Pesticides : la volonté du ministre de l’agriculture de revenir sur l’interdiction du S-métolachlore suscite un tollé
Marc Fesneau a annoncé jeudi avoir demandé à l’Anses une « réévaluation » de l’interdiction d’un herbicide majeur, responsable d’une pollution quasi généralisée des nappes phréatiques.
Par Stéphane Foucart, Stéphane Mandard et Martine Valo
Publié aujourd’hui à 19h27, modifié à 20h07 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/31/pesticides-la-volonte-du-ministre-de-l-agriculture-de-revenir-sur-l-interdiction-du-s-metolachlore-suscite-un-tolle_6167798_3244.html
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Le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire n’était pas au côté du président de la République, jeudi 30 mars, au lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), pour la présentation du plan « eau » du gouvernement : il assistait au congrès annuel de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui se tenait à Angers (Maine-et-Loire). Marc Fesneau y a fait ses propres annonces sur l’eau. En particulier, il a déclaré avoir demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, de l’environnement et du travail (Anses) de revenir sur l’interdiction d’un herbicide majeur, le S-métolachlore, responsable d’une pollution quasi généralisée des nappes phréatiques.
« Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles », a-t-il déclaré. Mi-février, l’Anses avait annoncé son intention d’interdire cet herbicide très utilisé sur le maïs, sur le tournesol et sur le soja, pour cause de pollution des eaux souterraines et de l’eau distribuée aux particuliers, par le biais de ses produits de dégradation (ou métabolites). En 2021, selon les chiffres officiels, près de 3,5 millions de Français ont reçu au robinet une eau non conforme aux critères de qualité alors en vigueur, pour cause de présence d’un métabolite de ce pesticide au-delà du seuil réglementaire de 0,1 microgramme par litre.
« Inquiétudes chez les agriculteurs »
L’annonce de M. Fesneau survient dans un contexte d’intenses pressions exercées sur l’Anses sur la question des produits phytosanitaires. Mercredi 29 mars, le directeur général de l’Anses, Benoît Vallet, a été convoqué devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale par le député d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance), pour s’expliquer sur le retrait du S-métolachlore, retrait suscitant selon le parlementaire « un certain nombre d’inquiétudes chez les agriculteurs ». M. Vallet a rappelé que l’interdiction du produit était motivée par « la présence ubiquitaire très marquée, dans tous les types d’eau, du S-métolachlore et de ses métabolites », en France, mais aussi ailleurs en Europe. M. Vallet a en outre précisé que les conclusions rendues le 28 février par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) allaient dans le sens de la décision française.
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En France, le constat d’une présence quasi généralisée de ces substances dans les nappes phréatiques a été établi à l’automne 2021 par l’Anses, après une demande d’expertise formulée par trois ministères de tutelle : la santé, l’environnement et l’agriculture en mai 2021. La saisine « précisait bien que, compte tenu de la situation française, il fallait rendre un avis sans attendre la décision au niveau européen concernant l’approbation de la substance active. Il n’y avait pas de doute qu’il fallait faire vite », a insisté le patron de l’Anses devant les parlementaires. L’agence a alors procédé à des modifications des règles d’usage de l’herbicide, afin de savoir si de telles mesures permettaient de faire revenir les contaminations sous les seuils autorisés. Ces mesures n’ayant pas permis d’amélioration, l’Anses a pris, dix-huit mois plus tard, la décision d’interdire les usages majeurs du S-métolachlore.
Pour Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la réglementation des agro-toxiques, annuler l’interdiction prononcée par l’Anses exposerait l’Etat à un risque juridique. « Le S-métolachlore étant classé cancérogène suspecté, sa présence dans les eaux souterraines ne peut pas excéder le seuil de 0,1 microgramme par litre, selon le règlement européen, explique-t-il. Il y a un risque de recours en carence fautive contre l’Etat s’il n’agit pas pour que cette limite réglementaire ne soit pas dépassée. »
Depuis la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, l’Anses est non seulement investie de l’évaluation des risques, mais aussi chargée d’autoriser ou non l’usage des pesticides, et de l’encadrer. « C’est inédit, c’est honteux, c’est institutionnellement incroyable », s’étrangle la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho (écologiste), pour qui l’intention affichée du ministre de l’agriculture de « changer de méthode » préfigure une volonté de « changer la loi pour retirer à l’Anses les autorisations de mise sur le marché des pesticides et de les faire revenir dans le giron du ministère de l’agriculture ». « Et là, ce sera la porte grande ouverte aux pesticides les plus dangereux, craint l’ancienne ministre de l’écologie de François Hollande (2012-2013). Je me demande ce que pensent de cette perspective les ministères de la santé et de l’écologie qui ont également la tutelle de l’Anses. » Contactés, les ministères de l’agriculture, de l’écologie et de la santé n’ont pas réagi.
« Un véritable recul »
« La décision de l’Anses se fonde quand même sur la gravité de la contamination des nappes phréatiques et des eaux potables », rappelle Delphine Batho, dont le département est concerné par cette problématique. La sortie de Marc Fesneau est également vivement condamnée par les associations environnementales. « La remise en cause, par le ministre de l’agriculture, sous pression de la FNSEA, de la décision de retrait par l’Anses d’usages du S-métolachlore est un véritable recul et un scandale en matière de protection de la santé publique et de l’environnement », fustige le porte-parole de Générations futures, François Veillerette.
Signe de profonds désaccords sur le sujet au sein même du parti présidentiel, l’eurodéputé Pascal Canfin (Renaissance) a des mots à peine moins durs. « Après la décision de l’Agence européenne des produits chimiques et de l’EFSA, le sort du S-métolachlore devrait être scellé par la Commission européenne dans quelques semaines, dit M. Canfin. La science est maintenant très claire concernant cet herbicide. La priorité est de travailler aux alternatives pour les agriculteurs, pas de mener des combats du passé. »