« Un « petit hôpital sur roues » sillonne les villages d’Auvergne pour accompagner les femmes enceintes »
Date de publication : 14 mars 2023
C’est ce que fait savoir Le Monde, qui explique que « la région expérimente depuis 6 mois un suivi de grossesse ambulant pour les femmes les plus éloignées des structures de périnatalité. Ce bus obstétrical est une première en France métropolitaine ».
Camille Bordenet explique ainsi que «depuis septembre 2022, ces sages-femmes et leurs collègues battent la campagne sur les petites routes du Cantal, du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et de l’Allier, entre pâturages moussus et toits de lauze, à bord de leur «petit hôpital sur roues», Opti’soins ».
« Elles partent à la rencontre des femmes enceintes les plus éloignées des structures de périnatalité, dont le suivi de grossesse est parfois rompu par la distance, dans ces terres désertées par ceux qui soignent. A bord, tout l’équipement médical pour assurer échographies et examens biologiques »,relève la journaliste.
Camille Bordenet précise que « l’expérimentation, adossée à un projet de recherche – piloté par le Réseau de santé en périnatalité d’Auvergne et le CHU de Clermont-Ferrand, financé par le ministère de la Santé et la région Auvergne-Rhône-Alpes –, part d’un constat ».
La Dre Anne Debost-Legrand, investigatrice principale du projet, remarque ainsi que « l’éloignement à plus de 30 minutes de voiture d’une structure ou d’un professionnel de santé habilité à suivre une grossesse complique l’accès à un suivi adapté et régulier, empêchant la prévention de certaines complications ».
La journaliste souligne en effet que « le nombre de femmes en âge de procréer se trouvant à plus de 45 minutes d’une maternité a plus que doublé entre 1997 et 2019 en France, selon une étude du géographe de la santé Emmanuel Vigneron réalisée pour Le Monde, en 2019, avec 430.000 de plus. Le nombre de celles se trouvant à plus de 30 minutes a, lui, augmenté de près de 2 millions ».
Camille Bordenet rappelle que « l’accès aux soins des quelque 11 millions de femmes vivant en zone rurale – soit une Française sur trois – s’en ressent, selon un rapport sénatorial de la délégation aux droits des femmes ».
Le rapport recommande de « généraliser à tous les départements ruraux les solutions de médecine itinérante, type bus ou camion équipés et pluridisciplinaires, proposant aux femmes de ces territoires les dépistages les plus complets possibles portant sur les cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon mais aussi des consultations gynécologiques par exemple ».
La journaliste conclut : « Dans une phase expérimentale pour 2 ans, le projet a encore une portée réduite. Avec l’ambition d’être pérennisé et étendu à d’autres disciplines comme la gynécologie. L’ambition, aussi, qu’il «fasse des petits» ailleurs, là où d’autres en ont besoin ».
Un « petit hôpital sur roues » sillonne les villages d’Auvergne pour accompagner les femmes enceintes
Par Camille Bordenet (Besse-et-Saint-Anastaise (Puy-de-Dôme), Clermont-Ferrand, Monteil (Cantal), envoyée spéciale)Publié aujourd’hui à 04h00, mis à jour à 11h53 https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/03/14/deserts-medicaux-en-auvergne-un-petit-hopital-sur-roues-pour-accompagner-les-femmes-enceintes_6165351_1651302.html
Temps de Lecture 5 min.
Reportage
La région expérimente depuis six mois un suivi de grossesse ambulant pour les femmes les plus éloignées des structures de périnatalité. Ce bus obstétrical est une première en France métropolitaine.
Ne pas oublier les dossiers des patientes ni l’ordinateur au départ du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, bien attacher le monitoring et l’échographe pour éviter les mauvaises surprises dans les virages. Nathalie Dulong et sa coéquipière du jour, Julie Duclos-Médard, commencent à être rodées.
Voilà six mois, depuis septembre 2022, que ces sages-femmes et leurs collègues battent la campagne sur les petites routes du Cantal, du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et de l’Allier, entre pâturages moussus et toits de lauze, à bord de leur « petit hôpital sur roues », Opti’soins. Elles partent à la rencontre des femmes enceintes les plus éloignées des structures de périnatalité, dont le suivi de grossesse est parfois rompu par la distance, dans ces terres désertées par ceux qui soignent. A bord, tout l’équipement médical pour assurer échographies et examens biologiques.
