Les virus (grippe, virus syncytial et Covid-19) attaquent en même temps

Covid-19, bronchiolite et grippe : la triple épidémie de virus respiratoires qui menace la France cet hiver

Pour la première fois depuis le début de la pandémie de Covid-19, virus de la grippe, rhinovirus et virus respiratoire syncytial circulent à des niveaux élevés. 

Par Delphine RoucautePublié hier à 05h00, mis à jour hier à 17h52 https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/29/covid-19-bronchiolite-et-grippe-la-triple-epidemie-qui-menace-cet-hiver_6152064_3244.html

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Au service des urgences de la polyclinique de la Clarence, à Divion (Pas-de-Calais), le 14 novembre 2022.
Au service des urgences de la polyclinique de la Clarence, à Divion (Pas-de-Calais), le 14 novembre 2022. MATTHIEU BOTTE//VOIX DU NORD/MAXPPP

C’est un hiver sans précédent. Virus de la grippe, rhinovirus et virus respiratoire syncytial (VRS), à l’origine de l’essentiel des cas de bronchiolite… Pour la première fois depuis le début de la pandémie de Covid-19 en France, en mars 2020, plusieurs autres virus respiratoires circulent en même temps que le SARS-CoV-2, à des niveaux très élevés. La levée des mesures de restriction, comme les confinements ou le port obligatoire du masque, donne l’opportunité aux habituels virus saisonniers de se propager.

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Outre-Atlantique, cette cocirculation intensive a été popularisée sous le terme « tripledemic », une triple épidémie qui menace de submerger – aux Etats-Unis aussi – un système de santé déjà très affaibli par la pandémie et une crise hospitalière structurelle. « L’enjeu particulier de cette année est d’étudier l’interaction du SARS-CoV-2 avec d’autres virus », souligne Anne-Claude Crémieux, professeure d’infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, et autrice desCitoyens ont le droit de savoir (Fayard, 324 pages, 20 euros).

Débuts précoces

L’épidémie de bronchiolite, qui touche particulièrement les enfants de moins de 2 ans, a débuté de manière précoce dès le mois d’octobre, alors qu’elle adopte habituellement un cycle très régulier, avec un début à la mi-novembre, un pic en décembre et une fin en janvier. Après une diminution liée aux congés scolaires, les passages aux urgences et les hospitalisations sont repartis à la hausse depuis la semaine du 14 novembre et atteignent des niveaux inédits depuis dix ans. A l’origine de cette infection des bronchioles, le VRS et le rhinovirus se partagent le territoire métropolitain, l’un ou l’autre s’imposant différemment suivant les régions.

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C’est un début précoce également pour la grippe, réputée pour avoir une plus grande variabilité dans le démarrage et l’amplitude de son épidémie saisonnière. Après la Bretagne, quatre autres régions sont passées en phase préépidémique, selon le bulletin de Santé publique France (SPF) du 23 novembre. Le sous-type actuellement majoritaire est le virus A (H3N2). « Qui dit H3N2 dit une épidémie assez forte, qui touche surtout les personnes à risque, souligne Vincent Enouf, responsable adjoint du centre national de référence des virus des infections respiratoires à l’Institut Pasteur.Chaque année, les épidémies de grippe font 8 000 à 10 000 morts, des chiffres qui risquent d’être dépassés si la souche majoritaire reste la grippe H3N2. » Ce virus n’est pas forcément plus dangereux que les autres, mais il évolue beaucoup génétiquement, ce qui rend plus difficile l’acquisition d’une protection immunitaire de longue durée.

Indicateurs sans équivoque

Selon Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique à Rennes, qui travaille sur des modèles épidémiologiques comparant l’immunité rémanente contre la grippe dans les populations d’Europe et d’Australie, la susceptibilité de la population française face à la grippe après deux ans sans grande épidémie a augmenté de 5 à 8 % par rapport à la période prépandémique. Mais il est encore trop tôt pour savoir si l’épidémie sera aussi importante que celle de cet été en Australie.

Enfin, l’épidémie de Covid-19, après avoir atteint un pic mi-octobre, est repartie à la hausse à la mi-novembre. Si le suivi de l’incidence a été rendu flou par la grève des laboratoires de biologie médicale privés entre le 14 et le 17 novembre, les indicateurs hospitaliers sont sans équivoque, témoignant d’une hausse des nouvelles admissions après quatre semaines de baisse continue. D’après la dernière analyse de risques de SPF publiée le 16 novembre, « de nombreux sous-lignages [de BA.5] circulent aujourd’hui en parallèle ». BQ.1.1, BF.7, BA.5.2 et BA.5.2.1 sont les plus détectés. BQ.1.1, qui représente 39 % des échantillons séquencés en France, « ne semble pas avoir un impact clinique plus important que les autres variants d’Omicron, mais son impact sur la dynamique épidémique reste à évaluer ».

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Pour Anne-Claude Crémieux, « il est difficile de savoir quel va être l’impact de ces sous-variants sur l’épidémie, car cela dépend des niveaux de protection immunitaire des populations, qui est devenue un vrai patchwork ». Pour la première fois depuis deux ans et demi, observer les autres pays pour anticiper ce qui va se passer en France n’est plus pertinent car on observe un découplage de l’évolution du virus selon les pays.

