Nucléaire civil : poursuite des relations entre France et Russie épargnées par les sanctions européennes

Les liens persistants de la filière nucléaire française avec le géant russe Rosatom

Transport de l’uranium naturel, importations d’uranium enrichi… L’ONG Greenpeace détaille, dans un rapport publié samedi, les relations entre la France et la Russie dans ce secteur toujours épargné par les sanctions européennes. 

Par Perrine Mouterde et Marjorie Cessac

Publié hier 11 Mars 2023

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/11/les-liens-persistants-de-la-filiere-nucleaire-francaise-avec-le-geant-russe-rosatom_6165046_3234.html

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Le navire russe « Mikhail Dudin » contenant une cargaison d’uranium, dans le port de Dunkerque (Nord), le 13 septembre 2022. Les écologistes ont demandé à l’Allemagne et aux Pays-Bas d’en bloquer la livraison, empêchant son acheminement vers une usine de traitement localisée près de la frontière germano-néerlandaise.
Le navire russe « Mikhail Dudin » contenant une cargaison d’uranium, dans le port de Dunkerque (Nord), le 13 septembre 2022. Les écologistes ont demandé à l’Allemagne et aux Pays-Bas d’en bloquer la livraison, empêchant son acheminement vers une usine de traitement localisée près de la frontière germano-néerlandaise.  MICHEL SPINGLER / AP

« Je vais être claire : la France n’est pas dépendante de la Russie pour le fonctionnement de son parc électronucléaire. » Pour étayer les propos de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, formulés le 6 décembre 2022 devant l’Assemblée nationale, la filière nucléaire a des arguments : la France n’importe pas d’uranium naturel extrait de mines russes, elle dispose de capacités d’enrichissement et de conversion sur son territoire et de combustible fabriqué par des entreprises française ou américaine.

Dans la pratique, pourtant, le commerce d’uranium entre Paris et Moscou se poursuit, et la France continue, depuis le début de la guerre en Ukraine, fin février 2022, à avoir recours à une usine située en Sibérie pour « recycler » des matières radioactives, comme l’ont montré différentes enquêtes dévoilées ces derniers mois. Un rapport de l’ONG Greenpeace, publié samedi 11 mars, documente d’autres aspects des relations entre la filière nucléaire française et le géant Rosatom, et montre que l’influence russe est beaucoup plus étendue que ce que laissaient entendre les acteurs du secteur.

L’organisation antinucléaire démontre notamment que la Fédération de Russie contrôle le transport d’une grande partie de l’uranium naturel importé depuis le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Elle relève également que ni les exploitants français ni le gouvernement ne peuvent affirmer que l’uranium naturel utilisé dans les centrales n’a pas été extrait de mines exploitées par Rosatom au Kazakhstan. Enfin, si la France n’importe pas d’uranium naturel russe, elle a fait venir de Russie, en 2022, encore davantage d’uranium enrichi que les années précédentes.

Route principale d’Asie centrale vers l’Europe

Entreprise tentaculaire créée en 2007 par le président russe, Vladimir Poutine, Rosatom est impliquée depuis un an dans l’occupation de la centrale ukrainienne de Zaporijia. Malgré les appels du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et du Parlement européen, qui a adopté une résolution sur le sujet, début février, le nucléaire demeure l’un des derniers secteurs totalement épargné par les sanctions européennes.

Concernant la France, Greenpeace s’intéresse en particulier au transport de l’uranium naturel depuis le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Selon les chiffres des douanes françaises, plus de 40 % de l’uranium naturel importé dans l’Hexagone en 2022 proviennent de ces deux pays. Or, la principale route utilisée pour acheminer ces matières vers l’Europe, et donc vers la France, passe par la Russie, l’uranium naturel arrivant en train jusqu’au port de Saint-Pétersbourg, ou parfois jusqu’au port d’Ust-Luga, situé un peu plus au sud.

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« Le principal port pour les expéditions vers l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord est celui de Saint-Pétersbourg », où l’approvisionnement se déroule « sans restriction », confirme au Monde Kazatomprom, la compagnie minière nationale kazakhe.

