Le plan « eau » d’Emmanuel Macron mise sur la sobriété et les innovations technologiques
Jeudi, dans les Hautes-Alpes, le chef de l’Etat a fixé un « cap de 10 % d’économies d’eau » pour tous les secteurs à l’horizon 2030, mais l’agriculture, premier consommateur d’eau, ne se voit pas imposer d’« effort supplémentaire ».
Par Martine ValoPublié hier à 05h53, modifié hier à 10h59 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/31/le-plan-eau-d-emmanuel-macron-est-avant-tout-un-appel-a-la-sobriete-de-tous_6167682_3244.html
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Manque de pluie, moins de débit dans les rivières, des niveaux en baisse dans la plupart des nappes phréatiques : l’eau renouvelable disponible diminue en France. Elle s’est réduite de 14 % ces deux dernières décennies par rapport aux dix années précédentes et devrait encore décliner de 30 % à 40 % à l’horizon 2050. Et aucun des modèles scientifiques prospectifs « ne nous dit que la situation va s’améliorer », a prévenu le président de la République, jeudi 30 mars, lors d’un déplacement dans les Hautes-Alpes. Emmanuel Macron a choisi les abords du lac de Serre-Ponçon pour présenter lui-même un plan concernant l’eau, très attendu, plusieurs fois annoncé et passé entre les mains de plusieurs ministres.
Cette présentation pouvait difficilement être repoussée de nouveau, alors que l’été à venir s’annonce encore plus compliqué que le précédent, compte tenu de l’état inquiétant de la grande majorité des nappes souterraines. Le chef de l’Etat a indiqué que 2 000 communes ont connu des problèmes d’approvisionnement en 2022, dont 340 ont été ravitaillées par camions-citernes et 200 avec des bouteilles d’eau. A Savines-le-Lac, Emmanuel Macron a surtout lancé un appel à la sobriété, sans vraiment détailler les 53 mesures présentées par ailleurs par le ministère de la transition écologique.
« L’eau est redevenue un enjeu stratégique pour toute la nation », a-t-il souligné en émettant le vœu que les Français fassent preuve d’autant d’efforts pour économiser la ressource hydrique qu’ils l’ont fait à l’égard de l’énergie cet hiver. Les particuliers devraient au demeurant être aidés pour s’équiper de récupérateurs d’eau de pluie. Et la tarification progressive du prix de l’eau – les premiers mètres cubes étant les moins chers –, actuellement expérimentée dans plusieurs villes, devrait être généralisée.
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Compteurs intelligents
Le président veut « fixer un cap de 10 % d’économies d’eau » pour tous les secteurs à l’horizon 2030 – « l’énergie, l’industrie, le tourisme, les loisirs, l’agriculture » –, au prix d’« une modernisation sans précédent de [la] politique »nationale en la matière. L’ambition affichée est cependant inférieure aux préconisations des Assises de l’eau, qui avaient conclu en 2019 à la nécessité de réduire les prélèvements dans la nature de 10 % en 2024, et de 25 % d’ici à 2034. Le Syndicat national de l’environnement-FSU ne manque pas de le faire remarquer dans un communiqué, tout comme la fédération France Nature Environnement. Cette dernière note cependant des points positifs dans ce plan qui insiste sur la sobriété.
Dans les Hautes-Alpes, les premiers mots d’Emmanuel Macron sont allés aux éleveurs et aux producteurs de maïs – « Les cultures céréalières de printemps baissent de 28,4 % en 2022 », a-t-il souligné. Cette introduction reflète la tonalité d’un discours qui n’évoque ni le déséquilibre du grand cycle de l’eau ni celui des écosystèmes aquatiques exsangues, mais est axé sur les innovations technologiques qui pourraient diminuer notre dépendance à la ressource hydrique, tout en permettant le maintien de l’ensemble des activités économiques. Ainsi, au-delà des questions de biodiversité et de « services » qu’elles peuvent nous rendre, « les rivières et les zones humides, par exemple, peuvent être aussi des lieux de production d’électricité, avec des panneaux solaires posés sur l’eau ».
Alors que les centrales nucléaires pèsent pour plus de 12 % de la consommation d’eau, la production d’électricité va devoir « engager un vaste programme d’investissements » pour s’adapter aux températures plus élevées, tout en réduisant ses besoins. Même objectif pour le secteur industriel, qui va devoir se montrer plus sobre tout en continuant de « créer de l’emploi ».
Deuxième axe mis en avant : la traque des fuites dans les canalisations. Un financement supplémentaire de 180 millions d’euros par an est annoncé pour soutenir les collectivités locales dans cette mission. Déjà 170 points noirs, où les pertes dépassent 50 %, sont identifiés. La modernisation passe aussi par l’installation de compteurs intelligents.
