Covid-19 : que reste-t-il, après trois ans de pandémie ?
La banalisation de l’infection est une évidence, le « vivre avec » est devenu réalité, et beaucoup ont perdu l’habitude des gestes barrières. Un « rendez-vous manqué » pour certains chercheurs, même si d’autres voient quand même des avancées.
Par Florence Rosier et Delphine RoucautePublié hier à 05h15, mis à jour hier à 14h56
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Le 11 mars 2020, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, qualifiait pour la première fois le Covid-19 de pandémie. En trois ans, la maladie s’est installée durablement dans le paysage, alors même que la plupart des stigmates de cette étrange période de confinements, de couvre-feux et d’isolements ont disparu de l’espace public.
Voir les graphiques : Covid-19 : les chiffres de l’épidémie en France et dans le monde, en cartes et en graphiques
Si des masques s’observent encore sur quelques visages dans les transports en commun et établissements de santé, la plupart des tentes de dépistage ont disparu des trottoirs, les centres de vaccination ont quitté les salles municipales et les autotests ne composent plus les têtes de gondole des pharmacies. Le passe vaccinal n’est plus exigé à l’entrée d’un lieu public et la primovaccination n’est même plus recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS).
La banalisation de l’infection est une évidence. C’est comme si la prophétie autoréalisatrice du gouvernement, « vivre avec le virus », était enfin devenue réalité. Ce mantra répété à l’envi par les différents ministres et imposé par Emmanuel Macron a d’abord été utilisé pour justifier une stratégie opposée au « zéro Covid », adoptée par certains pays comme la Chine, puis pour accompagner les mesures de restriction guidant les processus de déconfinement des deux premières années. En 2022, l’expression a encore pris une coloration différente. Lorsque la population a été submergée par le raz de marée Omicron (plus de 365 000 infections par jour au 24 janvier 2022), la nécessité de « vivre avec » s’est imposée à tous. Et c’est paradoxalement au moment où les contaminations restaient très fortes que les mesures de restriction ont commencé à être levées.
La fin de l’obligation du port du masque dans les lieux publics, entreprises et écoles a été annoncée le 3 mars 2022, lorsque près de 52 000 personnes attrapaient le virus tous les jours. En comparaison, lors du deuxième confinement, du 30 octobre au 15 décembre 2020, le pic avait à peine dépassé 48 000 cas par jour.
La différence, entre ces deux périodes, est que près de 60 % de la population avait reçu au moins trois doses de vaccin. Depuis la loi du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d’exception encadrant la gestion sanitaire de l’épidémie, deux vagues supplémentaires ont entraîné la mort de plus de 12 000 personnes en France.
« La mobilisation diminue »
« On s’est aperçu que la population s’adapte aux indicateurs : lorsque l’incidence baisse, on cesse de se protéger. Et cette banalisation du risque s’accélère au cours du temps ; à chaque vague, la mobilisation cognitive et comportementale diminue », analyse Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études en santé publique (Ehesp). Y compris lors de la triple épidémie grippe-bronchiolite-Covid-19 de l’hiver 2022, la remontée de pratiques comme le port du masque dans les transports a été très limitée (+ 10 %, selon le chercheur).
« Les acteurs de santé publique espéraient qu’il y ait un apprentissage et une acculturation comme dans les pays asiatiques, mais on observe plutôt une forme de résilience, les gestes prépandémiques reprennent leurs droits », ajoute le chercheur. Plus le risque est familier, ancien et prévisible, moins il suscite d’inquiétudes.
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Un vrai « rendez-vous manqué », selon Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova. « Le Covid-19 aurait pu servir de leçon : quand on est malade, on a une responsabilité envers les autres, de ne pas les contaminer, en portant son masque par exemple », estime la politologue, pour qui cet échec de pédagogie de la part des autorités sanitaires englobe le peu de cas qui est fait aujourd’hui des personnes immunodéprimées. La fin de l’isolement systématique requis pour les personnes diagnostiquées positives, au 1er février, a été un signal très mal accueilli par les associations de patients.
D’autres sont plus optimistes. « Les plus fragiles auront appris à se méfier des virus respiratoires, note Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus des infections respiratoires à Lyon. Ils portent plus volontiers le masque dans des lieux fréquentés. » Une part de la population, observe-t-il, a gardé le réflexe de garder un masque en poche. « J’aimerais que l’adhésion soit comparable pour l’hygiène des mains, utile contre de nombreuses autres infections », ajoute le virologue.
