Les mégabassines posent le problème du partage de l’eau et de leurs conséquences sur les nappes phréatiques

Autour des mégabassines, deux visions s’affrontent sur le partage de l’eau

Par Martine Valo Publié le 25 mars 2023 à 05h00, mis à jour le 28 mars 2023 à 14h34

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/25/autour-des-megabassines-deux-visions-s-affrontent-sur-le-partage-de-l-eau_6166910_3244.html

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Décryptages

Les opposants aux réserves d’eau de substitution, qui doivent se rassembler samedi 25 dans les Deux-Sèvres, dénoncent des projets surdimensionnés qui ne bénéficieraient qu’à quelques irrigants. Explication en carte et en image des projets et de leur fonctionnement.

La bassine en construction de Sainte-Solines (Deux-Sèvres), le 6 mars 2023.
La bassine en construction de Sainte-Solines (Deux-Sèvres), le 6 mars 2023.  JOSSELIN CLAIR / PHOTOPQR / LE COURRIER DE L’OUEST / MAXPPP

A priori, le stockage de l’eau peut apparaître comme la réponse aux sécheresses. La capter dans la nature en hiver, lorsqu’elle se trouve « en excès » – comme disent les défenseurs de ce procédé –, pour l’utiliser en été apparaît en tout cas comme la principale solution envisagée par les autorités pour faire face au manque d’eau appelé à s’intensifier en été, et même dès le printemps. Cela semble si logique que de nombreux et très vastes lacs artificiels reposant sur des bâches en plastique sont en projet, en particulier dans le Sud-Ouest. Ils sont en général financés à 70 % sur des fonds publics par les agences de l’eau. La très controversée réserve de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, par exemple, fait partie des plus imposantes : elle s’étend sur plus de 10 hectares. Entourée d’un mur de 8 mètres de haut, elle présente un volume global de 720 000 mètres cubes et peut contenir officiellement 628 000 mètres cubes.

Remplies par pompage

A la différence des retenues collinaires, les retenues de substitution ou mégabassines, selon leurs détracteurs, ne collectent pas le produit des précipitations, ni d’eau détournée d’une rivière. Elles sont remplies par pompage, au moyen d’un moteur, dans les nappes phréatiques pendant des semaines. Si elles sont autant prisées dans l’ancienne région Poitou-Charentes, c’est que celle-ci est plate et qu’elle manque d’eau après avoir asséché ses zones humides pour convertir ses prairies d’élevage en parcelles de maïs.

Sources : M. Reghezza, F. Habets, « Les méga-bassines sont-elles des solutions viables face aux sécheresses ? », Le Bon Pote, 2022 ; D.Coulais, Atlas du Marais du Poitevin, 2014 ; Le Point ; SIEMP ; Agro Portail en Deux-Sèvres ; IIBSN ; DRAAF ; « Le Conseil d’État dit non au remplissage de cinq bassines », La France Agricole, 2023 ; Bassines Non Merci ; OSM ; Le Monde

Infographie Le Monde : Nouhaïla Amari, Mathilde Costil, Xemartin Laborde et Audrey Lagadec

Depuis 2018

Neuf projets de bassines abandonnés 

En 2018, la préfecture des Deux-Sèvres a annoncé l’abandon de trois projets de bassines et a imposé la diminution du volume d’eau prélevé au printemps et à l’été dans les autres. En février 2023, les six projets en Charente-Maritime ont été rejetés par la cour administrative d’appel de Bordeaux à cause de leur surdimensionnement.

3 février

Bassines illégales 

Le Conseil d’Etat a refusé le remplissage de cinq bassines à treize agriculteurs de l’Association syndicale des Roches. Un refus lié à « l’insuffisance » des études d’impact concernant les effets des prélèvements.

5 mars

Manifestations interdites

La préfecture a interdit la mobilisation contre la construction de bassines à Sainte-Soline et à Mauzé-sur-le-Mignon, à la suite d’affrontements entre opposants et force de l’ordre lors des précédents rassemblements

Sources : M. Reghezza, F. Habets, « Les méga-bassines sont-elles des solutions viables face aux sécheresses ? », Le Bon Pote, 2022 ; D.Coulais, Atlas du Marais du Poitevin, 2014 ; Le Point ; SIEMP ; Agro Portail en Deux-Sèvres ; IIBSN ; DRAAF ; « Le Conseil d’État dit non au remplissage de cinq bassines », La France Agricole, 2023 ; Bassines Non Merci ; OSM ; Le Monde

Infographie Le Monde : Nouhaïla Amari, Mathilde Costil, Xemartin Laborde et Audrey Lagadec

Gonflement des nappes phréatiques

En hiver, les nappes phréatiques se remplissent en fonction de la pluviométrie.

Système de pompage

L’eau est pompée dans les nappes phréatiques pour remplir la bassine.

Prélèvement d’eau

En période de sécheresse, un petit nombre d’agriculteurs ou d’éleveurs ayant des droits de prélèvement d’eau dans les mégabassines irriguent leurs cultures (blé, maïs, etc.). Les autres devront continuer à capter l’eau dans les nappes phréatiques.

Les problèmes que cela pose

Evaporation d’une partie de l’eau stockée.

Emission de carbone lors de la construction de la mégabassine et du pompage.

Prolifération d’algues et de bactéries dans l’eau de la bassine.

Les militants qui bravent les interdictions de manifester comptent aussi dans leurs rangs nombre de paysans avec leurs tracteurs, bien visibles dans les cortèges. Car le sujet des mégabassines pose aussi la question du partage de la ressource. Douze exploitants par-ci, quatre par-là : seuls quelques-uns bénéficieraient de ces stockages. Si tous les professionnels utilisateurs d’eau pour leurs animaux ou pour leurs cultures maraîchères sont obligés de cotiser à la coopérative qui gère et répartit l’eau de ces réserves selon ses propres règles, seule une minorité d’entre eux sera alimentée ainsi.

Lire aussi :  Mégabassines : « L’absence d’espaces de dialogue peut conduire à de la violence »

Les responsables de ces organisations rétorquent que les agriculteurs non desservis pourront puiser dans la nappe en été, puisqu’elle sera moins sollicitée grâce aux bassines déjà remplies. Sauf que, en cas d’arrêté préfectoral d’alerte sécheresse, seuls les exploitants raccordés aux bassines ont le droit de continuer à irriguer. Pas les autres.

Retrouvez nos tribunes sur la sécheresse

Martine Valo

Contre les mégabassines dans le Sud-Ouest, des recours en justice systématiques

Des études d’impact insuffisantes et le surdimensionnement des ouvrages sont mis en avant par les opposants devant la justice, qui a prononcé de nombreuses annulations d’autorisation. 

Par Martine Valo

Publié le 24 mars 2023 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/24/contre-les-megabassines-dans-le-sud-ouest-des-recours-en-justice-systematiques_6166839_3244.html

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Des gendarmes montent la garde aux abords du site d’une megabassine, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), avant l’arrivée de manifestants antibassines, le 2 novembre 2022.
Des gendarmes montent la garde aux abords du site d’une megabassine, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), avant l’arrivée de manifestants antibassines, le 2 novembre 2022.  PASCAL LACHENAUD/AFP

La retenue d’eau de Sainte-Soline « est un bon projet [qui] a passé toutes les étapes des processus d’autorisation. Dans le respect des règles de l’Etat de droit, il a pu faire l’objet de recours par les opposants, qui ont perdu devant la justice. » Voila ce que déclarait la première ministre, Elisabeth Borne au Sénat, le 2 novembre 2022, après un week-end de manifestation agité dans le Poitou. Or l’affirmation n’est pas exacte : la cour administrative d’appel de Bordeaux doit encore se prononcer sur le sort de Sainte-Soline, ainsi que sur celui des quinze autres « mégabassines » prévues par la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, la Coop 79.

Dans les quatre départements de l’ancienne région Poitou-Charentes, la lutte contre une gestion de la ressource destinée à pérenniser un modèle agricole qui a grandement compté dans l’assèchement des zones humides et réduit en particulier le Marais poitevin, s’est d’abord jouée devant la justice. Sur ce terrain-là, les opposants à la multiplication de ces infrastructures – destinées à être remplies en pompant dans les nappes phréatiques en hiver afin de garantir un accès à l’eau toute l’année aux agriculteurs, en premier lieu des irrigants –, ne désarment pas non plus.

Lire aussi :  « Ce combat, c’est “la” lutte de la région » : l’eau, source de conflits dans le Marais poitevin

Le collectif qui mène cette bataille est composé notamment de la Ligue de protection des oiseaux, la fédération Poitou-Charentes Nature, SOS rivières et environnement, de deux associations de pêcheurs, de la Confédération paysanne et de l’UFC-Que choisir.

Il a fait ses comptes en mars : les 93 retenues de substitution prévues – dont certaines sont déjà réalisées – ont toutes fait l’objet de recours. Pour huit d’entre elles, ils ont été perdus en deuxième instance. Les autres sont en attente d’un jugement ou en cours d’instruction.

Impact négatif sur le niveau de la rivière

Etudes d’impact insuffisantes et surdimensionnement sont les principaux arguments que les associations avancent devant les juges. Car de la Vienne à la Charente, elles redoutent certes de voir la ressource accaparée au profit de quelques exploitants, mais surtout que les retenues dites de substitution n’entraînent des prélèvements encore plus élevés qu’auparavant dans une nature épuisée. Ainsi après un premier recours de leur part, la Coop 79 a-t-elle revu à la baisse ses ambitions et fait passer le nombre de ses bassines de 19 à 16.

Les associations ont en outre déposé un recours contre les 16 restantes, dont celle de Mauzé-sur-le-Mignon qui est la seule achevée et en fonctionnement. Cet hiver, les opposants ont montré, photos et constats d’huissier à l’appui, que le remplissage de cette retenue pendant plusieurs semaines a eu un impact visiblement négatif sur le niveau de la rivière en contrebas, Le Mignon, et obtenu que l’instruction soit rouverte.

Lire aussi :    Dans les Deux-Sèvres, une mobilisation anti-mégabassines sous haute tension

« Ces derniers mois, nous venons de gagner deux nouveaux recours, cela prouve bien que nos actions en justice sont légitimes », affirme Marie Bomare, responsable de la cellule juridique de Nature environnement 17 (Charente-Maritime), qui centralise l’ensemble des procédures menées par le collectif. Tel est le cas de la décision la plus récente sur le programme de six bassines porté par le Syndicat mixte des réserves de substitution de la Charente-Maritime. D’une capacité de 1,6 million de mètres cubes, celles-ci doivent desservir 13 agriculteurs, notamment des producteurs de maïs, installés dans le bassin de la rivière Le Curé, qui dessert entre autres Saint-Sauveur-d’Aunis. Dans ce dossier, la cour d’appel de Bordeaux a conclu que la demande de prélèvements de la part du syndicat avait été « gonflée » par rapport aux volumes consommés les années précédentes. Elle a annulé l’autorisation le 22 février.

Des réserves non autorisées

Quelques jours plus tôt, le 3 février, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de l’Association syndicale autorisée d’irrigants (ASAI) des Roches, qui demandait à l’institution de statuer sur ses cinq réserves de substitution, situées à La Laigne, Cramchaban (endommagée par les antibassines en 2021) et La Grève-sur-Mignon, en Charente-Maritime, capables de stocker près de 1,6 million de m³ au total. Un nouvel épisode dans une procédure judiciaire qui dure depuis quinze ans.Lire aussi :  Article réservé à nos abonnés  Autour des mégabassines, deux visions s’affrontent sur le partage de l’eau

L’autorisation initiale de remplissage et d’exploitation des cinq ouvrages a en effet été annulée dès 2009, en raison de leur surdimensionnement, un jugement confirmé un an plus tard par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. L’ASAI des Roches a cependant non seulement construit et rempli ses bassines, mais formulé une nouvelle demande d’autorisation en 2015, à peu près similaire à la première, que le préfet a de nouveau accordée. Ce deuxième arrêté a une fois encore été annulé par le tribunal administratif de Poitiers en 2018, puis en appel en 2022. « Aujourd’hui ces réserves sont utilisées malgré l’annulation de leur autorisation environnementale », constate Marie Bomare. Une plainte pour exploitation illégale a été déposée le 6 mars.

Martine Valo

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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