« Réutiliser 300 millions de mètres cubes »
Grâce à des assouplissements réglementaires, la France devra tirer davantage parti de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) dans l’agroalimentaire, chez les particuliers, etc. « Nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques par commune », a lancé le président. Ce « gisement » est impatiemment attendu, en particulier par les entreprises du secteur de l’assainissement, car la part de la REUT ne dépasse pas 1 % actuellement. La pratique comporte cependant des limites : les eaux usées reviennent bien plus cher que de puiser dans les nappes grâce à un forage. Et ces volumes réaffectés, qui ne rejoindront plus directement les rivières, vont freiner la recharge des nappes souterraines.
Au chapitre de l’agriculture, qui consomme 58 % de la ressource et plus de 80 % en été, le gouvernement devrait consacrer quelques dizaines de millions d’euros à améliorer la protection des captages pour l’eau potable. En effet, depuis 1980, la France a dû en fermer plus de 4 000 à cause de leur qualité trop dégradée. C’est là une des nombreuses missions incombant aux agences de l’eau, dont les moyens vont augmenter de 475 millions d’euros à partir de 2024.
Autre annonce : l’installation de compteurs capables de télétransmettre les volumes prélevés sera rendue obligatoire « pour les prélèvements importants » (le seuil n’est pas précisé) dans dix territoires, en 2024, à titre expérimental. Puis elle devrait être généralisée en 2027. Cette évolution progressive vise en particulier les agriculteurs. Elle était réclamée par les acteurs de l’eau, notamment les collectivités locales. Faute de savoir exactement ce qui est puisé, comme c’est le cas aujourd’hui, il semble difficile de fixer un objectif d’économies précis sur un territoire donné.
Dans son discours, le chef de l’Etat met en avant sa foi en la technologie pour l’agriculture, en particulier à l’égard des jeunes exploitants, qui devraient bénéficier d’outils d’aide au diagnostic sur les volumes nécessaires à leurs cultures et de subventions pour se doter de goutte-à-goutte. Un financement de 30 millions d’euros est annoncé – ce qui représente moins de la moitié du programme d’équipement de retenues de substitution dans le département des Deux-Sèvres (où se trouve celle de Sainte-Soline), ou bien de celui de la Vienne.
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« La sobriété ne se résume pas à l’innovation »
Emmanuel Macron aborde aussi l’évolution des filières : avec le changement du climat, des territoires n’auront plus la capacité de produire certaines cultures, et il va falloir les accompagner dans leur transition. Il est donc question d’un fonds pour l’« hydraulique agricole », et de nouveaux projets de réserves pour les agriculteurs qui s’installent. Le président compte beaucoup sur des « solutions innovantes » qui rendraient possible l’augmentation des surfaces irriguées – inévitable, selon lui –, sans puiser davantage d’eau au total. Le même jour, au congrès de la FNSEA, le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, a développé la même idée de « prélèvements constants », précisant qu’il n’y aura donc « pas d’effort supplémentaire » demandé aux agriculteurs.
Même si Emmanuel Macron affirme qu’« il ne s’agit pas de privatiser l’eau ou de permettre à certains de se l’accaparer », ses déclarations ne vont pas dans le sens de l’apaisement vis-à-vis des opposants qui manifestent contre les mégabassines.
« Non, la sobriété ne se résume pas à l’innovation, et l’agriculture ne se limite pas aux terres irriguées, qui occupent seulement 7 % des surfaces agricoles en France », a assuré Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, lors d’une conférence de presse tenue aux côtés du collectif Bassines non merci et des Soulèvements de la Terre.
Il faut des haies, des prairies, des sélections paysannes de plantes résistantes aux sécheresses. Nous allons renvoyer au président notre plan pour l’agriculture, auquel nous travaillons depuis des années. »
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De son côté, Pierre Cannet, directeur du plaidoyer du WWF France, salue la pertinence du « diagnostic eau-sol-adaptation pour les nouvelles installations et une augmentation du budget des agences de l’eau ». Mais il regrette l’absence d’une « vision systémique de la transformation agricole ». En effet, « l’ensemble des efforts ne doit pas reposer que sur les agriculteurs », mais aussi sur les industriels de l’agroalimentaire, qui conditionnent la façon dont ces derniers produisent.
Martine Valo
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Pesticides : la volonté du ministre de l’agriculture de revenir sur l’interdiction du S-métolachlore suscite un tollé
Marc Fesneau a annoncé jeudi avoir demandé à l’Anses une « réévaluation » de l’interdiction d’un herbicide majeur, responsable d’une pollution quasi généralisée des nappes phréatiques.
Par Stéphane Foucart, Stéphane Mandard et Martine ValoPublié hier à 19h27, modifié à 08h03
Temps de Lecture 3 min.

