Premiers résultats d’une enquête sociologique sur les soignants suspendus car non vaccinés (F. Pierru): « Des fonctionnaires deviennent des parias, des pestiférés, des rebus, plongés dans la précarité voire le dénuement simplement parce qu’ils ont refusé un vaccin à la technologie nouvelle qui leur faisait peur. »

Audition CCNE – PIERRU

Enquête en cours. Je ne peux livrer ici que quelques résultats. 

75 entretiens réalisés. 

120 témoignages écrits consignés soit dans des livres autoédités soit reçus par mail. 

90% de femmes. Des médecins, beaucoup d’infirmières et d’aides-soignantes, mais aussi d’autres professions de santé visées par la loi du 5 août 2021. 

1er résultat : parler d’antivax à propos de ces personnes n’a strictement aucun sens. Voire c’est injurieux et ressenti comme tel. Ces soignantes sont vaccinées, font vacciner leurs enfants, et certaines sont vaccinées contre la grippe. C’est pour elles une source d’incompréhension majeure. 

2ème résultat : toutes sont des professionnelles qui aiment leur travail et ont souffert de l’exercer. La souffrance de la perte de leur travail est proportionnelle à la durée de l’exercice. Il est plus facile psychologiquement de supporter la suspension quand on est une jeune infirmière fraîche émoulue de l’IFSI. 

3ème résultat : ces soignantes suspendues sont honnêtes. Comme vous le savez, il était assez aisé de se procurer des faux certificats. Toutes ont refusé de le faire. 

4ème résultat : la raison majeure invoquée de l’hésitation vaccinale est l’arrivée très (trop) rapide des vaccins à Arn messager, sans recul. Car ce n’est pas le principe du vaccin qui est remis en cause, je l’ai dit, mais ce vaccin précis. Les plus inquiètes étaient les jeunes femmes, envisageant une maternité proche ou voire qui étaient enceintes. Je le redis, il est faux et injurieux de parler « d’Antivax » à propos de ces soignants. 

Plus généralement, les femmes sont les responsables et les gestionnaires de la santé de la famille, et en particulier de leurs enfants. Ces soignantes refusaient que leurs enfants, qui ne risquaient rien, puissent être vaccinés comme cela a été un temps évoqué. 

D’autres, directement ou leurs proches, ont eu des expériences malheureuses (effets secondaires) avec certains vaccins. 

Il est vrai qu’une part – que je n’ai pas encore quantifié – ont une appétence pour les médecines parallèles, mais absolument pas comme substitut à la médecine allopathique. Ce ne sont certainement pas des anti-science et des soignants non éthiques (cf. leur refus d’avoir recours à la facilité de se procurer un faux)

5ème résultat : une grande incompréhension. En effet, mes enquêtées ne comprennent pas que des soignants qui ont eu la covid « au bon moment » (septembre 2021) et un certificat de rétablissement aient pu continuer à exercer sans qu’on ne leur demande plus jamais de se faire vacciner. Ou encore que des gens positifs aient pu continuer à exercer. Le sentiment d’incompréhension s’est accru quand on a appris que l’efficacité du vaccin était de 3 à 4 mois et n’empêchait que très peu la transmission. Pareil pour les personnels qui ne sont pas en contact direct avec les malades. 

Je voudrais insister ici sur le fait que l’on ne peut découper la séquence vaccination de l’ensemble de la séquence pandémique. Ces soignantes étaient sur le pont en 2020, souvent affectées à des services Covid, et ont, c’est le cas de le dire, travaillé avec les moyens du bord étant donné la pénurie de masques, de surblouses. Elles ont pris des risques et les ont assumés. Certaines m’ont raconté qu’elles se déshabillaient sur le pas de leur porte, éloignaient leurs enfants, pour aller directement à la douche tout en faisant tourner la machine à laver. C’est donc un comble qu’elles soient désormais perçues et dénigrées comme « irresponsables ». 

