Une Chine en mutation

QUATRE VISAGES D’UNE CHINE EN MUTATION (1/5)

Dans la Chine de Xi, le Parti est partout mais impénétrable

Le Parti communiste chinois a 101 ans et autant de secrets. Depuis son accession au pouvoir il y a près de dix ans, le numéro un chinois, Xi Jinping, a renforcé le rôle du Parti et le contrôle de l’information. Et accru la répression. Premier volet de notre série sur la plus grande formation politique au monde : plus de 96 millions de membres.

François Bougon

21 août 2022 à 16h10

László Ladányi œuvrait dans l’ombre, effectuant un travail de fourmi à Hong Kong. Jésuite né en Hongrie en 1914, il vivait sur l’île depuis la victoire des troupes communistes sur le continent en 1949 et l’expulsion des religieuses et religieux étranger·es, désormais indésirables. Il avait passé auparavant de longues années à Pékin et à Shanghai, suffisamment pour connaître la Chine, sa culture, ses idéogrammes, sa langue. Il en maîtrisait cinq. 

Depuis la colonie britannique, László Ladányi s’intéressait au Parti communiste chinois, formation politique qui, sous l’égide de Mao Zedong, avait réussi à s’emparer du pouvoir moins de trente ans après sa création dans la concession française de Shanghai, à l’été 1921.

Si loin de Dieu, mais si près de Mao, le jésuite hongrois décryptait sa parole dans les organes officiels, journaux, revues et magazines. Il en rendait compte dans son bulletin, China News Analysis (CNA) (Analyse de l’actualité chinoise), ancêtre des newsletters, hebdomadaire puis bimensuel à partir de 1979 (les 1 625 numéros sont disponibles sur le site de la Fondation Ladányi). 

Dans le premier numéro, daté du 25 août 1953, László Ladányi explique son objectif : être « au service de tous ceux qui veulent suivre les événements en Chine ». Sa lettre, destinée à l’origine à l’Église catholique, était lue par tous·tes celles et ceux qui désiraient comprendre ce qui se passait dans l’un des pays les plus peuplés au monde devenu aussi l’un des plus fermés : journalistes, experts ou diplomates.

Au musée du Parti communiste chinois à Pékin, le 11 novembre 2021. © Photo Noel Celis / AFP

On le considère comme le père des « China Watchers », un terme si difficilement traduisible en français qu’on a préféré le garder en anglais ; il désigne ces savants étranges qui regardaient la Chine depuis Hong Kong, tels des ornithologues observant au loin des oiseaux farouches avec leurs jumelles. Ils savaient lire entre les lignes, n’être pas abusés par ce que l’on n’appelait pas encore les « fake news », déceler les changements politiques à travers les manchettes de journaux ou les nouveaux slogans politiques. Bref, déceler la vérité dans la gangue de la propagande.

La révolution culturelle (1966-1976) fut leur âge d’or.  Sous le pseudonyme de Simon Leys, le sinologue Pierre Ryckmans fut l’un de leurs plus illustres héritiers. En 1971, il avait bousculé les maolâtres et les maoïstes occidentaux en publiant Les Habits neufs du président Mao. Dans Le Monde, Alain Bouc, le futur correspondant à Pékin, avait descendu le livre en dix lignes, raillant « une nouvelle interprétation de la Chine par un “China watcher” français de Hongkong travaillant à la mode américaine ». Ajoutant : « Beaucoup de faits, rapportés avec exactitude, auxquels se mêlent des erreurs et des informations incontrôlables en provenance de la colonie britannique. Les sources ne sont d’ordinaire pas citées, et l’auteur n’a manifestement pas l’expérience de ce dont il parle. La révolution culturelle est ramenée à des querelles de cliques. »

Pierre Ryckmans fut en effet l’un des premiers à montrer que la révolution culturelle était avant tout une lutte de pouvoir déclenché par Mao pour se débarrasser de ses rivaux, en premier lieu son dauphin, le premier ministre Liu Shaoqi, qui agonisera comme un chien en prison. 

En 1982, six ans après la mort du grand timonier, la Chine s’ouvre et László Ladányi prend sa retraite. S’il ne s’occupe plus de CNA, il se consacre à rédiger un livre sur le Parti communiste chinois, qui sera publié en 1988, deux ans avant sa disparition : The Communist Party of China and Marxism (1921-1985). A Self-Portrait  (Le Parti communiste chinois et le marxisme (1921-1985), un autoportrait) (réédité en 2018 chez Hurst).

 Remise au pas

À l’époque, outre la profonde connaissance accumulée grâce à la lecture de la propagande maoïste, il peut puiser dans les nombreux témoignages de hauts dirigeants publiés en Chine, dans des articles ou des livres. C’est la période de la réforme et d’ouverture, l’heure est aux débats et une partie du Parti – désignée comme les « réformateurs » – plaide pour une libéralisation plus grande.

