Air intérieur: les financements de la France pour équiper les écoles de capteurs ont cessé fin 2022 !

Covid-19 : a-t-on tiré les leçons de l’épidémie sur la qualité de l’air intérieur ?

Alors que certains pays, comme les Etats-Unis, investissent dans la ventilation et la purification de l’air des bâtiments, les financements de la France pour équiper les écoles de capteurs ont cessé fin 2022. 

Par Delphine Roucaute

Publié le 26 mars 2023 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/26/covid-19-a-t-on-tire-les-lecons-de-l-epidemie-sur-la-qualite-de-l-air-interieur_6166998_3244.html

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Un purificateur d’air dans la bibliothèque du lycée des Graves, à Gradignan (Gironde), le 10 janvier 2022.
Un purificateur d’air dans la bibliothèque du lycée des Graves, à Gradignan (Gironde), le 10 janvier 2022. GUILLAUME BONNAUD / SUR OUEST / MAX PPP

Que sont devenus les capteurs de CO₂ et les purificateurs d’air ? Ces nouveaux objets sont apparus dans les établissements scolaires et le débat public au gré de l’épidémie de Covid-19, censés aider les enseignants consciencieux à conserver un air respirable pour leurs élèves et éviter ainsi de fermer leurs classes. Lutter contre l’air saturé de CO₂ et de virus pour ne pas rester confiné chez soi, c’était tout l’enjeu de ces dispositifs dans lesquels les collectivités locales ont investi à grands frais.

Alors que la neuvième vague de Covid-19 a été franchie sans impact sanitaire comparable aux précédentes vagues hivernales et que les indicateurs de l’épidémie sont désormais au plus bas, que reste-t-il de cet intérêt nouveau pour la qualité de l’air intérieur ? L’enjeu dépasse la prévention du seul Covid-19. Il s’agit de lutter contre de nombreuses maladies aéroportées (varicelle, rougeole, grippe, virus respiratoire syncytial…) et une multitude d’émanations toxiques, auxquelles la population, qui passe de 80 % à 90 % de son temps dans des lieux clos, est exposée (monoxyde de carbone, benzène, composés organiques volatils, formaldéhydes, phtalates…).

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Pourtant, en même temps que le Covid-19 se banalise, la question disparaît peu à peu du débat public et des préoccupations politiques. « C’est justement parce que la pandémie marque le pas que l’on doit s’atteler désormais à rendre l’air intérieur de meilleure qualité », plaide Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à Genève. « Il ne s’agit pas d’une mesure que l’on pouvait prendre dans l’urgence, lors des confinements, des quarantaines ou des contrôles aux frontières, mais d’une mesure de prévention à laquelle il faut maintenant travailler », insiste l’épidémiologiste.

« Une révolution conceptuelle »

Au niveau national, les mesures prises depuis trois ans ont ciblé prioritairement les établissements scolaires. Au total, près de 130 000 capteurs de CO₂ ont été subventionnés par l’Etat, pour un total de 18 millions d’euros (soit une subvention moyenne de 140 euros par capteur). Plusieurs études montrent une forte corrélation entre la concentration de CO₂ dans l’air intérieur et le risque de contamination par le SARS-CoV-2. Si ces capteurs ne mesurent pas la quantité de virus présents dans l’air, ils sont des indicateurs pertinents de la qualité du renouvellement d’air dans une pièce.

En octobre 2022, l’éducation nationale a estimé que la moitié des écoles disposaient au moins d’un capteur, contre 82 % des collèges et 98 % des lycées. Le dispositif de subventions a pris fin le 31 décembre 2022 et, « à l’heure actuelle, il n’est pas prévu de renouveler ce financement, au vu de la fin des dispositifs spéciaux pour le Covid », précise le ministère.

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Pour le reste, les collectivités locales se sont plus ou moins engagées sur le sujet selon les territoires, les villes s’occupant des écoles primaires, les départements des collèges et les régions des lycées. En Ile-de-France, un budget de près de 400 000 euros a permis de financer quelque 1 250 capteurs et 530 purificateurs à partir de juillet 2021. Un appel à projets de 1,5 million d’euros a également aidé 24 communes à transformer les fenêtres de leurs crèches et écoles pour mieux aérer et mettre à niveau leur ventilation. « Le Covid a amené une révolution conceptuelle : avant, on parlait surtout d’air extérieur ; maintenant nous sommes obligés de créer de nouveaux outils pour l’air intérieur », s’enthousiasme Olivier Blond, délégué spécial à la santé environnementale en région Ile-de-France.

