Des scientifiques sont de plus en plus nombreux à appeler les pouvoirs publics à stopper l’usage des pesticides de synthèse.

« Le problème des pesticides de synthèse est lié au développement d’un système alimentaire défaillant »

Tribune

Ludovic Brossard

Conseiller municipal (PS) de la ville de Rennes

Les politiques d’accompagnement aux changements de pratiques agricoles sont indispensables mais insuffisantes, estime, dans une tribune au « Monde », l’élu rennais Ludovic Brossard, qui préconise de définir une « exception alimentaire à l’échelle européenne » pour sortir l’alimentation des logiques de marché.

Publié aujourd’hui à 08h00, mis à jour à 08h00  Temps de Lecture 3 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/09/le-probleme-des-pesticides-de-synthese-est-lie-au-developpement-d-un-systeme-alimentaire-defaillant_6161107_3232.html?xtor=EPR-32280629-%5Ba-la-une%5D-20230209-%5Bzone_edito_2_titre_8%5D&M_BT=53496897516380

La pollution aux pesticides de synthèse est généralisée : eau, air, alimentation… Les études démontrant les liens entre leurs usages et la recrudescence de certaines maladies (Parkinson, diabète de type II, cancers…) s’accumulent.

On sait aussi que ces produits sont à l’origine d’une dégradation importante de notre environnement, pour preuve la disparition accélérée de certaines espèces et l’atteinte sur la biodiversité, depuis la zone d’épandage jusqu’au milieu marin. Par ailleurs, le coût supporté par les collectivités pour rendre l’eau potable et exempte de pesticides ou métabolites (sous-produits issus de la dégradation des pesticides) est de plus en plus important.

Le 12 janvier, des scientifiques, des associations et des élus se sont réunis à Rennes (Ille-et-Vilaine) sur cette thématique, à l’occasion d’une journée organisée par le Centre de ressources et d’expertise scientifique sur l’eau de Bretagne (Creseb) en partenariat avec l’Ecole des hautes études en santé publique (Ehesp). Leur constat est sans appel sur la nocivité comme la passivité des pouvoirs publics pour enrayer la consommation de ces pesticides.

Parmi ces scientifiques, Cécile Chevrier, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et chercheuse à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset), démontrait, dans le cadre d’études récentes, les effets neurotoxiques des pesticides de synthèse pour le développement du cerveau des nouveau-nés liés à une exposition des mères lors de leur grossesse. Cette journée fut l’occasion d’entendre ces scientifiques et constater qu’ils sont de plus en plus nombreux à appeler les pouvoirs publics à stopper l’usage des pesticides de synthèse.

Des politiques coûteuses et peu efficaces

Malgré ce constat, la plupart des politiques menées jusqu’alors pour faire diminuer l’usage de ces pesticides de synthèse se sont avérées très coûteuses et peu efficaces. La Cour des comptes dressait d’ailleurs en 2020 un constat sévère du plan Ecophyto et l’action de l’Etat pour limiter l’usage des pesticides : « Dix ans après, malgré des actions mobilisant des fonds publics importants, ces plans n’ont pas atteint leurs objectifs… l’Etat pourrait davantage influer sur les modes de production agricole et les filières par l’exercice de ses compétences normatives, de régulation et d’information. »

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Ces politiques se sont en effet concentrées sur la sensibilisation de leurs principaux utilisateurs, les agriculteurs et agricultrices. Or ils sont tout autant les victimes de l’usage des pesticides que d’un modèle ne leur permettant pas, aujourd’hui, pour une grande partie d’entre eux, de concevoir leur métier en dehors de cet usage.

Si les politiques d’accompagnement aux changements de systèmes sont indispensables, notamment celles qui incitent au passage en agriculture biologique, elles seront toujours insuffisantes pour rendre possible une sortie définitive des pesticides de synthèse pour l’ensemble de l’agriculture française.

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Le problème des pesticides est lié au développement d’un système alimentaire qui, s’il a pu répondre à l’enjeu de l’autosuffisance alimentaire après la seconde guerre mondiale, a depuis largement démontré sa défaillance tant par ses impacts environnementaux que sociaux.

Démocratie alimentaire

En effet, après des décennies de politiques encourageant l’augmentation des volumes de produits agricoles avec l’absence d’intervention pour freiner la concentration des moyens de production, la standardisation des produits alimentaires ou la spécialisation de nos paysages alimentaires, le constat est sans appel.

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Aujourd’hui, 17 % des agriculteurs et agricultrices vivent sous le seuil de pauvreté quand 12 % des ménages vivent en France en situation d’insécurité alimentaire. Des défaillances qui ont pour conséquences d’accélérer la crise de la biodiversité, le réchauffement climatique, les risques de désorganisation sociale et économique.

Le développement de ce système alimentaire a également échappé à tout débat démocratique, tant la question de ce que nous souhaitons manger et les impacts de nos choix alimentaires n’ont jamais été clairement posés aux citoyens et aux citoyennes. Il paraît désormais évident que ce débat doit désormais avoir lieu pour poser les bases d’une véritable démocratie alimentaire et garantir à tous et toutes un droit à l’alimentation par l’accès digne à une alimentation choisie.

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Nous attendons des pouvoirs publics qu’ils assument des politiques de rupture, en faisant le choix d’une meilleure régulation là où l’intérêt collectif a laissé place à des enjeux de court terme.

« Il faut étendre la demande de reconnaissance et d’indemnisation à toutes les victimes de pesticides »

Nous proposons ainsi quelques exemples de politiques à mettre en œuvre, que cela soit à l’échelle européenne, nationale ou locale, pour sortir des pesticides de synthèse à l’horizon 2030 :

– définir une exception alimentaire à l’échelle européenne pour sortir l’alimentation des logiques de marché et favoriser, notamment vers la restauration publique, des produits locaux et bio, rémunérateurs pour les agriculteurs et agricultrices ;

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– taxer les pesticides de synthèse et garantir que le montant prélevé sur cette taxe puisse accompagner les agricultrices et les agriculteurs qui s’engagent sur des pratiques excluant tout usage des pesticides de synthèse ;

–  inscrire l’objectif d’une sortie des pesticides de synthèse à l’horizon 2030 dans tous les documents stratégiques (Plan stratégique national, Programme national nutrition santé, Plan national de l’alimentation, schéma directeur des exploitations agricoles…) et les conventions avec des structures relevant d’une mission de service public (chambre d’agriculture, sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, etc.) ;

– conditionner l’ensemble des aides du secteur agricole et agroalimentaire à l’obligation d’une sortie programmée des pesticides de synthèse, de façon à accompagner l’émergence de filières agricoles « zéro pesticide » ;

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– financer plus fortement les politiques territoriales en faveur d’une sortie des pesticides (plan alimentaire territorial…) ;

– étendre la demande de reconnaissance et d’indemnisation à toutes les victimes de pesticides ;

– financer plus fortement la recherche autour des impacts des polluants environnementaux sur la santé humaine ou la qualité des eaux.

Ludovic Brossard est délégué à l’agriculture urbaine et à l’alimentation durable, vice-président de la collectivité Eau du bassin rennais (EBR), et technicien agricole.

Ludovic Brossard(Conseiller municipal (PS) de la ville de Rennes)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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