Crise de la santé : Macron prend des mesures mais pas la mesure
Fin de la tarification à l’acte, changements sur la gouvernance et l’organisation des hôpitaux, «accélération» du recrutement d’assistants médicaux… Lors de ses vœux aux soignants dans un centre hospitalier de l’Essonne, le Président a satisfait certaines de leurs demandes, tout en faisant l’impasse sur les velléités de recrutements massifs.
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par Nathalie Raulin
publié le 6 janvier 2023 à 13h04
Plus qu’un message de réconfort, un «cap», assorti de mesures concrètes et de clauses de revoyure pour «sortir de ce jour de crise sans fin» que connaît le monde de la santé. Emmanuel Macron est descendu dans l’arène ce vendredi, en l’occurrence au Centre hospitalier Sud Francilien, à Corbeil-Essonnes, pour présenter ses vœux aux professionnels de santé, hospitaliers comme libéraux. Une première depuis son entrée à l’Elysée, signe que la courtoisie y est pour peu. L’impératif d’apaiser une gronde devenue générale, à l’hôpital comme en ville, y est en revanche pour beaucoup. «Il y a des demandes qui existent, qui ont leur part de légitimité et qu’il faut entendre», a concédé le chef de l’Etat dès son arrivée sur le site, tout en rappelant qu’il y a une «responsabilité collective» à permettre aux Français de «trouver pour eux-mêmes, leurs enfants, leurs parents une réponse».
C’est en premier aux hospitaliers que Macron s’adresse. Il fait d’abord droit à une de leur demande ancienne et persistante : la «sortie de la tarification à l’activité» (T2A) dès le prochain texte budgétaire sur le financement de la Sécurité sociale. De fait, ce mode de rémunération de l’activité hospitalière valorise mal les soins non programmés et les actes complexes chronophages, qui explosent avec le vieillissement de la population et sont essentiellement pris en charge par l’hôpital public. C’est vrai des maladies chroniques, mais aussi de l’activité en pédiatrie ou en psychiatrie. Même si la T2A devrait persister, le chef de l’Etat souhaite qu’à l’avenir, une part «structurante» de l’enveloppe budgétaire allouée aux hôpitaux repose «sur des objectifs de santé publique» qui seront «définis par territoire».
«On ne forme pas des médecins en un ou deux ans»
Pour «retrouver de l’humain» et apporter «plus d’autonomie» à l’hôpital, le chef de l’Etat promet aussi d’avancer sur la gouvernance et l’organisation du travail dans les établissements «d’ici au 1er juin». «On doit tout faire pour garder les soignants» à l’hôpital, a souligné Emmanuel Macron. «Ce qui veut dire qu’on doit ensemble travailler à une meilleure organisation du temps de travail», a-t-il ajouté, déplorant une«hyperrigidité» dans l’application des 35 heures et un système qui «ne marche qu’avec des heures supplémentaires». A la satisfaction des praticiens hospitaliers, le chef de l’Etat se dit favorable au partage du pilotage des hôpitaux. «Un tandem administratif-médecin», constitué sur la base d’un «projet», devra être instauré à la tête des hôpitaux, insiste Macron avant de faire droit à une autre revendication des soignants : le retour du service comme unité centrale de décision, s’agissant des schémas horaires et des plannings des soignants. «D’ici au 1er juin, chaque hôpital devra avoir adapté son organisation au niveau des services»,insiste-t-il.
Macron ayant fait l’impasse sur les demandes de recrutements massifs, l’instauration de ratio patients-infirmiers déclinés par service ou de moratoire sur la fermeture des lits, le feu pourrait continuer de couver.
La médecine de ville n’est pas oubliée. Constatant que «la fin du numerus clausus n’aura pas d’impact avant six ou huit ans» et qu’on «ne forme pas des médecins en un ou deux ans», Emmanuel Macron promet d’«accélérer» le recrutement des assistants médicaux pour «gagner du temps médical, à l’hôpital comme en ville». Alors qu’ils sont 4 000 environ aujourd’hui, «on doit arriver à 10 000 d’ici la fin de l’année prochaine», espère le président de la République, promettant des «financements supplémentaires».
S’il ne répond pas directement aux médecins libéraux en grève, qui réclament une hausse substantielle du tarif de la consultation, Emmanuel Macron promet en revanche de «mieux rémunérer» les généralistes qui «assurent la permanence des soins» ou «prennent de nouveaux patients». Dans un contexte d’extension constante des déserts médicaux, le chef de l’Etat s’engage à ce que les 600 000 patients atteints d’une affection longue durée qui n’ont pas de médecins traitants s’en voient proposer un «avant la fin de l’année»,Emmanuel Macron regrettant les cas où certains malades «ne peuvent même pas se faire renouveler une ordonnance en raison de la rigidité du système».
Pas sûr cependant que les vœux de Macron suffisent à calmer un système de santé pris de convulsions.
L’hôpital, sorti humainement anémié des vagues successives de Covid, fonctionne désormais en mode gestion de crise permanente. Cet automne, il a suffi d’une épidémie de bronchiolite un peu plus précoce et sévère qu’à l’accoutumée pour mettre en grande difficulté la filière pédiatrique, particulièrement touchée par le manque d’effectif et les fermetures de lits.
Des dizaines de «décès inattendus» aux urgences
Avec le retour de la grippe saisonnière, en plus du Covid et de la bronchiolite, les urgences hospitalières aussi saturent un peu partout en France : faute de lits d’hospitalisation disponibles, les brancards s’accumulent dans les services, compliquant un peu plus la tâche de soignants harassés. L’engorgement est tel que la sécurité des patients n’est plus toujours assurée selon Samu Urgences de France, qui, sur le seul mois de décembre, a recensé 31 «décès inattendus» aux urgences.
Pour FO santé, la coupe est pleine. Prenant acte de la dégradation sans précédent des conditions de travail et de prise en charge, le deuxième syndicat de la fonction publique hospitalière a appelé jeudi 5 janvier à une grève illimitée à partir du 10 janvier pour protester contre l’«inaction» du gouvernement. Macron ayant fait l’impasse sur les demandes de recrutements massifs, l’instauration de ratio patients-infirmiers déclinés par service ou de moratoire sur la fermeture des lits, le feu pourrait continuer de couver.
Du côté de la médecine libérale, l’ambiance est également à la fronde. Alors que syndicats et assurance maladie ont entamé les négociations sur la convention médicale, plus d’un millier de praticiens libéraux ont manifesté ce jeudi à Paris pour obtenir un doublement du tarif de la consultation, à l’appel du collectif «Médecins pour demain», soutenu par plusieurs syndicats.
Une mobilisation qui se double d’une grève perlée, les médecins libéraux ayant été invités à fermer leur cabinet du 26 décembre au 8 janvier. Si les praticiens sont loin d’avoir tous suivis une consigne peu responsable en période de forte épidémie (l’assurance maladie estime que l’activité de la profession n’a baissé que de 10 % sur la dernière semaine de décembre), beaucoup partagent l’inquiétude des manifestants. Conscients de ne plus être assez nombreux pour satisfaire les besoins de santé de la population, ils redoutent que la «refondation du système de santé», objectif du CNR santé lancé le 3 octobre, ne se fasse à leur détriment. Pas sûr que la volonté de Macron d’aller vers des «délégations d’actes généralisées» vers d’autres professionnels de santé – pharmaciens, infirmières en pratique avancée ou kiné – contribue à les rasséréner.
La T2A, la tarification à l’acte décriée
Dans ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a appelé à la sortie de la T2A. Mis en place en 2004, ce mode de rémunération est accusé d’avoir entraîné les hôpitaux dans une course à la rentabilité délétère.
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par Apolline Le Romanser et AFP
Réorganiser le financement de l’hôpital pour répondre à ses maux. Dans ses vœux aux professionnels de santé, adressé vendredi au centre hospitalier de Corbeil-Essonnes, Emmanuel Macron a dédié une partie de son discours à la fameuse T2A – ou tarification à l’activité. Décriée par de nombreux soignants et acteurs du monde de la santé, elle est accusée d’avoir participé aux dérives d’un «hôpital entreprise» déconnecté des réels besoins des établissements et de leurs patients. Elle avait même conduit, entre autres raisons, les professionnels de santé à descendre dans la rue, dès 2019.
La majeure partie des ressources des établissements, publics comme privés, provient de la tarification à l’activité, qui s’applique à toutes les activités de médecine, chirurgie et obstétrique. Autrement dit, la somme versée par l’Assurance maladie dépend du nombre d’actes et de séjours enregistrés. Un prix est fixé pour chaque maladie et soins apportés, selon une grille tarifaire publiée chaque année.
Plan santé d’Emmanuel Macron : les libéraux déçus, les hospitaliers partagés

Paris, le lundi 9 janvier 2023
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– Tout au long du week-end, les syndicats de médecins n’ont pas manqué de réagir au plan santé présentée par le Président de la République.
Difficile de renouer une confiance brisée par des années de crise systémique du système de santé en une heure seulement. Ce vendredi, Emmanuel Macron a présenté, lors de ses vœux aux professionnels de santé, son plan pour sortir notre système de santé de l’ornière, dans un contexte de contestation sociale sans précédent dans le monde médical.
