des « pêcheurs en colère » avec des « propos mensongers » sur l’interdiction du chalutage dans les aires marines protégées. Une mesure qui n’avait jamais été prononcée.
11 avril 2023 à 16h55
https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/110423/peche-une-ong-porte-plainte-contre-le-secretaire-d-etat-la-mer-pour-propos-mensongers?utm_source=quotidienne-20230411-193810&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20230411-193810&M_BT=115359655566
L’ONG Bloom a porté plainte, mardi 11 avril, contre le secrétaire d’État à la mer Hervé Berville devant la Cour de justice de la République – la juridiction compétente pour juger les membres du gouvernement pour des délits ou crimes commis dans l’exercice de leur fonction. L’ONG de protection des océans fondée par l’écologiste Claire Nouvian dénonce des propos « graves » et « mensongers »qui, selon elle, « ont provoqué la commission d’infractions et remis en cause les principes de dignité, de probité et d’intégrité auxquels sont tenus les membres du gouvernement selon les lois de la République ».
À plusieurs reprises, en mars, le secrétaire d’État s’était indigné d’une interdiction du chalutage dans les aires marines protégées voulue par la Commission européenne. Sauf qu’une telle mesure n’a jamais été adoptée par Bruxelles. Selon Bloom, « le secrétaire d’État Hervé Berville a construit de toutes pièces un péril imaginaire pour l’ensemble du secteur afin de satisfaire un lobby chalutier et industriel opposé à toute remise en cause de ses pratiques et au principe même de concéder à la protection une partie de l’océan qu’il exploite sans relâche ».
Cette non-mesure avait cristallisé les tensions parmi les pêcheurs engagés dans une mobilisation depuis début mars autour de diverses revendications, notamment les restrictions des zones de pêche post-Brexit, le prix du carburant ou encore des dysfonctionnements au niveau de l’interprofession de la filière pêche. Lors d’une journée « filière morte », le 30 mars, environ 500 pêcheurs avaient lancé des centaines de fusées de détresse et tirs de mortiers contre l’Office français de la biodiversité de Brest – le service public chargé de la protection des aires marines protégées.
Relire ci-dessous notre article, publié le 7 avril 2023 après l’incendie de l’Office français de la biodiversité, qui décrypte la manipulation de la mobilisation des pêcheurs contre « l’interdiction » du chalutage dans les aires marines protégées.
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« C’était un assaut en règle, nous on l’a vécu comme une attaque », témoigne anonymement un personnel du site national de l’Office français de la biodiversité (OFB) situé sur le port de Brest. Pendant l’après-midi, jeudi 30 mars, des centaines de tirs de mortiers et de fusées de détresse – au minimum 300 – ont ciblé ce bâtiment public dédié à la protection de la biodiversité. Plus tard, dans la nuit, un incendie s’est déclaré et a détruit une partie de l’OFB breton. Une enquête est en cours pour déterminer l’origine exacte du sinistre.
La préfecture était prévenue : elle avait demandé à la direction de l’OFB d’évacuer son personnel avant l’arrivée des manifestants. Pourtant, selon les témoins, le moment venu, aucun dispositif de maintien de l’ordre n’est déployé sur place. « Et surtout, aucun policier n’intervient », dénonce A., un autre agent de l’OFB de Brest, qui préfère, lui aussi, taire son nom par crainte de représailles. Contactée plusieurs fois depuis lundi 3 avril, la préfecture du Finistère n’a pas souhaité apporter une autre version.

Ce jour-là, en fin de journée, une autre manifestation est organisée à Brest en soutien aux manifestantes et manifestants blessés à Sainte-Soline. « En termes de dispositif policier, la différence est saisissante », ironise le fonctionnaire de l’OFB. La presse locale décrit en effet un important dispositif de maintien de l’ordre pour surveiller les 400 personnes qui se sont déplacées.
Quatre jours plus tard, le 3 avril, le Comité national des pêches – l’influente interprofession de la filière – sonne le glas de la mobilisation : les pêcheurs ont obtenu gain de cause. Ils peuvent retourner à la mer. Fin de l’histoire, qui passe plutôt inaperçue.