Selon la législation russe, tout transit de matières nucléaires nécessite la délivrance d’un permis par Rosatom, qui exerce le contrôle et le suivi de ces cargaisons. Le groupe nucléaire français Orano confirme que, sur le territoire russe, le transport est assuré par des opérateurs russes. « Comme avant la guerre, la route de l’uranium continue de passer essentiellement par la Russie, ajoute un porte-parole. D’autres options sont regardées, mais elles ne sont pas encore mises en œuvre. »

Un itinéraire alternatif, la « route de transport international transcaspienne » (TITR), permet en effet d’éviter la Russie en passant par l’Azerbaïdjan, la Géorgie puis la Turquie. « La TITR intéresse tout le monde, y compris le Kazakhstan, pour les exportations de pétrole mais aussi d’uranium, décrit Michaël Levystone, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, et spécialiste de l’Asie centrale. Mais cette route est aussi très fantasmée, car les volumes d’exportations ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui passent par la Russie. »

Navires immatriculés dans l’UE

Kazatomprom dit disposer d’un « quota d’exportation » de 3 500 tonnes d’uranium – sur une production annuelle d’environ 20 000 tonnes – par la TITR, qu’elle cherche à augmenter. L’entreprise ajoute avoir « réalisé avec succès »une livraison d’uranium par cette route en décembre 2022. « A court terme, le Kazakhstan devrait rester très enfermé dans sa dépendance vis-à-vis de la Russie, précise toutefois Michaël Levystone. Et pour l’Ouzbékistan, qui est encore plus enclavé, c’est encore plus compliqué. »

Une fois arrivé dans les ports russes, c’est par cargo que l’uranium continue sa route jusqu’en Europe. Depuis plusieurs années, Greenpeace documente ce qui se passe à Dunkerque (Nord) : deux navires, le Mikhaïl Dudin et le Mikhaïl Lomonosov, ont été repérés en train de charger ou de décharger de l’uranium. Le premier, par exemple, a effectué au moins cinq trajets entre Dunkerque et Saint-Pétersbourg depuis le début de la guerre en Ukraine.

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Ces deux navires sont affrétés par des compagnies russes, la North-Western Shipping Company, qui a fusionné avec Volga Shipping, et la Northern Shipping Company. Vladimir Lisin, l’un des hommes les plus riches de Russie, est à la tête de la première.

Selon une enquête de Disclose publiée en décembre 2022, Volga Shipping, qui compte une flotte de 250 bateaux, aurait à plusieurs reprises, depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, transbordé du pétrole d’un navire russe à un bateau appartenant à un pays membre de l’Union européenne (UE), pour contourner l’interdiction faite aux navires russes d’entrer dans les ports européens.

Contacté par Le Monde, EDF explique que les transports de matière nucléaire sont effectués en coordination avec l’Etat français, et que les informations qui s’y rattachent sont confidentielles. « EDF maximise la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs. Nous ne sommes dépendants d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays pour assurer la sécurité d’approvisionnement en combustible », insiste l’électricien.

Des mines russes au Kazakhstan

En amont du transport, Greenpeace s’est aussi intéressée aux mines kazakhes et ouzbèkes. Au Kazakhstan, Rosatom, notamment par sa filiale canadienne Uranium One, est impliqué dans cinq des quatorze sites du pays, ce qui en fait le premier acteur étranger de la production d’uranium.

« L’influence russe sur le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan est historique, la filière nucléaire russe s’est construite avec ces pays riches en uranium », explique Anna Creti, professeure d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL. Si Orano est présent au Kazakhstan, la production de la mine qu’il exploite avec Kazatomprom est entièrement destinée à la Chine. Comment savoir, alors, si l’uranium naturel importé en France n’est pas issu d’une mine gérée par Rosatom ?

« Même si l’uranium ne vient pas de Russie, cela ne veut pas dire qu’il est libre de toute influence russe, confirme Kacper Szulecki, chercheur à l’Institut norvégien des affaires internationales et auteur d’une étude, publiée fin févrierdans Nature, sur la diplomatie nucléaire russe. Le Kazakhstan est étroitement lié à Rosatom à de nombreux niveaux, ce qui en fait un élément de la chaîne d’approvisionnement russe. »

Outre l’uranium naturel, la France est aussi directement liée à la Russie pour son approvisionnement en uranium enrichi. Selon les chiffres des douanes cités par Greenpeace – et qu’avait révélés le Canard enchaîné en décembre 2022 –, Paris en a importé, en 2022, 312 tonnes en provenance de Russie. Un volume qui représente l’équivalent d’un tiers de la quantité d’uranium enrichi nécessaire pour faire fonctionner les centrales françaises pendant un an, mais aussi 67 % du total des importations d’uranium enrichi en France, soit plus que les années précédentes.

« On a importé, en pleine guerre en Ukraine, au moins deux fois plus d’uranium enrichi qu’avant le conflit, c’est quand même inacceptable, dénonce Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace. Si on est indépendant de la Russie, pourquoi continue-t-on à collaborer avec Rosatom, qui est un outil géopolitique et géostratégique hyperpuissant pour Poutine ? »

« Opacité de la sphère nucléaire française »

Interrogé, EDF assure que ses importations d’uranium enrichi russe sont restées « au même niveau entre 2021 et 2022 », mais dit avoir davantage « fait appel aux usines françaises pour la fabrication des assemblages combustible », ce qui « expliquerait pour partie la différence ». Autrement dit, les années précédentes, une partie de l’uranium enrichi importée n’arrivait pas en France, mais dans des usines en Suède ou au Royaume-Uni, et n’était donc pas comptabilisée de la même manière par les douanes.

L’électricien souligne aussi le fait qu’il n’est « pas le seul acteur nucléaire qui importe de l’uranium en France ». De fait, après l’arrivée d’une cargaison à Dunkerque fin novembre 2022, Framatome avait reconnu être le destinataire d’une partie de l’uranium enrichi. Contactée, l’entreprise ne dit pas quelles quantités elle a importées en 2022. Elle indique avoir signé la prolongation d’un protocole d’accord avec Rosatom fin 2021, soit avant le début de la guerre, et dit chercher, avec ses partenaires, à « mettre en œuvre des solutions européennes réduisant la dépendance vis-à-vis de la Russie ».

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Greenpeace, qui appelle à la rupture de tous les contrats liant les exploitants nucléaires à Rosatom, dénonce « l’opacité de la sphère nucléaire française », accusée de tenter de « minimiser sa dépendance » à l’égard de la Russie. « Il y a un secret des affaires, mais ce qui ne devrait pas être secret, c’est d’où vient l’uranium et qui l’a transporté, estime Pauline Boyer. Alors qu’on nous dit qu’on va développer la souveraineté énergétique de la France en relançant le nucléaire, nous voulons savoir d’où vient le combustible. »

Interrogé, le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher insiste sur le fait que les échanges commerciaux entre les entreprises françaises et russes « portent sur des activités non essentielles, substituables ». Concernant d’éventuelles sanctions contre Rosatom, Paris considère qu’elles ne sont pas nécessaires, car elles n’auraient qu’un « impact relativement faible » sur l’économie russe.

Selon une étude du Royal United Services Institute du 14 février, la Russie a exporté au minimum plus de 1 milliard de dollars (plus de 900 millions d’euros) de biens et matières liés au nucléaire depuis le début de la guerre, un chiffre en hausse par rapport à 2021.

Perrine Mouterde et  Marjorie Cessac

Entre la France et la Russie, malgré la guerre, les affaires continuent dans le nucléaire

Le géant russe Rosatom pourrait acquérir 20 % des turbines nucléaires Arabelle, aux côté d’EDF. Actuellement, la moitié du carnet de commandes de l’usine de Belfort, où elles sont fabriquées, est assurée par le client russe. 

Par Jean-Michel BezatPublié le 10 mars 2022 à 10h33, mis à jour le 10 mars 2022 à 15h47

https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/10/dans-le-nucleaire-la-france-maintient-ses-liens-avec-la-russie_6116905_3234.html

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Une vue du site de construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu, en Turquie, le 3 avril 2018.
Une vue du site de construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu, en Turquie, le 3 avril 2018.  IBRAHIM MESE / AFP

Pendant la guerre, les affaires continuent… tant que les sanctions européennes ne tombent pas. EDF et Rosatom sont en négociations pour la reprise par le conglomérat russe de l’industrie nucléaire d’une partie de la société fabricant des turbines à vapeur Arabelle qui équipent les centrales françaises et des centrales d’autres pays, écrit Le Figaro, dans son édition du 9 mars. Après avoir été vendue à l’américain General Electric (GE), en 2015, avec tout le secteur énergie d’Alstom (GEAST), cette activité jugée « stratégique » par le gouvernement est en passe de réintégrer le giron français.