Le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire n’était pas au côté du président de la République, jeudi 30 mars, au lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), pour la présentation du plan eau du gouvernement : il assistait au congrès annuel de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui se tenait à Angers. Marc Fesneau y a fait ses propres annonces sur l’eau. En particulier, il a déclaré avoir demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, de l’environnement et du travail (Anses) de revenir sur l’interdiction d’un herbicide majeur, le S-métolachlore, responsable d’une pollution quasi généralisée des nappes phréatiques.
« Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles », a-t-il déclaré. Mi-février, l’Anses avait annoncé son intention d’interdire cet herbicide très utilisé sur le maïs, sur le tournesol et sur le soja, pour cause de pollution des eaux souterraines et de l’eau distribuée aux particuliers, par le biais de ses produits de dégradation (ou métabolites). En 2021, selon les chiffres officiels, près de 3,5 millions de Français ont reçu au robinet une eau non conforme aux critères de qualité alors en vigueur, pour cause de présence d’un métabolite de ce pesticide au-delà du seuil réglementaire de 0,1 microgramme par litre.
« Inquiétudes chez les agriculteurs »
L’annonce de M. Fesneau survient dans un contexte d’intenses pressions exercées sur l’Anses sur la question des produits phytosanitaires. Mercredi 29 mars, le directeur général de l’Anses, Benoît Vallet, a été convoqué devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale par le député d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance), pour s’expliquer sur le retrait du S-métolachlore, retrait suscitant selon le parlementaire « un certain nombre d’inquiétudes chez les agriculteurs ». M. Vallet a rappelé que l’interdiction du produit était motivée par « la présence ubiquitaire très marquée, dans tous les types d’eau, du S-métolachlore et de ses métabolites », en France, mais aussi ailleurs en Europe. M. Vallet a en outre précisé que les conclusions rendues le 28 février par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) allaient dans le sens de la décision française.
Lire aussi : Pesticides : de l’eau potable non conforme pour 20 % des Français
En France, le constat d’une présence quasi généralisée de ces substances dans les nappes phréatiques a été établi à l’automne 2021 par l’Anses, après une demande d’expertise formulée par trois ministères de tutelle : la santé, l’environnement et l’agriculture en mai 2021. La saisine « précisait bien que, compte tenu de la situation française, il fallait rendre un avis sans attendre la décision au niveau européen concernant l’approbation de la substance active. Il n’y avait pas de doute qu’il fallait faire vite », a insisté le patron de l’Anses devant les parlementaires. L’agence a alors procédé à des modifications des règles d’usage de l’herbicide, afin de savoir si de telles mesures permettaient de faire revenir les contaminations sous les seuils autorisés. Ces mesures n’ayant pas permis d’amélioration, l’Anses a pris, dix-huit mois plus tard, la décision d’interdire les usages majeurs du S-métolachlore.
Pour Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la réglementation des agro-toxiques, annuler l’interdiction prononcée par l’Anses exposerait l’Etat à un risque juridique. « Le S-métolachlore étant classé cancérogène suspecté, sa présence dans les eaux souterraines ne peut pas excéder le seuil de 0,1 microgramme par litre, selon le règlement européen, explique-t-il. Il y a un risque de recours en carence fautive contre l’Etat s’il n’agit pas pour que cette limite réglementaire ne soit pas dépassée. »
Depuis la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, l’Anses est non seulement investie de l’évaluation des risques, mais aussi chargée d’autoriser ou non l’usage des pesticides, et de l’encadrer. « C’est inédit, c’est honteux, c’est institutionnellement incroyable », s’étrangle la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho (écologiste), pour qui l’intention affichée du ministre de l’agriculture de « changer de méthode » préfigure une volonté de « changer la loi pour retirer à l’Anses les autorisations de mise sur le marché des pesticides et de les faire revenir dans le giron du ministère de l’agriculture ». « Et là, ce sera la porte grande ouverte aux pesticides les plus dangereux, craint l’ancienne ministre de l’écologie de François Hollande (2012-2013). Je me demande ce que pensent de cette perspective les ministères de la santé et de l’écologie qui ont également la tutelle de l’Anses. » Contactés, les ministères de l’agriculture, de l’écologie et de la santé n’ont pas réagi.
« Un véritable recul »
« La décision de l’Anses se fonde quand même sur la gravité de la contamination des nappes phréatiques et des eaux potables », rappelle Delphine Batho, dont le département est concerné par cette problématique. La sortie de Marc Fesneau est également vivement condamnée par les associations environnementales. « La remise en cause, par le ministre de l’agriculture, sous pression de la FNSEA, de la décision de retrait par l’Anses d’usages du S-métolachlore est un véritable recul et un scandale en matière de protection de la santé publique et de l’environnement », fustige le porte-parole de Générations futures, François Veillerette.