S’il existe quelques structures de soins mobiles pour les femmes (la Mammobile, pour le dépistage du cancer du sein dans l’Orne, Gynécobus pour la prévention gynécologique dans le Var), Opti’soins est une première en matière obstétrique en France métropolitaine – inspiré d’un projet similaire à Mayotte, la Répémobile. L’expérimentation, adossée à un projet de recherche – piloté par le Réseau de santé en périnatalité d’Auvergne et le CHU de Clermont-Ferrand, financé par le ministère de la santé et la région Auvergne-Rhône-Alpes –, part d’un constat : « L’éloignement à plus de trente minutes de voiture d’une structure ou d’un professionnel de santé habilité à suivre une grossesse complique l’accès à un suivi adapté et régulier, empêchant la prévention de certaines complications, d’autant plus si la grossesse nécessite un suivi plus médicalisé », explique la docteure Anne Debost-Legrand, investigatrice principale du projet.
Lire aussi : Deux tiers des maternités ont fermé en France en quarante ans
Diminution des effectifs de gynécologues, fermeture depuis quarante ans de petites maternités – au motif, notamment, d’un nombre d’accouchements considéré insuffisant et d’un manque de médecins spécialistes – au profit de structures centralisées plus techniques jugées plus sécurisées par les autorités sanitaires… Cette concentration a une conséquence : le nombre de femmes en âge de procréer se trouvant à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité a plus que doublé entre 1997 et 2019 en France, selon une étude du géographe de la santé Emmanuel Vigneron réalisée pour Le Monde, en 2019, avec 430 000 de plus. Le nombre de celles se trouvant à plus de trente minutes a, lui, augmenté de près de deux millions.
Lire aussi : Le nombre de femmes qui vivent à plus de 45 min d’une maternité a doublé en 20 ans
L’accès aux soins des quelque onze millions de femmes vivant en zone rurale – soit une Française sur trois – s’en ressent, selon un rapport sénatorial de la délégation aux droits des femmes (Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l’égalité, octobre 2021). Celui-ci souligne que leur isolement peut être accentué par leur accès plus restreint que les hommes à la voiture. Et il recommande de « généraliser à tous les départements ruraux les solutions de médecine itinérante, type bus ou camion équipés et pluridisciplinaires, proposant aux femmes de ces territoires les dépistages les plus complets possibles portant sur les cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon mais aussi des consultations gynécologiques par exemple ».
« C’est quasiment à domicile »
Après une heure et demie à tournicoter, parfois ralenties par les tracteurs et les fourgonnettes d’artisans, premier arrêt dans le Cantal, au Monteil, 300 âmes et des salers à robe marron. C’est le quatrième rendez-vous pour Tracy (les personnes dont seul le prénom apparaît ont demandé l’anonymat), 30 ans, enceinte de son deuxième enfant, accompagnée par son mari, Pierre, facteur de métier. Elle fait partie des 400 femmes que le dispositif a identifiées, sur 220 communes d’Auvergne – soit 110 où le bus intervient, et 110 autres, dites « témoins », où il ne s’arrête pas mais où les futures parturientes seront interrogées sur leur parcours sans celui-ci. Une population de femmes plus à risque (surpoids, tabagisme…), dont l’état de santé a pu se dégrader avant la grossesse. « On regarde aussi si elles sont à jour de frottis, beaucoup n’ayant pas de suivi gynécologique adapté », témoigne Nathalie Dulong, cheffe de projet.


Tracy a été orientée vers le bus par sa sage-femme qui la suit en protection maternelle infantile, cette dernière n’étant pas habilitée à réaliser des échographies. Les sages-femmes échographes, comme Julie Duclos-Médard, sont moins nombreuses – une trentaine en Auvergne. « L’idée n’est pas de remplacer mais d’étoffer l’offre existante avec un renfort logistique et humain. On intervient en collaboration avec les professionnels de proximité, les sages-femmes, les centres périnataux de proximité [CPP], les maternités », détaille Nathalie Dulong.