EDF et Rosatom ont, selon le quotidien, approuvé un pacte d’actionnaires prévoyant que le groupe russe acquière 20 % de l’activité, les 80 % restants étant contrôlés par son partenaire français. « L’entreprise ne fait pas de commentaire », indique un porte-parole d’EDF. « Dans tous les cas, nous nous plierons aux décisions de l’Etat actionnaire », ajoute un de ses dirigeants. Jusqu’à présent, le secteur nucléaire n’a pas été frappé par les sanctions européennes, pas plus que le pétrole et le gaz.

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L’Etat actionnaire va-t-il donner son feu vert ou mettre son veto ? Au ministère de l’économie, on indique que l’accord entre EDF et GE pour reprendre une partie de l’activité turbines à vapeur de l’américain « n’oblige en rien à faire monter Rosatom au capital de GEAST ». « Il n’y a pas d’accord signé avec Rosatom ni de discussions aujourd’hui pour son entrée au capital de GEAST », ajoute-t-on. Le gouvernement n’a donc pas, selon Bercy, à mettre son veto à une telle opération.

Un partenaire de longue durée

Mais si l’on s’extrait du contexte géopolitique, l’opération a du sens. Le fabricant de ces turbo-alternateurs, les plus puissants du monde, est un fournisseur stratégique de Rosatom : ils équiperont la centrale qu’il construit à Akkuyu, dans le sud de la Turquie, et plus tard celle d’El-Dabaa, dans le nord de l’Egypte. Soit huit turbines au total. D’autres sites en projet en dehors de la Russie, comme au Bangladesh, pourraient être équipés d’Arabelle. L’opération serait aussi intéressante pour EDF, à qui elle offrirait un partenaire de longue durée. Rosatom est l’acteur le plus actif sur le marché mondial du nucléaire, qui connaît une timide relance à la faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

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Critiqué pour ses missions de conseil à deux filiales de Rosatom, Henri Proglio, PDG d’EDF de 2009 à 2014, rappelle, lui aussi, les liens anciens entre le groupe russe et la filière nucléaire française. « Rosatom utilise et achète depuis longtemps pour ses centrales les turbines Arabelle fabriquées par Alstom, puis par General Electric, c’est même son principal client », souligne-t-il dans un entretien au Journal du dimanche du 6 mars. Actuellement, la moitié du carnet de commandes des turbines Arabelle de l’usine de Belfort est assurée par le client russe, indique-t-on à Bercy. Sanctionner le géant russe risque de pénaliser EDF et Framatome, même si elle frapperait aussi Rosatom, qui ne pourrait pas mettre en service sa centrale d’Akkuyu fin 2023 comme prévu.

Les Occidentaux sont aussi dépendants de la filière nucléaire russe pour l’enrichissement de l’uranium. Elle détient 36 % du marché mondial et fournit plusieurs pays européens (Finlande, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie…), dont les approvisionnements gaziers sont déjà limités et menacés, mais aussi l’Iran, la Chine et l’Inde. Ce poids stratégique incite les Etats-Unis à la prudence. Si la Maison Blanche envisage des sanctions, selon l’agence Bloomberg, elle consulte l’industrie nucléaire américaine sur leurs répercussions, avant d’arrêter sa décision.

Nombreuses collaborations

Dans le monde du nucléaire, concurrence et collaborations vont de pair. Les échanges entre les entreprises exploitant des centrales sont ainsi permanents dans le cadre de la World Association of Nuclear Operators, créée en 1989, trois ans après la catastrophe de Tchernobyl. Objectif : améliorer la sûreté des installations et des opérations par un partage continu d’expériences. Mais les coopérations vont plus loin : fourniture de gros équipements, partage de technologies, livraison de combustibles, retraitement des matières radioactives…

Le premier contrat d’approvisionnement de la France en uranium par la Russie remonte à 1973, en pleine guerre froide. Depuis, les relations industrielles et commerciales n’ont pas cessé. EDF a collaboré avec Rosenergoatom, filiale de Rosatom, pour étendre la durée d’exploitation d’un réacteur de la centrale bulgare de Kozlodouy. Fin 2021, Framatome et Rosatom ont signé un « nouvel accord stratégique » pour développer des technologies de fabrication de combustible et de systèmes de contrôle-commande des réacteurs. Acheter certaines technologies occidentales donne du crédit à la filière russe, qui a par ailleurs su développer le VVER 1 200, un réacteur de troisième génération de 1 200 mégawatts qui est jugé sûr et performant par ses concurrents eux-mêmes.