De plus, nombre d’entre elles m’ont signalé leur surprise quant à l’écart de ce qu’elles observaient sur le terrain, c’est-à-dire pas grand-chose, et le catastrophisme de la communication gouvernementale. Les chiffres de l’ATIH montrent que l’activité des hôpitaux a brutalement chuté. Une certaine méfiance s’est installée à ce moment-là, aggravée par les débuts erratiques de la gestion de la pandémie. 

En résumé, le doute s’est installé peu à peu. 

5ème résultat : nombre des soignantes interrogées se réclament des principes et droits de la « démocratie sanitaire », et notamment de la nécessité du consentement libre et éclairé, surtout pour une technologie nouvelle en phase III. Je rappelle ici que la France a signé des textes actant ce principe, qui figure même dans le code de la santé publique. Là encore, on ne peut pas comprendre cette hésitation vaccinale sans saisir les incohérences et contradictions dans lesquelles ont été prises ces soignantes. 

6ème résultat : la brutalité de la suspension. De très nombreuses enquêtées m’ont dit que jamais elles n’auraient pensé que l’État aille jusqu’à cette suspension dérogatoire au droit de la fonction publique : sans traitement indiciaire, sans droit au chômage, sans possibilité d’exercer une autre activité. Elles ont vécu cela comme une injustice majeure au regard de leur fidélité à l’hôpital et à leurs conditions de travail dégradé. 

Au passage, nombre d’entre elles m’ont dit que beaucoup de leurs collègues se sont fait  vacciner, non parce qu’elles étaient convaincues du vaccin, mais tout simplement parce qu’elles n’avaient pas le choix en particulier du point de vue économique. 

Raison pour laquelle le refus de la vaccination n’est jamais un choix purement individuel mais collectif, impliquant le cercle familial. Le soutien et la situation professionnelle du conjoint sont ici décisifs dans le passage « au non-acte » si j’ose dire. 

J’insiste aussi sur le fait que la mise en œuvre de la loi du 5 août 2021 a été erratique. Certaines directions ont été intransigeantes, d’autres beaucoup plus laxistes, ce qui n’a pu que renforcer le sentiment d’injustices chez certains. 

En effet, phénomène classique en sociologie, des personnes stigmatisées s’approprient le stigmate et le retourne. Elles en viennent à constituer des sociétés alternatives, un entre-soi fait d’associations, de boucles Telegram qui permettent non seulement de se soutenir mais aussi de comparer les situations. Elles commencent à chercher des informations alternatives pour rationaliser ex-post des choix motivés par des réflexes très simples : la peur d’une technologie inconnue, les craintes pour une maternité à venir, le souvenir d’une vaccination antérieure difficile, l’attachement au consentement libre et éclairé, etc. 

Ce n’est qu’après leur suspension que ces personnes sont allées voir des sites comme réinfocovid ou d’autres sites. Il ne faut pas inverser la cause et la conséquence ! 

C’est la loi du 5 août qui a constitué une sorte de « société alternative », réticulaire, où ont été mis en débat les arguments officiels et dont certaines personnalités ont été médiatisées. 

J’insiste aussi sur le fait que l’immense majorité de mes enquêtés n’étaient absolument pas politisées, certaines avaient participé épisodiquement aux gilets jaunes, et leur participation électorale est conforme à la sociologie des catégories populaires : pas ou peu d’intérêt pour la politique, participation électorale épisodique, abstention fréquente. Si vous voulez trouver des fachos, ce n’est certainement pas dans cette population que vous les trouverez ! 

Je vais être direct : ce sont les pouvoirs publics qui ont créé la figure démoniaque de « l’Antivax » complotiste ; figure imaginaire à vocation injurieuse mise en circulation par des médecins très éloignés socialement de la réalité de la vie de ces soignantes. Figure imaginaire qui joue sur le mode de la prophétie autoréalisatrice : « Ah, vous voyez bien, ils se réclament de Louis Fouché ou d’Aurion-Caude, c’est bien des complotistes ! ». Sauf que ces soignantes n’auraient jamais lu ces auteurs si elles n’avaient pas été disqualifiées. 