Signe de profonds désaccords sur le sujet au sein même du parti présidentiel, l’eurodéputé Pascal Canfin (Renaissance) a des mots à peine moins durs. « Après la décision de l’Agence européenne des produits chimiques et de l’EFSA, le sort du S-métolachlore devrait être scellé par la Commission européenne dans quelques semaines, dit M. Canfin. La science est maintenant très claire concernant cet herbicide. La priorité est de travailler aux alternatives pour les agriculteurs, pas de mener des combats du passé. »
Stéphane Foucart, Stéphane Mandard et Martine Valo
Pesticides : le Gouvernement remet en cause le retrait du S-métolachlore, probable cancérigène
Risques | 31.03.2023 | L. Radisson

« Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles », a déclaré le ministre de l’Agriculture aux congressistes de la FNSEA, le 30 mars, rapporte l’AFP.
L’Agence de sécurité sanitaire (Anses) avait annoncé, le 15 février dernier, la procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore. Une substance que l’Agence européenne des produits chimique (Echa) a proposé de classer comme cancérogène probable en juin 2022.
Dans le cadre d’une expertise sur le risque de contamination des eaux souterraines par cette substance, l’Anses a en effet établi que les concentrations estimées de trois de ses métabolites étaient supérieures à la limite de qualité fixée par la législation européenne. « Le S-métolachlore est l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France (…). Lors des contrôles des eaux destinées à la consommation humaine, les métabolites du S-métolachlore ont été fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité », rappelait l’Agence.
« Monsieur le Président, comment est-il possible – le même jour – de plaider pour une nouvelle économie de l’eau et de remettre en cause la décision de retrait du S-métolachlore par l’Anses justifiée par le risque de métabolites dans les nappes phréatiques ? » s’est indigné sur Twitter le député socialiste Dominique Potier. Emmanuel Macron présentait effectivement dans le même temps son plan d’actionpour « une gestion résiliente et concertée de l’eau » au bord du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes).
Derrière cet épisode se pose la question de l’indépendance de l’Anses vis-à-vis du pouvoir politique. « Il s’agit ni plus ni moins que de mettre en cause l’indépendance et le travail scientifique et règlementaire de l’Agence pour lui demander d’obéir à un ordre politique », dénonce l’association Générations futures. « Il faudra redonner tout son poids à la décision politique », a au contraire réclamé la présidente de la FNSEA dans son discours de clôture en présence du ministre. « Un avis de l’Anses est un avis scientifique. L’analyse bénéfice/risque au regard de la souveraineté alimentaire revient au ministre : c’est à vous qu’il revient de préserver nos capacités de production », l’a apostrophé Christiane Lambert.
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement
FNSEA : Arnaud Rousseau, un agro-industriel à la tête du syndicat agricole
Le céréalier francilien de 49 ans, président du puissant Groupe Avril, devrait succéder à Christiane Lambert.
Par Laurence GirardPublié le 28 mars 2023, modifié le 28 mars 2023 à 08h01 https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/28/fnsea-arnaud-rousseau-un-agro-industriel-a-la-tete-du-syndicat-agricole_6167203_3234.html
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Il y a des élections sans suspense. Celle du nouveau président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) en est une parfaite illustration. Arnaud Rousseau, 49 ans, devrait prendre le fauteuil laissé libre par Christiane Lambert, mercredi 30 mars, à l’issue du congrès organisé à Angers. Sans rival, il est vrai. Comme une évidence. Il faudra toutefois qu’il patiente jusqu’au 13 avril pour que son mandat commence officiellement, après le vote formel des membres du conseil d’administration, chargés d’élire le bureau et son président.
Lire aussi : Le syndicat agricole FNSEA appelle à manifester à Paris contre « les contraintes réglementaires intenables »
Paradoxalement, personne ne voit M. Rousseau comme le successeur de Mme Lambert, éleveuse de porcs dans le Maine-et-Loire, qui a incarné la FNSEA pendant six ans. Tous évoquent immanquablement la filiation avec le prédécesseur de cette dernière, Xavier Beulin, décédé brutalement le 19 février 2017.
Les points communs entre les deux hommes ne manquent pas, en effet, pour étayer la comparaison. Tous deux peuvent se définir comme des céréaliers. Ou, selon les termes consacrés, des producteurs de grandes cultures. M. Rousseau cultive ainsi colza, blé, tournesol, betterave, maïs, orge et légumes de plein champ. Tous deux ont occupé les mêmes postes. M. Rousseau ayant mis consciencieusement ses pas dans ceux de M. Beulin, figure de l’agrobusiness.