Rares cas de co-infections

Alors, que faut-il attendre de cette triple épidémie ? « C’est une question qui se pose depuis longtemps : est-ce qu’une épidémie d’un virus respiratoire peut avoir un impact négatif sur l’arrivée d’un autre virus ? Et, au niveau individuel, est-ce qu’être colonisé par un virus empêche d’être envahi par un autre ? », relève Anne-Claude Crémieux. Lors d’infections par certains virus, le corps produit une réaction immunitaire à large spectre mobilisant les interférons, de puissantes molécules antivirales qui protègent les cellules de l’infection et permettent ainsi de limiter la propagation du virus dans l’organisme. Par leur action non spécifique, ces interférons peuvent réduire le risque d’infection par un autre virus.

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Par exemple, l’équipe de Pablo Murcia, virologiste à l’université de Glasgow, a montré dans une étude parue en juillet 2021 dans The Journal of Infectious Diseases, que les rhinovirus, à l’origine de la moitié des rhumes, déclenchent une réponse immunitaire innée qui bloque la réplication du SARS-CoV-2 in vitro. « Cet effet d’interférence peut contribuer aux différences de transmission du SARS-CoV-2 entre les enfants d’âge scolaire (qui ont une prévalence élevée du rhinovirus) et les populations adultes (qui ont une prévalence comparativement plus faible du rhinovirus) », précise l’étude. Les virus de la grippe et du VRS pourraient avoir le même comportement en laboratoire, selon certains travaux. « Mais, chose importante, nous ne savons pas comment cela va se passer au niveau de la population. Cet hiver et les hivers suivants, nous aurons une idée plus précise de la manière dont le SARS-CoV-2 interagit avec d’autres virus », nuance Pablo Murcia.

« La situation n’est pas claire : l’interférence pourrait entraîner la suppression de certaines infections ou la propagation épidémique plus espacée des différents virus, ce qui prolongerait globalement la saison des virus respiratoires », avance Ellen Foxman, immunologiste à l’école de médecine de Yale, aux Etats-Unis.

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De fait, les co-infections, que ce soit VRS-Covid ou grippe-Covid, existent, mais elles sont rares. Entre février 2020 et décembre 2021, des chercheurs britanniques ont étudié les résultats cliniques d’infections simultanées par la grippe et le Covid-19. Leur étude parue en mars 2022 dans The Lancet montre que ces co-infections étaient « significativement associées à une augmentation des risques de décès ». Mais les échantillons étudiés restent réduits et le sujet nécessitera de plus amples recherches. A Hongkong, notamment, le chercheur Ben Cowling est en train de mettre en place un suivi de cohorte avec des tests PCR systématiques visant plusieurs virus. En France, « l’objectif de Santé publique France est d’intégrer ces trois pathologies [bronchiolite, grippe, Covid-19] dans une surveillance plus globale en ville comme à l’hôpital pour surveiller les cas graves et les co-infections », explique Isabelle Parent du Chatelet, responsable de l’unité infections respiratoires et vaccination à SPF.

Faible couverture vaccinale

Dans tous les cas, la circulation conjointe de ces virus va représenter un défi pour l’hôpital, surtout quand l’épidémie de grippe va croître, puisque cette maladie touche le même public que le Covid-19 : les plus de 65 ans et les personnes souffrant de comorbidités. Or, la campagne vaccinale contre la grippe ouverte mi-octobre ne rencontre qu’un très faible succès. Les premières données montrent qu’en population générale, la diminution de la vaccination antigrippale est de 25 % par rapport à la campagne 2021. « La couverture vaccinale est particulièrement inquiétante », a alerté l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine dans un communiqué le 18 novembre.

La population française vaccinée

Part de la population partiellement vaccinée,, complètement vaccinée ou ayant reçu une dose de rappelau 28 novembre 2022.

Au total, 53 709 726 personnes sont complètement vaccinées contre le Covid-19 en France, ce à quoi s’ajoutent 898 457 personnes en attente de leur dernière injection. On compte également 40 813 779 personnes ayant reçu leur dose de rappel.

Source : Santé Publique France

* les vaccins contre le Covid-19 sont autorisés pour les 5 ans et plus, sauf rares exceptions.

Même son de cloche du côté de la campagne automnale de rappel contre le Covid-19. « Pour le moment, nous ne sommes pas très satisfaits du début de la campagne, les taux de couverture vaccinale sont très faibles avec les vaccins bivalents », relève Isabelle Parent du Chatelet. Au 21 novembre, seuls 8,6 % des 60-79 ans et 9,7 % des plus de 80 ans éligibles avaient reçu un rappel adapté au variant Omicron. Pourtant, les résultats publiés par Pfizer et Moderna montrent que leurs vaccins adaptés aux sous-variants BA.4 et BA.5 permettent de produire quatre à cinq fois plus d’anticorps neutralisants que leurs vaccins monovalents ciblant uniquement la souche originelle du virus, dite « de Wuhan ». « Il y a eu des messages trop complexes pour accompagner la nouvelle campagne de vaccination, juge Anne-Claude Crémieux. Il faut simplement dire aux personnes à risques qu’elles perdent 20 points de protection [de 85 % à 65 % d’efficacité] six mois après leur dernière injection et qu’il faut donc qu’elles se vaccinent tous les six mois. »

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Delphine Roucaute

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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