Le plaidoyer d’un économiste contre les déserts médicaux pour une régulation des installations, dans « Le Figaro »    

« On ne peut pas faire mieux que la régulation de l’installation » : le plaidoyer d’un économiste contre les déserts médicaux »    

Par M.J. le 08-03-2023 

https://www.egora.fr/actus-pro/acces-aux-soins/79429-on-ne-peut-pas-faire-mieux-que-la-regulation-de-l-installation-le#xtor=EPR-3-1%5BNews_En_Bref%5D-20230311-%5B_1%5D

Dans une tribune publiée dans les colonnes du Figaro, le professeur d’économie François Langot plaide pour la régulation à l’installation des médecins. Selon lui, les patients, qui cotisent tous de la même manière, devraient pouvoir bénéficier des mêmes chances d’accès aux soins selon leurs territoires.  

“Pour comprendre le problème des déserts médicaux sans tomber dans une série de cas particuliers, il peut être utile de comprendre comment se forme l’allocation de l’offre de soins pour satisfaire les besoins d’une population dispersée dans différentes zones”, écrit l’économiste et professeur François Langot, qui plaide ce lundi 6 mars pour la régulation à l’installation des médecins, dans une grande tribune.  

Pour expliquer son point de vue, il appelle d’abord à prendre en compte le fait que chaque patient potentiel est obligé de cotiser au régime maladie de la Sécurité sociale. “De fait, si on considère deux territoires, A et B, peuplés chacun de deux populations homogènes, alors les recettes récoltées sur ces deux zones géographiques sont identiques, ce qui leur donne ‘droit’ aux mêmes prestations”, explique ainsi François Langot. Pourtant, selon lui, les patients de ces zones étant “homogènes”, ils présentent tous le même risque d’être malade. “Il y a, dans chacune des deux zones, un ‘vrai’ malade et un malade ‘imaginaire’, ce dernier qualificatif exprimant simplement l’idée que ce malade a besoin d’un soin de confort. Un ‘vrai’ malade est un patient qui sans l’intervention d’un médecin, verra son état de santé se dégrader jusqu’à l’amener à envisager un soin lourd en hôpital”, poursuit-il.  

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Aux yeux de l’économiste, il devient urgent et nécessaire de lutter contre le fait que des territoires, malgré l’homogénéité de ses habitants, puissent être des déserts médicaux. En poursuivant son exemple de territoires A et B, François Langot imagine que dans le premier un médecin choisisse de s’installer car il est plus ensoleillé que l’autre. “Sans avoir ausculté, il peut alors rencontrer soit le “vrai” malade, soit le malade ‘imaginaire’. Donc sur l’ensemble du territoire, un ‘vrai’ malade ne sera pas soigné de façon certaine (celui habitant dans la zone B) et le ‘vrai’ malade de la zone A aura une chance sur deux d’être soigné”, illustre-t-il. Avant d’aller plus loin : “Arrive alors un second médecin. Raisonnant comme le premier, il s’installe ‘librement’ dans la zone A qui voit alors ces deux malades être reçus par un médecin, la zone B restant un ‘désert médical’. Les patients de la zone A sont satisfaits. Un des médecins de cette zone a reçu un malade ‘imaginaire’, sans bien entendu, l’avoir choisi. Il se peut donc qu’à la période suivante, ce médecin reçoive le ‘vrai’ malade.”  

Pour François Langot, il ne s’agit pas d’une “bonne allocation de l’offre de soin”. “L’inégalité grandit entre les territoires : toute la population de la zone B cotise sans aucun accès aux soins, et donc finance toutes les dépenses de soin de la zone A que ce soient celles résolvant les problèmes du ‘vrai’ malade ou celles du malade ‘imaginaire’”, dénonce-t-il. Une solution pourrait permettre de réduire cette inégalité selon lui : la coercition et le conventionnement à l’installation. “En effet, dans la zone A, le malade ‘imaginaire’ sait maintenant qu’en allant chez le médecin, il aura une chance sur deux de payer en plus des cotisations qu’il a déjà versées. Sachant cela, il est alors probable qu’il renonce à ce soin de confort, ce qui conduit la zone A à n’avoir plus qu’un seul patient à soigner, le ‘vrai malade’, ce dernier ayant plus de chance de toujours demander des soins, car il est prêt à payer pour que sa ‘vraie’ maladie soit soignée. Si les deux médecins restent dans la zone A, alors l’un d’eux n’aura plus de revenu. Face à ce risque, le second acceptera de s’installer dans la zone B, où il pourra alors soigner le ‘vrai’ malade de cette zone”, développe l’économiste.  