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Succès du vaccin
Par ailleurs, « un ratage de communication de la part du gouvernement a été de ne pas mettre davantage en valeur le succès des vaccins, qui, plus que les confinements, ont permis de sortir de l’épidémie », insiste Mélanie Heard.
Un succès d’une ampleur qui n’en finit pas d’étonner la communauté scientifique. A cet égard, Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, souligne combien « les efforts considérables de recherche accomplis » ont porté rapidement leurs fruits – autre leçon de la pandémie. Un chiffre illustre ce succès. La vaccination anti-Covid-19 a permis d’éviter dans le monde jusqu’à 19,8 millions de morts en 2021, a ainsi estimé une équipe londonienne en juin 2022.
Pour autant, constate Bruno Lina, « nous avons toujours beaucoup de mal à convaincre une part importante de la population, en France, de l’intérêt de la vaccination en général ». De fait, si le taux de population éligible ayant reçu un rappel s’est montré très élevé (plus de 80 %) tant qu’il était imposé par le passe vaccinal, le succès de la campagne de rappel pour les populations vulnérables, à l’automne 2022, a été plus que mitigé (environ un quart des plus de 65 ans). La HAS, par ailleurs, envisage de supprimer l’obligation vaccinale pour les professionnels de santé, dernière mesure d’exception liée à la période épidémique.
Alors que toutes les restrictions ont été levées, que reste-t-il du SARS-CoV-2 ? A l’hôpital, « grâce à la vaccination, le Covid-19 est devenu une infection respiratoire presque comme les autres, avec un risque non négligeable de forme grave surtout pour les plus vulnérables », souligne Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hôpital Bichat, à Paris. Si le masque était déjà très présent dans certains services comme la réanimation, « le Covid-19 a instauré, chez les médecins, un port du masque plus spontané avec tous leurs patients, surtout ceux qui ont des infections respiratoires », souligne l’infectiologue.
L’habitude des tests
D’autres pratiques se sont généralisées. « La révolution post-Covid, c’est que les gens se sont habitués aux tests fournissant en quelques minutes un diagnostic. Ce genre de test utilisé dans les cas de grippe permet de réduire la prescription d’antibiotiques. C’est donc un enjeu majeur de capitaliser sur ce changement de paradigme », s’enthousiasme Anne-Claude Crémieux, professeure en infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris.
Côté traitement, quel sera l’avenir de la meilleure arme anti-Covid-19 disponible, le Paxlovid, cette pilule antivirale du laboratoire Pfizer ? Parée de sérieux atouts, elle a pourtant vu son utilisation restreinte par plusieurs freins. « Ce médicament a longtemps été compliqué à prescrire, témoigne Jacques Battistoni, ex-président du syndicat de médecins généralistes MG France. Peu de médecins généralistes ont pu s’en emparer de façon régulière, c’est assez décevant. » De fait, de février 2022 à janvier 2023, seulement 91 000 prescriptions de Paxlovid ont été réalisées en France, selon le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare.
En cas de recrudescence de l’épidémie, le recours à ce traitement pourrait néanmoins augmenter, estime Jacques Battistoni. Encore faut-il le prescrire à bon escient. « Pour les personnes non fragiles, le Paxlovid ne sert à rien, rappelle Bruno Lina. Il n’est bénéfique que chez les patients à risque de formes graves. »
« Etre dans l’anticipation »
Les anticorps monoclonaux, de leur côté, ont suscité de grands espoirs : ils ont été les premiers traitements efficaces chez les personnes immunodéprimées. Malheureusement, à mesure que de nouveaux variants apparaissent, bardés de mutations, ils mettent très vite en échec ces armes thérapeutiques. « La viabilité du modèle de ces anticorps pose question, observe Mahmoud Zureik. Pour les industriels, il n’est pas évident de développer des traitements à la durée de vie si brève. »
Pour d’autres experts, les leçons du Covid-19 resteront amères. Essoufflement du système de santé, difficultés de recrutement, tensions d’approvisionnement pour certains médicaments : « Aujourd’hui, on est presque moins bien préparés à l’éventualité d’une nouvelle menace pandémique qu’en janvier 2020 », alerte Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP) à Garches.
Face à l’urgence sanitaire, le monde a jusqu’ici été dans une réaction défensive, mais cette période de guerre acharnée semble derrière nous. « Dans la période de guerre froide qui se profile, il s’agira d’être dans l’anticipation », avertit Mahmoud Zureik.
