Nous sommes en plein débat sur la fin de vie (Dossier)

Fin de vie : un grand débat, délicat mais nécessaire

Éditorial

Le Monde

La convention citoyenne sur la question de la fin de vie sera utile, à condition qu’elle soit réellement ouverte, que le dialogue prévu dans les régions ne soit pas de pure forme, et que, puisqu’il s’agit de nourrir un éventuel projet de loi, les députés et sénateurs y soient associés.

Publié le 14 septembre 2022 à 11h30  Temps de Lecture 2 min. Read in English 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/14/fin-de-vie-un-grand-debat-delicat-mais-necessaire_6141569_3232.html

A la fois terriblement complexe et universelle, douloureuse mais essentielle, la question de la fin de vie a quitté depuis quelques décennies seulement le champ du tabou pour devenir un débat de société récurrent, dans un contexte de montée des revendications à l’autonomie individuelle.

En annonçant, lundi 12 septembre, le lancement en octobre d’une convention citoyenne sur ce sujet, Emmanuel Macron répond à la revendication croissante d’un « droit à mourir dans la dignité ». Celle-ci est portée par une très large majorité des Français, même si les sondages qui l’attestent ne permettent pas de faire la part entre le souhait individuel d’une mort digne et l’approbation d’une possible aide active à mourir qu’il s’agirait de légaliser.

Six ans après le vote de la loi Claeys-Leonetti, qui autorise une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des malades en très grande souffrance dont le pronostic vital est engagé à court terme, le choix du président de la République de rouvrir le débat ne reflète pas seulement sa volonté de marquer son deuxième quinquennat par une réforme de société qu’il n’avait pourtant guère encouragée lors du premier, mais une nette évolution du débat.

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L’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendu public mardi 13 septembre marque un tournant. Pour la première fois, il admet, à de « strictes » conditions et sur initiative du Parlement, « la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide ». Il s’agit d’aider à mourir des personnes non pas en fin de vie, mais « atteintes de maladies graves et incurables provoquant des souffrances (…) réfractaires dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ».Le retentissement de la dénonciation, par la chanteuse Line Renaud, des « failles et insuffisances majeures » de la loi actuelle, et l’écho de la mort, par « assistance au décès », légale en Suisse, du cinéaste Jean-Luc Godard, ne font qu’appuyer la nécessité d’un large débat.

S’abstraire des enjeux partisans

Dans ce contexte nouveau, et s’agissant d’une question qui engage les fondements de la société et qui soulève des enjeux potentiellement redoutables, la décision d’organiser une « grande consultation citoyenne », souhaitée par Jean-François Delfraissy, le président du CCNE lui-même, paraît pertinente. Ecouter les simples citoyens, les acteurs du système de santé et les représentants de tous les courants de pensée est une nécessité sur un sujet qui mêle l’intime, la médecine et la morale collective.

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Tout doit être fait pour que les déceptions soulevées par la convention citoyenne pour le climat de 2020 ne se renouvellent pas. La nouvelle consultation pourra être utile au pays, à condition qu’elle soit réellement ouverte, sans aboutissement préconçu, que le dialogue prévu dans les régions ne soit pas de pure forme, et que, puisqu’il s’agit de nourrir un éventuel projet de loi, les députés et sénateurs y soient associés.

Progresser en France sur la « fin de vie » est loin de se limiter au vote d’une nouvelle réforme législative, alors même que la loi de 2016, complexe, reste mal connue et insuffisamment mise en œuvre, et que la pratique des soins palliatifs reste inégale. Ce n’est que si la nouvelle convention citoyenne parvient à s’abstraire des enjeux partisans pour dépasser les tabous et familiariser les Français avec les implications à la fois concrètes, sociales et philosophiques du droit à une mort digne, qu’elle pourra aboutir à des décisions non seulement éclairées mais apaisées et respectées.

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Le Monde

Fin de vie : la convention citoyenne à la recherche d’un débat apaisé

Cent soixante-dix participants vont se réunir trois jours par semaine jusqu’au 19 mars 2023. Ils devront se prononcer sur l’opportunité d’une évolution du cadre légal. 

Par Béatrice Jérôme

Publié le 09 décembre 2022 à 06h40, mis à jour le 09 décembre 2022 à 14h25

Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/09/fin-de-vie-la-convention-citoyenne-debute-ses-travaux-pour-permettre-d-apaiser-le-debat_6153606_3224.html

A l’hôpital Bretonneau, à Paris, le 5 octobre 2022.
A l’hôpital Bretonneau, à Paris, le 5 octobre 2022.  THOMAS SAMSON / AFP

Seulement vingt-sept jours pour apaiser – à défaut de trancher – un débat qui tourmente les Français depuis des années. Le temps est court et le défi immense. Les quelque 170 participants appelés à siéger à la convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’ouvre vendredi 9 décembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE), vont se réunir neuf week-ends de trois jours jusqu’au 19 mars 2023 pour tenter de répondre à la question formulée par la première ministre, Elisabeth Borne : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » En creux, ils sont appelés à se prononcer sur la légalisation de l’aide active à mourir, qu’il s’agisse de l’euthanasie ou du suicide assisté.

Lire aussi :  Fin de vie, sédation, aide active à mourir : de quoi parle-t-on ? Où en est le débat en France ? *

La convention citoyenne est « une formidable innovation démocratique. Je la défends à mort… sans mauvais jeu de mots », avait expliqué Emmanuel Macron le 12 septembre. Mais à la différence de la précédente convention, consacrée au climat, le chef de l’Etat se réserve dès le départ la possibilité de ne pas retenir toutes les propositions. Seul engagement de l’exécutif : venir rendre compte de ses choix devant les citoyens.

La convention qui s’ouvre a vocation à « éclairer » le gouvernement pour, « le cas échéant », en fonction de ses réponses, l’amener à « faire changer le cadre légal » et à « faire prospérer un projet de loi (…) d’ici la fin 2023 », précisait Emmanuel Macron en septembre. Voire en 2024, a-t-il indiqué depuis. En ouvrant la convention, vendredi, Elisabeth Borne doit encourager les participants à mener leurs travaux dans la plus grande « liberté », à ne taire ni leurs doutes ni leurs désaccords.

« Aplanir les angles en amont du débat parlementaire »

L’objectif affiché du gouvernement n’est pas d’obtenir de la convention une solution clé en main mais d’apaiser le débat pour préparer le pays à toute éventualité. « La convention citoyenne est inspirée de la méthode irlandaise qui a abouti à légaliser le mariage pour tous et l’IVG dans ce pays, rappelle Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique. Elle doit permettre d’aplanir les angles en amont du débat parlementaire, de vérifier que tout le monde soit bien consulté et que le débat soit serein. »

« La fin de vie est un sujet qui se prête bien à une convention citoyenne parce qu’il touche à l’intime, fait appel à des valeurs, à la sensibilité de chacun, fait valoir Marc Ferracci, député Renaissance des Français de Suisse et du Liechtenstein, proche de longue date du chef de l’Etat. Et parce qu’il ne requiert pas d’expertises techniques, contrairement à des sujets comme celui du climat, pour lequel le format n’était pas idéal. »

La question de la fin de vie « requiert de prendre le temps d’un débat approfondi, a besoin de nuances », souligneégalement Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la convention citoyenne. L’enjeu pour les citoyens, poursuit cette spécialiste de la démocratie participative, « sera d’abord d’arriver à formuler des points de divergence et de convergence, et de repérer ceux qui peuvent ou non être surmontés ».

« Veiller à ce que les professionnels de santé aient leur mot à dire »

A quelle conclusion peuvent aboutir les 170 citoyens ? Peut-être que « la convention ne va pas produire de l’inédit », analyse la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, qui siège au comité de gouvernance de la convention citoyenne. « On peut imaginer, poursuit-elle, qu’elle rende un avis similaire ou très en écho à celui du Comité consultatif national d’éthique [CCNE]. » Le CCNE, dans son avis rendu le 13 septembre, a pour la première fois ouvert la voie à une aide active à mourir, à condition qu’elle soit assortie d’un renforcement de l’accès aux soins palliatifs. En 2013 et en 2018, des consultations de citoyens au format nettement plus réduit s’étaient également prononcées en faveur d’une légalisation d’une aide active à mourir.

Sur le même sujet, Olivier Véran et Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, animent également depuis la fin octobre un groupe de travail transpartisan de députés et sénateurs (les socialistes au Sénat et Les Républicains des deux assemblées ont refusé d’y participer). Et à l’Assemblée nationale, une mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti a été créée, présidée par Olivier Falorni, député (apparenté MoDem) de Charente-Maritime, par ailleurs fervent militant de l’aide active à mourir. Ses travaux commenceront en janvier 2023 pour se conclure en mars

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Les deux ministres pilotent également un groupe de travail composé de professionnels de santé qui réunit une vingtaine d’instances. Alors que les praticiens des soins palliatifs se déclarent opposés pour la plupart à une légalisation de l’euthanasie, le gouvernement veut éviter de braquer la communauté médicale, dans l’hypothèse où il déciderait de mettre en chantier une évolution de la loi actuelle. « La méthode choisie consiste aussi à veiller à ce que les professionnels de santé aient leur mot à dire, confie M. Véran. Si on considérait que l’on peut passer outre leur avis, en estimant que c’est une question d’usagers et pas de soignants, on risquerait d’échouer et d’avoir le même écueil qu’en Espagne, qui a une très grande difficulté dans la mise en œuvre de sa réforme sur la fin de vie [l’Espagne a légalisé l’euthanasie sous conditions en 2021]. »

Pierre angulaire du débat national sur la fin de vie, les travaux de la convention citoyenne ne doivent pas risquer de susciter « un conflit de légitimité », selon l’expression du chef de l’Etat. C’est bien le Parlement, in fine, qui sera chargé de voter une éventuelle réforme. Et si Emmanuel Macron indiquait, en septembre, avoir « la conviction qu’il faut bouger parce qu’il y a des situations inhumaines qui existent et qu’il faut y apporter une réponse », le débat n’est pourtant pas pour lui de pure forme. « Il ne légiférera que s’il sent qu’il peut s’appuyer sur l’opinion publique pour trancher », résume François Patriat, patron des sénateurs macronistes.

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Béatrice Jérôme

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*Fin de vie, sédation, aide active à mourir : de quoi parle-t-on ? Où en est le débat en France ?

La convention citoyenne sur le sujet débutera le 9 décembre. Elle devrait rendre en mars 2023 des travaux permettant, selon Emmanuel Macron, « à la société de prendre en compte les évolutions indispensables sur cet immense sujet ». 

Par Clémence Apetogbor

Publié le 09 décembre 2022 à 05h00, mis à jour le 09 décembre 2022 à 07h31

https://www.lemonde.fr/sante/article/2022/12/09/fin-de-vie-sedation-aide-active-a-mourir-de-quoi-parle-t-on-ou-en-est-le-debat-en-france_6153586_1651302.html

Temps de Lecture 7 min. 

En lançant la convention citoyenne sur la question de la fin de vie, dont les travaux commencent vendredi 9 décembre, Emmanuel Macron a engagé le débat sur l’évolution de la loi française en matière d’aide à mourir. La question posée aux cent cinquante Français tirés au sort qui vont débattre pendant plusieurs mois du sujet est la suivante : « Le cadre d’accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »

Lire aussi :    « Fin de vie » : comment Emmanuel Macron tente de dépolitiser le débat

C’est à partir de ces débats que le gouvernement décidera de changer ou non la loi Claeys-Leonetti sur l’accompagnement médical de la fin de vie, éventuellement en légalisant une « aide active à mourir ». Le Comité d’éthique a récemment jugé envisageable cette évolution, à de très strictes conditions. Le débat est récurrent, dès lors que les pays européens voisins font évoluer leur législation pour autoriser l’euthanasie de manière très encadrée. Quels sont pour l’heure les droits des citoyens français en la matière ? Comment la loi pourrait-elle évoluer ?

Ce que dit la loi

Pour l’heure, en France, c’est la loi Claeys-Léonetti, adoptée en 2016, après une première version en 2005, qui encadre la fin de vie des malades incurables. Elle permet une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance, dont la vie est menacée « à court terme ». Cette notion de court terme, qui va de quelques heures à quelques jours, a été définie par la Haute Autorité de santé.

La loi prévoit l’arrêt des traitements en cas d’« obstination déraisonnable » (ou acharnement thérapeutique) : les traitements sont, si et seulement si le patient le souhaite, « suspendus » lorsqu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Si le patient ne peut exprimer sa volonté et n’a pas désigné de personne de confiance pour le représenter, la décision doit être prise par les médecins de façon « collégiale ». Dans tous les cas, « le médecin doit sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de la fin de vie en dispensant les soins palliatifs appropriés », précise le texte de loi.

Le patient est alors endormi, les traitements (l’hydratation et la nutrition sont notamment considérées comme tels) sont arrêtés et des antidouleurs administrés. La sédation peut avoir lieu au domicile du malade, s’il le souhaite, en milieu hospitalier ou dans un établissement d’accueil de personnes âgées.

Lire l’éditorial du « Monde » :  Fin de vie : un grand débat, délicat mais nécessaire

Le texte de 2016 renforce la valeur des « directives anticipées » que les patients sont à même de formuler, en prévision d’une situation où ils ne seraient plus en mesure d’exprimer leur volonté. Ces directives peuvent être couchées sur papier libre ou consignées dans le formulaire proposé par le ministère de la santé. Le document doit être daté et signé, et le patient doit s’identifier par ses noms, prénoms, date et lieu de naissance.

Le patient peut, par ailleurs, désigner une personne majeure qui le représentera s’il n’est plus en mesure de s’exprimer. La parole de cette personne, dont la désignation est révocable à tout moment, prédomine sur les souhaits des autres proches et de la famille du patient. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.

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L’état du débat

Estimant que la fin de vie « est un sujet d’interrogations et d’inquiétudes pour nos concitoyens » et qu’elle « fait l’objet d’évolutions notables ces dernières années », Emmanuel Macron a annoncé, le 13 septembre, le lancement d’une consultation citoyenne sur la fin de vie, organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Elle rendra en mars ses conclusions en vue d’un éventuel changement de « cadre légal » sur la fin de vie. Sans être mentionnée explicitement par le chef de l’Etat, la question est de savoir si la France va aller plus loin dans son approche de la question et rendre possible l’accès à une « aide active à mourir ».

Des débats sont aussi organisés par les espaces de réflexion éthique régionaux « afin d’aller vers tous les citoyens et de leur permettre de s’informer et de mesurer les enjeux qui s’attachent à la fin de vie », a expliqué l’Elysée. Des consultations sont également menées avec les équipes de soins palliatifs qui sont régulièrement confrontées à la fin de vie. Le gouvernement a engagé parallèlement un « travail concerté et transpartisan » avec les députés et les sénateurs. Toujours selon l’Elysée :

« L’ensemble de ces travaux permettra d’envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023. »

Le président de la République n’exclut ni une issue par voie parlementaire ni un référendum.

Emmanuel Macron, qui envisage d’en faire la grande réforme sociétale de son second quinquennat, avait relancé le sujet en septembre et, pour donner le signal de départ, n’attendait plus que l’avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Après les diverses évolutions législatives, médicales et sociétales de ces dernières années, le CCNE a rendu le 13 septembre un avis très nuancé, mais acceptant, pour la première fois, la possibilité d’une aide « active » à mourir. Le comité d’éthique juge possible « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » pour des patients « au pronostic vital engagé à moyen terme » – quelques semaines ou mois –, et aux souffrances physiques et/ou psychiques insupportables.

Une telle évolution, dont il renvoie la responsabilité au législateur, ne pourrait se faire qu’à de « strictes » conditions : demande d’aide active à mourir « libre, éclairée et réitérée » par le patient, analysée par des soignants dans une « procédure collégiale ». Les soignants impliqués devraient pouvoir bénéficier d’une clause de conscience.

Toutefois, le comité plaide, « de manière indissociable », pour un renforcement des soins palliatifs, rappelant que les débats sur la fin de vie ne doivent pas se limiter à l’euthanasie ou au suicide assisté. Et il ne présente pas un visage unanime. Huit de ses quarante-cinq membres ont exprimé une « réserve », publiée en fin d’avis, et diverses « inquiétudes » sur un nouveau « pas législatif » sans « efforts préalables » sur l’application des lois existantes ou les soins palliatifs.

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Le débat sur la fin de vie doit « donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir », note l’Elysée. « Le temps nécessaire sera pris, et toutes garanties doivent être données pour assurer les conditions d’un débat ordonné, serein et éclairé », a insisté la présidence.

Des citoyens qui semblent avoir peu connaissance de leur droit en matière de fin de vie. Ainsi, « 40 % d’entre eux » ne savent pas qu’il y a une loi sur la fin de vie, expliquait en 2021, devant le Sénat, Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Par ailleurs, « 18 % seulement des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées, et 54 % ne souhaitent pas le faire. [Enfin,] 91 % des personnes n’en ont pas discuté avec leur médecin ».

Euthanasie et suicide assisté ailleurs en Europe

En Belgique, premier pays européen à avoir légiféré sur l’euthanasie, la demande doit être « volontaire, réfléchie, répétée »« sans pression extérieure », selon un texte promulgué le 28 mai 2002. En 2021, ce pays a comptabilisé 2 700 euthanasies, soit 2,4 % du nombre total de décès. Il s’agissait en majorité de personnes âgées de 60 à 89 ans. Dans 84 % des cas, la mort était attendue à « brève échéance ».

Aux Pays-Bas, l’euthanasie est strictement encadrée depuis le 1er avril 2002. La loi néerlandaise stipule que le médecin et un expert indépendant doivent établir que le patient endure une souffrance insupportable et sans espoir d’amélioration. Il doit aussi être établi que la demande d’euthanasie est mûrement réfléchie, volontaire, et qu’il n’y a aucune autre « option réaliste ».

Le Luxembourg a légalisé l’euthanasie et le suicide assisté en 2009. Dans le premier cas, c’est un médecin qui administre le produit donnant la mort. Dans le second, le patient prend lui-même un produit qui lui a été prescrit pour se donner la mort. Pour qu’une demande d’euthanasie ou d’assistance au suicide soit légale au Luxembourg, le patient doit être conscient, ne pas avoir subi de pression extérieure et être « dans une situation médicale sans issue, sans perspective d’amélioration, à la suite d’un accident ou d’une pathologie » et souffrir « physiquement ou psychologiquement » de cette situation de santé.

L’Espagne a adopté en mars 2021 une loi qui permet l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. La loi espagnole prévoit que toute personne ayant « une maladie grave et incurable » ou des douleurs « chroniques la plaçant dans une situation d’incapacité » puisse demander l’aide du corps médical pour mourir et s’éviter ainsi « une souffrance intolérable ». Des conditions strictes encadrent la démarche, qui doit notamment recevoir le feu vert d’une commission d’évaluation.

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Le Portugal pourrait être un des prochains pays européens à dépénaliser l’euthanasie : un vote du Parlement en juin 2022 a relancé le processus législatif qui s’était heurté jusqu’à présent aux réticences du président conservateur, Marcelo Rebelo de Sousa.

La Suisse autorise le suicide assisté depuis 1937. La personne ne doit pas nécessairement être en phase terminale, mais doit apporter la preuve de sa capacité de discernement et son aidant ne doit pas avoir de « mobile égoïste » (comme la possibilité d’hériter). La pratique de l’assistance au suicide est encadrée par des codes de déontologie médicale et prise en charge par des organisations, comme l’association Exit. Chaque association détermine ensuite les critères de santé dont elle estime qu’ils donnent accès à un suicide assisté.

L’Autriche a légalisé, par un vote du Parlement en décembre 2021, le suicide assisté pour les personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

En Italie, où le code pénal punit « l’instigation ou l’aide au suicide », la Cour constitutionnelle a dépénalisé de fait en septembre 2019 le suicide assisté dans certains cas : pour les malades pleinement conscients « maintenus en vie par des traitements (…) et atteints d’une pathologie irréversible, source de souffrance physique et psychologique qu’ils estiment intolérable ».

En Allemagne, le débat est de nouveau d’actualité, puisque en février 2020 la Cour constitutionnelle a censuré une loi de 2015 interdisant l’assistance au suicide par des médecins ou associations. Celle-ci disposait que « l’assistance organisée au suicide » était passible de trois ans de prison.En qualifiant d’inconstitutionnelle l’interdiction du suicide assisté, les juges de Karlsruhe n’ont pas pour autant décidé que celui-ci était légal. Désormais, il revient aux députés de réécrire la législation.

Clémence Apetogbor

**Emmanuel Macron et la fin de vie, la quête d’une intime conviction

Par Claire Gatinois et Béatrice Jérôme

Publié le 08 décembre 2022 à 05h34, mis à jour le 08 décembre 2022 à 18h03 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/08/emmanuel-macron-et-la-fin-de-vie-la-quete-d-une-intime-conviction_6153446_3224.html

Temps de Lecture 11 min.  

Récit

Alors que la convention citoyenne, installée à la demande de l’Elysée, s’apprête à commencer ses travaux, vendredi 9 décembre, la pensée du chef de l’Etat sur le sujet reste insondable.

Emmanuel Macron est allé à Rome comme on irait à confesse. Ce lundi 24 octobre, il pénètre sous le soleil doré de l’automne dans le palais apostolique pour une audience avec le pape François, la troisième depuis son arrivée à l’Elysée. Entre les deux hommes, une proximité, intellectuelle, affective, presque une complicité s’est installée au fil des ans. Le président français tutoie l’Argentin, l’embrasse. Assez, sans doute, pour que le chef de l’Etat soulage son âme auprès du souverain pontife.

Un sujet taraude Emmanuel Macron depuis des semaines, des mois et même des années. Le président veut s’épancher sur cet épineux dossier qu’est la fin de vie.

Le débat s’ouvre en France avec l’installation de la convention citoyenne, le 9 décembre.

Le chef de l’Etat peine, de plus en plus, à masquer son malaise. Ce 24 octobre, après l’audience papale, Emmanuel Macron se confie lors du vol retour à une poignée de journalistes du Point, du Figaro et de La Vie : « Sur le sujet de la fin de vie, j’en ai parlé d’initiative au pape, en lui disant que je n’aimais pas le mot d’euthanasie. La mort, c’est un moment de vie, ce n’est pas un acte technique. Je ne veux pas préempter le débat, parfois simplifié. On l’a vu dans la campagne présidentielle, y compris dans notre propre majorité. Ma mort m’appartient-elle ? C’est une question intimidante, je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. » Quelques jours plus tôt, devant des élus de Cambrai (Nord) venus au Vatican, le pape François a rappelé son espoir de voir un débat, en France, qui « puisse se faire, en vérité, pour accompagner la vie jusqu’à sa fin naturelle », rapporte le site Vatican News.

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Emmanuel Macron connaît la position de l’Eglise. Alors pourquoi cette confidence ? A-t-il voulu livrer son trouble au jésuite ? Assurer au pape qu’il partage, en partie, ses réticences ? « Le pape sait que je ne ferais pas n’importe quoi », assure-t-il depuis l’avion présidentiel.

Le chef de l’Etat garde à l’esprit le scénario du mariage pour tous, orchestré par son prédécesseur et antimodèle, François Hollande. Lui répète qu’il ne veut « humilier » personne, surtout pas les catholiques. « En voyant les photos prises de lui avec le pape François en octobre, je retrouve cette écoute attentive, très concentrée qui était la sienne, adolescent, envers les personnes pour qui il éprouvait de la considération, qui le conduisait à entendre les arguments de l’autre », confie le père Philippe Robert, son professeur de physique-chimie en 2de au lycée jésuite de La Providence, à Amiens.

« Un certain inconfort »

Plus la décision à prendre pour satisfaire les promoteurs du « droit à mourir dans la dignité » approche, plus Emmanuel Macron se fait prudent avec les protagonistes du pour ou du contre, inquiet, aussi, que la sémantique employée lors des débats véhicule des malentendus. Le mot « euthanasie », en particulier, le met mal à l’aise, tout comme il horrifie son épouse, Brigitte Macron. Pour apaiser les esprits, l’écrivain Erik Orsenna, chargé par Agnès Firmin-Le Bodo, la ministre déléguée auprès du ministre de la santé, d’établir un glossaire « des mots de la fin de vie », devra trouver, notamment, un terme moins chargé.

« Cette question de la fin de vie plonge Emmanuel Macron dans un certain inconfort. Sa vision du grand âge est le contraire de l’affaiblissement. Les personnes âgées sont, pour lui, des gens dont il salue la sagesse », souligne son ancienne plume, Sylvain Fort. Il recherche systématiquement la compagnie de gens plus âgés que lui, dont il apprécie le regard et l’expérience. L’idée qu’on puisse « couper le fil » et interrompre cette vieillesse le dérange.

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Nombre de militants pour le droit à mourir dans la dignité évoquent des douleurs intimes les poussant à plaider pour une fin de vie jugée moins dégradante. Au sujet d’Emmanuel Macron, certains parlent du décès de sa grand-mère, Germaine Noguès, dite « Manette », disparue en 2013, comme d’une blessure prompte à le faire vaciller. Mais à en croire les confidences de proches, la grande souffrance du chef de l’Etat a été de voir partir celle qui a compté pour lui comme une mère ; non d’assister à une fin de vie qu’il aurait voulue différente ou plus brève.

« Emmanuel Macron a gardé une logique de petit-bourgeois. Brigitte Macron est catho. La fin de vie, ce n’est pas du tout son truc ! », tranche Daniel Cohn-Bendit, ex-député européen, figure de l’écologie politique et ancien confident du chef de l’Etat. Et le soixante-huitard de narrer ce dîner à l’Elysée où, avec son ami le réalisateur Romain Goupil, « on s’est marrés », dit-il en évoquant la légalisation du cannabis à laquelle Brigitte Macron se disait opposée. Ce soir-là, Emmanuel Macron prenait des notes…

Pétri de doutes, le chef de l’Etat, fils de laïcards, baptisé adolescent, le serait moins pour des raisons religieuses que spirituelles. « Il a ce penchant-là, cette spiritualité. On a toujours l’impression qu’il parle aux astres », observe Gaël Tchakaloff, autrice de Tant qu’on est tous les deux (Flammarion, 2021), un ouvrage sur les Macron. Brigitte Macron, bien qu’élevée par les sœurs du Sacré-Cœur à Amiens, n’aurait pas, non plus, de biais religieux. « Elle est issue d’un milieu plus formaté, traditionnel. Elle est catholique mais elle n’agit jamais avec des œillères liées à sa foi », croit savoir l’écrivaine, qui fut longtemps proche du couple présidentiel.

« La frontière entre le tolérable et l’intolérable »

Disciple de Paul Ricœur, le président de la République, présenté comme un « agnostique spiritualiste » en 2018 par son conseiller Bruno Roger-Petit, s’est nourri des écrits du philosophe, comme La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli (Seuil, 2000) ou encore « Accompagner la vie jusqu’à la mort » pour faire cheminer ses réflexions. Ce dernier texte, publié en 2006 dans la revue Esprit, pourrait éclairer un angle de la pensée profonde du chef de l’Etat.

« La vérité de l’euthanasie active est celle d’un suicide assisté. Un humain décide autoritairement de la frontière entre le tolérable et l’intolérable. Mais pour qui la prolongation de la vie est-elle insupportable ? Pour le malade ? Pour l’environnement familial ? Qui a demandé la mort ? Que signifie cette demande ? », s’interroge Ricœur. « Et s’il faut avouer que les pratiques clandestines d’euthanasie actives sont inéradicables, et si l’éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire, même alors le législateur ne saurait donner sa caution », poursuit le philosophe.

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Las. S’il est circonspect, inquiet des conséquences que pourrait avoir une législation sur l’euthanasie ou le suicide assisté, Emmanuel Macron ne dit mot sur son intime conviction.  « Je pense que lui-même n’est pas décidé », avance François Patriat, président du groupe macroniste au Sénat, proche du président.

Auprès du grand public, Emmanuel Macron n’égraine que des pistes de réflexion, ferme des portes, en ouvre d’autres et égare l’électeur. Au soir de la remise des insignes de grand-croix de la Légion d’honneur, le 2 septembre, à l’actrice Line Renaud, fidèle soutien, marraine de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), celle-ci plaide de nouveau pour qu’une loi voit le jour. Hantée par le souvenir de la mort « dans d’atroces souffrances », selon ses mots, de son compagnon Loulou Gasté et, plus récemment, de sa gouvernante, elle veut que l’Etat aille plus loin que la loi Claeys-Leonetti de 2016. Sous les ors du palais présidentiel, la nonagénaire s’entend dire par le locataire de l’Elysée : « On le fera. » Et en déduit : « Je l’ai convaincu. » S’adressant ensuite à Jean-Luc Romero-Michel, présent à la cérémonie, Emmanuel Macron insiste, fixant son regard dans celui du président d’honneur de l’ADMD : « La loi, ce sera en 2023. »

Un mois plus tard, sur le parvis de l’église Saint François-Xavier, à Paris, Brigitte Macron croise encore Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la mairie de la capitale : « Alors, c’est bien parti ! Vous avez vu ! On avance bien sur la loi ! », lui glisse la première dame à l’issue d’un hommage à l’actrice Charlotte Valandrey, morte en juillet. L’entourage d’Emmanuel Macron assure, après coup, que seule la mise en place d’une convention citoyenne qui décidera des avancées nécessaires a été évoquée. Rien de plus.

« Cases à cocher »

Ni pour ni contre, bien au contraire, pourrait-on dire, Emmanuel Macron navigue sur ce sujet pesant comme poussé par les vents. Le thème, qui ne figure nulle part dans son programme de 2017, s’est, peu à peu, imposé sous la pression d’une partie de son camp. « Cette réforme sociétale fait partie de son identité politique. Elle est de ces “cases à cocher” pour un président qui s’identifie au camp progressiste. Mais fait-elle vraiment partie de son identité personnelle ? », s’interroge Sylvain Fort.

Le sujet s’invite à l’Elysée dès 2018. Un an après son élection, le promoteur de la « start-up nation » organise, dans l’un des salons du palais présidentiel, un dîner consacré à la bioéthique. Parmi la douzaine de convives réunis, figure le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le très conservateur Mgr Michel Aupetit, alors archevêque de Paris, mais aussi, et encore, Jean-Luc Romero-Michel et Jean-Louis Touraine, alors député du Rhône pour le parti présidentiel, qui écrira plus tard Donner la vie, choisir sa mort (Eres, 2019). Le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, est également autour de la table.

Le repas doit permettre à chacun d’exposer ses arguments pour déminer la question de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, au programme de ce premier quinquennat. Mais les discussions embrayent vite sur la fin de vie. Présente, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, très opposée à une éventuelle législation sur l’euthanasie, ne prend pas part aux débats, mais écoute le discours « très émouvant », dit-elle, de Jean-Louis Touraine, et tique lorsque Haïm Korsia dérape en comparant l’euthanasie à la Shoah. Emmanuel Macron observe les uns et les autres en prenant des notes au feutre bleu sur un épais bloc-notes…

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La loi Claeys-Leonetti, longuement débattue sous le mandat de François Hollande, ne date que de quelques mois. Le texte, qui permet l’arrêt des traitements au titre du « refus de l’obstination déraisonnable » et qui ouvre la possibilité d’une sédation profonde pour partir sans douleur, est trop récent pour être amendé, considère Agnès Buzyn. La question de la fin de vie est alors déclarée « hors sujet » par le locataire de l’Elysée.

« La fin de vie est un sujet qui mérite attention et précaution. Le président lui-même n’est pas convaincu. Il a perçu le risque de glissement sociétal. Sur un argument de liberté, on peut mettre à mal la solidarité », souligne Agnès Buzyn. L’ancienne présidente de l’Institut national du cancer rédige, quelque temps plus tard, une note pour le chef de l’Etat argumentant ses réserves. Selon elle, légaliser l’euthanasie enverrait « un terrible signal aux personnes lourdement handicapées, aux plus faibles, mais aussi aux plus démunis qui pourraient se sentir comme un poids pour leur famille et pour la société, dit-elle. Pour qui la prolongation de la vie est-elle insupportable ? Pour le malade ? Pour l’environnement familial ? Qui a demandé la mort ? Que signifie cette demande ? » Les mots de Paul Ricœur résonnent.

« Le débat est mûr »

La question est remise à plus tard. Mais elle est loin d’être oubliée. Sans cesse, elle se rappelle au chef de l’Etat. Line Renaud, qui échange chaque semaine avec Brigitte Macron, avance le thème dès que l’occasion se présente, tandis que la mort fait irruption dans ce premier quinquennat.

La pandémie de Covid-19 bouleverse les agendas et les certitudes. La détresse des personnes âgées, qui décèdent par milliers, seules, loin de leur famille, dans le décor glacial des Ehpad, ébranle Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat apprend aussi que l’état d’un de ses proches, Laurent Bouvet, fondateur du Printemps républicain, atteint par la maladie de Charcot, se détériore. L’époux de la députée de Paris Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance) meurt en décembre 2021. L’Elysée décrit le président et son épouse « attristés », saluant « un chantre ardent de nos principes de laïcité, de fraternité et de quête de la connaissance ». De ce drame personnel, Astrid Panosyan-Bouvet ne veut pas faire état pour justifier sa participation au débat national. Mais « Emmanuel Macron voit bien que c’est un sujet qui importe aux familles. Au cours des dernières années, la mort a traversé de nombreux foyers. Il s’agit d’avoir une discussion. Le débat est mûr aujourd’hui », estime l’élue.