Mais dans les rangs des pêcheurs, quelques-uns se réveillent un peu désorientés. « C’est une arnaque », finit par prendre conscience T., un pêcheur à la ligne du Finistère, mobilisé depuis début mars. Au départ, le mouvement des « pêcheurs en colère » – dans lequel il s’est impliqué dès ses prémices – avait formulé une quinzaine de revendications très diverses. Plusieurs d’entre elles réclament des changements au niveau de l’interprofession de la pêche, dont « la dissolution du Comité national des pêches » et la démission de son président, qui « par le cumul intolérable de mandats n’est plus crédible aux yeux de la profession ».
Les « pêcheurs en colère » décrivent aussi leurs difficultés face à l’augmentation des prix du carburant et dénoncent la réduction des espaces de pêche dans le cadre du Brexit ou de la décision du Conseil d’État pour limiter les captures accidentelles de dauphins dans le golfe de Gascogne. Finalement, c’est l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées qui a cristallisé les tensions. Et c’est sur ce point uniquement que les pêcheurs ont été entendus.
Une interdiction inexistante
Sauf que… aucun projet d’interdiction n’a jamais été sur la table. Fin février dernier, la Commission européenne a bien présenté un plan d’action pour verdir la pêche. Il incite notamment les États membres volontaires à s’engager dans la voie d’une interdiction progressive du chalutage de fond dans les aires marines protégées d’ici 2030. Ce qui n’est qu’un rappel d’une directive européenne de 1992.À LIRE AUSSIPêche durable : la France assume désobéir aux règles européennes
8 juin 2022
Bien loin de l’interdiction implacable, la Commission européenne « invite au dialogue avec les pêcheurs », à « une approche collaborative », sans caractère contraignant, afin de mieux protéger les aires marines protégées, qui n’ont pour l’instant de « protégé » que le nom. Selon la Commission européenne, moins de 1 % des aires marines protégées le sont réellement. Le chalutage de fond, entre autres, y est autorisé et intensément pratiqué.
Le chalutage de fond consiste à racler le plancher océanique avec de lourds engins pour capturer les espèces sans grande distinction, dont beaucoup de poissons de moindre qualité mais aussi des « prises accidentelles » comme des tortues ou parfois des dauphins.
La technique est particulièrement destructrice pour les écosystèmes marins mais aussi le climat. Un chalut semi-industriel dépense 1 à 2 tonnes de gazole par jour, sans compter les émissions de CO2 générées par la mise en suspension des sédiments sous-marins. D’un point de vue environnemental, la nécessité de mettre fin à cette technique de pêche fait l’objet d’un consensus scientifique mondial.
Au-delà des enjeux écologiques, c’est le modèle économique d’une minorité (environ 20 % des pêcheurs en France) qui arrive en bout de course. « À terme, il faut interdire le chalut dans les aires marines protégées, et on peut même être plus radical : dans 30 ans, le chalut aura disparu, un peu comme la voiture thermique », estime l’association Pleine Mer, engagée pour la transition écologique de la pêche. Selon son coordinateur, Thibault Josse, le secteur survit grâce à la détaxe du gazole maritime et aux aides aux carburants. « Mais pour combien de temps une détaxe sur le gazole serait-elle acceptable par une société en prise de conscience écologiste ? »,interroge le militant associatif.
On est en train d’attendre sans rien faire, en se réjouissant de victoires qui n’en sont même pas.
C., chalutier artisanal
C., chalutier artisanal en Bretagne, ne vit déjà plus dignement de son métier. « Le gazole représente presque les trois quarts de mes charges d’exploitation. Même avec les aides, j’ai dû mal à sortir un salaire. Surtout que la détaxe, ce n’est pas directement à la pompe, et les remboursements prennent du temps. Si on supprime des zones de pêche, si on supprime des aides, pour moi, c’est terminé. Alors j’ai des inquiétudes, forcément. Moi je ne suis pas anti-écolo, je veux vivre d’un beau métier dont je suis fier et protéger la mer, qui est mon gagne-pain. Mais qu’est-ce qu’on fait pour préparer la suite ? On est en train d’attendre sans rien faire, en se réjouissant de victoires qui n’en sont même pas. »
Parmi les pêcheurs, mais aussi au sein des associations ou des cercles scientifiques, des voix s’élèvent pour dénoncer une instrumentalisation de la mobilisation des « pêcheurs en colère ». Elles accusent notamment le secrétaire d’État à la mer Hervé Berville d’avoir mis le feu aux poudres autour de cette mesure sur les aires marines protégées pour, en définitive, se présenter comme le grand défenseur des pêcheurs en gagnant ce combat contre Bruxelles, qu’il n’a même pas eu à mener.
« La France est opposée à ce plan de la Commission car, littéralement, ce plan condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître. Pas dans 10 ans, demain », déclarait-il le 8 mars dernier devant le Sénat. Ce funeste destin prédit par le gouvernement est largement relayé parmi les pêcheurs, la rumeur enfle, elle est entretenue par le Comité national des pêches et ses relais locaux, qu’importe son absence de fondement.
Hervé Berville va jusqu’à rencontrer le commissaire européen à l’environnement pour porter la voix des pêcheurs et se réjouit dans un communiqué d’avoir « obtenu la confirmation qu’une interdiction des engins mobiles de fond dans les aires marines protégées ne serait pas imposée aux États membres ». Ce dont il n’a jamais été question et ce qui revient, dans les faits, à positionner la France contre tout effort pour mieux protéger des zones censées être protégées.
Déclaration d’Hervé Berville au Sénat © Bloom
Autre gagnant de l’entourloupe : le Comité national des pêches. « Il a récupéré le mouvement sur cette fausse revendication, obtenu “gain de cause” et mis fin à la mobilisation. Au départ, les manifestants parlaient quand même de dissoudre le Comité. On s’est fait éteindre avec un faux cadeau sans que le reste des difficultés réelles des pêcheurs ne soit résolu », dénonce un « pêcheur en colère » qui tente de s’organiser avec d’autres manifestants pour donner un nouveau souffle à la mobilisation en dehors du giron de l’interprofession. Cette dernière, sollicitée, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Une « négation de [son] travail », pour l’Office français de la biodiversité
Au sein de l’Office français pour la biodiversité, la séquence est particulièrement indigeste. « Hervé Berville ne dit pas la vérité et ce n’est pas du tout responsable de dire qu’il n’y aura pas de mesure pour protéger les aires marines protégées, dénonce un cadre de l’OFB. C’est même l’une des missions de l’Office français de la biodiversité depuis de nombreuses années. Une mission déjà très laborieuse, qui vient de prendre un nouveau coup dans l’aile.
« La communication du gouvernement rend inaudibles les considérationsenvironnementales sur ce sujet en opposant systématiquement conservation de la biodiversité et conservation du tissu socio-économique, alors que notre travail est justement de faire les deux », décrit un agent de l’office.
Par exemple, en 2016, l’OFB parvient, à l’issue d’une négociation de longue haleine, à tomber d’accord avec les pêcheurs de la baie de Seine en Normandie pour restreindre les zones de chalutage de fond. L’idée était assez simple : fermer les zones peu chalutées tout en laissant libres à la pêche les espaces avec une forte activité. « On a fait de la dentelle pour protéger au moins certaines zones de conservation prioritaire tout en préservant le tissu socio-économique », explique le fonctionnaire chargé du dossier. Mais la mesure n’a jamais été mise en œuvre.
Même projet inabouti sur le plateau de Rochebonne. Il y a deux ans, les pêcheurs ont proposé de fermer une partie de cette zone sensible à la pêche. « Certes, on peut discuter de ce périmètre très limité mais c’était déjà ça. » Deux ans plus tard, rien n’a changé. « À l’OFB, il y avait déjà une grande lassitude face à l’inaction de l’État. Mais avec l’incendie et cette position du gouvernement complètement prochalutage, pour nous, c’est carrément la négation de notre travail. »
Bloom attaque en justice le secrétaire d’État à la Mer
Biodiversité | 12.04.2023 | F. Bénard

Ce 11 avril, l’ONG Bloom a annoncé porter plainte auprès de la Cour de justice de la République contre le secrétaire d’État à la Mer, Hervé Berville. Elle lui reproche des « propos graves qui ont provoqué la commission d’infractions et remis en cause les principes de dignité, de probité et d’intégrité auxquels sont tenus les membres du Gouvernement ».