Il est d’abord adoubé président de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux par son mentor. Celui-ci décède à peine deux semaines plus tard. Le destin propulse alors M. Rousseau, la même année, à la présidence de Groupe Avril, laissée vacante. Ce bras armé de la filière colza et tournesol en France, créé en 1983, est devenue une puissante firme agro-industrielle présente dans les huiles, les agrocarburants, la nutrition animale et la chimie. Peu connue du grand public, si ce n’est par ses marques Lesieur et Puget, elle affichait, en 2021, un chiffre d’affaires de 6,9 milliards d’euros.
L’homme se voit d’abord comme un chef d’entreprise
Là s’arrête la comparaison. Si la prise de pouvoir de M. Rousseau à la tête de la FNSEA a un petit goût de retour vers le passé, elle a aussi une forte coloration de grand bond en avant. Le nouvel homme fort du syndicat agricole n’est pas, comme son mentor, un self-made-man, contraint de reprendre l’exploitation familiale située en province, dans le Loiret, en arrêtant ses études. M. Rousseau, diplômé de l’European Business School, a pris le temps de quelques expériences professionnelles à Paris, avant de s’installer dans l’exploitation familiale, à Trocy-en-Multien, en Seine-et-Marne, à 28 ans. Lui qui n’avait guère le goût des études agricoles a toutefois dû passer un brevet professionnel adulte, comme la loi l’y oblige.
Lire aussi : Christiane Lambert, première femme élue à la tête du syndicat agricole FNSEA
Aujourd’hui, avec la reprise de l’exploitation familiale de sa femme, il gère, avec quatre salariés, 700 hectares dans les riches plaines d’Ile-de-France. L’homme, qui se voit d’abord comme un chef d’entreprise, a décidé d’adjoindre une activité de production d’agrocarburant pour se développer. Avec quatre agriculteurs voisins, ils ont investi 5,6 millions d’euros dans un méthaniseur, bénéficiant d’une aide de 750 000 euros de la région Ile-de-France. Mais ce méthaniseur, entré en service fin 2021, doit être alimenté.
C’est avec cet objectif que M. Rousseau a fait évoluer son assolement cette année. En décembre 2022, il évoquait une prévision de réduction de 20 % de ses plantations de betteraves, cette culture passant de 20 % à 16 % de l’ensemble de ses surfaces, au profit du maïs. Un choix antérieur, donc, à la décision de la Cour de justice européenne, rendue le 19 janvier, interdisant les dérogations d’usage des néonicotinoïdes sur les betteraves.
Pragmatique
Pour autant, M. Rousseau était bien présent à la mobilisation du 8 février sur l’esplanade des Invalides, à Paris. Avec une armada de tracteurs, les céréaliers voulaient faire pression sur le gouvernement, en dénonçant l’interdiction des néonicotinoïdes et, plus généralement, les restrictions d’usage des produits phytosanitaires. Cette manifestation était organisée par la FDSEA Ile-de-France, la branche régionale de la FNSEA, dont il a été, un temps, secrétaire général.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La France à l’heure du choix pour son modèle agricole
Dans ce parcours, l’homme jugé pragmatique a minutieusement préparé l’étape ultime pour conquérir la présidence de la FNSEA. Même si, officiellement, il n’est sorti du bois que le 15 décembre 2022, après l’annonce faite par MmeLambert de sa décision de ne pas se représenter, il avait déjà préparé le terrain dans les instances.
D’abord, en étant élu premier vice-président du syndicat, à l’été 2020. Puis, par la publication du projet stratégique FNSEA 2025, à l’automne 2021, dont il assume la paternité, et qui sonnait comme un véritable manifeste de son ambition. Certains membres de la FNSEA estiment d’ailleurs qu’il aurait brigué la présidence cette année, même si Mme Lambert n’avait pas abandonné son fauteuil.
Gouvernance renouvelée
Une fois déclaré, le candidat a mené campagne tambour battant, adressant un courrier aux administrateurs de la FNSEA, mais surtout prenant son bâton de pèlerin pour sillonner le territoire. Un tour de France en vingt étapes orchestré depuis début janvier. Même s’il revendique sa connaissance de la ruralité de par son mandat de maire de sa commune seine-et-marnaise de 280 habitants, il le sait, son étiquette de grand céréalier d’Ile-de-France peut être clivante au sein des agriculteurs syndiqués.
D’autant que le Groupe Avril, qu’il préside, a fait le choix stratégique de se recentrer sur le végétal, cédant ses activités d’élevage. Il a donc souhaité convaincre sur le terrain de sa volonté de travailler avec toutes les filières, en particulier animales, et de les associer à la gouvernance.
Cette gouvernance renouvelée qu’il appelle de ses vœux devrait passer par le remplacement de 20 % des membres du conseil d’administration. Du jamais-vu. Pendant cette campagne électorale, M. Rousseau s’est fait discret dans les médias. Sa communication est gérée, non par la FNSEA, mais par le Groupe Avril. A l’époque de M. Beulin, certains s’interrogeaient sur le mélange des genres et le risque de conflits d’intérêts en cumulant les deux présidences. La question se pose-t-elle encore ?
Lire aussi : Les céréaliers, grands gagnants de la hausse des revenus des agriculteurs en 2022
Laurence Girard
Mégabassines : « La débauche de moyens dépêchés par l’Etat contre les opposants contraste avec la tranquillité dont jouissent les tenants de l’agro-industrie »
Chronique

Stéphane Foucart
Des réserves d’eau de substitution jugées illégales par la justice continuent d’être exploitées sans que l’Etat, prompt à interdire les rassemblements des militants écologistes au nom du respect du droit, n’y trouve rien à redire, relève Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Publié le 26 mars 2023, modifié le 30 mars 2023 à 11h36 Temps de Lecture 3 min.
La guerre de l’eau que se livrent, en France, les grands irrigants, d’une part, et les défenseurs de l’environnement et de l’agriculture paysanne, de l’autre, est intéressante à plus d’un titre. Pas pour les images des confrontations parfois violentes, entre militants et forces de l’ordre, qu’elle occasionne de temps à autre, comme en cette fin mars autour des mégabassines de Sainte-Soline et de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) : elle est intéressante car elle jette une lumière crue sur les partis pris de l’Etat et sur l’asymétrie radicale de son action dans les situations de conflits sur l’usage de la nature et des biens communs en général. Le productivisme y semble l’emporter sur toute autre considération, qu’elle relève de la science ou même du droit.
Lire aussi : Dans les Deux-Sèvres, une mobilisation anti-mégabassines sous haute tension
On le sait, le principe de ces « retenues de substitution » est de stocker en surface de l’eau pompée dans les nappes phréatiques en hiver, pour la rendre disponible au printemps et en été à quelques grands exploitants. Or, on le constate aujourd’hui, la recharge hivernale des nappes n’est pas garantie. Et elle le sera de moins en moins dans un monde où le climat est toujours plus chaud, les précipitations plus irrégulières et les sols plus imperméables. Le remplissage des bassines est donc susceptible d’avoir un impact fort sur l’hydrographie locale, les écosystèmes terrestres et côtiers, l’humidité des sols, etc.
De nombreux chercheurs ont expliqué, en divers lieux et à plusieurs reprises, que ces mégabassines sont le paradigme d’une « maladaptation » au changement climatique. Au lieu d’aider les territoires et les exploitations à évoluer, elles les enferment dans l’idée dangereuse qu’il va encore être possible de maintenir des systèmes agricoles dont nul n’ignore plus qu’ils sont condamnés à brève échéance. Ces avis, répétés et jouissant d’un large consensus savant, n’ont pas changé d’un iota la position des pouvoirs publics sur le sujet.
Lire aussi : Autour des mégabassines, deux visions s’affrontent sur le partage de l’eau
Plus inquiétant, la justice semble n’avoir pas plus de prise sur le cours des choses. Par exemple, le barrage de Caussade, en Lot-et-Garonne. Par la signature du préfet, l’Etat l’autorise en juin 2018, en dépit des avis défavorables de l’Autorité environnementale, de l’Agence française de la biodiversité, du Conseil national pour la protection de la nature. Saisie par des opposants, la justice le déclare quelques mois plus tard illégal, mais les porteurs du projet n’en ont cure. Ils lancent les travaux.
Le barrage est construit sur une largeur de plus de 350 mètres et sur plus de 10 mètres de profondeur, détruisant une zone humide. Le tout dans une atmosphère délétère où les membres des associations de défense de l’environnement sont intimidés, menacés de mort. Aujourd’hui, France Nature Environnement recense cinq décisions de justice, de différentes juridictions, confirmant l’illégalité de l’ouvrage. Il est toujours là, avec sa retenue de près de 1 million de mètres cubes.
Hélicoptères, barrages filtrants, traceur GPS…
L’histoire des cinq mégabassines de La Laigne, Cramchaban et La Grève-sur-Mignon (Charente-Maritime), et leur 1,6 million de mètres cubes, n’est pas différente. Annulation de l’autorisation de remplissage et d’exploitation en 2009. Confirmation en appel l’année suivante. Rien à faire : les bassines sont construites et exploitées. Une nouvelle demande d’autorisation, presque identique à la première, est formulée en 2015… et accordée par le préfet. Avant que ce nouvel arrêté ne soit derechef annulé par la justice administrative en 2018, puis en 2022. Comme la retenue de Caussade, ces ouvrages sont illégaux et toujours exploités – à l’exception d’un seul, endommagé par des militants en 2021.