Comme le souligne l’auteur, il s’agit bien d’un autoportrait du Parti, car il est nourri d’une expérience de plus de trente-cinq ans de lecture de ce que l’on désigne avec dédain par le terme de propagande pour mieux ne pas la lire. Fort de ce savoir accumulé, László Ladányi souligne à quel point le régime communiste chinois s’est fondé sur le marxisme de Lénine et de Staline, avec trois piliers : le matérialisme dialectique, la puissance du Parti et la police secrète.

Plus de quarante après l’ouverture de la Chine, qui s’est traduite par son insertion dans le système capitaliste mondial, le règne de Xi Jinping s’inscrit de nouveau dans cet héritage historique. Si le mandat de son prédécesseur avait été marqué dans un premier temps par une relative ouverture – on évoquait timidement une démocratisation au sein du Parti –, Xi a remis tout le monde au pas. L’histoire est sous contrôle, les historiennes et historiens doivent célébrer les héros et martyrs communistes, et la loi punit celles et ceux qui dérogent à cette ligne, sous le motif de « nihilisme historique ». 

Les médias chinois se tiennent tranquilles, les correspondantes et correspondants étrangers les plus dérangeants, en particulier à l’origine des révélations sur la richesse de l’élite communiste, sont privés de visas. Et l’isolement du pays en raison de la pandémie n’arrange pas les choses.

Une vendeuse de portraits du président chinois Xi Jinping et de Mao Zedong au théâtre Dongfang hong (L’Orient est rouge) à Yan’an, siège du Parti communiste chinois de 1936 à 1947, dans la province du Shaanxi, le 10 mai 2021. © Photo Hector Retamal / AFP

Dans ce contexte, les méthodes de László Ladányi reviennent au goût du jour. Les révélations du chercheur allemand Adrian Zenz sur la répression des ethnies musulmanes, en particulier des Ouïghours au Xinjiang, s’appuient sur l’analyse de documents officiels.

On note évidemment quelques transformations par rapport aux années 1960 et 1970, notamment les réseaux sociaux qui, même sous surveillance, permettent de voir les failles. Ce fut le cas récemment à Zhengzhou, dans la province du Henan, où ont eu lieu des manifestations d’épargnantes et épargnants lésés violemment réprimées. La chape de plomb imposée par Xi étouffe les voix, mais elle ne les réduit pas complètement au silence. 

Mais il existe un paradoxe chinois, souligné dans la préface de son ouvrage par László Ladányi : plus on étudie la Chine, moins on la comprend ; et plus on est tenté par la modestie et la prudence. Mais, ajoutait-il, « sans une compréhension du Parti, personne ne peut comprendre la Chine pendant les presque quatre décennies où le Parti a dominé le pays ». La remarque est toujours valable et il faut donc s’atteler à analyser coûte que coûte cette vaste machine secrète.

Avec cette série, nous le ferons donc de manière modeste et prudente en dressant quatre portraits pour tenter de comprendre comment le Parti agit et réagit. Et comment il fait réagir. En 1921, ses membres étaient une cinquantaine, un siècle plus tard, ils sont près de 100 millions. Présents à tous les niveaux de la société, même dans l’espace avec les trois taïkonautes de la station spatiale chinoise – un trio suffit pour créer une cellule – et tout récemment dans la banque HSBC, tout un symbole pour un établissement lié à l’histoire coloniale de Hong Kong et au trafic d’opium…

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Nous nous sommes rendus auprès de deux exilés, une femme et un homme. La première s’appelle Cai Xia. Elle vit depuis 2019 à Washington après une carrière de professeure au sein des écoles du Parti communiste, dont la principale, celle centrale de Pékin. Le second est un homme d’affaires qui a côtoyé les élites rouges dans les années 2000. Desmond Shum réside désormais au Royaume-Uni, alors que son ancienne femme a disparu dans le « trou noir » du système de sécurité chinois. 

Enfin, nous évoquerons deux personnes que nous n’avons pas pu rencontrer : Zhang Weiwei, un propagandiste à succès, et Xi Jinping, le secrétaire général du PCC qui brigue un troisième mandat au Congrès du Parti prévu à l’automne. 

Quatre trajectoires pour donner à voir un Parti qui ambitionne de faire de la Chine la première puissance mondiale. Et qui, contrairement à son grand frère soviétique, a su faire preuve de résilience après la chute du mur de Berlin. Au point d’inquiéter les démocraties occidentales. L’heure n’est plus au partenariat – une période qui a commencé aux États-Unis par un président républicain, Richard Nixon, et a été refermée par un autre président républicain, Donald Trump –, mais bien à la confrontation. 

François Bougon

Boîte noire

Nous avons rencontré Cai Xia et Desmond Shum dans le cadre de la préparation d’un documentaire sur le Parti communiste chinois qui sera diffusé sur France 5 d’ici à la fin de l’année et est réalisé par Walid Berrissoul. J’en suis le coauteur.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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