« La réforme des retraites va créer une pression de plus en plus forte sur les classes populaires et moyennes. » (Thomas Piketty)

Thomas Piketty : « Avec sa réforme des retraites, Emmanuel Macron va-t-il de nouveau se tromper d’époque en s’illustrant comme président des riches ? »

Chronique

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Thomas Piketty – Economiste

Son objectif est de faire 20 milliards d’euros d’économies par an. Le problème est que ces 20 milliards vont peser entièrement sur les plus pauvres.

Publié hier à 05h00, mis à jour hier à 16h50  Temps de Lecture 4 min.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/07/thomas-piketty-il-est-temps-que-le-systeme-des-retraites-se-concentre-sur-les-petites-et-moyennes-pensions_6156947_3232.html

En 2023, Emmanuel Macron va-t-il de nouveau se tromper d’époque en s’illustrant comme président des riches ? C’est malheureusement ce qui se profile avec la réforme des retraites. Lors de son premier mandat, il avait déjà choisi de tout miser sur les « premiers de cordée » et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Avec, à l’arrivée, un puissant sentiment d’injustice qui avait conduit au mouvement des « gilets jaunes » excédés par les nouvelles taxes sur les carburants qu’ils étaient eux-mêmes sommés de payer pendant que les plus riches recevaient des chèques. En quelques mois, le gouvernement a réussi à décrédibiliser durablement en France l’idée même de taxe carbone, qui, pour être acceptée, devrait au contraire exempter les plus modestes et demander des efforts proportionnellement beaucoup plus importants aux plus aisés.

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De façon générale, la résolution du défi climatique exige la construction de nouvelles normes collectives de justice sociale et fiscale. La hausse des prix de l’énergie, l’exclusion des véhicules polluants, le passage au tout-électrique, la rénovation accélérée des logements, etc., vont mettre une pression de plus en plus forte sur les classes populaires et moyennes. Sans compter qu’il faudra aussi trouver des ressources pour investir davantage dans la santé et la formation, qui est la clé d’une économie productive et durable. Pour préserver la cohésion sociale, il sera indispensable de mettre à contribution les plus riches, et cela devra se faire sur la base d’indicateurs objectifs et visibles comme le revenu et le patrimoine.

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Plus que jamais, nous vivons dans un monde qui a besoin de justice et de transparence. Il suffit d’ouvrir un magazine pour savoir que les millionnaires et les cadres dirigeants se portent à merveille. En France, les 500 plus grandes fortunes sont passées en dix ans de 200 milliards à 1 000 milliards. Il suffirait d’imposer à 50 % cet enrichissement exceptionnel pour rapporter 400 milliards. L’ampleur de la réserve fiscale disponible serait encore plus importante si l’on élargissait la focale aux 500 000 contribuables les plus riches (1 % de la population) ou aux 10 % ou 20 % les plus riches. Tous ces groupes devront être mis à contribution de façon graduée, suivant des principes de justice qui devront être débattus au grand jour, en commençant par le sommet.

Privilèges de la noblesse

Chacun connaît aujourd’hui ces réalités et ces injustices, au moins aussi bien qu’à l’époque de la Révolution et des privilèges de la noblesse. Prétendre qu’il n’y a rien de substantiel à attendre de ce côté-là n’a aucun sens. Répéter en boucle que l’ISF rapportait moins de 5 milliards revient à prendre les citoyens pour des imbéciles : ce faible rendement traduit le choix des gouvernements successifs d’exempter les milliardaires et de s’appuyer sur des autodéclarations bidon, et c’est précisément ce choix qu’il faut remettre en cause. C’est en prenant à bras-le-corps la question de la justice que l’on sortira de la crise actuelle.

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Or, avec la réforme des retraites, le pouvoir s’apprête à faire tout le contraire. L’objectif affiché est de faire 20 milliards d’économies par an d’ici à 2030, afin de financer les autres priorités du gouvernement. Le problème est que ces 20 milliards vont peser entièrement sur les plus modestes. Actuellement, pour toucher une retraite à plein taux, il faut deux conditions : avoir l’âge légal de 62 ans et la durée requise de cotisations, qui est de 42 annuités pour ceux nés en 1961-1962 (et va passer graduellement à 43 d’ici à la génération 1973). Prenons une personne née en 1961 et qui aura donc 62 ans en 2023. Si elle a fait des études de niveau master et a commencé à travailler à 23 ans, il lui faut d’ores et déjà attendre 65 ans pour atteindre les 42 annuités.

Autrement dit, la réforme consistant à repousser l’âge légal à 64 ou 65 ans n’aura par définition aucun impact sur ces personnes. Sur les 20 milliards, les plus diplômés contribueront exactement zéro centime. Par construction, ces milliards seront prélevés intégralement sur le reste de la population, notamment sur les ouvriers et employés, qui sont aussi ceux qui ont les plus faibles espérances de vie et qui souffrent déjà d’un système profondément injuste, puisque ce sont leurs cotisations qui financent les retraites des cadres à haute espérance de vie.

Inégalités sociales

Le gouvernement peut chercher à maquiller les choses : la réalité est qu’il a inventé l’impôt régressif pesant exclusivement sur les moins diplômés. Quand Elisabeth Borne annonce que personne n’aura à cotiser 47 ou 48 ans, elle ne fait qu’avouer que certains cotiseront 45 ou 46 ans, à savoir ceux qui ont commencé à travailler à 19 ou 20 ans et occupent souvent des métiers difficiles. Par définition, toutes les mesures d’atténuation ne pourront être financées que par les moins diplômés eux-mêmes. Cette réalité est tellement évidente que la réforme a uni contre elle non seulement la gauche, mais aussi l’essentiel de la droite : le Rassemblement national, bien sûr, mais également une part croissante des Républicains.

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Quant à l’argument selon lequel nous n’aurions d’autre choix que de suivre nos voisins, il est particulièrement faible. D’abord parce que les systèmes étrangers combinent en réalité de multiples paramètres et sont plus complexes que ce que l’on cherche à prétendre. Ensuite parce que le fait qu’aucun pays n’ait correctement pris en compte les inégalités sociales abyssales face à la retraite ne justifie pas que l’on persiste dans cette voie. S’appuierait-on sur le fait que les inégalités salariales genrées existent partout pour justifier que l’on n’y fasse rien ? Il est temps que le système de retraites se concentre sur les petites et moyennes pensions, le tout avec un service public de la dépendance qui permette à chacun de finir sa vie dignement. Les moyens existent pour cela. Espérons que les députés et le mouvement social sauront en convaincre le pouvoir en place.

Thomas Piketty est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ecole d’économie de Paris

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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