Fos-sur-Mer, laboratoire géant des mutations de la civilisation carbonée
Par Luc Bronner (Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône))Publié le 14 février 2023 à 05h30, mis à jour le 14 février 2023 à 18h04
Temps de Lecture 13 min.
Enquête
Balade dans l’immense zone industrielle provençale, où 6 milliards d’euros vont être injectés pour faire basculer cet enfer des hydrocarbures et de la chimie vers des gigaprojets d’aciérie décarbonée, d’hydrogène vert et de panneaux solaires.
C’est un miroir présenté devant nous. Dans lequel personne n’a vraiment envie de se regarder, encore moins de se reconnaître. Fos-sur-Mer, sa zone industrielle et portuaire, cinquante kilomètres à l’ouest de Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, temple de notre civilisation carbonée, de la société de consommation, de la mondialisation, du capitalisme, des énergies fossiles, des pollutions et des gaz à effet de serre (GES).
La bataille contre le réchauffement climatique se joue d’abord ici, à l’ombre des fours géants de l’aciérie d’ArcelorMittal, des raffineries d’Esso, des cuves de chlore du chimiste Kem One, des citernes du pétrochimiste LyondellBasell ou des conteneurs remplis de produits manufacturés chinois, transportés via le canal de Suez.
Un espace indescriptible, presque cinématographique, fascinant tant il est gigantesque, avec plus de 16 000 hectares de landes, de routes, de parkings, de wagons, de camions, de conteneurs, de torchères, de hauts fourneaux, de pipelines, de pylônes électriques, de citernes remplies de centaines de milliers de mètres cubes de pétrole, dans une overdose de gaz, de chimie, de pétrochimie, d’acier, de PVC, vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis cinquante ans.
Le site de Fos avait été imaginé en 1964, lancé sur les fonts baptismaux, et coulé dans le béton et le bitume dans la foulée, à une époque où la France pouvait se gouverner par décret, sans la moindre consultation ni réelle contestation. A la raffinerie et au pipeline, installés plus tôt, s’était ainsi ajoutée l’usine sidérurgique de Solmer.
« Fos-sur-Mer : 22 millions de tonnes d’acier demain, 35 morts aujourd’hui » avait titré Le Monde, en 1973, pour évoquer les nombreux accidents du travail lors de sa construction. L’usine s’est ensuite appelée Sollac, puis ArcelorMittal, au gré des rachats. « Des énormes bateaux avec des dents à l’avant sont venus creuser le chenal puis les darses du port », se remémore René Raimondi, 63 ans, adolescent à l’époque, maire de Fos, longtemps socialiste, aujourd’hui sans étiquette.
« Somme de projets extraordinaire »
Le port a été construit, des milliers d’habitants se sont installés, notamment en provenance de Lorraine, mais les chocs pétroliers ont très vite compliqué son développement. « L’Etat n’a pas été à la hauteur en matière d’aménagement », raconte le maire en montrant, sur une immense photo aérienne accrochée dans son bureau, les routes qui n’ont jamais vu le jour pour désengorger la petite ville.
« L’idée, dans les années 1970, a été de mettre les industries le plus loin possible des habitations et le plus loin possible les unes des autres. A l’époque, on a positionné les grands sites un peu au petit bonheur la chance », ajoute Corinne Ramombordes, ingénieure chimiste, directrice générale de Solamat-Merex, une entreprise de traitement de déchets dangereux, et présidente de Piicto, une association d’entrepreneurs du secteur.