Les recettes sont connues : il faut continuer à surveiller le SARS-CoV-2, mais aussi la myriade d’agents pathogènes qui infectent la faune sauvage ; poursuivre la vaccination et le traitement des plus fragiles ; ne pas relâcher les efforts de recherches sur des moyens de lutte innovants ; équiper les milieux clos fréquentés en systèmes de purification de l’air… Ces leçons essentielles seront-elles entendues ?
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Florence Rosier et Delphine Roucaute
**Tirer les leçons de la stratégie zéro Covid avant la prochaine pandémie
Analyse
Delphine Roucaute
La situation de la Chine, brusquement submergée par la pandémie en raison d’un déconfinement mal préparé, invite à anticiper les prochaines vagues épidémiques. Et à réfléchir à la meilleure manière pour éviter des mesures trop drastiques.
Publié le 09 février 2023 à 21h00, mis à jour le 09 février 2023 à 21h00 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/09/tirer-les-lecons-de-la-strategie-zero-covid-avant-la-prochaine-pandemie_6161208_3232.html
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Analyse. Malgré tous ses efforts pour ne rien laisser filtrer du nombre de contaminations et de morts dues ces dernières semaines à la flambée de Covid-19 sur son territoire, le gouvernement chinois n’a pas réussi à cacher l’échec de son modèle de gestion de l’épidémie. Après avoir fait vivre sa population sous cloche pendant trois ans, Pékin a soudain lâché les vannes en décembre 2022, sans prévoir aucun accompagnement, que ce soit en matière de tests, de traitements ou de vaccins. Résultat : des hôpitaux engloutis sous le flot des patients en détresse respiratoire, des crématoriums saturés et des autorités sanitaires qui ne parviennent plus à tenir les comptes d’une vague qu’ils n’avaient pas anticipée.
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L’exemple chinois signe-t-il pour autant l’échec de la stratégie zéro Covid ?
D’autres pays avaient décidé d’adopter cette conduite, consistant à éradiquer totalement la circulation du virus par des confinements, le contrôle des frontières et le respect de quarantaines strictes. En Australie et en Nouvelle-Zélande, mais aussi dans de nombreux pays asiatiques comme le Cambodge, le Vietnam, le Japon, la Corée, le Laos, la Thaïlande ou Taïwan, cette stratégie a permis d’éviter de nombreuses morts.
Lors de la première année de pandémie, on estime que quelque 750 000 personnes sont mortes de la maladie en Europe, tandis qu’on en a compté seulement 20 000 dans les pays zéro Covid.
En 2020 et 2021, le zéro Covid a ainsi fait ses preuves sur le plan sanitaire. Les thuriféraires de cette stratégie étaient encore nombreux, plaidant pour une politique d’endiguement très stricte dans l’espoir de reprendre ensuite une vie normale. Mais en 2022, le variant Omicron a changé la donne. Très différent de ses prédécesseurs Alpha, Beta et Delta, il a montré de grandes capacités de transmission et d’échappement immunitaire (la résistance aux anticorps). Dans la plupart des pays, son arrivée a été l’élément déclencheur précipitant la décision d’abandonner peu à peu les restrictions, avec l’idée que ce virus ne pouvant être endigué, il fallait apprendre à « vivre avec ».
Protéger les plus vulnérables
En Chine, le raz-de-marée Omicron a au contraire entraîné des confinements et des mesures de restriction encore plus fortes, qui ont abouti, en novembre 2022, a des manifestations sans équivalent dans le pays depuis le mouvement de la place Tiananmen, en 1989. Car la première limite de la stratégie zéro Covid est sa durée. L’argument sanitaire ne peut tenir seul pendant trois ans pour justifier de restreindre la liberté de mouvement de toute une population.
La deuxième limite de cette stratégie est qu’elle ne suffit pas à elle-même. Les confinements se sont imposés dans la plupart des pays du monde aux premiers mois de la pandémie et se sont révélés le meilleur moyen de protéger la population face à un virus dont on ne connaissait pas grand-chose. Même en Suède, où le gouvernement avait choisi de s’appuyer sur les recommandations plutôt que sur la contrainte, une commission d’enquête a estimé, en février 2022, que les mesures avaient été trop peu nombreuses et trop tardives, ce qui n’a pas permis de protéger les plus vulnérables, notamment les personnes âgées, qui ont payé un lourd tribut. Mais il est tout aussi important de bien gérer son confinement que son déconfinement.
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Une fois que la population se remet à circuler, il s’agit de la protéger en lui donnant accès à des traitements préventifs, c’est-à-dire la vaccination et les anticorps monoclonaux, mais aussi en améliorant sa prise en charge, avec des antiviraux, du matériel de ventilation et des services de santé solides. En parallèle, le contrôle de la circulation du virus passe par des tests accessibles, du contact tracing efficace, des enquêtes épidémiologiques de terrain et une surveillance génomique aux frontières.