Le sujet se diffuse progressivement dans la société et agite le monde politique. Au sein du gouvernement, les élus et ministres poussent pour avancer les débats avant la fin du quinquennat. Les propositions de loi se bousculent à l’Assemblée nationale. Le 8 avril 2021, c’est le texte de l’ancien socialiste Olivier Falorni, député de la Charente-Maritime et ardent militant de la cause, qui ouvre les débats au Palais-Bourbon pour autoriser « l’assistance médicalisée active à mourir » pour les personnes atteintes d’« affections graves et incurables ».

Yaël Braun-Pivet, députée (Renaissance) des Yvelines et, à l’époque, présidente de la commission des lois, approuve l’initiative, comme les représentants de presque tous les partis politiques. « Nous sommes l’expression de la nation, laissez-nous voter ! », clame-t-elle au micro de RTL. Emmanuel Macron s’agace des élans de celle qui deviendra, un an plus tard, contre son gré, présidente de l’Assemblée nationale. Le sujet, juge le chef de l’Etat, est trop grave pour être décidé en quelques heures. Des membres du gouvernement redoutent un « happening politique ».

Avancer sans savoir jusqu’où aller

Au terme de longues heures de débats enflammés, la proposition de loi échoue finalement à être adoptée, obstruée par une poignée d’élus du parti Les Républicains. Emmanuel Macron est soulagé mais il observe son camp divisé, tandis que les sondages font valoir qu’une majorité écrasante de Français est favorable à une loi pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté. Il faut agir. Mais quand ? Comment ?

Le chef de l’Etat a en tête les délibérations citoyennes qui avaient permis, en Irlande, de faire avancer l’avortement et le mariage pour tous au sein d’un pays marqué par une forte culture catholique. Emmanuel Macron avait brandi ce modèle pour mettre en place une convention citoyenne sur l’écologie après la crise des « gilets jaunes ». L’expérience a déçu les militants mais le chef de l’Etat juge que le cadre reste un bon moyen de poser sereinement les termes du débat. L’idée, inscrite dans son programme de campagne en 2022, a l’avantage indéniable de l’exonérer de toute prise de position. Le peuple, tiré au sort, décidera.

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« Je pense que sur le sujet de la fin de vie, le rapport d’Emmanuel Macron à la transcendance ne viendra pas déterminer ou surdéterminer les décisions qu’il prendra et qui sont de nature politique », analyse Marc Ferracci, député (Renaissance) des Français de Suisse et du Liechtenstein, ami du chef de l’Etat depuis qu’ils se sont connus à Sciences Po.

Emmanuel Macron, qui s’est prononcé contre l’allongement des délais de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) à quatorze semaines, dans un texte porté par sa majorité, redoute d’être étiqueté « réac ». Et se lance dans la campagne présidentielle avec cette idée encore floue qu’il faut avancer sans savoir jusqu’où aller.

« Je n’ai pas de modèle en tête »

Quand soudain, le 31 mars, à moins de quinze jours du premier tour, le président candidat s’agenouille dans la rue principale de Fouras, en Charente-Maritime, pour parler à Guy Ménard, 63 ans, que la maladie de Charcot cloue à un fauteuil roulant. Le sexagénaire s’apprête à partir en Belgique, faute, dit-il, de « pouvoir mourir dans son pays »« On percevait Emmanuel Macron sincère dans son regard, dans sa gestuelle, sa façon de lui prendre la main », se souvient son compagnon, Pascal Le Mignant.

Le chef de l’Etat se tourne alors vers une amie de Guy Ménard, qui l’interpelle sur l’euthanasie : « Je vous donne un avis personnel, je suis favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge. » Et ajoute qu’« un consensus » sur ce« modèle » lui paraît possible. « Guy a décidé de partir le 29 août à Liège pour en finir avec ce calvaire », l’informe, en septembre, un courriel de son compagnon adressé à l’Elysée. « Je n’oublierai pas Guy, ni sa mémoire ni son combat. Vous pouvez compter sur moi », répond le président.

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Lorsqu’il s’exprime devant la presse, le 12 septembre, il n’est pourtant plus question d’« aller vers » un modèle belge, qui permet l’euthanasie de mineurs, encore moins de se diriger vers le modèle suisse, où se pratique le suicide assisté. « Je n’ai pas de modèle en tête », assure le chef de l’Etat, qui se trompe en évoquant le départ de Guy « pour la Suisse » et non la Belgique, en partageant avec les journalistes ses interrogations.

« La question de la collégialité est une faiblesse des deux modèles. Est-ce que chacun peut disposer seul de sa vie et comment se formalise alors la collégialité ? Il y a une immense difficulté quand l’expression du consentement peut être altérée par des circonstances de souffrances et de troubles psychologiques », dit-il, concluant : « Je n’ai pas de position officielle. J’ai besoin d’une convention. » A quelques heures de l’ouverture des débats, la pensée présidentielle reste insondable.

Claire GatinoisBéatrice Jérôme

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***Fin de vie : les partisans du droit à mourir et les soignants de médecine palliative en opposition frontale

Entre les praticiens de médecine qui « en apaisant les douleurs » espèrent « faire disparaître les demandes de mourir » et les associations qui défendent la légalisation de l’euthanasie, les positions sont très clivées. Difficile d’imaginer un débat serein dans ce contexte. 

Par Béatrice JérômePublié le 29 novembre 2022 à 07h30

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Temps de Lecture 3 min. 

Analyse. Engager un débat « apaisé » sur la fin de vie : Emmanuel Macron a fait le pari d’y parvenir au moyen d’une convention citoyenne, qui sera lancée le 9 décembre. L’objectif paraît pourtant aujourd’hui hors de portée, tant défenseurs de la médecine palliative et partisans de la légalisation de l’euthanasie se livrent une bataille acharnée. Pour de multiples raisons.

La première est historique. Le mouvement des soins palliatifs est né au début des années 1980, alors que s’affirmait un courant favorable à l’euthanasie. C’est après avoir été invité, en 1984, au congrès international de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), à Nice, que le docteur Robert Zittoun, l’un des pionniers de la médecine palliative, décide de lancer un forum pluridisciplinaire mêlant les questions éthiques et sociales sur l’accompagnement des patients en fin de vie. « La virulence dans le débat public de la revendication en faveur de la légalisation de l’euthanasie m’avait paru, à l’époque, tout à fait déplacée, alors qu’il n’existait aucun service de soins palliatifs en France », confie le docteur Zittoun, ancien chef du service d’hématologie à l’Hôtel-Dieu de Paris.

Pour les soignants qui la pratiquent, la médecine palliative est « une troisième voie entre acharnement thérapeutique et euthanasie », explique le docteur Gilbert Desfosses, autre fondateur du mouvement en France. « En apaisant les douleurs des patients, notre espoir a toujours été de faire disparaître les demandes de mourir », poursuit cet ancien directeur de plusieurs équipes de soins palliatifs à Paris.

Positions diamétralement opposées

Autre explication d’un dialogue difficile entre partisans de l’euthanasie et soignants : la médecine palliative s’est « d’emblée spécialisée dans la gestion de la douleur de patients en toute fin de vie, notamment des malades du cancer », constate le professeur Didier Sicard. Parmi ces malades qui agonisent, la demande d’aide à mourir est moins fréquente que parmi d’autres atteints de pathologies lourdes, neurodégénératives notamment. « Cette spécialisation initiale a abouti à ce que les questions liées à l’euthanasie n’ont été que peu élaborées en médecine palliative », observe l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique.

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Si le divorce est consommé, c’est aussi du fait de deux grands protagonistes aux positions diamétralement opposées. D’un côté, l’ADMD, qui milite pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. De l’autre, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui y est farouchement hostile. Sa présidente, la docteure Claire Fourcade, affirme que « la main qui soigne ne peut être la main qui tue » et que « tuer n’est pas un soin ».

Cible des militants pro-euthanasie, la SFAP est coupable, à leurs yeux, de confondre « deux combats pourtant distincts, qu’elle entremêle sans cesse : promouvoir les soins palliatifs et exclure toute pratique d’aide active à mourir », critiqueMartine Lombard, dans un article publié, en novembre, par le cercle de réflexion Terra NovaPour cette juriste, qui prône une légalisation de l’euthanasie, « ce parti pris de la SFAP ne poserait aucun problème (…) si les pouvoirs publics ne lui avaient pas reconnu un rôle central et délégué un très grand pouvoir dans l’organisation des soins palliatifs ».

« Ambivalence » du désir de mourir

La confrontation est-elle inéluctable ? Rares parmi les médecins qui accompagnent la fin de vie sont ceux qui entrevoient une cohabitation possible entre soins palliatifs et aide active à mourir. « Il faudrait pourtant que les soignants qui pratiquent une médecine qui se consacre avec bienveillance aux derniers instants de la vie acceptent de comprendre qu’ils n’ont peut-être pas la totalité des réponses au questionnement de notre société sur la mort et le deuil », avance le psychiatre Jérôme Pellerin. Même quand toutes les douleurs sont apaisées, poursuit cet ancien intervenant en unité de soins palliatifs, « il peut arriver qu’il subsiste un authentique désir de mort qui ne peut être entendu uniquement comme un symptôme dépressif, mais plutôt comme une réappropriation par le malade de l’acceptation de cette issue – un viatique, en somme, pour s’y résoudre –, un désir qui peut commencer à s’exprimer bien avant que la médecine ne puisse plus rien pour eux ». Dans ce cas, considère le docteur Pellerin, « l’aide active à mourir pourrait être considérée comme un soin palliatif ».

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Pour la SFAP, la compatibilité est inconcevable : « Ne dévoyons pas le soin palliatif en prétendant le “compléter” par ce qui le nie », écrit la docteure Fourcade dans un article signé avec le philosophe Jacques Ricot dans la revue Etudes (« L’euthanasie contredit le soin palliatif », octobre 2022).

L’ultime raison qui pousse les médecins qui accompagnent les mourants à s’opposer à l’euthanasie est l’« ambivalence », disent-ils, du désir de mourir des patients. « En fin de vie, le malade veut mourir et vivre en même temps. Plus il s’approche de la mort, plus cette double demande coexiste et n’est pas contradictoire, explique le docteur Jean-Marc La Piana, directeur du centre de soins palliatifs La Maison, à Gardanne (Bouches-du-Rhône). C’est toute cette complexité qui nécessite une finesse d’écoute de la parole du patient, de sa famille, qui s’apparente à un travail d’orfèvre. »

Quelle que soit l’issue du débat national qui s’ouvre, « tout malade qui exprime l’envie de mourir devrait séjourner en soins palliatifs », suggère le docteur La Piana. Une perspective que rejette l’ADMD. « Il ne peut y avoir d’injonction palliative », affirme son délégué général, Philippe Lohéac, qui défend l’inaliénable « liberté du malade et le respect de sa volonté comme de celle de tout citoyen ». Pour mieux camper sur ses positions.

Béatrice Jérôme

****Claude Evin : « Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne »

Tribune

Claude Evin – Ancien ministre

Alors que le président Macron a annoncé que la fin de vie ferait l’objet d’une convention citoyenne, l’ancien ministre des affaires sociales appelle, dans une tribune au « Monde », à mettre en place une législation « qui puisse exister pour tous, de façon égalitaire ».

Publié le 05 septembre 2022 à 05h00, mis à jour le 20 septembre 2022 à 12h05  Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/05/claude-evin-restaurer-la-dimension-complexe-des-questions-entourant-la-fin-de-vie-est-aujourd-hui-une-urgence-citoyenne_6140205_3232.html

Préparer sa fin de vie, c’est comme préparer un voyage dans une région dont on ne saurait rien, dont on ne disposerait d’aucune carte, le tout à une période inconnue. Un voyage dont on est sûr de ne pas revenir. Car si la mort est une certitude pour chaque être vivant, l’heure du rendez-vous et ses modalités restent généralement inconnues. Le sujet lui-même est un sujet de premier abord peu séduisant : quel bien portant peut avoir envie de parler de la mort, si ce n’est pour évoquer celle d’autrui ou pour en faire un sujet de thèse ?

Pourtant, autant le vieillissement de la population que l’impact des maladies chroniques en font un sujet de société. Et l’on assiste indéniablement à un empowerment – un accroissement de la capacité d’agir – des citoyens usagers du système de santé, qui réclament une plus grande implication dans les choix de santé les concernant, une amélioration de leurs échanges avec les professionnels et une valorisation de leur expertise de patients, tout cela renforçant la démocratie en santé.

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Notre législation en matière de fin de vie, notamment la loi Claeys-Leonetti de 2016, va dans ce sens. Elle offre la possibilité de mobiliser des dispositifs et des pratiques permettant à chacun d’exprimer ses volontés concernant ce moment particulier de sa vie : la rédaction des directives anticipées, la désignation d’une personne de confiance, le droit de refuser ou de solliciter l’arrêt des traitements (y compris la nutrition et l’hydratation artificielles), la possibilité de demander, sous certaines conditions, à être sédaté profondément jusqu’au décès. Autant de dispositifs, aujourd’hui encore insuffisamment connus, qui visent à respecter les préférences de chacun.

Malgré cela, une partie importante de la population se trouve encore confrontée au décès d’un proche ou à la perspective du sien sans disposer de l’ensemble des connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées et pour que celles-ci soient respectées. Plus globalement, on peut constater un manque d’anticipation autour de la fin de vie, d’autant plus problématique dès lors que cette phase se passe au domicile, comme c’est pourtant le souhait d’une majorité de nos concitoyens. Ce manque d’anticipation concerne aussi bien les patients que les professionnels de santé.

Débat permanent

La plupart des positions publiques et des débats autour de la fin de vie ne semblent aujourd’hui se réduire qu’à la question de savoir s’il faut ou non légiférer sur une aide active à mourir. Les attentes et les besoins des patients et de leurs proches impliqués sont rarement pris en compte.

Il faut le marteler : la question de la fin de vie ne se réduit pas à l’adoption d’un texte législatif. Même dans les pays qui ont légiféré en faveur d’une aide active à mourir, les débats ne sont pas figés, loin de là. Les questions relatives aux modalités de mise en œuvre, de temporalité, d’éligibilité des personnes et des ressources à destination des soins palliatifs continuent d’être débattues, et leur traitement nécessite un cadre suffisamment ouvert à la controverse et à l’écoute des points de vue de chacun – qu’il s’agisse des citoyens ou bien de celles et de ceux qui œuvrent au quotidien dans ce contexte. La complexité et l’évolutivité sont des attributs inhérents aux enjeux qui entourent la fin de vie.

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Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne. Dans un paysage nourri par les représentations, les croyances individuelles et la désinformation, la nécessité de disposer de données fiables s’impose comme une évidence. Un véritable travail d’acculturation autour de la fin de vie est nécessaire pour aider les citoyens à construire une vision sur leur propre fin de vie et sur les choix qu’ils souhaitent voir adoptés par notre société. Ce travail doit être porté en lien avec les usagers, les professionnels, les institutions, ainsi qu’avec les acteurs de l’éthique et de la participation citoyenne. La nécessaire montée en compétences de la société autour des enjeux de fin de vie se base sur deux leviers : l’information et l’éducation des usagers ainsi que des professionnels de santé, d’une part ; l’identification des attentes et des besoins des personnes et leur prise en compte, d’autre part.

Ouverture, écoute et fiabilité

Lors de la présentation de son projet présidentiel, en mars, Emmanuel Macron a annoncé que le sujet de la fin de vie ferait l’objet d’une convention citoyenne. Cette démarche s’impose. En reprenant, le principe du « rien sur nous sans nous », il serait pertinent en effet que les réflexions, démarches, pratiques et dispositifs, liés à la fin de vie, soient alimentés, enrichis et évalués par les attentes et les préférences des usagers. C’est parce que le débat concerne tous les citoyens aujourd’hui et demain que la question ne peut pas être accaparée uniquement par des voix partisanes, nécessairement subjectives et militantes. Ce débat doit être porté par des instances neutres, publiques, dont la mission principale serait de garantir l’ouverture, l’écoute et la fiabilité des méthodologies proposées pour les échanges.

Lire la tribune :  « Pour une convention citoyenne sur la fin de vie »

Cela réaffirme l’importance et le rôle de telles structures, dont la mission ne sera que plus essentielle dans l’accompagnement de l’élaboration de ce débat citoyen : le Conseil économique, social et environnemental comme instance de consultation citoyenne, le Comité consultatif national d’éthique pour porter la réflexion éthique, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) dont la mission est de produire une expertise indépendante, de diffuser l’information et les pratiques autour de dispositifs de droit liés à la fin de vie et d’accompagner le débat public autour de ces questions majeures

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Un des intérêts d’une législation sur la fin de vie, c’est qu’elle puisse exister pour tous, de façon égalitaire. Ce qui signifie qu’elle a une chance d’être applicable, avec pour cela des ressources adéquates, des médicaments disponibles, des soignants formés, des proches assez informés et accompagnés pour être soutenants – et, bien sûr, des patients assez familiarisés avec les enjeux de la fin de vie, de leur fin de vie, pour pouvoir utiliser cette loi de façon profitable pour eux – quelle que soit la loi. Le CNSPFV est un lieu d’échange privilégié, un lieu d’élaboration d’une pensée forcément plurielle, forcément complexe, qui sait que le droit est nécessaire, mais qu’il ne suffit pas à garantir l’autonomie, l’absence de souffrance ou l’égalité de traitement des citoyens.

Capable de s’appuyer sur l’observation des signaux faibles, afin de faire remonter les failles et d’impulser l’élaboration des politiques publiques, il représente cette voie de neutralité nécessaire pour pouvoir intégrer la réalité du terrain dans la préparation d’un débat, d’une consultation citoyenne ou parlementaire. L’égalité, cela ne se décrète pas, cela se construit.

Claude Evin, ancien ministre des affaires sociales et de la solidarité (1988-1991), est avocat et médiateur.

Nos tribunes sur l’aide active à mourir

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Conférence des évêques de France : « L’attente la plus profonde de tous n’est-elle pas l’aide active à vivre, plutôt que l’aide active à mourir ? »

Denis Labayle : « Que chacun puisse choisir en fonction de ses convictions »

Emmanuel Hirsch : « Légiférer sur l’euthanasie n’est pas une urgence politique »

Laurent Frémont : « Si on appliquait la loi avant de chercher à la modifier ? »

Claude Evin : « Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne »

Elisabeth Angellier, Carole Bouleuc et Sylvie Dolbeault : « Avec l’aide active à mourir, la violence sera déplacée sur les professionnels de santé »

Martine Lombard : « Offrons une possibilité apaisée de mourir »

Isabelle Marin : « La ghettoïsation des personnes âgées ne peut que conduire à des formes de maltraitance »

Marie de Hennezel : « Il faudrait dix fois plus d’embauches pour assurer la dignité des fins de vie de nos âgés »

Alain Claeys : « Cette proposition de loi ne peut être considérée comme la seule réponse à cet enjeu »

Véronique Fournier : « Les forces conservatrices sont puissantes dans notre pays »

« Nous sommes parlementaires Les Républicains (LR) et nous sommes favorables à l’aide active à mourir »

Claire Fourcade : « Pour un accès généralisé à des soins palliatifs de qualité à domicile »

François Galichet : « Il suffirait que le seul produit qui permette une mort douce soit susceptible d’être prescrit par les médecins pour que tout obstacle disparaisse »

Jean-Luc Romero-Michel : « La crise sanitaire a révélé les carences de notre loi sur la fin de vie »

Jean Leonetti : « Vincent Lambert est devenu, malgré lui, le symbole de la fin de vie »

Philippe Bizouarn : « Les conditions d’une délibération collective ne sont absolument pas réunies »

Brahim Bouselmi et Sandrine Bretonnière : « Dans le domaine de l’aide médicale à mourir, seul le droit positif permettrait de garantir un choix aux individus »Voir plus Voir moins

Claude Evin(Ancien ministre)

Publié le 09/12/2022

Une convention citoyenne sur la fin de vie : pour quoi faire ?

Paris, le vendredi 9 décembre

https://www.jim.fr/medecin/actualites/pro_societe/e-docs/une_convention_citoyenne_sur_la_fin_de_vie_pour_quoi_faire__195214/document_actu_pro.phtml

– La convention citoyenne qui doit se pencher sur la législation sur la fin de vie a débuté ses travaux ce vendredi.

Discuter et réfléchir sur la mort pendant trois mois : tel est le programme assez peu réjouissant qui attend les 173 citoyens tirés au sort pour participer à la convention citoyenne sur la fin de vie. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, cette convention a été lancée ce vendredi au siège du Conseil économique social et environnemental (CESE) par la Première Ministre Elisabeth Borne et doit achever ses travaux le 19 mars prochain. « Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » tel est l’épineuse question à la quelle la convention devra répondre.

Une convention citoyenne…avec des étrangers

Les 173 participants « volontaires et représentatifs de la diversité française » selon Claire Thoury (membre du CESE et présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie) ont été tirés au sort selon des critères d’âge, de sexe, de lieu de vie, de niveau de diplôme et de catégorie socio-professionnel afin que « chaque point de vue soit entendu ». Etonnamment, aucun critère de nationalité n’a été retenu : un étranger peut donc participer à une convention citoyenne ! Ce nombre de participants a été retenu pour « anticiper les risques de défection de citoyens pour raisons personnelles » et s’assurer ainsi que la convention comptera au moins 150 membres à la fin de ces travaux.

Ces citoyens se réuniront lors de neuf week-end de trois jours au CESE, de décembre à mars. Lors de la « phase de rencontre et d’appropriation (sic) » en décembre, les membres de la convention appréhenderont l’état actuel de la législation et des soins palliatifs en France. Ce vendredi, c’est Alain Claeys, coauteur de la dernière loi sur la fin de vie en 2016, qui sera la première personne auditionnée. Suivra une table ronde avec des experts internationaux pour connaitre l’état de la législation dans d’autres pays. Le week-end prochain, les citoyens auront des échanges avec des professionnels de santé et des représentants des cultes.

La phase de délibération s’étendra ensuite sur les mois de janvier et février. Les membres de la convention prendront alors le contrôles des débats et pourront organiser des auditions et des visites sur le terrain. Des débats qui pourront être suivis en direct par tout à chacun sur Internet. Enfin le mois de mars, « phase d’harmonisation et de restitution », sera consacré à la rédaction du rapport qui sera remis le 19 mars au gouvernement.

Une convention à l’utilité douteuse

Lors de la dernière convention citoyenne sur le climat, le Président de la République s’était engagé à reprendre les propositions des citoyens « sans filtre » avant de finalement abandonner certaines d’entre elles. Cette fois, pour éviter toute déception, les organisateurs se sont montrés clairs : « Les conclusions de la Convention citoyenne serviront à éclairer le gouvernement », rien de plus, peut-on lire dans la lettre de saisine d’Elisabeth Borne. Il n’y aura d’ailleurs aucun comité légistique chargé de retranscrire les propositions de la convention citoyenne en loi, comme ce fut le cas pour celle sur le climat. Ce sera donc au Parlement d’élaborer une loi sur la fin de vie en 2023, pour éventuellement légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, en s’appuyant ou pas sur les conclusions de la convention citoyenne (le Parlement réunissant des élus et non des tirés au sort étant le lieu idoine pour des décisions de ce type depuis 1789).

Pour les opposants à la légalisation de l’euthanasie, les jeux sont de toute façon joués d’avance et cette convention citoyenne n’est qu’un moyen de donner l’illusion d’un débat démocratique. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a en effet déjà donné son feu vert en septembre dernier à la légalisation du suicide assisté tandis qu’Emmanuel Macron lui-même s’est prononcé en faveur de l’adoption du « modèle belge », nos voisins autorisant l’euthanasie de manière assez large.

A noter également (pour rendre le sujet plus complexe) que la convention citoyenne sur la fin de vie ne sera pas le seul espace de débats sur la question. La ministre des professionnels de santé Agnès Firmin le Bodo et l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran vont ainsi organiser un organiser un groupe de travail sur le sujet avec des parlementaires, tandis que des débats auront aussi lieux en régions à travers les « Espace éthiques régionaux ».

Autant d’élément qui laissent songeur sur l’utilité réelle de la convention citoyenne qui vient de s’ouvrir.

Quentin Haroche

Fin de vie : des médecins qui accompagnent des patients en cancérologie confient leurs doutes

La convention citoyenne sur la fin vie qui s’ouvre aujourd’hui doit se prononcer sur une légalisation de l’aide active à mourir. Deux médecins de l’Institut de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, qui sont auprès des malades en fin de vie, partagent leur vécu et leurs interrogations.

Caroline Coq-Chodorge

9 décembre 2022 à 12h45

https://www.mediapart.fr/journal/france/091222/fin-de-vie-des-medecins-qui-accompagnent-des-patients-en-cancerologie-confient-leurs-doutes?utm_source=20221209&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20221209&M_BT=115359655566

CeCe vendredi 9 décembre est officiellement lancée, par la première ministre Élisabeth Borne, une convention citoyenne sur la fin de vie. Pilotée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), elle réunit quelque 170 citoyen·nes tiré·es au sort, qui devront répondre à cette question d’ici au mois de mars 2023 : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou différents changements devraient-ils être introduits ? »

La convention procédera à de nombreuses auditions, notamment auprès de deux groupes de travail, l’un composé de parlementaires et l’autre de professionnel·les de santé, pilotés en parallèle par le ministre chargé du renouveau démocratique, Olivier Véran, et la ministre déléguée chargée des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo. Parallèlement, les associations de patient·es et les représentant·es des aidantes et aidants familiaux seront consulté·es.

Ce grand débat a été voulu par Emmanuel Macron. Il s’y était engagé pendant la campagne présidentielle, notamment en Charente-Maritime, face à Guy Ménard, 63 ans, atteint de la maladie de Charcot. Le sexagénaire lui expliquait ne pas « pouvoir mourir dans son pays » et être contraint de partir en Belgique, où il a bénéficié d’une euthanasie en octobre. Le président de la République a alors confié son « avis personnel » : « Je suis favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge », qui a légalisé l’euthanasie en 2002.

© Illustration Justine Vernier / Mediapart

Mais Emmanuel Macron est en réalité d’avis changeant. En octobre, après avoir rencontré le pape François, il s’interrogeait : « Ma mort m’appartient-elle ? C’est une question intimidante, je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. » 

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), lui, a déjà fait un premier pas vers une légalisation de l’aide active à mourir : il a pris position en faveur d’une « assistance au suicide », et même d’un recours à l’euthanasie pour les personnes qui « ne sont pas physiquement aptes à un tel geste »

Dans le débat qui s’ouvre, l’avis des professionnel·les de santé pèsera un peu plus. Deux médecins de l’Institut Gustave-Roussy (IGR) de Villejuif (Val-de-Marne), le plus grand centre de lutte contre le cancer en France, ont accepté de nous confier leur vécu dans l’accompagnement des fins de vie, et leurs questionnements sur une éventuelle légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie. 

Christine Mateus est la cheffe des soins palliatifs de l’IGR, François Blot, médecin réanimateur, y est chargé de l’éthique et, à ce titre, régulièrement associé aux décisions difficiles d’accompagnement de fin de vie. 

Mediapart : La demande d’une légalisation de l’aide active à mourir est ancienne en France, portée par des malades contraint·es de quitter la France. Ces histoires douloureuses trouvent un écho dans la société française. À l’Institut Gustave-Roussy, voyez-vous progresser la demande d’euthanasie ou de suicide assisté parmi vos malades ?

Christine Mateus : Moi, je vois surtout des malades qui refusent de parler de leur mort, parce que c’est trop compliqué pour eux, parce qu’ils sont focalisés sur leur guérison, leur projet de vie.

Notre expérience en soins palliatifs nous confronte à des patients qui ont peur de mourir avec des douleurs, ou très dépendants. Beaucoup expriment le fait qu’ils ne veulent pas vivre « comme ça », avec de la fatigue, des difficultés respiratoires, à se déplacer, etc. En réalité, ces malades sont en demande de soins. Notre rôle est de soulager leurs symptômes, mais aussi de les aider à les accepter, à retrouver du sens à ce qu’il reste à vivre. Nous avons au bout du compte très peu de demandes d’euthanasie.À LIRE AUSSIDans un service de soins palliatifs de l’hôpital d’Argenteuil en 2013.L’euthanasie en débat

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Beaucoup de patients sont en revanche inquiets face à ce débat sur la fin de vie, parce qu’ils se sentent très vulnérables. Ils s’interrogent : est-ce qu’on ne va pas me trouver trop malade, trop coûteux ? Pendant la crise du Covid, cela a déjà été très difficile pour eux de savoir qu’ils n’étaient pas réanimables. C’était cependant des décisions légitimes : un malade du cancer en phase terminale atteint d’un Covid grave n’aurait pas bénéficié de la réanimation. Les patients vulnérables craignent qu’une loi sur l’euthanasie réduise les efforts dans leur prise en charge et induise un sentiment de culpabilité à la poursuite des soins.

François Blot : Dans un centre de lutte contre le cancer, on vient, comme son nom l’indique, pour lutter contre le cancer. L’Institut Gustave-Roussy ambitionne même que l’on puisse guérir la plupart des cancers d’ici à 2050. Les malades arrivent souvent, en deuxième intention, pour accéder à des traitements plus innovants et sauver leur vie. Et ils ont souvent du mal à se projeter sur leur éventuel décès : souvent, ils n’ont pas rédigé leurs directives anticipées, qui sont pourtant inscrites dans la loi depuis 2005. Ils sont pourtant toujours informés de l’importance de ces directives.

Même quand l’oncologue explique au patient qu’il n’y a plus de solution thérapeutique, celui-ci peut rester dans le déni : le décès n’est pas dans son logiciel mental.

Mais en médecine, et singulièrement dans les soins palliatifs, on évite de parler « des malades », parce qu’il n’y a jamais deux personnes identiques.

En Belgique, plus 60 % des euthanasies concernent des malades du cancer. Êtes-vous surpris par ces chiffres ?

François Blot : Ces chiffres sont en rupture avec ce que l’on vit en France. Ici, les cas les plus médiatisés de demandes d’aide active à mourir proviennent de personnes atteintes de maladies neurodégénératives comme Paulette Guinchard [secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement de Lionel Jospin, atteinte d’une maladie neurodégénérative, elle a bénéficié d’un suicide assisté en Suisse en 2021 – ndlr] ou Anne Bert [écrivaine, atteinte de la maladie de Charcot, elle a milité pour l’aide active à mourir et a bénéficié d’une euthanasie en Belgique en 2017 – ndlr]. Comment expliquer ce chiffre belge ? En réalité, on manque cruellement de données précises qui éclairent la pratique belge de l’euthanasie, du suicide assisté, des soins palliatifs.

Christine Mateus : Cela nous interroge tout de même sur l’engagement pour la qualité des soins palliatifs en Belgique : ils sont réputés, mais comment ont-ils évolué depuis la légalisation de l’euthanasie ? Respectent-ils encore une étape à mes yeux fondamentale : laisser le temps au patient d’accepter, de comprendre, de construire ce qu’il reste à vivre ?

L’accompagnement de la fin de vie en France a été construit en plusieurs étapes. Pouvez-vous nous les détailler ?

François Blot : En 2002, la loi sur les droits des malades affirme le consentement aux soins, et son corollaire, la possibilité de refuser des soins. Elle introduit aussi la personne de confiance, qui s’exprime au nom du patient s’il n’est pas en mesure de le faire. Les directives anticipées sont issues de la loi Leonetti de 2005, qui est la

première loi sur la fin de vie. Cette loi impose aussi au médecin d’éviter toute obstination déraisonnable dans les soins. Cette loi protège les patients comme les médecins, qui peuvent décider d’arrêter des traitements qu’ils jugent déraisonnables, même quand le malade les réclame. Cet arrêt des traitements, y compris l’hydratation et l’alimentation artificielle, n’est jamais un abandon : on prend toujours soin du malade, de sa douleur, de ses angoisses. 

En 2016, la loi Claeys-Leonetti renforce l’importance des directives anticipées, qui deviennent contraignantes. Mais elle introduit deux exceptions : s’il y a un contexte d’urgence qui ne permet pas au médecin de consulter les directives anticipées en amont des soins ou si le médecin juge celles-ci inappropriées avec la situation médicale du patient. Mais, dans ce cas, le refus doit résulter d’une décision médicale collégiale justifiée.À LIRE AUSSILe chef de service des soins palliatifs de l’hôpital de Guingamp, Stéphane Juquin, travaille la pleine conscience avec sa patiente, Alexandra Veillard.« Face à la mort, il faut entendre la trouille » : immersion dans une unité de soins palliatifs

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Enfin, la loi Claeys-Léonetti introduit la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les patients atteints d’une maladie incurable, dont le pronostic vital est engagé à très court terme, dans les jours, sinon, au grand maximum, dans les trois semaines qui suivent. La sédation profonde et continue est aussi possible pour les malades qui ont décidé d’arrêter les traitements qui les maintenaient en vie.

Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) a reconnu pour la première fois, dans un avis paru en septembre dernier, que « certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, ne rencontrent pas de solution toujours adaptée à leur détresse » en France. Êtes-vous d’accord ?

François Blot : C’est vrai, il y a un vide juridique, notamment pour certaines maladies neurologiques. Il existe une frange de patients, des cas minoritaires, pour lesquels il n’y a pas de réponse adaptée. Ne pas leur répondre est aujourd’hui un choix de collectif, qui peut être respectable, s’il est assumé, non dissimulé sous la promesse de jours meilleurs.

Si on décide de répondre à ces demandes individuelles, cela ouvre d’autres questions difficiles. Est-ce qu’on ne sacrifierait pas une autre catégorie de personnes qui se sentiraient menacées dans leur vulnérabilité ? Seront-elles assistées avec autant de sollicitude et de fraternité si on légalise l’aide active à mourir ? 

Tant qu’il y a l’interdit de donner la mort, on se doit d’aider, de soigner, de rivaliser d’ingéniosité pour contrecarrer les effets de la maladie.

Dans Le Monde ont été publiées deux tribunes contradictoires venant de pays qui ont légalisé l’euthanasie. L’avocate belge Jacqueline Herremans assure qu’un accès universel aux soins palliatifs est toujours assuré dans son pays. Mais Theo Boer, professeur d’éthique néerlandais, nous met en garde contre le « paradoxe de la légalisation de la mort administrée », qui serait aussi « une incitation au désespoir pour les autres ». Il faut se poser la question des laissés-pour-compte des deux bords.

Tant qu’il y a l’interdit de donner la mort, on se doit d’aider, de soigner, de rivaliser d’ingéniosité pour contrecarrer les effets de la maladie. Ce sont parfois des petits gains, mais qui sont humanistes. Si on légalise l’aide active à mourir, est-ce qu’on aura autant d’énergie individuelle et collective lorsqu’on aura dans notre arsenal cet outil tellement simple ?

Christine Mateus : Il y aussi un sujet économique. Si on légalise l’aide active à mourir, est-ce qu’on va continuer à mettre autant de moyens dans la prise en charge des patients les plus vulnérables ? Les vieux, les malades, les cancéreux coûtent cher à la société. Dans les soins palliatifs, on essaie de redonner du sens à leur vie, ce qui coûte du temps, de l’énergie, et encore de l’argent. Légaliser l’euthanasie serait une source très importante d’économies.

Les promoteurs de l’aide médicale à mourir dénoncent un paternalisme médical français, qui ne respecte pas le libre arbitre du patient. Qu’en pensez-vous ?

François Blot : Bien sûr, on hérite d’une vision très paternaliste de la médecine. Dans les années 1950, le patient était considéré comme un enfant, il fallait le protéger, on avait même le devoir de lui mentir. Le patient est désormais libre, autonome. Mais doit-on légiférer pour une minorité qui réclame l’aide médicale à mourir ? Pour ses partisans, l’autonomie de la personne prime.

François Blot et Christine Mateus.  © Photo Caroline Coq-Chodorge / Mediapart

Mais le médecin doit conserver un regard critique face à une demande d’euthanasie ou de suicide assisté. Quand une personne saute dans une rivière, on commence par essayer de la sauver. Il faut discuter, le temps qu’il faut, pour tenter de raccrocher le patient à la vie. Il y a toujours du reste-à-vivre, il faut le débusquer. Si on légalise cette aide active à mourir, est-ce qu’on prendra toujours ce temps-là ? Bien sûr, certains restent désireux d’en finir et partent en Suisse ou en Belgique. C’est un tout petit nombre de personnes, mais leurs situations douloureuses interrogent.

La revendication d’une aide médicale à mourir n’est-elle pas aussi une conséquence des progrès constants de la médecine, qui maintient en vie de plus en plus longtemps les personnes malades ?

Christine Mateus : En soins palliatifs, on se bat au quotidien contre l’obstination à poursuivre des traitements qui n’ont plus de bénéfices. Le patient peut être très ambivalent : il peut nous réclamer une euthanasie, puis réclamer à l’oncologue une dernière ligne de traitements. Ce n’est d’ailleurs pas contradictoire : ce qu’il veut, c’est vivre sans être malade.

François Blot : L’hypermédicalisation de l’existence est un constat. Des malades peuvent faire sept ou huit chimiothérapies. Admettre que la neuvième sera inutile est très difficile. On est aujourd’hui dans une civilisation du contrôle de la nature. Admettre qu’on a perdu le contrôle, c’est dur. Comme admettre qu’on va mourir.

La mort est devenue un tabou. Auparavant, elle était accompagnée, il y avait des rites. Tout cela a explosé. La mort a été externalisée à l’hôpital ou en Ehpad. Aujourd’hui, quand on meurt en réanimation, deux heures après le lit est occupé par un autre malade.

Des malades qui réclament une aide active à mourir refusent d’assister à leur dégradation physique, qu’ils jugent indigne. Le comprenez-vous ?

François Blot : La personne humaine porte une dignité ontologique, irréductible. L’indignité est un ressenti dans son propre regard, celui des autres. 

Christine Mateus : On peut être vieux, grabataire, incontinent et être digne. Lorsque nos patients conservent un handicap, est-ce que leur vie ne mérite pas, pour autant, d’être vécue ? Je pense, par exemple, aux patients qui ne supportent pas leur trachéotomie. Vivre avec est pour eux une torture. Deux choix s’offrent à eux : retirer la trachéotomie et bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, ou apprendre à vivre avec, ce qui exige du temps, des moyens humains et matériels. Même les patients atteints de maladies neurodégénératives devraient avoir un choix. Cela ne peut pas être rien versus la mort.

Ceux qui parlent d’une mort digne en parlant de l’euthanasie évoquent aussi une mort douce. Une mort n’est jamais douce. C’est toujours un moment difficile, qu’on peut simplement tenter d’apaiser.

François Blot : Étymologiquement, l’euthanasie signifie la « bonne mort ». En réalité, une mort est toujours un arrachement, un moment d’intense humanité.

Dans le documentaire Les Mots de la fin, diffusé sur Arte, sont filmées des consultations du professeur François Damas, au CHU de Liège, en Belgique, lorsqu’il reçoit des malades en demande d’euthanasie. On l’entend aussi, derrière une vitre aux stores baissés, procéder au geste final. Quel regard portez-vous sur sa pratique ?

François Blot : Je suis très admiratif du professeur Damas, qui semble faire preuve d’une grande humanité. Ce qui est frappant, cependant, c’est la rapidité de l’injection létale, qui contient un puissant hypnotique qui agit sur la commande cérébrale et provoque une dépression respiratoire.À LIRE AUSSIPour accéder au suicide assisté en Suisse, il faut être capable de discernement et en capacité physique de faire le geste létal.Euthanasie et suicide assisté : ces Français qui y recourent déjà

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Dans ce documentaire, tout semble se passer dans le respect de la volonté du malade, mais on ne voit qu’une petite partie du processus d’euthanasie. En Belgique, la décision est prise, à la demande du malade, par deux ou trois médecins, et les contrôles se font a posteriori. J’ai du mal à imaginer que cela pourrait se passer comme cela en France : il faudrait beaucoup plus de collégialité, un temps suffisant et des contrôles avant le geste final.

Christine Mateus : Ce qui me paraît à moi aussi inquiétant dans ce film – mais c’est peut-être une limite du reportage, tout n’est pas montré –, c’est qu’une seule personne semble décider. En France, le patient accède à la sédation profonde et continue après plusieurs rencontres, avec lui et ses proches, la consultation d’un psychiatre, et à la suite d’une décision collégiale et pluridisciplinaire, impliquant idéalement l’équipe de soins palliatifs, car chaque membre de l’équipe peut intervenir auprès du malade pendant la sédation, qui peut durer un temps assez long.

Pouvez-vous décrire le processus de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ?

Christine Mateus : Le patient est endormi, généralement avec du midazolam, un hypnotique sédatif, puis il est surveillé en continu. Il faut évaluer l’état physique, le niveau de conscience, la douleur, et sans cesse réajuster, car il peut y avoir des phases de réveil. Le patient n’est pas nourri, il peut être légèrement hydraté pour son confort. Le patient ne meurt pas de faim, mais de sa maladie incurable.

Nous ne sommes pas sûrs que le patient ne souffre pas. C’est pourquoi l’ensemble des traitements contre la douleur sont maintenus et ajustés si des signes de souffrance sont observés. On essaie de le mettre loin des symptômes réfractaires, de l’en protéger. Est-on sûrs que, dans l’acte d’euthanasie, le patient ne souffre pas non plus ?

Il y a une très grande différence entre ces deux actes : l’intentionnalité. La sédation accompagne un processus naturel, ce qui doit arriver ; l’euthanasie provoque la mort.

Si la France légalisait l’aide médicale à mourir, seriez-vous prêts à prescrire une ordonnance ou à pratiquer le geste final?

Christine Mateus : Pour moi, ce serait très difficile. Cela s’affronte à nos bases, nos fondements d’aide, de soins et au serment d’Hippocrate : primum non nocere, d’abord ne pas nuire. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a lancé une enquête sur le sujet : la plupart de ceux qui ont répondu n’y sont pas prêts non plus.

Ce débat doit-il, selon vous, aboutir à une nouvelle loi, à un référendum ?À LIRE AUSSILa « kill pill », un moindre mal aux yeux des soignants anti-euthanasie

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François Blot : Un référendum ne me paraît pas adapté. Quelle question serait posée ? Sur ce sujet, on est tous les jouets de nos histoires personnelles et de nos émotions : c’est très respectable, mais je pense que l’éclairage de la raison est aussi essentiel. On peut espérer que cette convention citoyenne donne des pistes, en ayant tous les tenants et les aboutissants en main. Au législateur ensuite de s’en saisir.

Christine Mateus : Si une loi devait légaliser l’aide médicale à mourir, je serais plus favorable au suicide assisté. Pour une faible minorité de patients peut-être faudrait-il envisager une exception d’euthanasie, une latitude accordée par la justice, dans certaines circonstances, très encadrées.

Caroline Coq-Chodorge

« Chacun doit pouvoir disposer d’une liberté de choix lorsque sa vie n’est plus que souffrance »

La convention citoyenne sur la fin de vie doit trancher entre des positions antagonistes, pour ou contre l’aide active à mourir. La professeure de droit Martine Lombard a publié un livre en défense de cette « ultime demande » et en détaille les fondements juridiques dans les très nombreux pays qui l’ont légalisée.

Caroline Coq-Chodorge

9 décembre 2022 à 12h40

https://www.mediapart.fr/journal/france/091222/chacun-doit-pouvoir-disposer-d-une-liberte-de-choix-lorsque-sa-vie-n-est-plus-que-souffrance?utm_source=20221209&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20221209&M_BT=115359655566

Dans le débat sur l’aide active à mourir, la convention citoyenne, qui entame ses travaux vendredi 9 décembre, parviendra-t-elle à trouver un chemin entre des positions antagonistes ? D’un côté, les religions campent sur une position inflexible : l’euthanasie est un « crime contre la vie humaine » et le suicide assisté un « grave péché », comme l’explique le Vatican. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui représente plus de 10 000 soignant·es, considère « la mort comme un processus naturel », qui ne peut donc être abrégé.