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En 2018, EDF avait confié à Tenex, filiale de Rosatom, l’enrichissement de l’uranium issu du retraitement de ses combustibles usés. Le groupe d’électricité justifiait alors le transfert de ces matières radioactives vers la Russie – dénoncé par des ONG comme Greenpeace – par des raisons de coût et de diversification des approvisionnements, même si une seule centrale d’EDF peut utiliser cet uranium de retraitement enrichi. Orano (ex-Areva NC) a aussi des partenariats avec Rosatom. Ces dernières années, il lui a fourni des équipements pour la construction d’une usine de défluoration d’uranium appauvri en Sibérie.

Jean-Michel Bezat

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*La Russie possède la seule usine au monde capable de « recycler » l’uranium déchargé des réacteurs nucléaires français

Le groupe français Orano a continué à envoyer jusqu’en octobre de l’uranium en Sibérie, où se trouve une installation de conversion. La guerre en Ukraine pose la question de l’avenir de la filière du retraitement. 

Par Perrine Mouterde et Marjorie CessacPublié le 29 novembre 2022 à 08h00, mis à jour le 29 novembre 2022 à 14h12

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A la différence d’autres pays d’Europe de l’Est, la France ne dépend pas de la Russie pour faire fonctionner ses 18 centrales. L’uranium naturel importé provient du Niger, du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et d’Australie. Il peut ensuite être converti et enrichi dans les installations d’Orano sur les sites de Malvési (Aude) et du Tricastin (Drôme), les combustibles étant ensuite fabriqués dans les usines du français Framatome ou de l’américain Westinghouse.

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Mais la guerre en Ukraine, qui expose la dépendance européenne et mondiale à l’industrie nucléaire russe, n’est pas totalement sans conséquences sur la filière française. Car aujourd’hui, une seule installation permet de « recycler » l’uranium issu des combustibles utilisés dans les 56 réacteurs du parc : l’usine de Seversk, située dans la région de Tomsk, en Sibérie, qui appartient au groupe russe Rosatom.

Un arrêt définitif du commerce d’uranium entre Paris et Moscou aurait inévitablement des conséquences sur une filière du retraitement déjà fragilisée et pourrait conduire, à terme, à ce que l’uranium issu des combustibles usés soit considéré comme un déchet supplémentaire à gérer, et non comme de la matière pouvant être réutilisée.

Ces deux dernières années, de l’uranium a été envoyé de la France vers la Russie. L’ONG antinucléaire Greenpeace a documenté au moins cinq livraisons entre janvier 2021 et janvier 2022 : 11 conteneurs chargés dans le port du Havre, le 12 février 2021, 20 conteneurs chargés à Dunkerque, le 29 octobre 2021, et 13 conteneurs dans le même port, en novembre 2021… Le 28 septembre 2022, soit sept mois après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, l’organisation révélait encore la présence du cargo russe Mikhail Dudin dans le port de Dunkerque.

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« Les allers-retours ininterrompus de ce cargo entre Saint-Pétersbourg et Dunkerque trahissent à quel point l’industrie nucléaire française est prise au piège de sa dépendance à la Russie, dénonçait alors Pauline Boyer, chargée de campagne transition énergétique et nucléaire pour Greenpeace. La France doit de toute urgence stopper tout commerce d’énergie nucléaire avec la Russie. » Le secteur de l’atome ne fait pas l’objet de sanctions européennes.

Contrat soldé avec Rosatom

Le groupe français Orano, propriétaire d’uranium de retraitement (URT) provenant essentiellement de centrales étrangères et engagé par un contrat signé en 2020 avec Rosatom, a confirmé avoir effectué « cinq ou six livraisons »vers la Russie, pour un volume total de 1 150 tonnes. L’entreprise a toutefois révélé au Monde que ce contrat était désormais soldé, un dernier transport d’uranium ayant eu lieu en octobre 2022. Orano affirme par ailleurs ne pas envisager de signer de nouveau contrat avec le géant russe du nucléaire.

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Pour EDF, qui exploite les centrales françaises et est donc propriétaire de l’uranium de retraitement issu des combustibles usés, l’enjeu est plus important. En 2018, l’électricien a signé un contrat avec une filiale de Rosatom, Tenex, pour la transformation d’URT, également à Seversk. En mars 2022, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire indiquait qu’EDF avait repris « depuis 2021 l’envoi de lots pour réenrichissement ».