Le gigantisme se retrouve aujourd’hui dans les perspectives d’investissements industriels dans la zone. Plus de 6 milliards d’euros, dans les dix prochaines années, selon les estimations de plusieurs sources – portuaire, patronale, préfectorale – auprès du Monde. Dans son immense bureau de la préfecture, construite sous le Second Empire par un prédécesseur immodeste, le préfet de région, Christophe Mirmand, témoigne du mouvement en cours et de sa rapidité : « Quand j’ai pris mon poste [en juillet 2020], je me demandais si je serais confronté à une logique de désindustrialisation avec les interrogations sur l’énergie fossile et sur l’acier. En fait, c’est exactement l’inverse. »Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Investissements industriels : l’Europe court derrière la Chine et les Etats-Unis
Jean-Michel Diaz, directeur régional de TotalEnergies, président du groupement maritime et industriel de Fos, instance qui regroupe le patronat local, ne dissimule pas son enthousiasme : « Cela fait quarante ans que nous n’avons pas connu une période similaire. Quand vous regardez la somme des projets devant nous, c’est juste extraordinaire. »
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L’ancien ministre de l’intérieur Christophe Castaner, désormais président (bénévole) du conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille (GPMM), qui inclue le port de Fos, se réjouit : « Il y a, à la fois, un développement endogène, avec des entreprises installées qui investissent, notamment sur la décarbonation, et des besoins nouveaux d’entreprises qui cherchent du foncier. »
Le port a repris des couleurs après des périodes difficiles, au gré des crises mondiales, des crises nationales et des crises locales, parfois les trois en même temps. En 2022, 77 millions de tonnes de marchandises diverses ont transité par Marseille-Fos. Beaucoup de voitures produites par les constructeurs installés au Maghreb, au point de saturer les espaces de stockage. Des conteneurs venus de Chine à perte de vue, dont une bonne partie transportés par le géant marseillais et mondial CMA CGM.
Du pétrole encore et toujours. Et du gaz naturel liquéfié (GNL), devenu stratégique pour la France et pour l’Allemagne avec la guerre en Ukraine depuis février 2022. Il suffit de regarder l’horizon du golfe de Fos, où patientent les navires avant de pouvoir vider leurs cuves à quai, pour avoir une idée des flux. « En 2021, on avait eu 120 escales de méthaniers sur nos terminaux. On en a eu 180 en 2022 », relève Mathieu Stortz, délégué général adjoint d’Elengy (groupe Engie).
« Fenêtre de tir » pour la réindustrialisation
Le gigantisme du site, où travaillent plus de 40 000 salariés, se retrouve dans l’impact climatique. La zone de Fos représente environ 10 millions de tonnes d’équivalent CO2 chaque année. Dans la guerre invisible, longue et difficile pour sauver l’humanité d’elle-même, chaque geste compte. Mais ici, les décisions des industriels vont peser lourd. Bruno Ribo, ingénieur des Mines de 59 ans, une vie d’expatrié en Turquie et Roumanie pour le compte d’ArcelorMittal, a posé ses valises et ses dossiers à Fos depuis 2018.
Le directeur général d’ArcelorMittal Méditerranée fait visiter le chantier du « four poche », où s’activent des ouvriers, et montre le poste de pilotage des futures opérations – un nouveau processus destiné à intégrer plus de produits recyclés dans la production. C’est la première marche d’un engagement pris par ArcelorMittal en France : l’entreprise veut réduire de près de 40 % sa production de GES d’ici à 2030, avec 1,7 milliard d’euros d’investissement pour Dunkerque et Fos, dont une partie subventionnée par l’Etat.
Si les engagements sont tenus, l’impact sera majeur. Lorsqu’elle fonctionne à plein régime, l’usine de Fos produit 4 millions de tonnes d’acier, soit 7,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 – à titre de comparaison, l’empreinte carbone moyenne d’un Français tourne autour de 9 à 10 tonnes par an. Un tiers de CO2 en moins d’ici à 2030 pour ArcelorMittal, ce serait 2,5 millions de tonnes évitées. L’électrification d’un des hauts fourneaux va représenter un chantier particulièrement complexe pendant quatre ans.
« Une opportunité fabuleuse », dit Bruno Ribo, à condition toutefois, ajoute-t-il, que l’Europe se protège, dans le même temps, des importations à bas coût et haute teneur en carbone. La mise en garde est d’actualité : la période est compliquée pour le groupe, comme pour tout le secteur, à cause d’une demande fléchissante et de prix de l’énergie élevés. Au point que l’entreprise a mis en pause un des hauts fourneaux depuis décembre 2022, en attendant des jours meilleurs.
Dans les mots des patrons et des pouvoirs publics, revient l’idée d’un « alignement des planètes » ou d’une « fenêtre de tir » pour un début de réindustrialisation de la France. La crise du Covid-19 et la découverte des fragilités d’une Europe incapable de se fournir en masques et en médicaments ont constitué, en 2020, une première prise de conscience. La guerre en Ukraine et la fragilité énergétique des pays européens ont ajouté une deuxième couche. Les tensions durables sur l’approvisionnement, une troisième.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Investissements industriels : en France, un rattrapage encore à concrétiser
L’enjeu du réchauffement climatique et donc de la décarbonation viennent donner un élan supplémentaire et un moyen de subventionner les transformations grâce aux aides publiques. « Chez tout le monde, ça pousse. L’ensemble des industriels ont des projets, on le voit », confirme Olivier Azara, directeur général d’ADF (anciennement Ateliers de Fos), un groupe spécialisé dans l’ingénierie et la construction d’usines.
L’hydrogène en particulier, très fortement soutenu par les pouvoirs publics, attire les convoitises malgré les incertitudes, toujours importantes, sur la robustesse du modèle économique. Le GPMM participe ainsi au projet porté par la société H2V d’installer une usine de production d’hydrogène décarboné par électrolyse sur 40 hectares, déjà réservés, pour un montant d’investissement estimé à 750 millions d’euros.
Six unités de production de 100 mégawatts (MW) chacune produiraient ainsi, à terme, plus de 80 000 tonnes d’hydrogène par an. « Les 200 premiers MW sont sécurisés. Si les choses s’alignent – étude de faisabilité, concertation –, nous devrions avoir un projet sorti de terre fin 2027 ou début 2028 », assure Alexis Martinez, directeur général de H2V, qui a lancé des projets similaires en Normandie et dans le Nord. L’hydrogène produit pourrait par exemple servir à décarboner des raffineries. Ou bien à fournir des carburants de synthèse, notamment pour le transport maritime.
Projets de parcs solaire et éolien
Un autre projet encore plus massif est en cours d’étude. José Noldin en parle avec un français parfait et un accent brésilien prononcé. L’homme est un spécialiste de la sidérurgie, recruté comme PDG par un consortium européen, GravitHy, pour porter un projet d’aciérie « verte » à Fos. Grâce à de l’hydrogène, là encore.Lire aussi Article réservé à nos abonnés A Fos-sur-Mer, les difficiles premiers pas de l’hydrogène vert
« Les premières études d’ingénierie viennent d’être lancées, c’est une étape importante et concrète », explique le patron, en évoquant un investissement de 2,2 milliards pour produire, à terme, 2 millions de tonnes d’acier par an. Le besoin d’électricité sera considérable dans des délais très serrés. José Noldin résume la situation en une formule : « Les trois premiers défis pour GravitHy, c’est : électricité, électricité, électricité. Le super héros de notre époque, c’est l’électron. »
RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, estime que le cumul des projets en cours d’étude représente 5 gigawatts (GW) d’électricité en plus à fournir, l’équivalent de cinq réacteurs nucléaires. Une trentaine d’études techniques sur la décarbonation ont commencé à être financées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et par les industriels pour étudier les besoins et les projets possibles autour de l’hydrogène, du stockage de CO2, des processus de fabrication.
Un projet de parc solaire est envisagé par la mairie sur des étangs inutilisables. Même chose sur des « crassiers » de l’aciérie – les scories des hauts fourneaux –, où aucune activité n’est possible. TotalEnergies a inauguré récemment un parc solaire à côté de dépôts pétroliers. EDF Renouvelables en exploite un autre, plus petit, juste à côté.
Les dirigeants du port rêvent d’aller beaucoup plus loin sur le solaire, une source d’énergie qui se développe massivement à l’échelle mondiale, avec l’arrivée espérée d’une usine de fabrication de panneaux. Le pari est compliqué, tant la Chine écrase le marché avec des prix bas qui n’ont cessé de baisser depuis dix ans, et une industrie européenne en difficulté.
Mais, selon plusieurs sources, le site de Fos se retrouve très bien placé pour accueillir le projet de « gigafactory » – « grosse usine », en langage corporate – de la société Carbon. Soit une usine qui produirait l’équivalent de 5 GW de panneaux, avec plus de 3 000 salariés en 2025. « Nos critères sont connus : 60 hectares de terrain, l’accès rail-route et des volumes d’eau, un bassin d’emploi suffisant et le soutien fort des collectivités locales », détaille Pierre-Emmanuel Martin, un des fondateurs de Carbon, en évoquant un choix entre les trois sites finalistes d’ici quelques semaines.
Le port rêve également de construire une véritable filière éolienne. A l’extrémité ouest de la zone, les voitures ralentissent ou s’arrêtent pour examiner les immenses flotteurs en cours de construction. Les curieux prennent des photos sur leurs téléphones. Les éoliennes sont expérimentales, car le projet est de les faire flotter sur l’eau de la Méditerranée.
Un avantage certain, si l’expérimentation est concluante, car elles pourront alors être installées au large, là où les fonds sont inatteignables et interdisent de creuser des fondations. Quatre-vingts hectares de terrains ont été gelés sur le port, dans un espace qui peut accueillir des équipements lourds, pour envisager le développement d’une filière pérenne comme au Havre.
« Nous sommes en train de construire sur Fos avec les nouvelles énergies ce qui avait été fait il y a cinquante ans avec les énergies fossiles », veut croire Hervé Martel, président du directoire du GPMM. « Fos peut devenir un hub pour l’hydrogène pour l’ensemble de l’Europe », ajoute Geoffroy Anger, directeur du développement hydrogène chez GRTgaz, une filiale d’Engie chargée du transport du gaz. Notamment si l’hydrogénoduc « Barmar », entre Barcelone et Marseille, voit le jour pour transporter de l’hydrogène vers la France et l’Allemagne, comme promis par les gouvernements français, espagnol et allemand.
« Attente forte » de transport décarboné
Les obstacles et les chantiers restent néanmoins nombreux. A commencer par les transports. Si les statisticiens mesuraient le produit intérieur brut des ronds-points, celui de la Fossette, au cœur de la zone industrielle, figurerait probablement parmi les plus importants de France. Dans le flot des conteneurs débarqués par les grandes grues du port, après avoir été empilés les uns sur les autres dans les navires au milieu des océans et des mers, la majeure partie emprunte les routes et les ronds-points de la zone, avant de partir traverser les villages et les villes de France et d’Europe.
Devant le snack de la Fossette défilent donc les camions. Enfin, un snack, plutôt un vieil utilitaire Renault Master, drapeau bleu blanc rouge accroché à la portière, dont le destin est de bientôt partir à la casse et qui vient se garer, six heures par jour, sur le parking de terre et de nids-de-poule. Deux euros cinquante la barquette de frites, et une clientèle de routiers qui s’arrêtent là puisque, sur les milliers d’hectares de la zone, il n’y a quasiment rien de prévu pour les humains comme eux.
Trente ans que Nathalie Thomas et Frédéric Rouillac font frire des omelettes et des patates pour les conducteurs espagnols, italiens, roumains, ukrainiens, polonais ou français. « Le trafic de camions n’arrête jamais, jamais », dit Nathalie. Car la route continue d’écraser le marché, et les camions de tourner par milliers, point faible de la stratégie de décarbonation.
Le fluvial, en particulier, ne décolle pas, malgré la présence du Rhône, exploité et utilisé depuis des lustres, en tout cas depuis les Romains. « Force est de constater que le report modal est assez faible sur le fluvial », reconnaît Thomas San Marco, délégué général de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), le concessionnaire des équipements hydrauliques et fluviaux le long du fleuve.
A peine 4 millions de tonnes seulement par an remontent le Rhône sur les longues barges en direction de Lyon. La CNR réfléchit à une forme de cadencement des bateaux pour gagner en fiabilité et en régularité. « On sent qu’il y a une attente de plus en plus forte des industriels d’avoir des solutions les plus décarbonées possibles », affirme Thomas San Marco.
Le ferroviaire se porte mieux – il a sans doute pris des parts de marché au fluvial. Quelque 14 000 trains de marchandises partent chaque année de la zone, remplis de minéraux, de pétrole ou de produits chimiques. « A l’horizon 2030, si on se met en ordre de bataille, on peut accueillir 50 % de trains en plus », avance Thierry Jacquinod, directeur commercial de SNCF Réseau. Le secteur de la logistique, qui privilégiait la route jusqu’alors, commence à évoluer doucement.
Trois effets se conjuguent : le soutien affirmé du ferroviaire par l’Etat, une volonté de décarbonation des entreprises et… la pénurie de chauffeurs poids lourds. « On doit pouvoir approcher de 20 000 trains par an », se félicite SNCF Réseau. La gare de triage de Miramas, à 20 km au nord, a été rénovée. Des trains ont ainsi recommencé à rouler la nuit. Des travaux sont prévus pour améliorer les vitesses dans les zones de logistique.