Les villes chinoises ont tant dépensé leur argent et leur énergie à tester et à confiner la population qu’elles n’étaient plus en mesure d’investir dans des unités de soins intensifs quand il a fallu rouvrir les vannes. Si les Chinois ont plutôt bien été vaccinés à deux doses, très peu ont reçu des rappels et, surtout, les personnes âgées n’ont jamais été la priorité des campagnes vaccinales, alors qu’il s’agit de la catégorie de population la plus vulnérable face au virus.
Filtration de l’air
En creux, le cas chinois pose la question de savoir quelle sera la meilleure stratégie à adopter lors de la prochaine pandémie. Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux épidémiologistes et chercheurs s’évertuent à dire que pour éviter des mesures trop drastiques, la clé est l’anticipation.
C’est justement parce que l’épidémie de Covid-19 nous offre actuellement un répit qu’il faut mettre en place des moyens d’éviter les prochaines vagues et d’anticiper la survenue d’éventuels pathogènes inconnus.
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Face à l’apparition d’un variant X échappant à l’immunité acquise par la vaccination et les infections, les pistes d’amélioration sont connues, même si les autorités sanitaires françaises ne semblent pas vouloir les prioriser : amélioration de l’aération et de la filtration de l’air intérieur, développement d’un système de surveillance épidémiologique ambitieux comme au Royaume-Uni, ne reposant pas sur la bonne volonté de la population à se faire dépister, et enfin poursuite de la recherche fondamentale sur les virus respiratoires et les arboviroses.
Au niveau mondial, et notamment dans les pays à faible revenu, les chercheurs poussent pour la mise en place de réseaux de santé capables de prendre en charge différentes maladies infectieuses, comme Ebola ou la tuberculose. Tout en permettant de rendre la population plus résiliente face aux maladies endémiques, ces efforts assureront une capacité de riposte plus solide contre des pathogènes encore inconnus. L’enjeu est de mieux anticiper pour moins confiner.
Delphine Roucaute
*L’épidémie de Covid-19 est-elle vraiment finie en France ?
Trois ans après son apparition soudaine, la maladie s’est stabilisée mais continue de mettre le système de soins sous pression, entraînant de 20 à 25 décès par jour en France.
Par Delphine RoucautePublié hier à 10h30, mis à jour à 11h06 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/11/l-epidemie-de-covid-19-est-elle-finie-en-france_6165070_3244.html
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Après trois ans d’épidémie et neuf vagues d’intensité et de durée diverses, quelle dynamique va adopter le Covid-19 en France ? Les indicateurs épidémiologiques sont au beau fixe depuis plusieurs semaines – incidence, hospitalisations et décès allant dans le même sens d’une diminution. Le nombre de nouvelles admissions à l’hôpital, autour de 280 par jour, atteint les niveaux de l’été 2021. Et il faut remonter à l’été 2020 pour observer une période aussi longue sans nouveau rebond épidémique. Une sorte de plateau semble ainsi être atteint depuis plus d’un mois, autour de 3 500 nouveaux cas par jour, sans qu’il soit possible de savoir combien de temps il va encore durer. D’une semaine à l’autre, le taux de reproduction oscille autour de 1, représentatif de la ligne de crête actuelle
.Voir les graphiques : Covid-19 : les chiffres de l’épidémie en France et dans le monde, en cartes et en graphiques
La France est-elle enfin entrée dans cette phase d’endémie non pas synonyme de fin de l’épidémie, mais de stabilisation du nombre de cas ? Le manque de recul empêche encore les scientifiques de trancher et l’incertitude demeure sur la durée de cette phase de transition. D’autant plus que les anciens modèles permettant d’anticiper la dynamique épidémique, quelques semaines, voire quelques mois, à l’avance, sont devenus caducs, avec la complexité croissante de l’immunité de la population. Infections multiples, avec différents variants, à différentes époques, et schémas vaccinaux contrastés selon les âges… il faut désormais inventer une nouvelle manière de modéliser l’impact de cette maladie sur la population. Un travail d’envergure auquel s’attellent actuellement les scientifiques.
« Le plus probable, c’est que l’on va continuer à avoir un impact du SARS-CoV-2, donc le fardeau des maladies infectieuses respiratoires en France va être sans doute sensiblement augmenté par rapport à ce qu’il était quand on avait essentiellement des cas de grippe et de bronchiolite en hiver », analyse Simon Cauchemez, chercheur en épidémiologie à l’Institut Pasteur de Paris, spécialisé dans les modélisations mathématiques. La question est désormais de savoir quelle part va occuper le Covid-19 dans le fardeau global de ces maladies.
