J’usqu’au bout, betteraviers et ministère de l’agriculture auront joué les prolongations pour l’utilisation des insecticides les plus toxiques.

Néonicotinoïdes : comment les alternatives écologiques ont été empêchées

Jusqu’au bout, betteraviers et ministère de l’agriculture auront joué les prolongations pour l’utilisation des insecticides les plus toxiques. Au détriment du développement d’alternatives, comme le bio, pour cultiver la betterave à sucre. Auprès de Mediapart, le ministre assume.

Amélie Poinssot

27 janvier 2023 à 12h00 https://www.mediapart.fr/journal/politique/270123/neonicotinoides-comment-les-alternatives-ecologiques-ont-ete-empechees?utm_source=quotidienne-20230127-191733&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20230127-191733&M_BT=115359655566

Ils étaient interdits, en France comme dans l’Union européenne, depuis 2018. Mais ce n’est qu’en cette fin janvier que le ministère de l’agriculture s’en détourne enfin : les néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles se présentant sous la forme de semences enrobées, ne seront pas replantés cette année dans les champs de betteraves comme c’était le cas depuis deux ans.

Avec son arrêt rendu jeudi dernier, la justice européenne a parlé. Plus possible, cette fois, de contourner le droit communautaire : ces substances chimiques destructrices des écosystèmes, utilisées pour éliminer les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave, ne peuvent plus être enfouies dans les champs.

Problème : depuis la réintroduction des « néonics » dans la betterave à sucre sous le premier mandat Macron, il y a deux ans, et en dépit de ce qui avait été alors promis, rien n’a été fait pour mettre au point des alternatives sans pesticides. Au contraire. Selon nos informations, au sein du « conseil de surveillance » chargé du suivi de cette dérogation, seules les solutions conventionnelles ont été encouragées. Les stratégies de manipulation scientifique se sont en outre multipliées, et l’avis des associations environnementales a été systématiquement écarté.

Récolte de betteraves à sucre.  © Photo Nathan Laine / Hans Lucas via AFP

C’est ainsi qu’un programme de recherche, monté par l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) afin d’étudier la possibilité d’une culture bio de betteraves sucrières, mais aussi la construction d’une filière avec outils de production et débouchés, n’a même pas été retenu dans la sélection des projets de recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes. Un total de sept millions d’euros d’argent public avait pourtant été mis sur la table pour mettre au point des solutions qui permettent de se passer de l’insecticide tueur d’abeilles. Les projets sélectionnés ? Des recherches sur d’autres produits phytosanitaires, sur la stérilisation des pucerons, sur des semences arrangées, sur des hormones qui seraient répandues dans les champs…

« En France, la betterave bio représente moins de 1 % de la culture de betteraves sucrières, souligne Sabine Bonnot, la présidente de l’ITAB. Ce n’est pas une fatalité technique : en Autriche, en Italie ou en Lituanie, qui sont eux aussi des pays qui font des volumes importants, cette production représente entre 5 et 11 % ! Il est donc possible de faire sans les néonicotinoïdes, et même sans pesticides. Mais cela engage une réflexion sur les outils de transformation et sur la mutualisation des risques. Nous pourrions, par exemple, tirer des enseignements des micro-sucreries. Pourquoi cela émerge-t-il si difficilement chez nous ? Il est dommage que nous n’ayons pas pu instruire ces sujets, c’était l’objectif du programme de recherche que nous avions proposé. »À LIRE AUSSINéonicotinoïdes : un camouflet européen pour la France

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Si le programme de recherche de l’ITAB n’a pas été retenu, c’est qu’il n’y a pas de marché, nous explique-t-on du côté du ministère. Il faut dire que ce conseil de surveillance nommé par le gouvernement avait une approche très économique de la question. 

D’après nos informations, le délégué interministériel en charge de la coordination de ce groupe de travail est un inspecteur des finances. Rien, dans son parcours professionnel, n’indique une spécialisation sur les questions agricoles, l’agronomie, l’écologie ou encore la biodiversité. Plusieurs membres de ce comité interrogés par Mediapart regrettent d’ailleurs une approche obnubilée par la préservation de l’industrie du sucre et le statu quo sur la production de betteraves – une culture qui s’étale sur plus de 420 000 hectares en France, ce qui fait d’elle le premier producteur européen.

« Dès les premières réunions, j’ai très vite compris que la prise en considération des abeilles et autres pollinisateurs sauvages n’était pas un sujet prioritaire, et surtout que ce conseil de surveillance considérait dans sa majorité que les mesurettes proposées suffiraient pour compenser l’impact des néonicotinoïdes sur les populations d’insectes », souligne Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture, qui a démissionné de l’instance l’année dernière. À la même période, il y a aussi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – pourtant peu réputée pour aller à l’encontre des positions gouvernementales – qui s’en va discrètement.

Toutes celles et ceux qui n’étaient pas du côté de l’industrie sucrière, représentée au sein de l’instance par l’Institut technique de la betterave (ITB), la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) et l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre, et soutenue par les parlementaires membres du conseil ainsi que des représentants syndicaux comme l’un des vice-présidents de la FNSEA, ont fini par quitter l’instance les uns après les autres, avec le sentiment d’être une « caution »et le constat que la réintroduction des néonicotinoïdes était reconduite de toute façon, quel que soit l’avis qu’ils émettaient. 

« Si le conseil, qui a été constitué par, pour et autour de la filière betterave, avait pour objectif de sauver des emplois au détriment de la biodiversité, pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi nous faire croire que nous étions là pour protéger l’environnement ? », s’interroge l’une de ces personnes. « Me faire utiliser, je n’en peux plus. »

Des changements systémiques semblent aujourd’hui inévitables et impératifs.

Sabine Bonnot, présidente de l’Institut technique de l’agriculture biologique

En ce début 2023, c’est la débandade : le syndicat de la Confédération paysanne, les associations Agir pour l’environnement, Générations futures, et la Ligue de protection des oiseaux ont annoncé leur retrait la semaine dernière. Pour finir avec la démission, ce mercredi, de l’ITAB.

« Trop d’énergies sont encore consacrées par un certain nombre de membres de cette commission à l’obtention d’une dérogation annuelle pour poursuivre l’usage de ces substances actives, alors que des changements systémiques semblent aujourd’hui inévitables et impératifs », écrit sa présidente, Sabine Bonnot, dans sa lettre de démission envoyée mercredi au conseil de surveillance.

Cette cascade de démissions n’est toutefois pas de nature à remettre en question la ligne du ministère. « Dire “on a les solutions, c’est facile” : ce n’est pas juste, assure Marc Fesneau à Mediapart. On y travaille depuis deux ans. La recherche d’alternatives prend du temps et c’est pour cette raison que nous avions planifié une sortie des néonicotinoïdes sur trois ans. Que les associations environnementales trouvent que ça ne va pas assez vite, je peux l’entendre, mais claquer la porte du conseil de surveillance, ce n’est pas de la démocratie. Nous devons tous nous parler. »

D’après les témoignages que nous avons recueillis, l’insistance au sein du conseil de surveillance pour obtenir chaque année la réautorisation des « néonics » est cependant passée par des tentatives de manipulation scientifique. À de nombreuses reprises depuis la première réunion du comité, en janvier 2021, les représentants du secteur betteravier ont invoqué des études biaisées pour tenter de montrer que ces produits toxiques n’avaient pas d’impact sur les populations d’insectes ou ne restaient pas dans les sols l’année suivante. Le but : maintenir la réautorisation dans les champs de betteraves, mais aussi, pouvoir replanter du maïs derrière le plus rapidement possible

Un exemple ? Au cours de l’une des réunions, il a été proposé, pour étudier l’impact des néonicotinoïdes sur les colonies d’abeilles, un « protocole » qui reposait sur le suivi d’un rucher unique sur une parcelle. Autrement dit un dispositif sans aucune valeur scientifique.

Le consensus est pourtant établi depuis longtemps sur l’impact désastreux des néonicotinoïdes sur la faune et les écosystèmes. Les publications scientifiques sur la question se comptent par centaines, et des chercheurs français comme Jean-Marc Bonmatin ou Vincent Bretagnolle ont une reconnaissance internationale sur le sujet. Mais ce n’était pas leurs travaux qui étaient mis en avant par les personnes aux manettes de ce conseil.À LIRE AUSSIAlternatives aux néonicotinoïdes: en bio, la betterave à sucre ne se porte pas si mal

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La priorité du pouvoir actuel ne porte pas, à vrai dire, sur les désastres écologiques provoqués par les produits phytosanitaires. Pour Marc Fesneau, la meilleure chose à faire, en attendant la sortie complète d’un produit phytosanitaire – qui peut prendre des années –, c’est la dérogation : « J’assume ce que j’ai dit en décembre [Le 8 décembre, le ministre avait annoncé son intention de prolonger la dérogation pour la culture de betterave – ndlr]Je continue à défendre cette dérogation. Sinon, c’est cent mille hectares en moins l’an prochain. S’il n’y a pas eu d’accident sur la culture de betteraves ces deux dernières années, c’est parce qu’il y avait les produits phytosanitaires. On n’a pas les alternatives aujourd’hui. Maintenant, il y a une décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui s’impose à tous et sans délai. » 

Pas question de pousser à une transition écologique du secteur, de se passer d’autres produits chimiques ou de sortir de la monoculture de betterave telle qu’on peut l’observer dans certains coins du nord et de l’est de la France. « La principale solution, maintenant, c’est l’amélioration des semences, nous dit Marc Fesneau. Il faut les rendre plus résistantes à la jaunisse. La recherche se poursuit. »

La filière, en tout cas, devrait s’en sortir sans trop de dégâts. Dès lundi, le ministre a annoncé une indemnisation pour le secteur en contrepartie du respect de l’arrêt de la Cour européenne, répondant immédiatement à la demande de la CGB qui défend les intérêts du secteur. « Lministre s’est engagé à étudier un dispositif d’indemnisation des pertes dues à la jaunisse : c’est une nécessité absolue pour rassurer les planteurs, à condition que ces pertes soient totalement prises en charge et de n’avoir ni franchise ni plafonnement des aides », a ainsi indiqué dans un communiqué Franck Sander, le président de la CGB.

Marc Fesneau compte bien aller dans ce sens. « Je ne peux pas barguigner si je veux sauver la filière, nous dit-il. Je suis obligé de couvrir le risque. » Sous-entendu, la manne publique sera actionnée sans compter. Il n’est pas prévu, à cette heure, de limiter le montant de l’enveloppe de l’aide aux betteraviers.

Amélie Poinssot

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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