De l’autre côté, les défenseurs de l’aide active à mourir défendent la liberté de choisir « les conditions de la fin de sa propre vie », selon les termes de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). La professeure émérite de droit public Martine Lombard est membre de l’ADMD depuis 20 ans, et de l’association Le Choix depuis sa création. Elle vient de publier L’Ultime Demande (Liana Levi), un essai où elle analyse les évolutions législatives en faveur du suicide assisté ou de l’euthanasie dans de très nombreux pays depuis le début du XXIsiècle.

Mediapart : Sur le sujet de la vie, chacune et chacun raisonne à partir de son vécu. Quel est le vôtre, sans rentrer dans des détails intimes ?

Martine Lombard : J’ai été confrontée très tôt à une situation de souffrances réfractaires chez un enfant, puis à répétition, dans le cours de ma vie, à des maladies notamment neurodégénératives de proches suivies de décès après de longues souffrances. Il fut une lointaine époque, que je ne regrette pas, où l’administration d’un cocktail lytique par un médecin était discrète, mais presque courante. Elle est plus encadrée aujourd’hui, mais il reste parfois possible d’être aidé à mourir si on a un réseau de connaissances dans le milieu médical, au point que cela devient presque un privilège, en France, de bénéficier d’une agonie abrégée. Or, chacun doit pouvoir disposer d’une liberté de choix lorsque sa vie n’est plus que souffrance.

Des personnels soignants prennent en charge un patient dans le service de soins palliatifs de l’hôpital d’Argenteuil en 2013.  © Photo Fred Dufour / AFP

Dans son dernier avis sur la fin de vie, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) se déclare pour la première fois pour une évolution législative favorable au suicide assisté et à l’euthanasie pour les personnes qui ne seraient pas capables d’accomplir le geste final. Est-ce une avancée suffisante à vos yeux ?

C’est un tournant. Pour la première fois, le CCNE ouvre « une voie pour application éthique d’une aide active à mourir », à des conditions certes « strictes ».

Je n’aime pas beaucoup le terme d’euthanasie, parce qu’il est souvent utilisé de manière ambiguë, implicitement péjorative. Sans aucun doute parce qu’il a été utilisé par les nazis pour exterminer des « aliénés », des malades incurables et des handicapés dans des centres qui préfiguraient les chambres à gaz, dès 1939. Je préfère l’expression d’aide médicale à mourir, qui inclut les cas où la personne s’administre le produit elle-même, et ceux où elle fait intervenir un tiers, à sa demande, pour l’administration du produit létal. Dans ce dernier cas, la question est posée au malade jusqu’à la dernière seconde : est-ce cela que vous voulez ?

Il serait très cruel de priver de l’aide active à mourir les personnes les plus gravement malades. Paulette Guinchard [secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement de Lionel Jospin – ndlr], qui était atteinte d’une maladie dégénérative irréversible, n’aurait pas pu bénéficier du suicide assisté en Suisse si elle avait attendu un peu trop longtemps.

Le CCNE propose de réserver l’aide active à mourir aux seules personnes dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme. Est-ce trop restrictif à vos yeux ?

Les autres pays européens n’exigent pas que le pronostic vital soit nécessairement engagé, même à moyen terme. Ils autorisent l’aide médicale à mourir pour les maladies invalidantes, sans perspective de guérison ou d’amélioration, qui dégradent très fortement les conditions de vie. Si la France devait maintenir la condition d’un pronostic vital engagé même à moyen terme, alors des Français continueront à devoir aller en Belgique ou en Suisse.

Vous rappelez dans votre livre l’explosion récente du nombre de pays qui ont dépénalisé l’aide à mourir, en Europe, en Amérique du Nord , dans la zone Pacifique. Quels choix ont faits ces différents pays ?

La Suisse est le premier pays à avoir autorisé l’aide active à mourir, à travers le suicide assisté. Depuis longtemps, aider quelqu’un, par souci d’humanité, à commettre un suicide n’est pas une infraction pénale. Seul un intérêt égoïste est répréhensible, selon l’article 115 du Code pénal, entré en vigueur en 1942 et inchangé depuis. Mais l’euthanasie y est toujours interdite.

L’État de l’Oregon, aux États-Unis, a adopté en 1994, sur une proposition d’initiative citoyenne, une première loi sur la « mort dans la dignité », qui permet au malade d’obtenir une prescription d’un produit létal. Mais le médecin y joue un rôle minime : il prescrit, puis c’est à la personne d’avaler le produit létal sans aucune assistance, au risque de le régurgiter. Ce n’est pas évident du tout. Sans doute pour cette raison, à peine 0,8 % de la population de l’Oregon a ainsi recours à ce suicide assisté. En Suisse, 1,8 % de la population a recours au suicide assisté, avec l’aide d’un soignant ou d’une personne formée en ce sens qui reste à ses côtés.

Martine Lombard.  © Photo Stefan Meyer

Depuis le début du XXIe siècle, les lois sur l’aide à mourir se sont multipliées : les Pays-Bas en 2001 et la Belgique en 2002 qui sont les premiers à avoir dépénalisé l’euthanasie. Des États américains ont suivi : l’État de Washington, du Montana, le Vermont, la Californie, le District de Columbia, le Colorado, Hawaï, le New Jersey, le Maine, le Nouveau-Mexique. Un quart des Américains vivent dans des États qui offrent la possibilité d’une aide à mourir. Puis la province de Québec a légiféré en 2014, suivie par l’ensemble du Canada en 2016. En Australie, plusieurs États ont aussi légalisé l’aide active à mourir à partir de 2019. Ces deux dernières années, en Europe, d’autres pays ont évolué sur le sujet, par exemple l’Italie et l’Allemagne, mais où le législateur ne s’est pas encore prononcé, l’Espagne, qui a adopté une loi très complète en mars 2021 avec 180 aides à mourir dès sa première année d’application, puis l’Autriche en décembre 2021, de façon plus restrictive.

Dans de nombreux pays, la justice a été à l’origine des évolutions législatives. Elle considère souvent que le droit à la vie n’impose pas de supporter toute vie, en toutes circonstances. On retrouve cette idée dans la plupart des législations favorables à l’aide médicale à mourir.

Vous êtes critique envers la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), dont vous rappelez les origines religieuses. En quoi la SFAP reste porteuse, selon vous, d’une idéologie chrétienne ?

Mon principal regret est que la SFAP semble partir du postulat selon lequel les soins palliatifs pourraient mettre fin à toutes les souffrances. Ce n’est pas exact pour les souffrances précisément appelées « réfractaires ». L’avis du Conseil consultatif national d’éthique, qui s’appuie sur de nombreuses auditions, le reconnaît explicitement : « Certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, ne rencontrent pas de solution à leur détresse. » Il y a là un déni de réalité de la part de la SFAP.

Le CCNE cite par ailleurs une étude de médecins français, réalisée à partir des dossiers médicaux de patients admis dans des unités de soins palliatifs. Sur plus de deux mille, 9 % ont exprimé un désir de mourir et 3 % ont fait une demande d’euthanasie.

La SFAP invoque aussi un supposé déclin des soins palliatifs en cas de légalisation de l’aide à mourir, en donnant l’exemple de la Belgique. Mais elle s’appuie sur des comparaisons statistiques entre 2015 et 2021 à partir d’études n’utilisant – explicitement – pas les mêmes méthodologies de l’une à l’autre !

© Éditions Liana Levi

De tels postulats supposent de reposer sur un credo. Il est d’ailleurs inscrit dans les statuts de la SFAP qui considère « la mort comme un processus naturel ». Elle continue à distinguer le « laisser mourir » et le « faire mourir », alors que même le Conseil d’État en France réfute l’idée que cette distinction serait inscrite dans la loi de 2016 concernant la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Il relève en effet dans une étude de 2018 que cet acte répond par nature à un désir de mourir du patient. Il souligne aussi « l’absurdité d’une situation dans laquelle le mourant n’en finit pas de mourir ».

Le milieu des soins palliatifs exprime parfois une préférence pour le suicide assisté, qui n’ impliquerait le médecin que dans la prescription, ou encore pour l’exception d’euthanasie, qui ne serait pas inscrite dans la loi, mais tolérée par la justice dans des circonstances précises. Qu’en pensez-vous ?

Le suicide assisté est principalement le choix d’anciens États fédérés américains [aujourd’hui parmi les plus conservateurs – ndlr]. Il permet aux médecins de s’impliquer au minimum, car c’est au patient de se débrouiller ensuite comme il peut. Cela limite leur nombre puisque le passage à l’acte est précisément difficile. Mais c’est d’une certaine cruauté, surtout par l’exclusion de ceux qui ne peuvent pas se donner la mort eux-mêmes.

Quant à l’exception d’euthanasie, soit elle ne serait pas inscrite dans la loi et les tribunaux ne se substitueront sans doute pas en France au législateur, soit elle y serait inscrite, mais de façon inconditionnée, et elle serait alors sans doute sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme, car, à ses yeux, la dépénalisation de l’aide active à mourir doit être précisément encadrée par des garanties adéquates et suffisantes.

Certaines personnes craignent que la légalisation de l’aide médicale à mourir pèse sur les personnes les plus vulnérables, qui pourraient se sentir trop encombrantes pour leurs proches, trop coûteuses pour la société. Qu’en pensez-vous ?

Demander une euthanasie par crainte de peser sur sa famille ou la société n’est nullement un motif valable dans les législations existantes. Le rôle d’un médecin, dans ce cas, est plutôt de prescrire un antidépresseur. Les longs entretiens individuels conduits par deux ou trois médecins protègent aussi contre toute forme de pression extérieure. Le fond du problème est ailleurs : il faut beaucoup plus respecter les personnes âgées, aider les personnes dépendantes et aider aussi leurs proches, par des réformes profondes qui vont bien au-delà d’une simple loi.

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Dans les témoignages de patients qui peuvent avoir accès à l’euthanasie, c’est le soulagement qui domine. Les personnes y trouvent un apaisement, qui leur permet de mieux vivre leurs derniers moments.

Ce n’est pas le premier débat sur la fin de vie en France. Celui-ci a-t-il des chances d’aboutir à une légalisation de l’aide active à mourir ? 

En 2013, une concertation citoyenne s’était déjà prononcée en faveur de l’aide active à mourir et a été occultée. Je crains que le débat soit encore confisqué par certains soignants. Leur expertise est par nature respectable, mais j’espère que l’écoute sera aussi cette fois à la hauteur du lit du patient, et que l’étude réalisée à partir de juin 2011 par un groupe de travail créé par le CCNE sur les cas dans lesquels les soins palliatifs ne peuvent pas apporter des réponses, en l’état de la loi, sera bien prise en compte, ainsi que le tournant opéré ensuite par son récent avis.

Bien sûr, si l’aide médicale à mourir était légalisée, elle resterait minoritaire. Mais si seulement 1 % des patients en fin de vie la demandaient, cela représenterait tout de même six mille personnes. Ce n’est pas de la poussière à glisser sous le tapis. Il faut une loi pour pouvoir écouter pleinement leurs demandes.

Caroline Coq-Chodorge

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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