Bloom cite pour exemple les propos de M. Berville qui a affirmé à plusieurs reprises dans la presse et au sein des institutions publiques et européennes que le Plan d’action pour l’océan de la Commission européenne, publié en février, allait « condamner la pêche artisanale française et l’amener à disparaître, pas dans dix ans, demain ». Or il s’avère que ce Plan d’action n’est pas contraignant : l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées n’est pas obligatoire, mais recommandée afin de protéger les écosystèmes marins. Des propos jugés « irresponsables » de la part du secrétaire d’État, que l’ONG accuse de « déchirer le tissu social et abîmer le débat public ». Ses interventions auraient en effet « mis le feu aux poudres et généré un désordre » ayant contribué à l’incendie des bureaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest, chargé de la gestion des aires marines protégées, dans la nuit du 30 au 31 mars dernier.
« En dépositaire de l’autorité publique, M. Berville aurait dû et devrait préparer la transition socio-écologique du secteur d’ici à 2030 », dénonce Bloom. L’ONG lui reproche ainsi son inaction face à la crise climatique et de la biodiversité, notamment marine, de même que face aux difficultés économiques de la filière pêche, aujourd’hui fortement dépendante des aides au gazole pour faire face à la hausse des prix du carburant.
Bloom décrie l’absence de « dialogue apaisé » et la vulnérabilité des pêcheurs côtiers et artisans face au lobby chalutier et industriel.
Fanny Bénard, journaliste
Rédactrice spécialisée

| La France touche le fond |
| Chers amis, chers soutiens,La France touche le fond. On pourrait même dire qu’elle le racle.Nous assistons depuis trois semaines à une séquence inédite. Non seulement le gouvernement a lancé une opération de diabolisation et de répression violente des mouvements écologistes qu’aucun gouvernement de la Vème République n’avait jamais menée jusqu’ici, mais il vient également de générer lui-même pertes et fracas dans les ports de pêche de France sur la base de mensonges pyromanes martelés par le secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville.Il résulte de la manœuvre terriblement cynique du gouvernement un renforcement de la position dominante des lobbies industriels les plus destructeurs de l’environnement et un choix très clairement assumé par la France de ne jamais protéger l’océan et le climat. Retour sur une affaire grave à laquelle nous entendons évidemment donner suite. |
| Intox et fake news : le gouvernement tombe bien bas M. Berville, dans une séquence rondement menée avec ses complices politiques du Comité national des pêches maritimes, le CNPM (l’équivalent de la FNSEA pour l’agriculture), a mis le feu au littoral français en annonçant aux pêcheurs, sur un ton apocalyptique, leur mort, non pas prochaine mais immédiate.Les mensonges incendiaires du secrétaire d’État se sont transformés en flammes très réelles dans différents ports de pêche, le chaos aboutissant même à de graves dégradations matérielles, notamment pour le siège de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest, parti en fumée le 30 mars dernier. |
| Nous décryptons ci-dessous la stratégie du secrétaire d’État et de ses alliés industriels ainsi que ses implications pour la vie publique et la conduite du changement nécessaire de nos sociétés face au péril, réel celui-ci, du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. |
| Une escalade de mensonges pyromanes Le 8 mars au Sénat, Hervé Berville donne le « la »Rappelez-vous : après la sortie du « Plan d’Action pour l’Océan » de la Commission européenne qui rappelle aux États membres qu’ils doivent interdire les engins industriels comme le chalutage de fond dans les aires marines dites « protégées », le secrétaire d’État se positionne résolument du côté du lobby du chalut et martèle : « Le gouvernement est totalement opposé à (…) la mise en œuvre de l’interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées. Totalement, clairement, et fermement. »M. Berville fait tomber les masques. La France, après s’être fait passer pour la championne de la protection marine et avoir clamé sur la scène internationale que nous protégions « plus de 30% de nos eaux », assume désormais de s’opposer formellement à la protection de l’océan et même à la protection… des zones protégées.Galvanisé par le soutien indéfectible des lobbies du chalut et de la pêche industrielle, M. Berville entame après cette allocution une surenchère clientéliste incontrôlée.Le 15 mars à l’Assemblée : le dérapage commenceM. Berville affirme devant la représentation nationale que le plan de la Commission européenne « condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître. Pas dans 10 ans, demain (…) et surtout amènerait (…) à ce qu’on ait simplement de la pêche industrielle dans nos territoires. »Cette séquence, très dense en mensonges, mérite d’être décryptée :Les AMP (aires marines protégées) permettent précisément de protéger la pêche artisanale puisqu’elle seule est autorisée à pêcher dans les zones protégées. Alors que les zones de protection « stricte » interdisent toute activité humaine, une aire marine protégée, au sens large, interdit la pêche et les activités industrielles mais autorise la pêche de petite taille (moins de 12 mètres), sélective et « passive » (à l’inverse des engins tractés).Les AMP sont ainsi le meilleur moyen de mettre fin à l’emprise de la pêche industrielle en créant un espace de travail exclusif pour les petits artisans respectueux de l’environnement. Hervé Berville ne protège que l’industrie chalutière avec de tels propos et condamne une fois de plus la pêche artisanale à la concurrence déloyale que celle-ci subit face aux industriels.Hervé Berville ment aussi à propos de l’échéance en affirmant que le secteur est condamné dès « demain ». Le « Plan d’Action pour l’océan » de la Commission européenne n’a malheureusement rien de contraignant et ne fait que rappeler les États à l’ordre étant donné que nous sommes supposés interdire les engins de pêche impactants dans les zones Natura 2000 au titre de la Directive Habitats (contraignante, elle) depuis… 1992 ! La Commission aurait pu (et dû) ouvrir des procédures d’infraction à l’encontre d’États comme la France qui ont créé des zones faussement protégées depuis 31 ans, mais au lieu de cela, la Commission a manqué de courage et choisi de ne sortir qu’un « plan d’action » non contraignant qui indique un « cap ». Ce que nous avions d’ailleurs regretté au moment de la sortie du Plan d’Action, le 21 février 2023.Dire que la pêche est condamnée « demain » est donc une tromperie grave qui a généré des actes aux conséquences lourdes. |
| Hervé Berville surexcite les esprits dans les médiasLe secrétaire d’État pèche par excès de zèle et part en roue libre dans les médias. Sur France Bleu Armorique le 31 mars, Hervé Berville monte encore d’un cran dans la gravité des propos qu’il tient et annonce la mort de toute la filière pêche :« Cette décision ne vise pas à interdire le chalutage, mais à interdire tous les engins mobiles de fonds. Et donc ça voudrait dire, pour les Bretons qui nous écoutent, qu’en 2024, nous devons dire à nos pêcheurs à la coquille, qui ont montré depuis des décennies qu’ils protègent la ressource, qui la valorisent, qu’ils doivent arrêter purement et simplement leurs activités. Il faudrait aussi dire aux producteurs d’huîtres plates du sud de la Bretagne qu’il faut stopper toute activité en 2024, aux pêcheurs artisanaux côtiers, qu’il faut arrêter toute activité. »Ce discours de marchand de peur est en filigrane parfaitement eurosceptique puisqu’il parle d’une « décision » de Bruxelles alors que :Ce n’est qu’une « orientation » non contraignante donnée par la Commission européenne, même pas une proposition législative et encore moins une « décision ».Le cap fixé ne concerne que les zones protégées et non pas toutes les eaux françaises.L’échéance indiquée par la Commission pour que les États se mettent enfin à protéger l’océan, le climat et les pêcheurs artisans est 2030 et non 2024.L’échéance de 2024 ne concerne que les zones Natura 2000 désignées au titre de la Directive Habitats et qui devraient donc déjà interdire le chalutage de fond depuis 1992… |
| Le secteur s’enflamme, le siège de l’Office français de la biodiversité brûleLe 20 mars, une décision du Conseil d’État ordonnant au gouvernement de prendre des mesures pour protéger les dauphins, victimes d’une hécatombe en raison des activités de pêche, est mêlée aux discours confus tenus par les « pêcheurs en colère ».Le 28 mars 2023, les représentants politiques du secteur qui trahissent depuis des décennies les travailleurs de la mer en ne défendant que les industriels du secteur, récupèrent le mouvement de contestation en lançant l’opération « filière morte » et en attisant la haine contre les associations de défense de l’environnement.Chauffés à blanc par les incantations du secrétaire d’État, amplifiées par les représentants des industriels, les pêcheurs prennent la rue : manifestations, blocages de ports, heurts avec la police, blessures et violences.Le 30 mars à Brest, les pêcheurs s’en prennent à l’Office français de la biodiversité(OFB), chargé de la création et de la gestion des aires (soi-disant) protégées françaises. Des fumigènes sont lancés, un incendie se déclare quelques heures plus tard. Une enquête judiciaire est ouverte. |
| Politiques et industriels s’allient pour préserver leur ascendantDès le début du désordre généré par le gouvernement, les organes politiques de la pêche française sont soutenus par les industriels néerlandais (Vissersbond et VisNed) qui se frottent les mains de voir que les pêcheurs artisans se laissent instrumentaliser contre la protection de l’environnement.Les industriels de la pêche ont tout intérêt à ce que rien ne change puisque le statu quo leur profite : les aires marines protégées les excluraient de zones de pêche entières alors qu’ils ont réussi, depuis des décennies, à sécuriser à leur avantage les licences, les quotas, les zones de pêche, les décisions politiques et le fléchage de l’argent public.Tout ce dont les lobbies ont besoin, c’est de dissocier les pêcheurs artisans d’un combat mené en commun avec les ONG contre leur emprise industrielle sur le secteur. |
| Objectif : scinder les alliances pêcheurs-ONG qui menacent les industrielsLes politiques et les lobbies instrumentalisent donc le « Plan d’Action pour l’Océan » de la Commission européenne en faisant croire à un péril qui n’existe pas (puisque la France est supposée protéger l’océan depuis… 1992) pour scinder les alliances pêcheurs-ONG qui menacent les industriels et réunifier derrière eux le secteur de la pêche.Les industriels ne se trompent pas : les seules décisions simultanément bénéfiques à l’environnement et au secteur de la pêche côtière ont été remportées grâce à la mobilisation conjointe des pêcheurs et de BLOOM.Des avancées concrètes comme notre victoire spectaculaire contre la pêche électrique en 2019 se sont faites contre l’État français et contre le Comité national des pêches maritimes, et grâce à une campagne, main dans la main, entre BLOOM et les pêcheurs côtiers.Pour rappel, c’est encore une alliance BLOOM-pêcheurs côtiers qui avait permis de gagner l’interdiction de la senne démersale en juillet 2022 au Parlement européen. Mais c’est Hervé Berville qui a ensuite trahi les pêcheurs français en refusant cette interdiction en trilogue à Bruxelles, en septembre de la même année. Sa décision ne favorisait que les industriels néerlandais destructeurs de l’océan et abandonnait les pêcheurs français à leur disparition programmée, comme le gouvernement l’avait fait pour la pêche électrique.Aujourd’hui, c’est encore BLOOM qui porte le fer contre les pêches industrielles et défend la protection de l’environnement en même temps que la survie des économies littorales en proposant l’interdiction des navires de plus de 25 mètres dans les 12 milles nautiques de l’UE. Or cet amendement, ESSENTIEL pour la survie des pêcheurs côtiers et déposé au Parlement européen grâce aux députés EELV Marie Toussaint et Yannick Jadot rencontre, comme les autres mesures environnementales et sociales ambitieuses du texte sur la « Restauration de la Nature », l’opposition des députés Renaissance, Les Républicains et Rassemblement National. |
| Les leçons à tirer de ce lamentable épisodeBLOOM a produit une analyse décryptant la stratégie perverse du pouvoir. Notre communiqué de presse a permis d’établir une contre-narration critique des éléments de langage trompeurs qui avaient été façonnés par le secrétaire d’État pour se faire artificiellement passer pour le héros des pêcheurs.Les pêcheurs artisans commencent à prendre conscience de « l’arnaque » politique opérée par le secrétaire d’État avec le Comité national des pêches maritimes (CNPM) et les gros armateurs industriels. L’amertume est grande…Le sénateur écologiste Jacques Fernique s’est adressé à Monsieur Berville lors de la session des ‘Questions au Gouvernement’ cette semaine en soulignant que prétendre défendre les pêcheurs artisans en formant équipage avec les tenants du chalutage de fond était comme « subventionner Amazon en prétendant protéger les commerces de proximité ! ». |
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| Ce qu’implique la posture irresponsable du gouvernement, magistralement dénoncée par le sénateur Fernique, c’est que les citoyens et en particulier la jeunesse, sacrifiée par l’incurie des autorités publiques et leur renoncement à protéger le climat et la biodiversité, doivent prendre leur destin en mains.On ne peut pas compter sur les pouvoirs publics pour organiser la transition vers des modes de production compatibles avec les limites planétaires. A nous de nous organiser ! |