« La technologie ne fait pas tout »

Mais les outils et les sommes engagés ne suffisent pas à assurer le succès d’une politique de santé publique. Si personne n’allume le capteur ou n’ouvre les fenêtres quand celui-ci signale une saturation en CO₂, il ne sert pas à grand-chose. « L’enjeu est de réussir à changer les comportements, ce qui est très difficile », reconnaît M. Blond. L’ancien directeur de l’association Respire l’admet volontiers : « Une de nos préoccupations est de savoir si les capteurs sont toujours utilisés. La technologie ne fait pas tout. »

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A Paris, le choix a été fait de ne pas miser sur les purificateurs. Toutes les crèches, écoles et collèges ont été équipés d’un à cinq capteurs de CO₂. « Globalement, les établissements ont 25 % de leurs salles de classe équipées », précise la Ville. Mais certaines mairies ont fait des choix différents. Dans le 9e arrondissement de Paris, la maire Delphine Bürkli (Horizons) avait commencé en 2018 l’équipement des crèches et de 150 classes de capteurs de CO₂ et de purificateurs d’air. Des machines plus puissantes ont aussi été mises en place dans les cantines et réfectoires en sous-sol et seront déployées en 2023 dans les gymnases

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De son côté, la région Auvergne-Rhône-Alpes a d’abord expérimenté les purificateurs d’air, considérés comme « l’angle mort de la stratégie nationale », explique Florence Dubessy, vice-présidente de région, déléguée à l’éducation et aux lycées. A l’automne 2020, 10 millions d’euros ont été débloqués pour des filtres HEPA (à particules aériennes à haute efficacité) et, à la rentrée 2021, 3 000 capteurs ont été déployés, pour un coût de 1,6 million d’euros.

Ces outils de surveillance sanitaire ont pu être recyclés quand la crise est devenue énergétique. « Ces capteurs nous ont aidés à mettre en place un plan de sobriété pour répondre à la crise énergétique, puisqu’ils mesurent également l’hygrométrie et la température des classes », s’enthousiasme Florence Dubessy. Un argument de plus pour la généralisation de ces dispositifs, qui peuvent être onéreux, et dont les prix ont augmenté avec la crise sanitaire. Suivant leur qualité, les purificateurs peuvent coûter de 95 à 3 500 euros, note Delphine Bürkli.

Absence de coordination nationale

Toutes ces expérimentations témoignent d’un même problème : l’absence de coordination au niveau national. Finalement, faut-il privilégier les capteurs ou les purificateurs ? A quels seuils de CO₂ faut-il s’alarmer ? « Nous aurions besoin que de bonnes pratiques soient diffusées et qu’il y ait un accompagnement coordonné des enseignants », souligne Olivier Blond, de la région Ile-de-France. « Il nous faut une stratégie nationale, et pas seulement dans les établissements scolaires, aussi dans les maisons de retraite », ajoute Delphine Bürkli, pour qui « le Covid va être un accélérateur ».

L’enjeu de la qualité de l’air intérieur est déjà présent dans la réglementation depuis 2004, avec les plans nationaux santé-environnement, qui accordent une place significative aux environnements intérieurs. En décembre 2022, cinq nouveaux textes réglementaires, prévus avant le Covid-19, ont été publiés. Ciblant essentiellement les établissements scolaires, ils prévoient une évaluation annuelle de l’aération, contre tous les sept ans auparavant, à quoi s’ajoute une obligation d’autodiagnostic tous les quatre ans, sous une forme libre, et des campagnes de mesure de polluants. Enfin, un plan d’action, synthétisant tous ces éléments, doit être réalisé et affiché pour les occupants du bâtiment. En 2023, les établissements pénitentiaires pour mineurs vont être ajoutés à la liste. La question des piscines et des Ehpad a été reportée à 2025. « La seule modification notable liée au Covid est la mesure ponctuelle du CO₂ à l’occasion de l’évaluation annuelle de l’aération », note Cécile Caudron, responsable de projet au centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Pas d’obligation de travaux, donc, mais une « incitation à la prise de conscience », selon Cécile Caudron. On est encore loin du plan national mis en place en Belgique dès juin 2021, qui contraint les cafés, restaurants et hôtels à mesurer et afficher leurs niveaux de CO₂. Les établissements ayant fait les investissements nécessaires sont assurés de ne pas fermer en cas de nouveau confinement. Aux Etats-Unis, l’administration Biden a lancé en mars 2022 un plan de préparation aux pandémies, prévoyant 450 milliards de dollars d’investissements dans la ventilation et la purification de l’air des bâtiments.