L’autre point d’interrogation, essentiel, est l’acceptation par les populations de nouveaux investissements. « En France, pendant des années, on a envoyé le message qu’on ne voulait plus d’industries. Tout le monde est d’accord pour défendre la souveraineté, mais pas à côté de chez soi. Comment faire pour que la population ne soit pas dans l’opposition ? », interroge Mme Ramombordes. « C’est un sujet absolument décisif », abonde Régis Passerieux, habile sous-préfet chargé de la zone, dont le travail est unanimement salué.
Forme d’autoritarisme
L’histoire de Fos raconte une forme d’autoritarisme de l’Etat, ou du moins de raison d’Etat économique, quand la décision a été prise de créer une zone d’aménagement pour une opération d’intérêt national sans demander leur avis aux habitants. Elle raconte aussi le grand n’importe quoi des industriels pendant des décennies. Daniel Moutet en a été un témoin privilégié. L’ancien ouvrier, président de l’Association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos, a passé vingt-six ans de sa vie professionnelle à décharger des navires sur le quai des minéraliers.
Sa retraite, il l’a consacrée à combattre les pollutions atmosphériques. Avec son appareil photo, sa pugnacité, ses lettres d’alerte. Il a même récemment fait voler un drone pour effectuer des mesures dans les fumées. Le militant associatif offre un café et des petits gâteaux, puis fait défiler les milliers de photos prises pour documenter les pollutions. « Je ne me bats pas contre l’industrie, je veux qu’elle pollue moins », affirme-t-il.
A Fos, la pollution a tué, et continue de tuer, comme l’ont montré plusieurs études sur la prévalence des cancers ou l’imprégnation des polluants (plomb et benzène) dans la population. Des avancées considérables ont certes été effectuées, tous les acteurs le soulignent. Les rejets ont été nettement réduits. « On a baissé de 85 % les pollutions atmosphériques », souligne par exemple Jean-Michel Diaz, au nom du patronat local.
Un chiffre qui dit les progrès réalisés. Mais qui souligne aussi combien la pollution atmosphérique avait atteint des niveaux stratosphériques, au sens presque littéral. La confiance dans la parole de la puissance publique s’est émoussée avec le temps et la découverte de l’ampleur des émissions. L’installation d’un incinérateur de déchets, contre l’avis de la population, il y a vingt ans, avait provoqué une vive réaction collective.
« L’argument à l’époque, ça a été : “c’est une pollution minime par rapport à ce que vous avez déjà” », rappelle René Raimondi, le maire. Grosse colère des élus et des habitants. Laquelle avait débouché sur une prise de conscience collective de l’ampleur des risques sanitaires. Elle s’est prolongée sur le plan judiciaire.Lire aussi : Pollution et cancers : des habitants de Fos-sur-Mer portent plainte contre X
Une plainte au pénal a été déposée en 2018 pour « mise en danger de la vie d’autrui » au nom de 250 habitants, sept associations et un syndicat. « Il y avait une grande confiance des habitants à l’égard des industriels et de l’Etat. Ils se disaient : “Si on nous laisse habiter là, c’est que tout va bien”. Les études scientifiques ont permis une prise de conscience des effets de la pollution », explique l’avocate des familles, Julie Andreu.
Les chefs d’entreprise et les hauts fonctionnaires reconnaissent que l’acceptation par les citoyens va constituer un enjeu majeur pour les projets en cours. Tout comme la résolution des contraintes environnementales, notamment les interdictions d’artificialisation des sols ou de protection de ce qu’il reste de biodiversité. Début janvier, René Raimondi nous décrivait la longue liste des conditions (déviations de routes, enfouissement des lignes haute tension, création d’une cité de l’industrie, etc.) qu’il entendait poser au préfet, aux ministres et jusqu’à l’Elysée.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réindustrialisation : « Le gouvernement a lancé la machine, mais il reste le plus dur, changer les esprits »
Devant ses concitoyens, réunis dans un gymnase pour ses vœux mi-janvier, il avait pris des accents gaulliens : « Notre ville a les atouts pour être la “Silicon Valley” de la décarbonation et de la transition écologique ! Le président de la République, en faisant de la réindustrialisation et de la décarbonation ses objectifs, a donné le signal d’une nouvelle ère. Le maire de Fos lui dit “chiche” ! » Jeudi 9 février, René Raimondi n’en revenait pas de voir que la plupart de ses demandes avaient été accueillies positivement : « Je n’ai jamais vu cela ! » Fos est bien redevenu un enjeu stratégique national.Luc Bronner Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône)