COP27 : « Clairement pas assez » pour réduire les émissions, mais « un pas en avant » pour l’aide aux pays pauvres
L’Union européenne et les Nations unies ont déploré le manque d’engagement pour limiter le réchauffement à l’issue de la conférence de Charm El-Cheikh ; les ONG et les pays en développement ont salué l’aboutissement de trente ans de combat.

La COP27 de Charm El-Cheikh, en Egypte, s’est terminée dimanche 20 novembre sur un bilan contrasté, lié au décalage entre la création d’un fonds d’aide aux pays pauvres affectés par le changement climatique et le manque d’engagement pour s’assurer de la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Les réactions officielles à la fin de la conférence témoignent de ce sentiment ambivalent.
- « Clairement pas assez » pour l’ONU
« Nous devons drastiquement réduire les émissions maintenant, et c’est une question à laquelle cette COP n’a pas répondu », a regretté le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres. Il a toutefois salué comme « un pas important vers la justice » la création du fonds pour les pertes et dommages : « Ce ne sera clairement pas assez, mais c’est un signal politique tout à fait nécessaire pour reconstruire une confiance brisée. »
- « Le monde ne nous remerciera pas », regrette l’UE

Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a marqué encore plus clairement sa déception à l’issue de la conférence : « Le monde ne nous remerciera pas quand il entendra uniquement des excuses demain. »Dans son discours lors de la session plénière finale, il a déclaré :
« Ce que nous avons là, c’est un pas en avant trop court pour les habitants de la planète. Il ne fournit pas assez d’efforts supplémentaires de la part des principaux émetteurs pour augmenter et accélérer leur réduction d’émissions. »
- « Une vraie déception » sur le sujet des énergies fossiles, pour la France ; « espoir et frustration » pour l’Allemagne
La France a salué des avancées pour les pays les plus vulnérables, mais a regretté « la manque d’ambition climatique » de la COP27 en Egypte, dans un communiqué de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. « Aucune avancée n’a été obtenue sur la nécessité de faire des efforts supplémentaires de réduction des gaz à effet de serre et sur la sortie des énergies fossiles. C’est une vraie déception. »
L’Allemagne a estimé que « l’espoir et la frustration » se mêlent dans les résultats atteints par la conférence sur le climat COP27 en Egypte. « Nous avons fait une percée en matière de justice climatique [mais] le monde perd un temps précieux sur la trajectoire de 1,5 °C », a déclaré sur Twitter la cheffe de la diplomatie, Annalena Baerbock. « Une alliance de pays riches en pétrole et des grands émetteurs » a mis « des obstacles inutiles » à des progrès sur la questions des émissions, selon la ministre.
- « Nous avons lutté pendant trente ans » pour ce fonds, rappellent le G77 et les Etats insulaires
Le principe d’une aide financière pour aider les pays les plus vulnérables a constitué une victoire pour le groupe « G77 + la Chine », qui représente les pays en développement. Sa présidente, Sherry Rehman, la ministre du changement climatique pakistanaise, dont le pays
a été confronté à des inondations sans précédent durant l’été, s’est réjouie de l’issue d’une demande très ancienne. « Nous avons lutté pendant trente ans et aujourd’hui, à Charm El-Cheikh, cette épopée a donné naissance à son premier résultat positif. L’établissement d’un fonds n’est pas une question de charité. »
Ce sentiment de victoire est partagé par le ministre de l’environnement d’Antigua-et-Barbuda, Molwyn Joseph, qui représentait les intérêts de l’alliance des petits Etats insulaires (Aosis) : « Aosis avait promis au monde de ne pas quitter Charm El-Cheikh sans réussir à établir un fonds de réponse pour les pertes et dommages. Cette mission de trente ans est maintenant accomplie. »
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- « L’influence du secteur des fossiles » déploré
L’organisation de la conférence à Charm El-Cheikh a suscité des commentaires critiques, à l’instar de la réaction de Laurence Tubiana, dirigeante française de l’European Climate Foundation : « L’influence du secteur des énergies fossiles était omniprésente. Cette COP a affaibli les obligations pour les pays de présenter des engagements nouveaux et plus ambitieux. » Le nombre record de lobbyistes de cette industrie (636 représentants) a été dénoncée durant la conférence. Laurence Tubiana, qui avait mené les négociations aboutissant à l’accord de Paris de 2015, salue toutefois la « percée significative » que constitue le fonds pour les pertes et dommages, « qui n’était qu’un rêve à la COP26, l’an dernier ».
- Les jeunes et la société civile « n’ont pas pu faire entendre leur voix »
Un autre regret a été formulée par les représentants des organisations non gouvernementales (ONG) et associations présentes à la COP : le manque de place accordée par les autorités égyptiennes à la société civile. Vanessa Nakate, jeune militante ougandaise note ainsi que « les jeunes n’ont pas pu faire entendre leur voix en raison des restrictions de manifestations mais notre mouvement grandit ».
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Le Monde avec AFP
*A la COP27, la frustration et le malaise des militants du climat
En raison de l’interdiction de manifester en Egypte, les associations environnementales ont dû se contenter d’une marche à huis clos, à Charm El-Cheikh.
Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/13/a-la-cop27-la-frustration-et-le-malaise-des-militants-du-climat_6149630_3244.html