Fin octobre, Orano n’envisageait pas d’investir à court terme dans une installation de conversion, faute de débouchés suffisants

Contactée, l’entreprise ne donne pas de précision sur la mise en œuvre de ce contrat, mais assure qu’« aucune livraison ni importation » d’uranium vers ou en provenance de Russie « n’ont eu lieu depuis février 2022 ». Selon les informations de Greenpeace, le gouvernement aurait sommé EDF de cesser ses exportations. Le ministère de la transition énergétique ne souhaite pas s’exprimer sur ce dossier.

EDF affirme par ailleurs avoir « engagé des discussions » avec Orano et avec Westinghouse pour mettre en place une installation de conversion de l’URT en Europe de l’Ouest. « La construction d’une usine prendra une dizaine d’années et décalera d’autant la réutilisation de cette matière, explique l’énergéticien. En attendant, l’URT sera stocké à Pierrelatte [Drôme], dans des entrepôts. » Fin octobre, Orano n’envisageait pas d’investir à court terme dans une installation de conversion, faute de débouchés suffisants. « Nous sommes à disposition s’il y a des besoins, mais il faut une réelle demande pour développer un nouvel atelier », expliquait le groupe, ajoutant que, « pour l’instant, il n’y [avait] pas d’urgence. »

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La France est en effet l’un des seuls pays à avoir fait le choix du retraitement, et donc à avoir besoin de telles capacités.

Une fois les assemblages de combustibles usés déchargés des centrales et refroidis, les éléments qui les composent sont séparés : les déchets ultimes (4 %) sont entreposés à La Hague (Manche) ; le plutonium (1 %) est expédié à Marcoule (Gard) pour fabriquer un nouveau combustible appelé MOX ; et l’uranium de retraitement (95 %) est envoyé vers les installations d’Orano à Pierrelatte. Officiellement destinés à être réutilisés, le plutonium et l’URT sont considérés comme des matières radioactives, et non comme des déchets.

Risque de saturation

De 1972 à 2010, plusieurs milliers de tonnes d’URT ont été envoyées vers la Russie. En 2010, ces exportations ont pris fin pour des raisons économiques – le cours de l’uranium naturel était bas , mais aussi environnementales, le procédé alors utilisé pour la transformation de l’uranium à Seversk étant particulièrement polluant. Depuis 2013, la réutilisation de l’URT converti et réenrichi, possible uniquement dans la centrale de Cruas (Ardèche), est à l’arrêt. EDF confirme vouloir relancer cette utilisation en 2023 « a minima pour une recharge » afin de « refaire la démonstration du caractère recyclable de l’URT ».

Dans les entrepôts de Pierrelatte, près de 34 000 tonnes d’URT s’accumulent, les stocks augmentant d’environ 1 000 tonnes par an. En raison du risque de saturation, de nouvelles capacités d’entreposage doivent être mises en service prochainement. Une situation qui avait déjà poussé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à évoquer, en octobre 2020« la perspective d’une éventuelle requalification de l’uranium de retraitement en déchet radioactif pour les volumes qui ne seraient pas utilisés ». Même si l’URT était réutilisé à partir de 2023, cela ne suffirait pas à compenser la production annuelle, expliquait le gendarme du nucléaire.

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« Dans l’hypothèse où aucune perspective d’utilisation à long terme n’apparaîtrait pour l’uranium de retraitement, il conviendrait alors de le requalifier et de le gérer comme un déchet, répète aujourd’hui l’ASN. La décision de poursuivre ou non le retraitement appartient aux acteurs industriels et institutionnels. » « Soit un projet de conversion voit le jour en dehors de la Russie, soit il faudra se reposer la question de la qualification de cet URT », confirme Igor Le Bars, directeur de l’expertise de sûreté de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

Les opposants à l’atome dénoncent de longue date le choix du retraitement, considéré comme un moyen « d’entretenir l’illusion d’un cycle du combustible et d’un nucléaire “vert” », alors que cette option génère des coûts, des transports de matières et des déchets. Si l’industrie met en avant que 96 % des combustibles usés sont « valorisables », seul le plutonium est actuellement réutilisé.

L’usine de Melox (Gard), où est fabriqué le combustible MOX à partir de ce plutonium et d’uranium appauvri, a par ailleurs connu de grandes difficultés ces dernières années. La filière nucléaire défend au contraire l’idée que le retraitement permet de réduire la quantité d’uranium naturel excavée ainsi que les volumes de déchets.

Perrine Mouterde et  Marjorie Cessac

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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