Lire aussi la tribune : « Les sages-femmes sont indispensables à la santé des femmes et des enfants »
« C’est quasiment à domicile », salue Tracy, allongée sur la table d’examen. Autant de longs trajets évités pour Saint-Flour ou Ussel – plus d’une heure d’un côté, quarante-cinq minutes de l’autre. Surtout que sa grossesse, considérée à risque, est compliquée par un diabète gestationnel qui lui impose un suivi plus rapproché. Les longs trajets pouvant accentuer les contractions et augmenter les risques d’accouchement prématuré sont déconseillés. Sans même parler du carburant économisé. Tandis que Julie Duclos-Médard passe la sonde sur son ventre, Nathalie Dulong enfile sa casquette de nutritionniste pour faire un point sur l’alimentation.


Tracy est inquiète : elle préférerait accoucher à nouveau à la petite maternité de Saint-Flour (type 1, sans service de néonatalité, pour les grossesses à bas risque et les naissances normales), mais, en cas de complications, son nouveau-né pourrait être transféré au CHU de Clermont. Ne vaut-il pas mieux, dans ce cas, aller directement à Clermont, à une heure et quarante-cinq minutes de route ?
L’Auvergne compte dix maternités et trois CPP – contre dix-sept et un CPP en 2003. Ces centres, qui se sont substitués aux maternités qui réalisaient un nombre d’accouchements jugé insuffisant, n’assurent plus d’accouchements mais un suivi prénatal et postnatal, des cours de préparation à la naissance, des consultations de planification familiale…
Lire le reportage : A Die, trente ans de lutte pour l’hôpital et sa petite maternité
Le temps de faire également un prélèvement sanguin, de remplir le dossier médical partagé en ligne et de rassurer la patiente, la consultation aura duré plus d’une heure. Vite, il faut ranger et tout resangler pour la deuxième patiente qui a rendez-vous, à plus d’une heure de route. Direction le Puy-de-Dôme.
« La médecine de campagne de demain »
« Ça va, on n’a pas de neige ! », s’exclame Nathalie Dulong au volant. Les piquets orange et les panneaux pneus neige témoignent d’hivers pouvant être rudes sur la route des lacs. Où l’on se figure mieux comme il doit être compliqué pour certaines d’honorer tous les rendez-vous préconisés pour un suivi régulier. « Une tendance à s’oublier en tant que femme » dont Julie Duclos-Médard a vu les effets lorsqu’elle accompagnait son père, médecin de campagne, au domicile des patientes. En tant que sages-femmes, elles-mêmes pallient le manque de gynécologues. Dans son rapport sénatorial, la délégation au droit des femmes salue d’ailleurs « le dynamisme du réseau des sages-femmes en milieu rural ».
Lire aussi notre reportage : « Un métier passionnant, des conditions déplorables » : une nuit avec les sages-femmes d’une maternité de Nancy
« Ces structures mobiles, c’est la médecine de campagne de demain, considère Nathalie Dulong. Même l’administration s’y met. » Sur les routes, les sages-femmes croisent parfois d’autres services sur roues : les camions du Secours populaire, ceux des laitiers ou de services publics itinérants…
Second arrêt – un peu penché – devant l’église de Besse-et-Saint-Anastaise, dans le massif du Sancy. Aurélie et Pierre – elle éleveuse canine, lui plâtrier –, moins de 30 ans, attendent leur premier. Une fille, les informe l’échographie. Outre les kilomètres évités, ils apprécient d’être rassurés, après un début de grossesse « un peu compliqué ». « C’est plus familial et moins stressant que l’hôpital. » Aurélie déteste devoir se rendre dans les grandes villes comme Clermont.

A bord de ce « cocon » préservé de la promiscuité villageoise et repartant avec ses secrets, la parole de celles qui ont pu subir des violences – conjugales, sexuelles – ou qui souffrent de problèmes d’addiction se dépose quelquefois plus facilement que, par exemple, chez le médecin de famille. « On recherche les antécédents gynécologiques mais aussi psychosociaux pouvant ressurgir pendant la grossesse », explique Nathalie Dulong. Des situations pour lesquelles l’équipe peut compter sur une infirmière spécialisée en santé mentale. Dans une phase expérimentale pour deux ans, le projet a encore une portée réduite. Avec l’ambition d’être pérennisé et étendu à d’autres disciplines comme la gynécologie. L’ambition, aussi, qu’il « fasse des petits » ailleurs, là où d’autres en ont besoin.
Lire aussi le reportage A Saint-Claude, dans le Jura, un premier hiver sans la maternité
Voir aussi: