Les intervenants du 4ème débat public à Caen le 4 Décembre sur le nucléaire ont tenté de tirer les leçons des échecs successifs qui ont frappé le projet d’EPR à Flamanville.

Nucléaire : le fiasco de Flamanville en débat

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Nucléaire : le fiasco de Flamanville en débat

Le 1er décembre, à Caen, les intervenants du 4edébat public sur le nucléaire ont tenté de tirer les leçons des échecs successifs qui ont frappé le projet d’EPR à Flamanville. Sans calmer les inquiétudes des antinucléaires.

« L’enjeu est de s’assurer que l’on ne refait pas la même chose qu’il y a quinze ans. » Le mot de la fin de l’organisateur de ce nouveau débat [1] à l’initiative de la Commission nationale du débat public (CNDP) résonnait-il comme un avertissement ? C’est en tout cas comme cela que les militants antinucléaires venus nombreux ce soir-là l’ont interprété — en témoignent leurs applaudissements approbateurs. « L’enjeu » est de taille pour EDF, l’exploitant : faire oublier le fiasco du chantier de l’EPR de Flamanville (Manche), et construire six EPR2 d’ici à 2050, comme l’a annoncé Emmanuel Macron en février dernier, à Belfort. Soit des versions optimisées du réacteur nucléaire EPR : plus faciles et, surtout, moins chères à construire. Le chantier des deux premiers EPR2 devrait démarrer dès 2024, sur la centrale de Penly (Seine-Maritime).

Jeudi 1er décembre, plusieurs acteurs et actrices du monde du nucléaire étaient réunis à Caen pour le débat (retransmis en ligne) intitulé : « Que s’est-il passé à Flamanville ? Quels enseignements en a-t-on tirés ? ». Démarrée en 2007, la construction de ce réacteur n’est toujours pas achevée — il devrait être livré fin 2023. Les coûts ont été multipliés par cinq, atteignant près de 20 milliards d’euros. Il faut dire que celui-ci a accumulé les échecs : une cuve de béton non-conforme, des soudures qu’il a fallu refaire à plusieurs reprises, des défauts dans les tuyauteries, etc.

« Perte de la culture de qualité au sein de la filière EDF »

Comment en est-on arrivé là ? Publié en juillet 2020, un rapport de la Cour des comptes est venu mettre en lumière les dérives et les surcoûts des EPR français et étrangers. Le constat est si sévère que la Cour préconise une remise à plat de la rentabilité de la filière avant d’envisager la moindre nouvelle construction. Le projet de réacteur situé dans la Manche est « un échec opérationnel » résume Jean-Paul Albertini, président de la section Énergie de la deuxième chambre de la Cour des comptes et présent au débat.

Pour comprendre, il faut remonter le temps, explique-t-il. À commencer par 1998 lorsque l’Allemagne met fin à neuf années de « coopération sur le projet d’EPR » en se retirant du nucléaire. « La France se retrouve seule à le porter alors même que les grandes orientations avaient été conçues entre des industriels issus de ces deux pays. » L’expert de la Cour cite ensuite pêle-mêle : une compétition entre les groupes EDF et Areva qui les a poussés à lancer rapidement des chantiers d’EPR, des études détaillées insuffisantes en amont, des défauts d’organisation dans la conduite du chantier, entraînant de nombreux arrêts de chantiers.L’EPR de Flamanville en travaux, en 2010. La livraison est prévue pour fin 2023. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/schoella

Mais aussi « une perte de la culture de qualité au sein de la filière EDF ». L’électricien a notamment demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de baisser ses exigences : c’est ce qu’on appelle « l’exclusion de rupture ». Autrement dit, il s’agit, par exemple, de ne pas analyser les conséquences d’une rupture de tuyauterie étant donné que celle-ci n’a que d’infimes chances de se réaliser. En contrepartie, les contrôles et le suivi de ces pièces devront être drastiques.

Intervenant également dans le débat, Jean-Martin Folz, ex-PDG du groupe PSA, a détaillé la perte de compétences techniques de la filière qu’il avait évaluée dans son rapport sur l’EPR de Flamanville remis en octobre 2019 au ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « La filière a beaucoup désappris en six ans », concède Alain Tranzer, délégué général à la qualité industrielle et aux compétences, en référence aux années écoulées entre la fin du chantier du réacteur Civaux-2 (2002), et le début de celui de Flamanville. Une structure de contrôle des grands projets, une maîtrise d’ouvrage rénovée, un nouveau plan de formation et d’embauche… Preuve qu’EDF aurait tiré des leçons de ce camouflet, l’entreprise a dévoilé les différentes étapes de sa feuille de route visant à démontrer sa capacité à mener à bien les chantiers des six EPR qui seront situés à Penly donc, mais aussi à Gravelines, Bugey et Tricastin.Des militants portaient des compositions florales mortuaires pour dénoncer le nucléaire, lors du débat public du 8 novembre 2022, à Paris. © Scandola Graziani / Reporterre

Un avis sévère de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

À ce jour, plusieurs problèmes techniques capitaux persistent et suscitent l’inquiétude de citoyens venus assister au débat.

En juillet dernier, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a rendu un avis sévère à propos de l’effet des vibrations sur la cuve de l’EPR de Flamanville.

« Comment est-ce possible que Flamanville soit proche de la mise en service malgré les recours en justice et le refus de diligenter une expertise indépendante sur sa sûreté ? », a interpellé André Jacques, président du Comité de réflexion, d’information et de lutte antinucléaire (Crilan). « Pourquoi ne pas attendre le démarrage de Flamanville avant de lancer les chantiers des EPR2 ? », demande encore un autre citoyen dans l’obscurité de la salle. Sur scène, Antoine Menager, directeur du débat public d’EDF et ex-directeur de l’aménagement EPR de Flamanville rétorque simplement que « la filière industrielle ne fonctionnera que si les contrats sont passés avec suffisamment d’anticipation ».

Pour l’heure, difficile de savoir la charge de travail déjà réalisée et celle qui reste à achever avant de pouvoir démarrer le chantier de Penly. Dans le fond de la salle, des voix s’élèvent regrettant que le coût du nucléaire n’ait pu être abordé pendant la soirée. D’autres réunions publiques sont prévues : « Quelles conditions et conséquences du projet Penly et du programme sur le territoire et l’environnement ? », et notamment, « quel coût, quel financement, et quelle rentabilité ? »

Notes

[1] C’est le quatrième volet d’un cycle de dix débats sur le nucléaire. Reporterre était présent à chaque rencontre : premier *, deuxième **et troisième *** débat.

*Nouveaux EPR : salle comble pour le lancement du débat public 

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Chantal Jouanno, présidente de la CNDP lors de l’ouverture du débat public sur le nucléaire, jeudi 27 octobre 2022 à Paris. – © Scandola Graziani / Reporterre

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Pro et antinucléaires se sont emparés du débat public sur la construction des nouveaux réacteurs nucléaires. L’enjeu : « éclairer les parlementaires » appelés à voter la loi de programmation énergie climat.

Paris, reportage

« Concernant le nucléaire, les citoyens et les citoyennes ont généralement l’impression que la décision est déjà prise et qu’ils sont mis devant le fait accompli », a lancé l’animatrice à Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public et ex-secrétaire d’État chargée de l’écologie [1]. « Souvent, c’est plus qu’un sentiment, c’est une réalité ! » Cela sera-t-il différent cette fois ? Le débat public national sur le nucléaire a débuté jeudi 27 octobre à Dieppe et à Paris, à la Maison de l’Europe, [2] et durera quatre mois. Il portera sur la construction de deux réacteurs nucléaires supplémentaires de type EPR2 dans la centrale nucléaire de Penly, près de Dieppe, en Seine-Maritime (76). Ce débat est une obligation légale, à la dimension tant locale que nationale. Pas question de revoir radicalement la place du nucléaire en France, mais l’idée est que les Français « participe[nt] à l’élaboration des décisions sur ce sujet », comme le dit la CNDP — créée il y a vingt-cinq ans. Concrètement, « toutes les options sont ouvertes »assure EDF, et même la remise en question de « l’opportunité du programme et du projet proposés ».Le débat public va durer quatre mois. © Scandola Graziani / Reporterre

Six EPR2 d’ici 2035 ? Le coût, selon EDF : 50 milliards d’euros

Le thème de cette première réunion ? L’utilité dudit débat. Il a « vraiment vocation à éclairer les parlementaires », a précisé Chantal Jouanno. Ces derniers sont appelés à voter la loi de programmation énergie climat en 2023. Résultat de ce premier jour : se sont exprimés, lors de prises de parole chronométrées, des pronucléaires — ingénieurs EDF, maires de communes… — et des anti — ONG, citoyens lambdas, élus… À Dieppe et à Paris, les salles étaient pleines. Les gens levaient leurs mains avec entrain, galvanisés par l’espoir d’être enfin pris en compte, et tant pis si l’on s’écartait du thème de l’utilité du débat. Il y avait ce maire adjoint de Brametot, une commune située à 20 kilomètres de la centrale de Penly, qui voit dans le projet d’EPR l’opportunité de nouveaux emplois pour les habitants de la région. Ou encore cette dame, membre de l’association Sans offshore (SOS) à l’horizon, qui préfère de nouveaux réacteurs nucléaires à un projet de parc éolien marin comme celui au large de Dieppe et du Tréport (Seine-Maritime). Ces futurs réacteurs font partie du vaste programme industriel lancé par EDF et RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, prévoyant la mise en place de six EPR2 d’ici 2035. Le coût, selon EDF : 50 milliards d’euros, dont 17 milliards pour les deux premiers en Normandie.

Il y avait aussi, bien sûr, les représentants d’EDF, qui parlaient d’indépendance énergétique et d’énergie décarbonée : « Nous sommes convaincus que construire un certain nombre de réacteurs forte puissance en France est une bonne option pour contribuer à l’indépendance énergétique du pays, et à la production d’une énergie bas carbone. Je suis passionné par cette proposition », a assuré Xavier Ursat, directeur de l’ingénierie et des projets du nouveau nucléaire chez EDF.© Scandola Graziani / Reporterre

Il y a un mois, le gouvernement présentait son « projet de loi pour l’accélération du nucléaire » : un texte visant à faciliter la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, en l’occurrence les six EPR2 annoncés par Emmanuel Macron à Belfort, en février dernier. Face à l’annonce de ce projet de loi, les associations de défense de l’environnement avaient crié au scandale, accusant le gouvernement de faire passer le texte au forceps, de manière antidémocratique, et sans qu’il y ait eu de débat public sur la question. Pour beaucoup d’entre eux, hier, planait le spectre de l’échec du débat public de 2005 sur le projet d’EPR de Flamanville [3].

Lire aussi : Une centaine de députés saisissent la CNDPpour obtenir un vrai débat sur l’énergie

Face aux pronucléaires, les anti étaient bien présents : associations environnementales, notamment Greenpeace à Dieppe, le Réseau Action Climat à Paris, ou encore Sortir du nucléaire. La section normande d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) a également pris position contre le projet dans un communiqué de presse. À Dieppe, Véronique Bérégovoy, conseillère régionale d’EELV a insisté sur l’importance d’un débat démocratique et mis en garde contre la puissance des lobbies du nucléaire. Elle s’est attachée à déconstruire tous les « mythes » du nucléaire, notamment celui sur l’indépendance énergétique qu’il permettrait, « puisque nous importons 100 % de notre uranium ». Le mythe de l’énergie bas-carbone aussi, qui « occulte toute la chaîne industrielle depuis l’extraction jusqu’à la gestion des déchets, en passant par la construction des centrales ». Le mythe d’une énergie nécessaire à la transition écologique, qui « masque la réalité qu’il faudrait en fait quinze ou vingt ans voire plus pour construire ces réacteurs ».

« Je refuse d’être complice de cette incroyable gabegie économique »

Vêtu d’une polaire à carreaux qui détonne dans l’assemblée, Dominique Boutin, président du réseau énergie de France Nature Environnement, a enchaîné : « Je refuse d’être complice de la poursuite de cette filière qui a démontré son incapacité à répondre économiquement, socialement, techniquement et environnementalement aux enjeux du siècle. Je refuse d’être complice de l’incroyable gabegie économique qui va retomber sur le dos du contribuable. Je refuse de… »À Dieppe, sa tirade qui dépasse le temps de parole réglementaire reçoit un tonnerre d’applaudissements.« Nous sommes convaincus que construire un certain nombre de réacteurs forte puissance en France est une bonne option », a assuré Xavier Ursat, directeur de l’ingénierie chez EDF. © Scandola Graziani / Reporterre

Enfin, des riverains du projet, tel cet habitant de Petit Caux, la commune où se situe la centrale de Penly, se sont interrogés : « Comment résister à cette manne économique qu’EDF nous apporte ? La vérité, c’est que nous allons sacrifier nos générations futures : ce sont eux, nos arrière-petits-enfants, qui devront démanteler les réacteurs et s’occuper de la gestion des déchets radioactifs. Sans compter que dans un contexte de guerre, qui sait ce que pourraient représenter les réacteurs nucléaires de Penly ? » Interrompu par les animateurs qui veillent au respect du temps de parole (2 minutes pour les prises de parole et 7 pour les interventions programmées), l’homme poursuit coûte que coûte.

Ce temps contraint était frustrant pour les orateurs, qu’ils soient opposés ou favorables au projet. « Ça sert à quoi de faire un débat si on nous interrompt sans arrêt ? »ronchonne l’un d’eux. Les membres de la CNDP ont tenté de rassurer l’auditoire : « Cette réunion d’ouverture à un caractère très institutionnel, mais ce ne sera pas la tonalité du reste du débat. » Sont prévus des temps de parole plus horizontaux et des échanges informels sans chronomètre.

Après cet article

NucléaireL’État méprise le débat public sur le nucléaire, selon une commission indépendante

Notes

[1] Lors du mandat de Nicolas Sarkozy.

[2] Il était aussi retransmis en direct sur la chaîne youtube de la CNDP.

[3] En 2005, le débat sur le projet d’EPR de Flamanville était parallèle à l’examen du projet de loi qui l’actait.

**Combis antiradiations, pancartes… Des antinucléaires s’invitent dans le débat public

Combis antiradiations, pancartes… Des antinucléaires s'invitent dans le débat public

Des militants portent des compositions florales mortuaires pour dénoncer le nucléaire, lors du débat public du 8 novembre 2022, à Paris. – © Scandola Graziani / Reporterre

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Combinaisons antiradiations, banderoles… Des militants antinucléaires ont donné du souffle au débat public sur la construction de nouveaux réacteurs. Et dénoncé une « mascarade » démocratique : « Tout est joué d’avance ! »

Paris, reportage

« Ça suffit cette mascarade, c’est lamentable ! » craque Angélique Huguin. La deuxième réunion de la Commission nationale du débat public (CNDP), portant sur le projet d’installation de nouveaux EPR, avait lieu mardi 8 novembre dans une salle austère au fin fond du 13e arrondissement parisien. La militante antinucléaire meusienne laisse exploser sa colère, se lève et balance rageusement des piles de tracts sur les tables : « La CNDP, vous êtes l’idiote utile d’un débat qui n’est pas un débat. Vous le savez très bien, tout est décidé d’avance. Vous allez débattre entre vous, dans un petit débat feutré, et tout va bien se passer… Vous jouez avec les générations futures ! » Elle claque la porte.

Dans la salle de réunion, les membres de l’assemblée restent cois. Certains secouent la tête d’un air désapprobateur, d’autres sont à deux doigts d’applaudir. La réunion reprend son cours, comme si rien ne s’était passé. « J’aurais aimé que la CNDP en arrive à un acte fort, un boycott de son propre débat. Il faudrait que tout le monde sorte de cette petite salle et que le débat se fasse dans la rue avec les gens », soupire Angélique Huguin. Elle n’est pas seule à penser de cette façon.Trois activistes du collectif haguais Piscines nucléaires stop ont pris la parole pour dénoncer l’impossibilité de mener un débat démocratique sur la question du nucléaire. © Scandola Graziani / Reporterre

Une heure avant le début de la réunion publique, un rassemblement d’activistes antinucléaires de divers collectifs s’était formé dans la rue, devant les portes de la Maison des associations et solidarités où s’est déroulé l’événement. Des militants vêtus de combinaisons antiradiations se sont réunis, les bras chargés de compositions florales mortuaires. On pouvait y lire « Tchernobyl 1986 »« Fukushima 2011 » et « Penly 2035 » — le débat public porte en effet sur la construction de deux réacteurs nucléaires supplémentaires de type EPR2 dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Penly, près de Dieppe, en Seine-Maritime (76).© Scandola Graziani / Reporterre

D’autres sont arrivés avec de gros sacs poubelle floqués du symbole de la radioactivité pour représenter les déchets nucléaires, grands absents du débat proposé par la CNDP. « Adieu au nucléaire »« Poubelle par nature »« On n’en veut pas #piscinesnucléaires »affichent les larges banderoles déployées par les activistes. Quelques-uns tenaient également des pancartes en carton : « Civil ou militaire, le nucléaire tue ! »© Scandola Graziani / Reporterre

Le débat public ou « le grand cirque de la concertation »

Ils ont parfois traversé la France pour participer à cette action symbolique : certains militants font partie du collectif Piscines nucléaires stop qui lutte contre le stockage des déchets nucléaires à La Hague, en Normandie. D’autres viennent du site de Bure (Meuse), et sont des opposants au projet Cigeo. Derrière cette mise en scène spectaculaire aux portes du débat de la CNDP, les militants antinucléaires dénonçaient ce qu’ils nomment dans leurs tracts, « le grand cirque de la concertation ». À l’instar d’Angélique Huguin, ils partagent le sentiment que les dés sont pipés. Si aucun d’entre eux ne remet en question la sincérité de la démarche de la CNDP, tous redoutent son instrumentalisation pour légitimer une décision à laquelle les citoyens n’auront pas contribué. « Moi, ce débat, je n’y crois pas un quart de seconde, déclare Sylvie, militante du Collectif contre l’ordre atomique (CCOA). Des débats, j’en ai fait plein, et à chaque fois, tout est décidé à l’avance. C’est toujours consultatif, ça n’engage pas le gouvernement. Un vrai débat, c’est un débat qui engage les autorités. »

Lire aussi : Nucléaire : le « passage en force » du gouvernement

Beaucoup évoquent aussi la volonté du gouvernement de « passer en force » sur la question de la relance du nucléaire, notamment par le biais du projet de loi sur l’accélération du nucléaire. Présenté au Conseil des ministres le 2 novembre 2022, ce texte vise à simplifier les procédures administratives pour faciliter l’installation des nouveaux EPR. Concrètement, c’est une forme de libéralisation du Code de l’urbanisme et de l’environnement pour gagner du temps dans la construction des réacteurs. Lancé avant la fin du débat public, le projet de loi de l’exécutif nourrit le scepticisme de ceux qui arguent que la décision est déjà prise. D’autant plus que les récents signaux envoyés par le gouvernement les confortent dans leur position. « On a l’habitude du 49.3 à répétition avec Macron », déplore Angélique Huguin. Dernière utilisation de cet outil permettant de faire passer un texte sans vote : le 2 novembre, pour la quatrième fois en trois semaines. « Alors forcément, on s’attend encore à une décision arbitraire », conclut la militante.Certains militants font partie du collectif Piscines nucléaires stop qui lutte contre le stockage des déchets nucléaires à La Hague. © Scandola Graziani / Reporterre

Face à ce scepticisme, la CNDP a décidé d’accorder une place aux militants dans le déroulé de la soirée. Trois activistes du collectif haguais Piscines nucléaires stop ont ainsi pu prendre la parole pour dénoncer l’impossibilité de mener un débat démocratique sur la question du nucléaire, et rappelant le problème que pose la gestion des déchets radioactifs à La Hague : « À l’heure où on parle de relancer la production de déchets sans évoquer celle du stockage, il est temps pour vous, mesdames et messieurs d’EDF, de rendre des comptes et de payer pour vos actes. La Hague n’est pas un trou sans fond. » Dans une salle qui contient une grosse proportion d’employés du secteur de l’énergie, des soupirs et des murmures de désapprobation bruissent pendant la prise de parole des militants.Des militants vêtus de combinaisons antiradiation se sont réunis, les bras chargés de compositions florales mortuaires. © Scandola Graziani / Reporterre

Pour Michel Badré, président de la commission chargée de l’animation du débat, ces interventions sont importantes. Un travail est en cours pour ouvrir de nouvelles voies d’expression, assure-t-il. « La démocratie, c’est fait pour que les gens s’expriment. C’est tout à fait normal que des gens qui ont des choses à dire puissent le faire, y compris la dame qui a distribué ses tracts. On n’a rien fait pour l’empêcher. Le débat public, s’il permet ça, c’est déjà un bon début. »

Débat public sur les EPR2 : les antinucléaires tiennent tête

« Qu’est-ce que l’EPR2, et peut-on faire du nucléaire autrement ? »

Lors de la 3e réunion du débat public autour de la construction de nouveaux réacteurs, les pronucléaires ont vanté les mérites des EPR2. Les anti, eux, ont rappelé que d’autres réponses à la crise climatique existent.

Palaiseau (Essonne), reportage

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Devant l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae), gigantesque bâtiment à l’allure un peu futuriste à Palaiseau, une banderole jaune vif est posée à même le sol. « Stop EPR, ni à Penly ni ailleurs », peut-on lire dessus en lettres noires. « On n’a pas le droit de rentrer dans l’école avec, alors je la laisse là », dit avec ironie Alain Corréa, militant antinucléaire venu spécialement de Rouen. Non loin de lui, Janni, du Collectif contre l’ordre atomique (CCOA), distribue des tracts tandis que deux activistes de Greenpeace déploient elles aussi une banderole anti-EPR. Nous sommes mardi 22 novembre et a lieu à l’Ensae la troisième réunion organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) autour du projet de construction de six réacteurs nucléaires de type EPR2, dont deux à Penly (Seine-Maritime).

Après deux premières sessions les 27 octobre et 8 novembre dernier, on discute cette fois-ci de : « Qu’est-ce que l’EPR2, et peut-on faire du nucléaire autrement ? » Un projet « qui coûte un bras et qui ne résoudra en rien la crise énergétique et climatique », résume Alain Corréa. Il n’a pas d’illusion sur l’issue de ce débat public, qui a débuté après le « passage en force »d’un projet de loi d’accélération du nucléaire. « Ce n’est pas un débat, c’est de la thérapie de groupe. Le gouvernement fera ce qu’il veut, il s’en fout. Toutes ces réunions, c’est pour anesthésier tout le monde. »

« Ce n’est pas un débat, c’est de la thérapie de groupe. »

Du monde, il y en a en tout cas à l’intérieur de l’amphithéâtre qui accueille l’événement retransmis en direct sur Youtube. Si de nombreux étudiants ingénieurs ont fait le déplacement, des membres d’associations, des salariés et des syndicats du secteur énergétique sont également venus écouter les intervenants du jour. Sur l’estrade, il y a par exemple Gabriel Oblin, directeur de projet EPR2 chez EDF, qui est le maître d’ouvrage de ce programme. Selon lui, ces réacteurs à eau pressurisée de troisième génération, « en évolution par rapport aux EPR, tout en conservant leurs atouts », font partie de la « solution » pour atteindre la décarbonation du système énergétique français à l’horizon 2050. « Une paire de réacteurs EPR2 produit la consommation électrique d’une région comme la Normandie, ou la moitié de la consommation d’Île-de-France », assure-t-il, reprenant des éléments indiqués dans une synthèse du dossier de la maîtrise d’ouvrage distribué à l’entrée.

Ce document indique en outre que ce projet à Penly « a été conçu pour minimiser son empreinte environnementale et pour intégrer les effets du changement climatique ». Ce n’était pas l’avis de plusieurs membres du Conseil national de la transition écologique il y a quelques semaines. On lit aussi que le projet a pris en compte les « retours d’expérience » de chantiers d’EPR dans le monde, et notamment du chantier de l’EPR de Flamanville. Ce dernier accumule les couacs et a pris un retard faramineux : les travaux ont commencé en 2007 et il n’a toujours pas été livré.Pour Gabriel Oblin, intervenant situé à gauche, directeur de projet EPR2chez EDF, ces réacteurs à eau pressurisée de troisième génération, font partie de la « solution ». © Amélie Quentel / Reporterre

En outre, si pour certains la technologie EPR2 « permet de simplifier la construction tout en garantissant le même niveau de sûreté que les EPR », pour d’autres, « ce choix s’inscrit uniquement dans une démarche de réduction des coûts, qui compromet la sûreté ». Le jour même du débat, dans une enquête consacrée aux EPR2, Libération l’assure : « EDF n’est pas encore assuré de pouvoir couler le premier béton de la première paire en 2027, l’année où Emmanuel Macron doit quitter l’Élysée ».

« Sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables sont à portée de main »

« Il n’est pas acceptable de relancer une activité nucléaire polluante, dangereuse et vulnérable aux agressions de toutes sortes pendant au moins le siècle à venir, alors que des solutions beaucoup plus rapides et moins coûteuses – sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables – sont à portée de main », lance sur l’estrade l’ancien ingénieur nucléaire Bernard Laponche, qui est aussi président de l’association Global chance. Les quelques militants antinucléaires présents dans la salle applaudissent.La troisième réunion du débat public sur le nucléaire a eu lieu à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique, en Essonne. © Amélie Quentel / Reporterre

Au-delà des allocutions des intervenants, les questions du public sont pointues. Un étudiant souligne que des critiques précises émergent des débats, sans qu’une réponse claire et factuelle ne soit apportée aux personnes y assistant. Un autre questionne la sûreté de l’extraction minière du combustible nécessaire au fonctionnement de ces EPR2, étant donné que l’uranium exploité dans l’Hexagone est essentiellement importé. De quoi battre en brèche l’idée selon laquelle la relance du nucléaire pourrait assurer l’indépendance énergétique de la France. À ce propos, Michel Badré, président de la commission particulière en charge d’organiser le débat public, tient à faire une annonce : « Au cours des séances précédentes, il nous a été signalé que la question des déchets nucléaires et du cycle [provenance de l’uranium, etc.] n’était pas suffisamment mise en évidence dans notre programme. On a entendu cette critique, qui nous est apparue tout à fait fondée. » Une séance spéciale consacrée à ces enjeux, en visio, sera donc organisée par la CNDP le 19 janvier.

Ce programme d’EPR2 est « avant tout un projet industriel et politique »

Autre sujet abordé lors de ce débat : les alternatives nucléaires aux EPR2. Celles-ci sont présentées par Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Il y a les « Small modular reactors » (SMR, petits réacteurs modulaires) ; le programme « grand carénage », soit la prolongation des réacteurs déjà en service ; et les « Advanced modular reactors » (AMR). À ses côtés sur la tribune, il y a Antoine Ménager, directeur du débat public EPR2 pour EDF. « Je suis content car je vois ici plein d’étudiants. Vous aurez compris que ce projet d’EPR2 est un projet d’avenir », lance-t-il.

« On a surtout assisté à une grosse page de pub »

À la fin du débat, Alain Corréa de Stop EPR, ni à Penly ni ailleurs voit les choses différemment : « Ce soir, on a surtout assisté à une grosse page de pub. » Non loin de lui, Guillaume Blavet, issu du même collectif, débat ardemment avec des étudiants. Pour lui, ce programme d’EPR2, « derrière les beaux discours sur l’urgence climatique et la crise énergétique », est « avant tout un projet industriel et politique ».

La prochaine réunion aura lieu le 1er décembre, à Caen (Normandie). Son thème : « Que s’est-il passé à Flamanville et quels enseignements en a-t-on tirés ? »Les parlementaires se saisiront des conclusions de ce débat public dans le cadre du vote de la loi de programmation énergie-climat, en 2023.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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