| Les solutions existent, n’attendons plus !Tout l’enjeu de la planification écologique est de minimiser les impacts sur le vivant, les habitats et le climat tout en maintenant le cap de la justice sociale. En régénérant les populations de poissons, il sera même possible de créer de l’emploi, encore faut-il que ce soit une priorité, plutôt que de soutenir la destruction des emplois générée par l’échelle industrielle.« On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages » disait le grand helléniste et résistant Jean-Pierre Vernant. Ce n’est donc pas avec les autorités publiques actuelles ni avec les représentants « officiels » du secteur, en réalité des lobbies industriels, que les voies d’avenir pourront être élaborées.Élaborons les scénarios d’avenirQu’à cela ne tienne ! BLOOM a un plan pour prendre les choses en mains et mener les recherches pratiques et collaboratives qui permettront de sortir des voies de garage dans lesquelles les industriels et leurs soutiens politiques nous enferment. Les solutions sont nombreuses et faciles à mettre en œuvre si tant est qu’il y ait de la volonté, une méthode claire et un cap partagé.Les pêcheurs de bonne foi, conscients et responsables, sont nombreux. Ce ne sont pas ceux qu’on a le plus entendus récemment. Ils souffrent d’ailleurs de la dégradation de leur image auprès du grand public. Certains pratiquent pourtant eux-mêmes des méthodes de pêche destructrices comme le chalutage. Ils savent bien que l’état de la biodiversité marine et du climat oblige à repenser les modes de production et à remiser au placard des engins qui n’auraient, en fait, jamais dû apparaître.Mais vers quoi convertir les métiers ? Vers quelles espèces ? Quelles zones de pêche ? Sur quels quotas ?Tant que ces questions absolument essentielles n’auront pas trouvé réponse, la transition écologique et la protection de l’océan généreront de la peur, voire du rejet. Forger des scénarios d’avenir avec et pour le secteur de la pêche est la façon la plus sûre de gagner sur les tableaux écologique et social. |
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Chalutage dans les aires marines protégées : l’attitude du gouvernement français crée une polémique
Le secrétaire d’Etat à la mer Hervé Berville se targue d’avoir porté la voix de la France à Bruxelles contre le plan en faveur « une pêche durable et résiliente ». Mais les mesures proposées n’ont aucun caractère contraignant.
Par Perrine Mouterde Publié le 03 avril 2023, modifié le 04 avril 2023 à 08h47 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/03/chalutage-dans-les-aires-marines-protegees-la-visite-a-bruxelles-du-secretaire-d-etat-charge-de-la-mer-n-eteint-pas-la-polemique_6168127_3244.html
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Il se félicite d’avoir « obtenu » un engagement en faveur des pêcheurs français, quand des associations et des scientifiques l’accusent de « mensonges » et d’« instrumentalisation ». La visite, dimanche 2 avril, à Bruxelles, du secrétaire d’Etat chargé de la mer, Hervé Berville, à propos de l’autorisation du chalutage dans les aires marines protégées, suscite des réactions contrastées.
Ce déplacement est intervenu après des semaines de tensions. Depuis début mars, Hervé Berville n’a eu de cesse de répéter sa farouche opposition au plan d’action « pour une pêche durable et résiliente » de la Commission européenne. Ce document, présenté fin février, vise à mettre en œuvre la stratégie de l’Union européenne (UE) en faveur de la biodiversité et son engagement à « protéger juridiquement et efficacement » 30 % des mers. Parmi les mesures préconisées, figure la suppression progressive d’ici à 2030 des engins de fond mobiles, tels que les chaluts, les dragues, les palangres ou les casiers, dans toutes les aires protégées.
Dès le 8 mars devant le Sénat, Hervé Berville a fait savoir que le gouvernement était « totalement, clairement et fermement » opposé à cette proposition. « Littéralement, ce plan condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître. Pas dans dix ans, demain, a-t-il précisé le 15 mars devant l’Assemblée nationale. Si ce plan[est] adopté, (…) je vais voir en 2024 tous les pêcheurs à la coquille Saint-Jacques de Port-en-Bessin et je leur dis qu’ils doivent arrêter leur activité, car elle sera un problème pour l’habitat marin. »
« Un gros gâchis »
Dimanche, c’est jusqu’à Bruxelles, où il a rencontré le commissaire européen à l’environnement Virginijus Sinkevicius, en compagnie d’une délégation de pêcheurs, que le secrétaire d’Etat est allé porter « la voix de la France ». A l’issue de cette rencontre, il s’est réjoui, dans un communiqué, d’avoir « obtenu la confirmation qu’une interdiction des engins mobiles de fond dans les aires marines protégées ne serait pas imposée aux Etats membres ». Satisfait, le comité national des pêches a annoncé lundi avoir mis fin à son mouvement de protestation entamé il y a dizaine de jours.
