Euthanasie: certains songent à la Belgique, où l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002.

Les nouvelles frontières de l’euthanasie

Face à l’afflux de demandes venant du nord de la France, un certain nombre d’établissements belges ont dû poser des limites. 

Par Simon Henry

Publié le 09 décembre 2022 à 05h00, mis à jour le 09 décembre 2022 à 18h27

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/12/09/dans-le-nord-les-nouvelles-frontieres-de-l-euthanasie_6153584_4500055.html?xtor=EPR-32280631-%5Bm-le-mag%5D-20221211-%5Bzone_edito_1_titre_4%5D&M_BT=53496897516380

A Mouscron, en Belgique, le centre hospitalier est régulièrement sollicité par des patients français qui souhaitent avoir recours à l’euthanasie. Ici, le 5 décembre 2022.
A Mouscron, en Belgique, le centre hospitalier est régulièrement sollicité par des patients français qui souhaitent avoir recours à l’euthanasie. Ici, le 5 décembre 2022.  LUCIE PASTUREAU / HANS LUCAS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Le désespoir se lit dans ses yeux. A 46 ans seulement, Vincent, qui n’a pas voulu donner son nom, est au pied du mur. Il y a cinq ans, les médecins lui ont diagnostiqué la maladie de Parkinson, une maladie neurodégénérative incurable. « J’ai compris qu’il y aura irrémédiablement un moment où je ne pourrai plus rien faire. Alors plutôt que de souffrir horriblement, sans espoir d’amélioration, j’essaye aujourd’hui de trouver une porte de sortie. » Sa porte de sortie, c’est le recours à l’euthanasie.

Mais évidemment pas en France, où pour l’instant la loi Claeys-Leonetti de 2016 prévoit uniquement une sédation profonde et continue jusqu’au décès si le pronostic vital est engagé « à court terme ». Conformément à sa promesse de campagne lors de la dernière élection présidentielle, Emmanuel Macron a décidé de prendre le risque d’ouvrir ce débat très sensible. Une convention citoyenne sur la fin de vie a été mise sur les rails le 25 octobre. Cent cinquante Françaises et Français ont été tirés au sort pour y participer. Elle se réunit pour la première fois le 9 décembre. Avec comme horizon : élaborer pour la fin 2023 un nouveau cadre législatif

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En attendant, Vincent songe à la Belgique, où l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002. La frontière belge n’est qu’à une dizaine de kilomètres de la métropole lilloise, où il habite. « On reçoit deux à trois appels par semaine de personnes qui souhaitent des renseignements », confie Monique Ladesou, responsable de l’antenne locale du Nord de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui milite pour que chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie.

En Belgique, le centre hospitalier de Mouscron, à 2 kilomètres de la frontière, enregistre, depuis longtemps, de nombreuses sollicitations, « notamment d’habitants du nord de la France ». Difficile de quantifier précisément le phénomène. Tout juste sait-on qu’une quarantaine de demandes françaises aurait été acceptée en 2021 par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Un chiffre relativement stable ces trois dernières années.

Aucun frais à avancer

Atteint d’une pathologie au cœur d’origine génétique, Pierre, qui a souhaité garder l’anonymat, a engagé, il y a quelques années, une procédure d’euthanasie dans le centre hospitalier de Mouscron. Au cours des consultations, on lui pose la question : « De quelle caisse de la Sécurité sociale dépendez-vous ? » « De Roubaix », répond-il. Réponse du personnel administratif : « C’est tout bon, tout sera pris en charge automatiquement. » Contrairement à un patient parisien ou lyonnais présentant une carte européenne d’assurance-maladie, Pierre n’a, lui, aucun frais à avancer.

Finalement, il s’est rétracté au bout de quelques consultations. Dans le Nord, il n’est pas rare que, pour des raisons pratiques, des Français choisissent d’être suivis dans des hôpitaux belges plutôt qu’en France. Pour faciliter ces allers et retours, six zones organisées d’accès aux soins transfrontaliers (Zoast) ont été instaurées en 2008 le long de la frontière. Ce dispositif unique en France permet de ­simplifier la prise en charge administrative et financière des patients. Par exemple, les Lillois n’ont rien à débourser lors d’une hospitalisation à Mouscron ou à Courtrai. Y compris lorsqu’il s’agit de rendez-vous médicaux en lien avec une demande d’euthanasie.

Le gastro-entérologue Christophe Boland officie au centre hospitalier de Mouscron (Belgique), où il a déjà pratiqué des euthanasies. Ici dans son bureau, le 5 décembre 2022.
Le gastro-entérologue Christophe Boland officie au centre hospitalier de Mouscron (Belgique), où il a déjà pratiqué des euthanasies. Ici dans son bureau, le 5 décembre 2022.  LUCIE PASTUREAU / HANS LUCAS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Les professionnels de santé assurent que le dispositif des Zoast n’a provoqué aucun appel d’air, dans la mesure où il est largement méconnu du grand public. La plupart du temps, les habitants du nord de la France n’en découvrent les avantages qu’au moment de leur hospitalisation. Néanmoins, il y a quelques années, pour éviter d’être submergés de procédures d’euthanasie, certains hôpitaux belges ont dû se résoudre à serrer la vis. C’est notamment le cas au centre hospitalier de Mouscron. « On a pris la décision avec mon équipe il y a trois ans de ne plus y donner suite, faute de personnel suffisant », éclaire Christophe Boland, gastro-entérologue, officiant depuis vingt-cinq ans dans le service cancérologie de l’hôpital belge, qui a été amené à pratiquer des euthanasies. « C’était devenu une charge trop lourde pour mon équipe. Et on devait se protéger, aussi. »

De nouvelles restrictions

Aujourd’hui, Christophe Boland reçoit encore une demande française par mois, dont la majorité émane « d’habitants du nord de la France ». Toutefois, le centre hospitalier de Mouscron accepte encore certaines requêtes de patients français déjà suivis médicalement sur place. « Etant donné qu’ils sont connus de notre hôpital et qu’ils ont suivi un trajet de soins chez nous, parfois depuis plusieurs années, nous serons effectivement plus enclins à accéder à leur volonté », précise le médecin.

« Ce serait bien plus simple si l’euthanasie était possible en France. Avec le système français actuel, il faut juste souffrir et se taire. C’est insupportable » Vincent, atteint de la maladie de Parkinson

L’hôpital belge de Tournai semble avoir adopté une politique similaire. « C’est plus rassurant pour nous de connaître les patients français qui font la demande, confie Florence Hut, responsable médicale et médecin au sein de l’établissement. On a construit avec eux une relation thérapeutique sur le long terme. On a assisté à l’extension de leur maladie, on connaît précisément leur état de santé, et il est plus facile de comprendre leur motivation à entrer dans un processus de fin de vie. » Seulement deux ou trois demandes par an, « principalement des habitants du nord de la France », sont acceptées.

Pas découragé, Vincent a enclenché une procédure en Belgique. S’il semble éligible sur le plan médical du fait de sa maladie incurable, la loi impose plusieurs consultations afin d’évaluer si le patient est parfaitement conscient de sa démarche, laquelle doit être réfléchie, répétée et sans pression extérieure. Sa première consultation à l’hôpital de Courtrai devait avoir lieu le 5 décembre.

Pourtant, signe de la nouvelle réticence des hôpitaux frontaliers envers les patients français, l’établissement lui a déjà fait savoir que l’acte final se déroulera probablement dans un autre hôpital, situé en dehors de sa Zoast. Ce qui exclut a priori toute prise en charge et tout remboursement à 100 %. « Ce serait bien plus simple si l’euthanasie était possible en France, s’indigne Vincent. Avec le système français actuel, il faut juste souffrir et se taire. C’est insupportable. Ouvrir pourtant la porte de l’euthanasie à tous, c’est simplement permettre une liberté de choix pour sa propre fin de vie. »

Simon Henry

Voir aussi Dossier Euthanasie

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https://environnementsantepolitique.fr/2022/12/09/38679/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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