7ème point : les conséquences sur la vie des suspendus. Cette enquête fut pour moi éprouvante. En effet, ce fut une litanie de vies brisées ou sur le fil. Divorces, séparations, vente de la maison récemment achetée, vente des « bijoux de famille », épuisement des économies laborieusement réalisées, familles déchirées (enfants/parents), dans le pire des cas suicides. Certains dormaient dans leur voiture. Je trouve incroyable que l’on puisse vivre une telle situation en France en 2021-2022 où des fonctionnaires deviennent des parias, des pestiférés, des rebus, plongés dans la précarité voire le dénuement simplement parce qu’ils ont refusé un vaccin à la technologie nouvelle qui leur faisait peur. 

Ce dont ces soignantes sont le nom c’est celui de l’échec de la politique de santé publique, qui en est réduit à contraindre, voire à exercer une véritable violence sociale, parce qu’elle n’arrive pas à convaincre. On ne fait pas de la santé publique en faisant des martyrs ou des sacrifices. Selon moi, c’est le niveau 0 de la santé publique. 

Je vais maintenant quitter ma neutralité axiologique de sociologue et parler en tant qu’homme : je trouve ces suspensions scandaleuses. L’État ne peut pas ainsi briser la vie d’honnêtes soignantes qui ont fait vivre le service public pendant des années, souvent dans des conditions dégradées. 

J’ai lu dans une contribution d’association de patients que ces soignants seraient anti-Science et non-éthiques. Ce type de propos est inadmissible, déjà parce qu’il est complètement FAUX. Je n’ai parlé ni lu de personnes de ce type. J’ai parlé à des professionnelles de santé reconnues, estimées, très contrariées par le sort qui est réservé aux patients dans un hôpital fonctionnant en mode dégradé, et qui au contraire porte haut l’éthique contre des politiques publiques qui obligent des soignants à des formes de maltraitance à l’égard des patients, quitte à en souffrir dans leur for intérieur. 

Anti-science ? C’est un comble lorsque l’on connaît la longue litanie des scandales sanitaires qui ont secoué l’histoire de la politique de santé française depuis 40 ans ! 

L’accusation ne manque pas de sel lorsque l’on découvre, à la lecture de l’avis de la HAS de février 2023, les limites de ce vaccin, limites de plus en plus documentées, y compris à l’étranger. Efficacité de 4 mois tout au plus, effets inconnus sur les femmes enceintes, biais dans les essais Pfizer, non évaluation sur la transmission… 

On m’a appris que la science c’est le doute, et s’oppose au dogme. Ces soignantes étaient bien plus scientifiques que les médecins dogmatiques qui les injuriaient au lieu d’exercer leur esprit critique. Ces soignantes ont posé des questions légitimes et on découvre, à mesure que les jours passent, qu’ils étaient très légitimes. Je pense notamment ici à la commission présidée par Michèle Rivasi. 

Si j’étais provocateur, je dirais que ces soignantes étaient bien plus animées par l’esprit scientifique qu’une santé publique dogmatique armée du glaive de la mort sociale. 

Au lieu de sanctionner de façon DISPROPORTIONNEE ces soignantes, il aurait mieux valu les écouter au lieu de les infantiliser et de les morigéner. Certaines de leurs critiques étaient fondées et on le sait désormais. Par ailleurs, ils se revendiquaient de la « démocratie sanitaire », ce mot valise, ce lieu commun, dont on cherche la mise en œuvre dans la période pandémique. 

En conclusion, la réintégration de ces soignantes qui pour beaucoup ont vécu un calvaire depuis 18 mois, serait la moindre des choses. Et quand je dis réintégration, c’est avec les arriérés de salaires afin de pouvoir reprendre le cours normal de leur vie brisée. On leur doit bien ça. 

Je le redis : on ne fait pas de la santé publique en faisant des martyrs. 

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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