Lire aussi : Les pêcheurs français obtiennent à Bruxelles le maintien du chalutage de fond dans les aires marines protégées
Des associations de protection de la nature et des scientifiques, au contraire, critiquent l’attitude et les propos d’Hervé Berville. L’association Bloom a dénoncé la publication d’un « communiqué triomphant pour se faire passer pour le héros des pêcheurs » alors qu’« aucune menace imminente » ne pesait sur le secteur. Didier Gascuel, directeur du pôle halieutique de l’Institut Agro de Rennes, déplore lui aussi « un gros gâchis ». « M. Berville a chauffé les troupes en faisant peur et en disant que l’Europe voulait la mort de la pêche », regrette-t-il.
Le secrétaire d’Etat est ainsi accusé de se présenter en vainqueur d’un combat qu’il n’a jamais eu à mener, le plan d’action de la Commission n’ayant aucun caractère obligatoire. « Ce plan est une communication non contraignante,rappelle Louis Lambrechts, responsable océans au bureau européen du Fonds mondial pour la nature (WWF). C’est un message politique qui fixe des orientations. » « Hervé Berville fait passer pour une victoire politique ce qui ne l’est pas, puisque le texte n’est pas contraignant », estime aussi Raphaël Seguin, biologiste marin à l’université de Montpellier.
80 % des fonds marins côtiers considérés comme altérés
Le plan – qui ne sera pas modifié après la visite de M. Berville – propose aux Etats membres, d’ici à 2024, d’interdire les engins de fond mobiles dans les zones Natura 2000, comme le prévoit la directive européenne Habitats de 1992. Il appelle également à les « éliminer progressivement » dans toutes les aires protégées d’ici à 2030. Selon le compte rendu de la réunion avec le secrétaire d’Etat transmis au Monde par la Commission, Virginijus Sinkevicius « a souligné qu’il n’y a pas d’interdiction générale du chalutage de fond en 2024 ou 2030, mais que le plan d’action est plutôt une invitation au dialogue et à une approche coopérative. »
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Interrogé lundi par Le Monde, le secrétariat d’Etat assure que M. Berville a indiqué dès le 8 mars que le plan n’était qu’une communication sans effet juridique. Il répète toutefois que s’il « ne se traduit pas aujourd’hui par des mesures réglementaires contraignantes, cela aurait pu être le cas à l’avenir ». « Sur le fond, cette proposition n’était ni proportionnée, ni différenciée et allait donc à l’encontre des règles européennes elles-mêmes en vigueur qui prévoient des mesures de protections adaptées à chaque zone », insiste-t-il.
Dans sa communication, la Commission rappelle que près de 80 % des fonds marins côtiers sont considérés comme altérés, en raison notamment du chalutage de fond. Le chalutage est l’une des techniques les plus consommatrices de carburant et les plus émettrices de CO2. « Elle n’est pas du tout sélective, détruit les habitats et est mauvaise pour le climat, car une grande quantité de carbone est stockée dans les sédiments », ajoute Raphaël Seguin.
« Amener à un meilleur dialogue »
Associations et scientifiques regrettent que M. Berville n’ait pas plutôt profité de ce plan pour engager la transition vers une pêche plus durable. « La moitié de ce qui est pêché en France est pêchée au chalut, on ne va pas en sortir du jour au lendemain, constate Didier Gascuel. Mais la responsabilité du ministre devrait être d’organiser et de planifier cette sortie, en accompagnant le secteur. » « Alors que l’un des objectifs du plan d’action est d’amener à un meilleur dialogue entre les ministères de l’environnement et de la pêche, le discours de M. Berville polarise un peu plus les débats », regrette aussi Louis Lambrechts.
Le secrétariat d’Etat assure de son côté que la pratique du chalut est d’ores et déjà limitée par la réglementation « aire marine par aire marine », et que « le travail se poursuit pour continuer d’améliorer le bon état écologique du milieu marin ».
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