Lire aussi : Contre les mégabassines dans le Sud-Ouest, des recours en justice systématiques
Ces situations sont d’autant plus choquantes que l’Etat déploie – brandissant le respect du droit en étendard – des moyens considérables pour entraver toute protestation. Interdictions de manifester, mobilisation d’hélicoptères, barrages filtrants déployés pour empêcher les rassemblements d’« écoterroristes », etc. Les forces de l’ordre utilisent pour surveiller et confondre ceux-ci des systèmes généralement réservés à l’antiterrorisme : installation de caméras devant le domicile d’un militant, pose d’un traceur GPS sous le véhicule de Julien Le Guet, le porte-parole du collectif Bassines non merci…
Ce dernier a d’ailleurs été placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de paraître à Sainte-Soline et à Mauzé-sur-le-Mignon. Lui sont reprochées une variété d’infractions de gravité variable, parmi lesquelles le vol d’une pelle, à l’automne 2022. Nul ne saurait contester la réalité des débordements et des dégradations matérielles qui se sont produites ce week-end autour des bassines de Sainte-Soline et de Mauzé-sur-le-Mignon. Mais la débauche de moyens dépêchés par l’Etat pour les empêcher contraste cruellement avec la tranquillité opérationnelle dont jouissent les tenants de l’agro-industrie lorsqu’ils malmènent des journalistes ou des opposants à leurs projets.
Mercredi 22 mars, pour la seconde fois, le vice-président de Nature Environnement 17 a vu sa propriété saccagée par des agriculteurs pro-bassines, des inscriptions homophobes taguées sur les murs. Son épouse a été agressée. Dans son édition du 23 mars, L’Obs publie une enquête édifiante sur les exactions dont sont régulièrement victimes les militants écologistes, souvent dans une indifférence à peu près totale.
L’Etat de droit est, paraît-il, un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit et où l’égalité de traitement de chacun est garantie. Que le simple rappel de cette définition puisse ces jours-ci sembler tout à coup si subversif : cela devrait tous nous inquiéter.
Stéphane Foucart
« Les mégabassines sont une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir »
Tribune
Collectif
Le déploiement de ces retenues à ciel ouvert menace la préservation de l’eau et freine la transformation de notre modèle socio-économique et de nos modes de vie, affirment dans une tribune au « Monde », des membres du collectif Scientifiques en rébellion.
Publié le 26 mars 2023, modifié le 30 mars 2023 à 11h42 Temps de Lecture 4 min.
« Il est possible d’assurer un avenir durable et équitable dans le domaine de l’eau. Il faut pour cela changer radicalement la façon dont nous apprécions, gérons et utilisons l’eau. Cela commence par traiter l’eau comme notre bien collectif mondial le plus précieux, essentiel à la protection de tous les écosystèmes et de toutes les formes de vie. »
Ces écrits ouvrent le rapport de synthèse sur l’économie de l’eau publié lors de la Conférence des Nations unies sur l’eau organisée du 22 au 24 mars, qui succède à un hiver exceptionnellement peu pluvieux en France. La crise qui s’installe et les restrictions associées soulignent l’importance de la gestion des stockages naturels fournissant une grande partie de l’eau dont nous dépendons.
Car si l’eau est une ressource renouvelable, l’équilibre est en phase d’être rompu alors que les effets combinés du changement climatique et de la surconsommation d’eau s’accroissent. Que ce soit dans les lacs, les rivières, les sols ou les nappes phréatiques, les quantités d’eau se réduisent en France. Il est donc très probable que la compétition entre les principaux usages de l’eau (industrie, eau potable et sanitaire, refroidissement des centrales électriques, agriculture) s’amplifie.
Notre souveraineté alimentaire menacée
L’agriculture utilise actuellement 45 % de l’eau consommée en France, principalement à travers l’irrigation, et représente plus de 90 % de la consommation estivale dans certaines régions. Dans un contexte de raréfaction de l’eau disponible, il est donc crucial de (re)penser notre système agricole. Une adaptation est indispensable, mais laquelle ?Lire aussi : « La mise en œuvre du droit humain à l’eau potable est un enjeu de solidarité mondiale »
Les mégabassines, qui sont des retenues à ciel ouvert remplies en hiver par pompage des nappes phréatiques sont régulièrement présentées comme nécessaires pour « nourrir la France ». Les projets se multiplient en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire, Centre et Bretagne, entre autres. Sur le plan hydrologique et économique, les mégabassines menacent la préservation de l’eau et notre souveraineté alimentaire.
Elles sont d’abord une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir, qui vont augmenter notre vulnérabilité tout en fragilisant les écosystèmes. Ces réservoirs dépendent de la recharge souterraine et ne permettent pas de faire face à une sécheresse prolongée laissant les nappes à des niveaux trop bas. Un remplissage de mégabassines mise sur une recharge phréatique satisfaisante en hiver, alors que les prévisions hydrogéologiques ne peuvent dépasser six mois.
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Ces retenues « court-circuitent » une partie du transit lent des nappes phréatiques qui sont de véritables tampons hydrologiques dans les paysages, et peuvent créer des « sécheresses anthropiques » amplifiant l’impact des sécheresses météorologiques en aval des prélèvements d’eau, comme déjà observé dans la péninsule ibérique et au Chili.
Un cercle vicieux
Ces sécheresses d’origine humaine proviennent d’une dépendance accrue aux infrastructures d’approvisionnement en eau, et peuvent créer un cercle vicieux : les sécheresses alimentent une demande pour plus de dispositifs de stockage, accroissant les usages, qui causera de nouveaux déficits et ainsi d’autres dégâts socio-économiques.
Les retenues ont aussi un impact sur la biodiversité des zones humides et des systèmes aquatiques avec des effets cumulés encore largement inconnus, alors que ces écosystèmes ont connu une régression massive en Europe et que la biodiversité aquatique a fortement décru.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Mégabassines : « Le fantasme d’une ressource en eau éternellement disponible »
Face à ces risques, aucune étude ne permet d’affirmer un effet positif local des bassines sur la ressource en eau. Dans les Deux-Sèvres, une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en 2022 a modélisé l’effet régional du pompage de la nappe pour le remplissage hivernal de seize réservoirs à ciel ouvert.
Une contre-expertise et plusieurs collègues ont relevé que la méthodologie utilisée ne décrit pas les dynamiques des nappes phréatiques et les effets de l’évaporation, et n’intègre pas les effets de sécheresses comme celles de la dernière décennie et encore moins celles – plus intenses et plus fréquentes – à venir. Nous ne mettons pas en cause nos collègues du BRGM, qui n’ont répondu qu’à une commande émise par la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres avec des scénarios précis sur une période 2000-2011 peu représentative du futur, comme admis dans un communiqué de presse récent.
« Greenwashing hydrologique »
Il est inacceptable que l’instrumentalisation de résultats scientifiques sortis de leur contexte, justifie des politiques de gestion de la ressource sourdes à l’intérêt collectif et à l’évaluation scientifique rigoureuse. En effet, le déploiement des mégabassines freine la transformation de notre modèle socio-économique et de nos modes de vie, nécessaire et urgente pour la préservation de la ressource en eau. La recherche doit contribuer à cette transformation, et non être mise au service de projets qui aggravent la situation ou détournent les efforts des véritables priorités.
Par ailleurs, les mégabassines alimenteront une minorité d’exploitations agricoles de taille importante pouvant réaliser les investissements nécessaires, en fragilisant l’accès à l’eau souterraine de tous les utilisateurs. Dans cette mise en concurrence, il s’agit alors d’engager le dialogue.
Diverses dynamiques mettent les professions agricoles sous pression : baisse du nombre de paysans, agrandissement des exploitations, et dépendance aux importations (engrais, pétrole) réduisent la souveraineté alimentaire et la résilience du système agricole. Nous conseillons de nouvelles orientations politiques et économiques pour l’agriculture afin de soutenir les paysans pratiquant une agriculture plus sobre en eau, plutôt que de subventionner des mégabassines (à hauteur de 70 % des 76 millions d’euros pour le projet dans les Deux-Sèvres).
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Quelle est donc l’utilité réelle des bassines, « greenwashing hydrologique » où l’argent public bénéficie à un petit nombre au détriment de tous les autres ? L’éthique scientifique nous impose de susciter et d’éclairer un débat démocratique, pour que soient prises des décisions collectives à la hauteur des enjeux. Les mobilisations contre les projets de mégabassines nous paraissent légitimes, et les Scientifiques en rébellion estiment nécessaire d’agir pour replacer les débats scientifiques et la gestion des ressources au cœur d’une prise de décision égalitaire entre tous les acteurs.

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Liste des signataires : Sylvain Kuppel (hydrologie), Odin Marc (géomorphologie), Stéphanie Mariette (génétique des populations), Laurent Lassabatère (hydrologie), Pascal Houillier (médecin, physiologie), Julien Lefèvre(informatique), Lara Elfjiva (anthropologie sociale), tous membres du collectif Scientifiques en rébellion, qui réunit des scientifiques de toutes disciplines, mobilisés contre l’inaction face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité.
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