Un sujet mondial

En France, le risque infectieux ne figure pas dans la réglementation, qui se concentre depuis une vingtaine d’années sur les polluants. « Pendant la pandémie, on s’est rendu compte que les acteurs de la qualité de l’air intérieur ont très peu le prisme infectieux en tête », remarque Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova, et autrice d’une note sur le sujet.

Au Haut Conseil de santé publique, Fabien Squinazi, président de la commission spécialisée sur les risques environnementaux, essaye de faire bouger les lignes. Plusieurs avis ont été rendus au printemps 2021, quand le sujet de l’aération s’est imposé au niveau mondial. Le médecin biologiste, spécialiste du sujet depuis trente ans, reste cependant prudent sur le recours aux purificateurs, « qui peuvent créer des produits secondaires, comme l’ozone par exemple pour certains modèles, c’est pourquoi il faut mener des études en situation réelle sur ces dispositifs », prévient-il.

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L’éclatement du sujet de l’air intérieur entre plusieurs ministères de tutelle est également un frein. « Il nous faut une stratégie nationale qui soit coordonnée de manière interministérielle », plaide Fabien Squinazi. Le fait que des pays se soient emparés frontalement du sujet va peut-être servir d’accélérateur, selon Antoine Flahault. « Lorsque l’on verra des résultats de la part de ceux qui auront su améliorer substantiellement la qualité de leur air intérieur, les peuples dont les dirigeants auront été retardataires en la matière exigeront à leur tour le droit de respirer un air meilleur », veut croire l’épidémiologiste.

La lente reconnaissance du Covid-19 comme infection aéroportée

Si la transmission par aérosols du SARS-CoV-2, c’est-à-dire par le biais de microgouttelettes en suspension dans l’air,fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus scientifique, cette idée a eu du mal à s’imposer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne l’a formellement confirmée que le 23 décembre 2021, près de deux ans après le début de la pandémie, et présentait comme un fait scientifique que le SARS-CoV-2 ne se transmettait que par des plus grosses gouttes, générées lorsqu’une personne infectée tousse, éternue ou parle. En conséquence, durant la première phase de la pandémie, les principales mesures recommandées étaient de garder une certaine distance entre personnes, de 1 à 2 mètres selon les périodes et les pays, et de se désinfecter les mains et les surfaces.

Depuis, les scientifiques travaillant sur le sujet ont montré que la distinction entre gouttes et gouttelettes manquait de pertinence. « Au lieu de s’intéresser uniquement au diamètre, il faut plutôt réfléchir à comment l’ensemble des paramètres peut avoir un effet sur la contamination », explique Kevin Roger, chargé de recherches CNRS au laboratoire de génie chimique de Toulouse. Son équipe a montré dans une étude parue en septembre 2022 dans The Proceedings of the National Academy of Sciences que la durée de suspension des gouttes dans l’air dépend de l’humidité, de la température de l’air, de la présence de courants d’air ou non, et qu’entre aussi en jeu la durée d’infectivité du virus, c’est-à-dire le temps pendant lequel il reste actif.

Le Covid-19 a désormais rejoint le groupe restreint des infections « aéroportées », une étiquette longtemps réservée à une poignée d’agents pathogènes, reconnus comme les plus virulents au monde, dont la rougeole, la varicelle et la tuberculose, mais aussi la grippe et le virus respiratoire syncytial (VRS), qui provoque la bronchiolite. « Toutes ces maladies ont en commun de se propager quasi exclusivement par voie aérosol, en milieu clos, de forte promiscuité, et insuffisamment ventilé », résume Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à Genève.

Delphine Roucaute

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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