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Davantage de morts que la grippe
Depuis que l’épidémie s’est stabilisée, il y a environ un mois, 20 à 25 personnes meurent chaque jour de la maladie. Concrètement, cela signifie que, si ce niveau était maintenu toute l’année, le nombre de morts serait à peu près équivalent à une épidémie de grippe, qui provoque en moyenne 9 000 décès par an, concentrés sur une dizaine de semaines, comme le précise Santé publique France (SPF). Chiffre auquel il faudrait ajouter, pour le Covid-19, l’excès de mortalité associé à chaque rebond épidémique. Même à son plus bas niveau, le Covid-19 fait toujours plus de morts que la grippe.
Lors de l’année écoulée, ce ne sont pas moins de cinq vagues de Covid-19 qui ont frappé la population française, contre quatre lors des deux années précédentes. « Aucune autre maladie infectieuse ne se comporte de cette manière, ce serait donc surprenant que ce rythme continue », souligne Simon Cauchemez. Même si, d’un point de vue sanitaire, un enchaînement de petites vagues successives est peut-être préférable à une grande vague qui interviendrait tous les ans en même temps que la grippe et la bronchiolite en hiver. En novembre-décembre 2022, c’est bien la conjonction des trois épidémies qui a mis le système hospitalier à mal, alors même que la part de patients atteints du Covid-19 n’était pas majoritaire parmi les maladies infectieuses.
Par ailleurs, « d’un point de vue immunitaire, ces vagues successives ont un côté rassurant : dès que l’immunité populationnelle diminue, une nouvelle vague arrive et la rebooste, permettant de revenir à un niveau suffisant pour éviter un pic épidémique majeur », remarque Simon Cauchemez. Car c’est bien la durée de cette immunité acquise par les infections passées et la vaccination qui sera le paramètre-clé pour la suite de la dynamique épidémique.
De ce point de vue, il faut bien différencier la protection contre les infections de celle contre les formes graves de Covid-19. « Si la première s’atténue rapidement, car la quantité d’anticorps neutralisants diminue vite dans le sang, la deuxième repose, elle, sur les cellules mémoire et est certainement plus résistante », rappelle Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique.
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Pour l’ancien président du comité d’orientation de la stratégie vaccinale contre le Covid-19, « le fond de protection de la population contre les formes graves va a priori encore durer un bon moment, sauf si un nouveau variant à fort échappement immunitaire s’imposait ». « Mais les conséquences des variations génétiques sont souvent moindres sur les cellules mémoire », observe le vaccinologue.
Omicron victime de son succès
C’est aujourd’hui la branche Omicron qui s’est imposée presque exclusivement dans le monde entier, remplaçant ses prédécesseurs à prétention hégémonique Alpha et Delta, mais de nouveaux sous-lignages ou recombinants apparaissent régulièrement. En France métropolitaine, les sous-lignages d’Omicron les plus détectés restaient BQ.1.1, rejeton de BA.5, avec 40 % des séquences interprétables lors de la dernière enquête Flash de SPF du 14 au 20 février, ainsi que XBB.1.5, issu d’une recombinaison de sous-variants dans la lignée de BA.2 (32 % des séquences).
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Malgré tout, « au sein de cette famille, l’évolution continue, avec un nombre finalement assez limité de mutations, qui sont toujours un peu les mêmes. On parle alors de convergence évolutive : les mêmes causes produisant les mêmes effets dans différentes régions du monde et sur différents virus », explique Olivier Schwartz, responsable de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur. D’une certaine manière, Omicron est victime de son succès : après avoir infecté près de 90 % de la population française grâce à ses propriétés inégalées de transmissibilité et d’échappement immunitaire, presque tout le monde est désormais doté d’anticorps ciblant cette famille. Sans parler du succès de la vaccination : en France, plus de 80 % de la population a reçu au moins trois doses de vaccin.
« On a l’impression d’arriver au bout d’un processus. Il n’y a pas pour l’instant de nouvelle souche qui semble prendre le dessus », remarque M. Schwartz. Il est toutefois trop tôt pour crier victoire. L’émergence d’un nouveau variant effectuant un saut évolutif du même type que celui observé entre Omicron et ses prédécesseurs est toujours possible. L’épopée du Covid-19 n’est pas encore finie.
Delphine Roucaute