Il s’agit-là, pour lui, de la meilleure solution. “On ne peut pas faire mieux que la régulation de l’installation des médecins”, assure-t-il. “L’existence d’un comportement d’auto-sélection des patients peut sembler optimiste, le patient pouvant, étant donné les faibles connaissances qu’il a en médecine, ne pas savoir distinguer s’il fait partie des ‘vrais’ malades ou des malades ‘imaginaires’”. Il devient donc nécessaire d’installer ‘“un filtre” avant d’accéder au soin.  

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“Remarquons également pour conclure que cette affectation territorialisée après le concours de fin d’étude est ce qui attend tout fonctionnaire d’État, qui, comme le médecin, a ces revenus assurés par des impôts ou cotisations obligatoires”, écrit-il enfin.  

[avec Le Figaro]  

«La régulation de l’installation des médecins est la meilleure réponse aux déserts médicaux»

Par François Langot

Publié le 06/03/2023 à 16:06 ,  mis à jour le 06/03/2023 à 16:32

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-regulation-de-l-installation-des-medecins-est-la-meilleure-reponse-aux-deserts-medicaux-20230306

«Les inégalités territoriales dans l'accès au soin sont criantes, alors que chaque habitant contribue de façon identique aux recettes de l'assurance maladie.»
«Les inégalités territoriales dans l’accès au soin sont criantes, alors que chaque habitant contribue de façon identique aux recettes de l’assurance maladie.»  BASTIEN DOUDAINE/Hans Lucas via AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE – Après quatre mois de négociation, les syndicats de médecins ont refusé les propositions faites par l’Assurance maladie pour pallier le problème des déserts médicaux. Selon le professeur d’économie François Langot, il faut envisager une régulation de l’installation des médecins.

François Langot est professeur d’économie à l’université du Maine. Il est également membre de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques (TEPP).


Les déserts médicaux conduisent aujourd’hui 1,6 million d’habitants à renoncer chaque année à des soins et à ce que 11% des 17 ans et plus n’aient pas de médecin traitant, selon le site officiel Vie Publique. Au-delà de ces moyennes, les inégalités territoriales dans l’accès au soin sont criantes, alors que chaque habitant contribue de façon identique aux recettes de l’assurance maladie, lui laissant envisager un traitement identique sur tout le territoire. Or, il y a 140 médecins pour 100 000 habitants dans les Hautes-Alpes (le département le mieux doté), contre 45 en Guyane (le département le moins bien doté). Il y en a, par exemple, 59 médecins pour 100 000 habitants dans l’Eure et Loir et 62 en Sarthe, selon Statista). Mais au sein de ce dernier département, il ne peut y avoir que 31 médecins pour 100 000 habitants dans les communes du pays de l’Huisne Sarthoises.

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Pour comprendre le problème des déserts médicaux sans tomber dans une série de cas particuliers, il peut être utile de comprendre comment se forme l’allocation de l’offre de soins pour satisfaire les besoins d’une population dispersée dans différentes zones. Si l’on se réfère à une économie telle que la France, il est aussi nécessaire de considérer que les patients potentiels ont l’obligation de cotiser à une caisse d’assurance publique, le régime maladie de la sécurité sociale. De fait, si on considère deux territoires, A et B, peuplés chacun de deux populations homogènes, alors les recettes récoltées sur ces deux zones géographiques sont identiques, ce qui leur donne «droit» aux mêmes prestations. Comme les populations sont homogènes, les individus de chacune de ces deux zones ont exactement les mêmes risques d’être malade : il y a, dans chacune des deux zones, un «vrai» malade et un malade «imaginaire», ce dernier qualificatif exprimant simplement l’idée que ce malade a besoin d’un soin de confort. Un «vrai» malade est un patient qui sans l’intervention d’un médecin, verra son état de santé se dégrader jusqu’à l’amener à envisager un soin lourd en hôpital. Malgré l’homogénéité des territoires, l’un d’eux peut être un désert médical. Pourquoi ? Comment lutter contre ce dysfonctionnement ?

Cette allocation est donc « optimale » car les deux « vrais » malades sont soignés, ce qui justifie le paiement obligatoire sur les deux territoires d’une assurance santé qui couvent alors les risques de maladie.François Langot

Comme les deux zones sont rigoureusement identiques d’un point de vue exclusivement médical, le premier médecin qui sort de formation choisit alors sa zone d’activité pour des raisons extra-médicales. Imaginons qu’il s’implante alors là où l’ensoleillement est le meilleur, la zone A. Sans avoir ausculté, il peut alors rencontrer soit le «vrai» malade, soit le malade «imaginaire». Donc sur l’ensemble du territoire, un «vrai» malade ne sera pas soigné de façon certaine (celui habitant dans la zone B) et le «vrai» malade de la zone A aura une chance sur deux d’être soigné. Arrive alors un second médecin. Raisonnant comme le premier, il s’installe «librement» dans la zone A qui voit alors ces deux malades être reçus par un médecin, la zone B restant un «désert médical». Les patients de la zone A sont satisfaits. Un des médecins de cette zone a reçu un malade «imaginaire», sans bien entendu, l’avoir choisi. Il se peut donc qu’à la période suivante, ce médecin reçoive le «vrai» malade.

Est-ce une bonne allocation de l’offre de soin ? Évidemment non, car le «vrai» malade de la zone B n’est jamais pas soigné. Et l’inégalité grandit entre les territoires : toute la population de la zone B cotise sans aucun accès aux soins, et donc finance toutes les dépenses de soin de la zone A que se soient celles résolvant les problèmes du «vrai» malade ou celles du malade «imaginaire». La caisse d’assurance maladie ne peut ex-post déconventionner le médecin qui a reçu le malade «imaginaire» car cet acte médical de confort a été prescrit de façon involontaire par l’un des deux médecins de la zone A. Il est donc nécessaire d’agir en amont, connaissant la distribution des besoins «réels» sur les deux zones.

Une solution évidente apparaît : si le second médecin s’installe dans la zone A, alors la caisse d’assurance maladie doit lui signaler qu’il ne sera pas conventionné. Cela revient implicitement à considérer que les auscultations n’ont pas la même «valeur». En effet, dans la zone A, le malade «imaginaire» sait maintenant qu’en allant chez le médecin, il aura une chance sur deux de payer en plus des cotisations qu’il a déjà versées. Sachant cela, il est alors probable qu’il renonce à ce soin de confort, ce qui conduit la zone A à n’avoir plus qu’un seul patient à soigner, le «vrai malade», ce dernier ayant plus de chance de toujours demander des soins, car il est prêt à payer pour que sa «vraie» maladie soit soignée. Si les deux médecins restent dans la zone A, alors l’un d’eux n’aura plus de revenu. Face à ce risque, le second acceptera de s’installer dans la zone B, où il pourra alors soigner le «vrai» malade de cette zone. Cette allocation est donc «optimale» car les deux «vrais» malades sont soignés, ce qui justifie le paiement obligatoire sur les deux territoires d’une assurance santé qui couvent alors les risques de maladie. Remarquons également que cette solution permet d’économiser des dépenses de santé : celles induites par les soins lourds que nécessiteraient le «vrai» malade de la zone B, qui ne verrait jamais de médecin en l’absence de la régulation de l’installation des médecins.

On ne peut pas faire mieux que la régulation de l’installation des médecins.François Langot

Cette solution au problème des déserts médicaux peut être considérée comme la meilleure pour tous, car les patients et les médecins changent leurs comportements pour agir volontairement en faveur de cette solution. Les patients s’auto-sélectionnent afin que la demande de soins ne soit plus composée que de «vrais» malades. Les médecins occupent maintenant tous les territoires. Si la règle de «dé-conventionnement» en cas d’installation dans un territoire déjà doté est remplacée par une subvention à l’installation dans la zone B avec l’idée de rendre plus attractive la zone B, alors les comportements des patients ne changent pas, les malades «imaginaires» continuant à demander des soins de confort qui seront remboursés. Ceci réduit l’incitation pour le second médecin à s’installer dans la zone B, car un revenu potentiel existe toujours dans la zone A qui conserve deux patients. La subvention doit donc être très importante… et, si elle permet d’attirer le second médecin, elle sera in fine payée par les habitants de la zone B qui seront donc injustement «taxés» deux fois : la première pour couvrir leur risque de maladie et la seconde pour financer les subventions. Cette «solution» conduit donc à une rupture de l’égalité de traitement des citoyens.

On ne peut pas faire mieux que la régulation de l’installation des médecins. L’existence d’un comportement d’auto-sélection des patients peut sembler optimiste, le patient pouvant, étant donné les faibles connaissances qu’il a en médecine, ne pas savoir distinguer s’il fait partie des «vrais» malades ou des malades «imaginaires». Que peut-on alors envisager dans ce cas ? La bonne pratique est alors d’installer un «filtre» avant d’accéder au soin délivré par un médecin. Grâce aux économies réalisées du fait de l’accès aux soins pour tous les «vrais» malades, il est envisageable d’embaucher des personnels de soins interrogeant les deux patients se présentant chez le médecin du territoire : s’il diagnostique un malade «imaginaire», alors le processus de soin s’arrête, alors que s’il diagnostique un «vrai» malade, ils ouvrent la porte à une auscultation nécessitant une plus grande expertise.

Avec une pratique plus en adéquation avec les besoins de la population, la hausse de prix de la consultation peut être justifiée.François Langot

Bien entendu, d’autres alternatives existent, en particulier la «libéralisation» complète du marché (solution à l’ «américaine») : sans assurance maladie d’État, un marché d’assurances privées le remplacera et les médecins s’installeront où ils voudront en pratiquant une tarification libre. Ce sont alors les préférences ou/et les richesses des patients qui peuvent être différentes sur les territoires qui détermineront l’allocation des médecins. Là où les individus ont un «goût» plus prononcé pour la «bonne» santé ou des moyens financiers plus conséquents, ils accepteront un prix de la consultation plus élevé et seront alors à même d’attirer les médecins pour que leurs besoins soient satisfaits, qu’ils soient des «vrais» malades ou des malades «imaginaires». Évidemment cette «solution» de marché a une certaine efficacité, mais n’assure pas l’accès aux soins en fonction d’un critère principalement médical, ce qui va donc à l’encontre des objectifs de santé publique de la médecine.

Sortir de tabous pour améliorer la situation de tous. La régulation de l’installation des médecins est donc une pratique efficace pour permettre à tous les assurés d’avoir accès aux prestations pour lesquelles ils ont cotisé. Ces pratiques existent par exemple au Québec ou bien encore en Allemagne. Remarquons que dans ce dernier pays, les revenus des médecins généralistes sont égaux à 4,4 fois le salaire moyen allemand, alors que leurs collègues français ne gagnent que 3 fois le salaire moyen d’un français, selon l’OCDE). Ainsi, avec une pratique plus en adéquation avec les besoins de la population, la hausse de prix de la consultation peut être justifiée. Remarquons également pour conclure que cette affectation territorialisée après le concours de fin d’étude est ce qui attend tout fonctionnaire d’État, qui, comme le médecin, a ces revenus assurés par des impôts ou cotisations obligatoires.

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Commentaire Dr Jean SCHEFFER:

Les déserts médicaux ne sont pas exclusivement des les zones rurales et dans les quartiers. Il sont aussi dans les Hôpitaux avec 30 % des postes vacants (40% dans les hôpitaux généraux), dans les hôpitaux psychiatriques, les CMP, les PMI, la médecins scolaire, médecins du travail, santé publique, médecine pénitentiaire…

Le manque des médecins est partout, dans toutes les disciplines, dans toutes les formes d’activité, salariées et libérales. Il s’agit donc à mon sens de voir l’ensemble des problèmes et de les solutionner en même temps, ce qui est possible.

La solution c’est un Clinicat-Assistanat pour tous, en fin d’internat, obligatoire pour tous les futurs généralistes et les futurs spécialistes, d’une durée de 3 ans.  L’activité serait partagée entre divers établissements à l’image des assistants partagés actuels entre CHG et CHU: entre CHU et CHG pour les futurs spécialistes; entre CHG-CHU et PMI, CMP, santé publique, santé scolaire, médecine pénitentiaire, médecine du travail… ; entre CHG et centres de santé et maisons de santé… Il  s’agit donc par un seul et même dispositif de solutionner en quelques années l’ensemble des manques criants et urgents de médecins dans tous les domaines, dans toutes spécialités, sans pénaliser une catégorie, les futurs  généralistes par exemple, ou les étudiants en médecine peu fortunés, obligés de s’installer dans un désert pour se payer ses études. Cela évitera de plus le dumping entre villes, entre départements pour recruter ou débaucher, les jeunes en fin d’internat, ou ceux déjà installés et répondant à une offre plus alléchante. Il faudra définir par région, département et territoire, les manques les plus urgents en généralistes et spécialistes, et en tirer les conséquences sur la répartition par spécialité pour la première année d’internat.

« Vision Globale -Solution globale »: https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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