Marie de Hennezel : « Beaucoup de personnes âgées rêvent de mourir ainsi, d’anorexie finale »
Tribune
Marie de Hennezel – psychologue
Renvoyant dos à dos acharnement thérapeutique et euthanasie, la psychologue, dans une tribune au « Monde », valorise une troisième voie : le respect du souhait des patients en fin de vie de ne plus s’alimenter.
Publié hier à 13h00, mis à jour hier à 17h58 Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/28/marie-de-hennezel-en-fin-de-vie-pouvoir-mourir-d-anorexie-finale_6163618_3232.html
Que veulent vraiment les très vieux quand ils pensent à leur mort ? La réponse est unanime : mourir chez soi, dans son lit, surtout pas à l’hôpital, sans souffrir, sans acharnement thérapeutique, entouré d’affection et de présence. Pouvoir glisser lentement dans la mort, dans un environnement protégé, sans être forcé à s’alimenter si l’on n’a plus faim.
Notre cadre législatif le permet. Encore faut-il savoir anticiper, exprimer ses souhaits, prendre contact suffisamment tôt avec une équipe mobile de soins palliatifs. Savoir cela rassure les très vieux, qui se demandent alors pourquoi réclamer une loi qui légalise l’euthanasie ou le suicide assisté. Ces deux « solutions de fin de vie » leur font peur.
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Que fera-t-on d’eux, s’il leur arrive d’être transférés de nuit à l’hôpital ? Ils savent que 20 % des personnes âgées, en Ehpad, atterrissent ainsi aux urgences, et meurent alors sur un brancard, dans une forme d’anonymat et de solitude. Cette mort-là, ils n’en veulent pas. Ils ne veulent pas non plus courir le risque qu’on abrège leur vie à leur insu. Ils redoutent d’être un jour soumis à une « injonction de mort ». On sent, dans leurs propos, une angoisse. Comment interprétera-t-on leurs plaintes ? Et s’ils expriment une lassitude de vivre, ne viendra-t-on pas leur « faire la piqûre » ? Comment mourir, alors ? L’idée même de l’injection létale les perturbe. Les mots qui reviennent tournent tous autour de la douceur. « On voudrait partir doucement, avoir le temps de dire au revoir, se sentir prêt. » Pas de précipitation, pas d’acte radical.
« Mourir à l’indienne »
Plus les personnes âgées se fragilisent, plus elles ont besoin de confiance dans leurs rapports à autrui, plus elles craignent d’être, tôt ou tard, perçues comme un fardeau. La loi actuelle – qui maintient l’interdit de donner délibérément la mort – est une loi qui les protège, du moins l’espèrent-ils.
Mais les très vieux veulent aussi rester sujets de leur mort. Faut-il pour autant organiser son suicide ? Peut-on rester sujet de sa mort, sans imposer à ses proches un tel traumatisme ? Sans leur imposer le double lien auquel toute personne sollicitée pour l’assistance au suicide se trouve confrontée ? Qu’on ne se raconte pas d’histoire ! Participer au suicide de quelqu’un génère une forme de culpabilité, inconsciente tout du moins. Quoi qu’on fasse, on se sent coupable.
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Alors, on évoque ces manières de mourir à l’ancienne… L’aïeul qui a cessé de s’alimenter et de boire, qui s’est affaibli, puis s’est enfoncé lentement, doucement, dans la mort. On évoque l’accompagnement autour du lit de l’agonisant, les visites des petits-enfants, les petits mots tendres murmurés à l’oreille, les toilettes faites avec tact, la radio en sourdine avec les chansons qu’il aimait, les prières silencieuses dans les familles croyantes. Et on se dit que c’est tout de même pas mal de mourir comme cela. Souffrait-il ? Non, apparemment. Le médecin passait de temps en temps vérifier, et puis l’aïeul rendait son souffle, comme une petite bougie.
Beaucoup de personnes âgées rêvent de mourir ainsi, d’anorexie finale. Dans mon livre, Nous voulons tous mourir dans la dignité (Robert Laffont, 2013), j’ai raconté comment ma belle-mère s’est éteinte de cette façon, sans souffrir. Elle voulait, disait-elle, « mourir à l’indienne », faisant référence à la pratique du jeûne chez les vieux jaïns qui cessent de s’alimenter et de boire, comme un passage choisi vers la mort. C’était sa décision, nous l’avons respectée. Sa fin a été douce, sereine et bien vécue par un entourage qui a eu le temps de se préparer à cette mort acceptée.
Urgence d’une pédagogie
Pourquoi, alors, appelle-t-on le SAMU dès qu’une personne âgée cesse de s’alimenter et demande qu’on la laisse mourir tranquillement ? La charge symbolique de la nourriture est-elle si lourde ? Je me souviens de l’époque où le personnel soignant ne supportait pas le refus de s’alimenter des grands vieillards. On leur posait une sonde gastrique, et s’ils essayaient de l’arracher, on leur attachait les mains. On les forçait à vivre. Aujourd’hui, de tels comportements sont illégaux. Mais la culture soignante n’a pas beaucoup évolué. Accompagner quelqu’un qui cesse de s’alimenter semble venir en contradiction avec l’éthique soignante. Il y a cette impression de stopper le soin et l’idée qu’il y a forcément une dépression derrière ce glissement. On mesure alors l’urgence d’une pédagogie.
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Faire la différence entre un syndrome de glissement et la position de la personne qui demande sereinement à ce qu’on la laisse mourir n’est pas facile. Il faut connaître la personne, parler avec elle de son désir de mourir. Cliniquement, cela n’a pas la même tonalité. Chez les dépressifs, il y a une tristesse affreuse, un désespoir ; chez les autres, le sentiment tranquille d’avoir fait son temps. On est au bout du rouleau, la lampe n’a plus d’huile. Il est temps de partir et de se laisser aller paisiblement.
Pourquoi, lorsque j’évoque ce droit à « l’anorexie finale », m’oppose-t-on des idées fausses ? Ce serait indigne de « laisser mourir de faim et de soif » ! Mais ceux qui avancent cet argument ignorent que mourir sans s’alimenter et sans boire n’est pas douloureux. Des années de pratique des soins palliatifs l’attestent. La pose de perfusions, au contraire, ne fait que prolonger une fin qui est désirée par la personne. L’hydratation est responsable d’œdèmes douloureux.
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Ces idées fausses naissent d’un imaginaire qui associe la nourriture à la vie. N’est-ce pas paradoxal, lorsqu’il s’agit de respecter le désir d’une personne de se laisser mourir, d’invoquer à tort « l’horreur » d’une privation de nourriture et de lui préférer l’injection létale, un acte radical, psychologiquement violent pour les proches et qui implique l’intervention d’autrui ?
L’anorexie finale, au contraire, n’implique l’intervention d’aucun soignant, respecte le droit de la personne de se laisser glisser doucement dans la mort, et ne génère aucune culpabilité.
Marie de Hennezel est psychologue clinicienne, autrice de L’Aventure de vieillir (Robert Laffont, 2022).
Marie de Hennezel(psychologue)
Euthanasie : « L’expérience belge montre que la loi ne suffit pas »
Tribune
Olivier Bury – psychologue
Si le cas de la Belgique est souvent évoqué en France dans le débat sur la fin de vie, sur le terrain, d’anciennes pratiques persistent. Pour respecter les vœux des patients, il est nécessaire de mieux appliquer la loi et de ne plus opposer euthanasie et soins palliatifs, estime le psychologue Olivier Bury, dans une tribune au « Monde ».
Publié hier à 09h00 Temps de Lecture 3 min.
Vu de France, en Belgique, on pratique l’euthanasie. Pourtant, si l’on analyse le terrain, l’application de la loi en Belgique se révèle problématique. Il y a vingt ans que la loi a été votée et encore de trop nombreux médecins ne la connaissent pas ; du côté du public aussi, le flou et la confusion persistent. Quand un patient demande à mourir, il reste difficile d’obtenir une euthanasie : la probabilité d’avoir affaire à un médecin qui ne pratique pas l’euthanasie sans le dire clairement est grande. De plus, un patient en fin de vie a de grandes chances d’être confronté aux anciennes pratiques « sauvages », consistant en une augmentation des doses de sédatifs menant lentement au décès (parfois sans demande explicite du patient encore conscient). La réalité du terrain est, en 2023, toujours celle-là.
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Un autre mythe, très présent dans les médias français, est qu’une « loi euthanasie » aurait pour conséquence une augmentation inéluctable du nombre de cas. C’est ignorer qu’en France « l’euthanasie autrement » est déjà pratiquée dans de nombreux lieux et situations, sans aucun contrôle ni cadre. Ces pratiques illégales ne sont évidemment référencées nulle part puisqu’elles suscitent le malaise. L’instauration d’une loi nomme les choses et donne des droits aux patients et aux médecins. Mais elle n’est pas suffisante ! Même en Belgique, les accélérations de fin de vie au seul bon vouloir du médecin sont encore nombreuses. Une information, une sensibilisation et un accompagnement des médecins manquent.
Souffrance de perdre le contrôle
Ce qui est effectivement plus fréquent, c’est d’entendre les citoyens évoquer leur fin de vie, en faveur ou pas d’une éventuelle euthanasie. Mais la confusion règne entre la demande d’euthanasie, la déclaration anticipée, le non-acharnement ou les soins palliatifs… Sur le terrain, dissiper cette confusion et s’intéresser aux mots précis du patient est essentiel. Ce n’est pas parce qu’un patient parle d’euthanasie qu’il la demande. Combien de soignants ont pu croire qu’un patient demandait l’euthanasie juste parce qu’il partageait son désespoir d’un moment ? Une demande d’euthanasie, c’est une demande à un médecin : « Docteur, aidez-moi, je souhaite mourir », répétée sans pression et sur un temps raisonnablement étalé et qui devra ensuite être écrite. La loi ne dit rien d’autre que cela. Ces demandes « sérieuses » sont en revanche bien souvent formulées à des médecins en difficulté dans ce domaine, mais ne l’exprimant pas.
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Quand un patient demande vraiment l’euthanasie, à qui peut-il s’adresser ? Au médecin responsable de son dossier mais qui ne dit pas qu’il est contre cette pratique ? A son médecin généraliste, qui l’a suivi toute une vie, mais qu’il découvre opposé à toute question de ce genre ? Rappelons ici la clause de conscience : un médecin ne peut être tenu de pratiquer une euthanasie. Ce que l’on oublie souvent, c’est qu’il y a, depuis 2017, pour le médecin qui refuserait une demande, une obligation déontologique d’en informer le patient et de le référer à un confrère « susceptible » de pratiquer une euthanasie. Dans les faits, cette obligation n’est quasi jamais respectée.
Et les soins palliatifs dans tout cela ? Le discours des soins palliatifs reste encore généralement opposé à l’euthanasie. Elle est souvent perçue comme un échec : si un patient demande à mourir, c’est que le projet palliatif a échoué. Comme si les soins palliatifs devaient être la solution à tous les maux de la fin de vie. Mais, même s’ils offrent probablement ce qu’il y a de mieux à ce jour pour faire face aux souffrances de fin de vie, ils ne peuvent pas toujours les supprimer définitivement et complètement. Il reste donc des patients qui, confrontés à la dépendance, à la douleur, à la dégradation de leur état physique et psychique, souhaitent maîtriser leur destin en demandant la mort. Un patient demande rarement l’euthanasie pour des douleurs mal contrôlées : il la demande pour supprimer la souffrance de perdre le contrôle de sa vie. Il juge que décider de sa mort est le seul moyen de rendre sa fin de vie acceptable.
Renversement de paradigme
Pourquoi opposer soins palliatifs et euthanasie ? Les soins palliatifs sont des soins de confort qui apportent la meilleure aide à un patient qui ne peut plus guérir. L’euthanasie ne sera choisie que par une petite partie de ces patients. Leur offrir la possibilité d’être entendus au sein même de ces unités relève du bon sens. Or, devant les situations difficiles de fin de vie, certains soins palliatifs répondent encore trop souvent par l’induction d’un sommeil suivi d’une augmentation des doses médicamenteuses menant au décès. On appelle cela « sédation », mais il serait probablement plus juste de nommer cette pratique « sédasie » voire « euthanation » !
Accepter en soins palliatifs la possibilité de l’euthanasie est le gage d’offrir des soins de qualité à l’ensemble des patients. En respectant la loi, on relègue aux interdits les anciennes pratiques d’accélération de fin de vie. L’euthanasie permettrait ainsi de meilleurs soins palliatifs parce que débarrassés de leurs vieux fantômes : l’euthanasie serait un garde-fou. Certaines rares unités ont compris cela et répondent favorablement aux demandes des patients
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L’expérience belge montre que la loi ne suffit pas. Il faut en plus informer, sensibiliser et accompagner les médecins et les équipes soignantes. Car, accepter la possibilité de réaliser des euthanasies, c’est accepter un renversement de paradigme : le médecin n’est plus celui qui décide pour le patient. Le patient décide de sa propre fin, en demandant au médecin une aide pour mourir.
Olivier Bury est psychologue clinicien et criminologue en Belgique et travaille depuis plus de vingt ans dans le milieu belge de la fin de vie.
Olivier Bury(psychologue)