Le Président de la République espérait sans doute créer un engouement pour les nombreuses mesures annoncées pendant son intervention, d’autant plus que certaines reprenaient des propositions de longue date des médecins. Mais les syndicats se sont montrés très circonspects dans leurs réactions aux annonces présidentielles, voire franchement très hostiles, signe d’une franche rupture entre le monde médical et l’exécutif.
Sans surprise, ce sont les syndicats de médecins libéraux, qui sortent pour certains d’une grève de deux semaines, qui se sont montrés le plus sévère avec le plan présidentiel. Il faut dire que le chef de l’Etat est allé totalement à contre-courant des propositions portés par les syndicats. Alors que ces derniers demandent une revalorisation du tarif de la consultation et défendent le rôle central du médecin traitant, Emmanuel Macron propose comme François Braun avant lui de « mieux rémunérer les médecins qui prennent en charge de nouveaux patients », parle d’un « nouveau pacte de soins et de devoirs avec la médecine libérale » et n’a pas caché sa volonté de renforcer les délégations de tâche en faveur des professions paramédicales.
Un discours « lunaire » et « hallucinant » pour les médecins libéraux
« Emmanuel Macron méconnait la médecine de ville, il ne parle que de forfaits et de délégation des actes cliniques alors que les médecins réclament un choc de simplicité administrative » réagit le Dr Sophie Bauer, président du SML. « La messe est dite, son discours est hallucinant et hors sol, le chef de l’Etat parle d’un pacte de droits et de devoirs pour la médecine de ville, mais dans ses vœux il n’y a rien de nouveau, si ce n’est qu’il veut nous rémunérer à la mission, c’est-à-dire par forfaits ; à mon avis, il va y avoir beaucoup de médecins qui vont déconventionner »s’inquiète le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.
Même inquiétude du côté du Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. « C’est un discours lunaire, au moment où il y a un mouvement de médecins qui s’élève pour défendre le paiement à l’acte, le président prône plus de forfaits ; pour dégager du temps médical, il veut faire le renouvellement d’ordonnance par les pharmaciens, c’est une insulte vis-à-vis des généralistes » s’insurge l’omnipraticien.
Seule la CSMF se montre un peu plus retenue dans ses critiques. « Je prends acte que le Président annonce un pacte de droits et de devoirs avec la médecine libérale, nous jugerons sur les actes, mais si les moyens mis sur la table sont insuffisants pour les négociations conventionnelles, ce discours n’aura servi à rien » réagit son président le Dr Franck Devulder.
Les hospitaliers entre enthousiasme…
Logiquement, les syndicats hospitaliers se sont montrés bien plus favorables aux annonces présidentielles, qui reprennent plusieurs revendications de longue date des médecins hospitaliers, tels que la fin de la tarification à l’activité, la réforme de la gouvernance hospitalière ou la revalorisation des gardes et du travail de nuit. Historiquement proche de la majorité présidentielle, la FHF se montre particulièrement élogieuse. « C’est un discours ambitieux qui pose le bon diagnostic et n’a éludé aucun sujet, plusieurs annonces fortes ont été faites » estime son président Arnaud Robinet, qui « salue l’annonce de la revalorisation pérenne des gardes, astreintes et du travail de nuit à l’hôpital ».
Même enthousiasme chez Action Praticiens Hôpital, dont le président le Dr Jean-François Cibien évoque « des mesures fortes », remercie le Président de la République pour ses propos sur les heures supplémentaires et les 35 heures et se dit « favorable à suppression de la T2A si on va au bout de la démarche ».
…et déception
Les hospitaliers ne sont cependant pas unanimes sur le plan santé d’Emmanuel Macron. Présidente du Snphare, le Dr Anne Geffroy-Wernet se dit « un peu déçu » après le discours présidentiel. « J’ai l’impression que l’on reste sur des rustines, son discours ne fait pas rêver, il n’y a pas de vision ; sur l’organisation du temps de travail, c’est un vœu pieux, les équipes sont déjà débordées par l’activité clinique, elles n’ont pas le temps de s’organiser », critique l’anesthésiste-réanimateur. Selon le Dr Frédéric Pain, membre de l’association des médecins urgentistes de France, le chef de l’Etat n’a « pas pris conscience de la gravité du problème à l’hôpital ».
Finalement, c’est l’expectative et la méfiance qui dominent parmi les médecins, alors que plusieurs des propositions faites par Emmanuel Macron mettront des mois voire des années à être précisées et à se mettre en place et sont déjà promises depuis plusieurs années. « Beaucoup de solutions qui sont proposées étaient déjà dans le pacte de refondation des urgences de 2019 » souligne pessimiste le Dr Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la société française de médecine d’urgence.
Grégoire Griffard
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