Alerte sur la continuité des soins en gynécologie-obstétrique
Par Muriel Pulicani le 28-11-2022 https://www.egora.fr/actus-medicales/gynecologie-obstetrique/77928-alerte-sur-la-continuite-des-soins-en-gynecologie#xtor=EPR-3-5%5BNews_Best_Of_M%C3%A9decine%5D-20221204-%5B_1]

Face à la désertion des gynécologues-obstétriciens dans les maternités, les représentants de la profession craignent une dégradation à l’avenir de l’offre de soins. Ils appellent à une revalorisation du métier et à une réorganisation.
« Nous sommes très inquiets du fonctionnement des maternités, du fait notamment du manque d’attractivité du travail en salle de naissance. Les médecins se tournent vers la chirurgie et l’assistance médicale à la procréation (AMP) et les sages-femmes s’installent en ville », a constaté le Pr Joëlle Belaisch Allart, présidente du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF), lors d’une conférence de presse le 18 novembre à Paris. « Une femme sur trois a besoin d’un gynécologue-obstétricien pendant sa grossesse et 20 à 25 % lors de l’accouchement même s’il est à bas risque », a fait valoir le Pr Cyril Huissoud, secrétaire général. 738 000 naissances vivantes ont été recensées en France en 2021. Pour les accompagner, le nombre de gynécologues-obstétriciens en exercice augmente : 5 110 en 2020, soit 26 % de plus qu’en 2012. Une nouvelle hausse de 29 % des effectifs, à 6 600, est attendue pour 2030, selon les estimations de la commission démographie du CNGOF et du Collège des enseignants en gynécologie-obstétrique (CEGO).
Nouveaux modes d’exercice
Cependant, cette évolution positive est contrebalancée par le développement de nouveaux modes d’exercice : sur-spécialisation et diminution du temps travaillé. « 50 % des professionnels exercent à temps partiel, 37 % participent à des astreintes et 51 % à des gardes », selon une enquête menée auprès de 206 gynécologues-obstétriciens de moins de 50 ans et de 45 ans d’âge moyen, et relayée par le Pr Olivier Morel, professeur en gynécologie-obstétrique au CHRU de Nancy et président de la commission démographie. Les jeunes se tournent majoritairement (87,3 %) vers les maternités de type 2 (équipées d’une unité de néonatologie) ou de type 3 (équipées d’une unité de réanimation néonatale) et vers les grosses structures situées en ville pour des questions de sécurité et de qualité de vie.
Ainsi, 80 % des maternités de type 1 (prenant en charge les grossesses sans risque) sont en tension, selon une étude conduite entre juin 2020 et juillet 2021 auprès de 142 établissements sur 478. 91 % des structures de moins de 1 000 naissances par an et 48 % des structures de 1 000 à 2 000 naissances sont concernées. La commission démographie pointe des « perspectives de dégradation ».
Une attractivité à améliorer
Face à cette situation, le CNGOF vise la formation de 260 internes par an, « le maximum envisageable », contre 220 aujourd’hui. Pour améliorer l’attractivité de la profession, il prône une meilleure rémunération (revalorisation des gardes et astreintes, et des salaires dans le public, prime d’urgence…), et une refonte des organisations : redimensionnement des équipes (au moins sept praticiens pour un maximum de cinq gardes par mois), durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures garantie ou rémunération compensatoire, remplacement systématique des arrêts de travail longs… « Ces deux axes impliquant des surcoûts évidents, des économies sont cependant à attendre en termes de recours à l’intérim », indique le CNGOF.
Il juge par ailleurs « nécessaire de poursuivre la concentration des sites [devant assurer] une permanence des soins (naissances et urgences gynécologiques) (…). Cette approche n’est en aucun cas celle de la proximité. La question de l’accès aux soins réglés, de suivi, de prévention (…) peut être traitée différemment », estime l’instance. « La Finlande est le premier pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour la sécurité des soins maternels et périnataux, avec 18 maternités assurant 60 000 naissances par an et un objectif de 16 maternités assurant chacune plus de 1 000 naissances », a illustré Olivier Morel.
Le collège demande également « le lancement d’Etats généraux de la naissance au niveau des établissements et des agences régionales de santé (ARS), une planification de l’offre de soins à court, moyen et long termes (fermeture, fusion des maternités), une révision des décrets de périnatalité datant de 1998, des mesures pour stopper la fuite des sages-femmes en salle de naissance (reprofessionnaliser, diversifier les activités, lever les freins aux pratiques mixtes et à l’embauche), et une aide pour les médecins libéraux (revalorisation des actes et consultations) », a listé Cyril Huissoud.
Sources :
D’après une conférence de presse du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF, 18 novembre)
Dans les Cévennes, les femmes promises à la misère obstétricale
Le 20 décembre, la maternité de Ganges suspendra son activité jusqu’à nouvel ordre, faute de médecins en nombre suffisant. Une centaine de femmes enceintes, dont certaines résident à plus de deux heures de la prochaine maternité, se retrouvent sur le carreau.
GangesGanges (Hérault).– Comme pour conjurer la morosité ambiante, Monique s’est emmitouflée dans une doudoune rose vif, mais rien n’y fait : « Quelle tristesse ! Mais où vont accoucher les femmes ? Dans leur voiture ? », questionne l’octogénaire. En septembre dernier, les habitant·es de Ganges et des territoires des Cévennes du Sud ont appris avec effroi que la maternité de la clinique privée Saint-Louis, rayonnant sur un bassin de 40 000 habitant·es et 83 communes, était sur la sellette, faute d’obstétricien·nes en nombre suffisant.
Aux premières rumeurs, les citoyen·nes se sont organisé·es. Composé d’une vingtaine de militantes et militants actifs, dont plusieurs soignant·es, le collectif Maternité à défendre a drainé près de 500 manifestant·es lors des mobilisations des 6 octobre et 10 novembre.
Flashmob, vidéos, happenings, pétition… Les initiatives sont quasi quotidiennes et témoignent du désarroi ambiant. Comme lorsque la Gangeoise Héloïse Pendino s’est mise en scène sur un rond-point pour simuler un « accouchement trash », à grand renfort de ketchup.
« Personnellement, je n’ai pas de nouveau projet de bébé, et j’ai mis un peu de temps à comprendre pourquoi j’étais autant à fond sur cette mobilisation. Mais, en fait, ma mère est décédée d’une grossesse extra-utérine quand j’étais petite. Elle a fait une hémorragie, elle n’a pas eu le temps d’arriver à l’hôpital, et je n’ai pas envie que les enfants du coin vivent ce genre de drame », implore la trentenaire.

Malgré une mobilisation farouche, le 25 novembre, l’Agence régionale de santé (ARS) et la clinique, propriété du groupe Cap Santé, n’en ont pas moins annoncé suspendre les activités de la maternité le 20 décembre, jusqu’à nouvel ordre.
Depuis deux ans, des démissions en cascade ont contraint le service à faire appel à des intérimaires, que la profession surnomme « mercenaires » à cause des tarifs exorbitants qu’ils pratiquent pour une garde. En 2022, 85 gardes de 24 heures ont été confiées à ces bouche-trous spécialistes de la surenchère, soit l’équivalent de trois mois complets.
Et d’après Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, et du groupe Cap Santé, on a parfois frôlé le drame lors de complications. « Un jour, sur une grossesse extra-utérine, un anesthésiste m’a dit : “Le gars ne savait pas faire. La sage-femme a dû pallier…” Il ne savait pas où était telle boîte, il ne s’était pas informé avant… Je ne veux plus prendre ce genre de risque », tranche le patron, sous le feu des critiques après cette annonce tardive.
Depuis qu’ils ont eu vent de la déliquescence à venir, anesthésistes et pédiatres ont annoncé quitter le service à leur tour cet automne, laissant la maternité exsangue. Une pénurie inédite, confirmée par le directeur de l’ARS Occitanie : « Les offres d’emploi ont été publiées depuis six mois, elles s’adressent aussi bien aux libéraux qu’aux salariés, mais nous n’avons eu aucun candidat. Les gynécologues ne veulent plus travailler dans les petites maternités… Si vous pouvez faire passer le message via tous les médias : on recherche des médecins à Ganges ! », lance Didier Jaffre, qui confirme néanmoins que le centre IVG sera maintenu.
Une vingtaine d’accouchements mensuels délocalisés
De son côté, Lamine Gharbi promet de maintenir toutes ses salariées, sages-femmes et auxiliaires puéricultrices, et de les redéployer notamment vers le Centre périnatal de proximité qui sera créé dans la foulée.
Désormais, la vingtaine d’accouchements mensuels qui étaient pris en charge par la clinique devront donc être délocalisés vers Montpellier, Alès ou Nîmes. Certaines familles auraient dû être redirigées vers Millau, mais plusieurs femmes y renoncent, la maternité ayant dû fermer quelques jours en novembre pour les mêmes raisons.
La plupart des futures mères devront donc rejoindre le CHU de Montpellier à l’arrivée des contractions, mais il faudra rouler longtemps. Une heure depuis Ganges, 1 h 30 depuis Mandagout, ou encore 2 h 10 depuis Dourbies. « On est en première ligne, on se prend de front toutes les angoisses. Nous avons des patientes hyper-stressées, et qui arrivent à terme fin décembre », explique une sage-femme de la clinique.

À l’image de Margherita. Bercée par une fine pluie d’automne qui lustre les galets de Durfort, petit village de 700 habitant·es niché dans les contreforts des Cévennes, la future maman respire enfin. Enceinte de huit mois, elle sort de 15 jours « d’angoisse » et vient tout juste d’obtenir un créneau auprès d’un gynécologue de Sète pour assurer son suivi et y organiser un accouchement imminent, soit 1 h 30 de transport pour 95 km.
La crainte d’une flambée d’accouchements à domicile sans accompagnement
« On s’était imaginés qu’on ferait peut-être le dernier bébé de la maternité de Ganges, mais un soignant nous a dit : “Ne venez pas ici, c’est un bateau qui coule.” » Désormais, qu’importe la distance, pourvu qu’elle puisse poursuivre son projet en toute sérénité. « Nous avons dû passer par quatre intermédiaires pour trouver un gynécologue. Et il a dû “forcer le planning”. Quand la date approchera, on prendra peut-être un logement sur Airbnb pour attendre le bon moment », anticipe Ben, le futur papa, qui avait déjà raconté l’angoisse et la frustration dans une vidéo partagée par le collectif Maternité à défendre mi-novembre.
Dans les Cévennes, les sages-femmes redoutent également une flambée d’accouchements à domicile sans accompagnement. « Nous avons cette population un peu baba cool, qui souhaite un accouchement le moins médicalisé possible. La clinique allait dans ce sens, avec la salle nature, les lianes, les tatamis, les baignoires et les lumières douces… Maintenant, j’ai peur qu’elles se mettent en danger », souffle Valérie Regord, sage-femme libérale, qui a déjà vu l’une de ses patientes lui rétorquer : « Personne ne me fera monter dans une voiture de force ! »
Pour éviter les risques, ces professionnelles refusent d’accompagner les accouchements à domicile lorsqu’ils se situent à plus de 30 minutes d’une maternité, mais ici plus aucune femme n’y sera éligible. Alors, se « retrancher à la maison »,Sabrina y songe. « Tout le monde est en train de nous planter, je suis paumée », soupire cette Gangeoise, dont le terme est prévu à la mi-janvier.
D’après la sage-femme de la clinique, des patientes seraient aussi sur le point de louer des appartements proches des centres urbains, pour pouvoir y accoucher en toute intimité avec leur soignante… Des plans B plus ou moins sécurisés, en somme, mais symptomatiques de la misère obstétricale à venir.
La liberté d’installation des médecins en question
Partout dans l’Hexagone, les médecins manquent à l’appel. En France, l’été dernier, d’après le collectif Santé en danger et le syndicat de sages-femmes ONNSF, 10 % des maternités étaient en fermeture partielle à cause d’un déficit de main-d’œuvre. Mais pour le député La France insoumise de l’Hérault Sébastien Rome, « cette situation nous force à engager une réflexion sur la liberté d’installation des médecins ».
Car si l’on s’en tient au mécanisme de l’offre et de la demande, les 250 accouchements annuels de la clinique Saint-Louis (contre 3 800 pour le CHU de Montpellier par exemple) ne pèsent pas bien lourd sur la balance, ces spécialistes étant la plupart du temps rémunérés à l’acte lors de leurs gardes.
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Ces deux dernières années, ils n’étaient que deux gynécologues permanents à faire fonctionner le service, et ils se sont tués à la tâche. « Je fais dix gardes par mois, ma collègue en fait six… Il y a un an, elle a annoncé que si la clinique ne trouvait pas de solution d’ici fin 2022, lorsque j’arrêterai l’obstétrique, elle démissionnerait », souffle le docteur Maïstre, contraint de réaliser deux à trois fois plus de gardes que ses confrères de Montpellier chaque mois.
Au fil des ans, le médecin a lui-même tendu des perches à plusieurs gynécologues de son réseau, mais l’argument financier l’a toujours emporté. « Les gens ne veulent pas quitter Montpellier. Quand j’ai appelé une collègue, elle m’a dit : “J’ai fait une césarienne et quatre accouchements, j’ai pris 5 000 euros cette nuit, et toi ?” » « Moi, 150 », lui répond l’homme. Soit le prix d’une nuit sans bébé.
Dans le centre de Ganges, la mairie n’a pas délogé sa banderole « Pour le maintien de la maternité ». Sur une initiative des membres du collectif, ces quelques mots ont fleuri dans les communes alentour. « Nous avons fermé nos mairies le 30 novembre, et nous allons faire une petite campagne d’affichage pour dire à la population qu’on n’abandonne pas », argue Michel Fratissier, maire de Ganges, qui a pu échanger avec un conseiller santé de l’Élysée, lors du congrès des maires le 23 novembre.
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À cette même occasion, la maire du Vigan (à 17 km), Sylvie Arnal, a réussi à transmettre une lettre en main propre au président Emmanuel Macron, mais sans retour concret depuis. « Le Vigan est en train de devenir un désert médical. On se sent isolés et abandonnés. La population a l’impression que la ruralité ne compte pas, et on voit l’extrême droite monter. C’est dramatique », s’inquiète l’élue.
Encore un peu plus haut dans les terres, Emmanuel Grieu craint une descente aux enfers. « J’ai l’image d’un bateau qui coule. Or on ne répare pas une coque avec des bouts de chewing-gum », peste le maire de Mandagout, qui réclame un plan blanc à l’échelle nationale.
De nouvelles manifestations sont prévues le 10 décembre un peu partout dans les Cévennes du Sud, mais le moral n’y est pas. « Là, on va essayer d’encaisser,soupire Emmanuel Grieu. C’est terrible de se sentir seul. »
Commentaire Dr Jean SCHEFFER
Le défilé des spécilités en détresse se poursuit. Chacun voit midi à sa porte. Ce sont toutes les spécialités hospitalières et ambulatoires, à commencer par la médecine générale qui sont en détresse. Il faut une solution globale et une vision globale comme j’essaye de le faire comprendre depuis plus de 10 ans. La solution c’est un « Clinicat-Assistanat pour tous », de 3 ans obligatoire pour tous les futurs spécialistes et généralistes: « Vision Globale -Solution globale »: https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2