Au terme de la première semaine de la grand-messe des Nations unies sur le climat, accueillie cette année par l’Egypte, la frustration est palpable chez les militants du climat présents à Charm El-Cheikh comme observateurs à cette COP27. « Les négociations avancent lentement, regrette Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre solidaire, en France. En parallèle, des annonces sont faites en marge de la COP, comme celle de [l’émissaire américain sur le climat] John Kerry sur un marché de crédits carbone, sans qu’on ait assez d’éléments pour les évaluer. »
« Il faut attendre la prochaine semaine pour juger des résultats. Mais l’acharnement sur des points techniques dans les discussions relève de pratiques dilatoires », estime Khaireddine Debaya, l’un des initiateurs du mouvement Stop Pollution, en Tunisie, qui considère que les pays du Sud sont en position de faiblesse dans le face-à-face. « C’est bel et bien une COP africaine. Mais il n’y a toujours pas de percées sur les “pertes et dommages” », pointe Tinashe Gumbo, militant zimbabwéen.
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Tous trois participaient, samedi 12 novembre, à ce qui tenait lieu de traditionnelle marche de la société civile, marquant la mi-temps des COP. Mais contrairement à l’habitude, le rendez-vous s’est déroulé à huis clos, dans l’enceinte officielle de la conférence, considérée comme un territoire de l’ONU. Et donc, à distance des habitants de Charm El-Cheikh – et des complexes touristiques sur la mer Rouge. Les manifestations de rue sont interdites en Egypte. Les derniers rassemblements notoires, en 2019, avaient été suivis par une vague massive d’arrestations.
La mobilisation de samedi n’a réuni que quelques centaines de militants environnementaux internationaux, loin des vastes mobilisations de Glasgow, l’an dernier. Le coût prohibitif des hôtels et la difficulté à obtenir une accréditation ont été un frein à la venue d’activistes dans la station balnéaire, affirment des participants. « C’est regrettable que l’on ne soit pas dans la rue : la COP ne doit pas être une bulle », avertit Myrto Tilianaki, du CCFD-Terre solidaire.
Dans les allées entourant les pavillons officiels, des slogans généraux ont été lancés : « Que voulons-nous ? La justice climatique ! » D’autres visaient implicitement – un pays ou un dirigeant ne peuvent pas être pris à partie nommément dans l’enceinte de la COP, selon le code de conduite de l’ONU – le pouvoir égyptien : « Libérez-les tous », en référence aux prisonniers politiques. Sanaa Seif, la sœur d’Alaa Abdel Fattah était en tête de cortège. La famille de cette figure de la révolution de 2011 a redoublé de mobilisation, sur fond de COP, pour obtenir sa libération, alors qu’Alaa a durci sa grève de la faim, en cessant de boire.
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Hautes mesures de sécurité
« Nous sommes solidaires des Egyptiens », affirme Khaireddine Debaya, chapeau de paille sur la tête, brandissant avec un ami un grand drapeau – ce qui est aussi interdit en zone ONU – palestinien, en soutien à la cause. « Des organisateurs de la manifestation m’ont dit que m’afficher politiquement était risqué, que j’allais attirer sur moi l’attention des services de sécurité égyptiens présents. S’ils ne font que collecter des informations sur moi, peu m’importe », lance le militant tunisien.
La crainte de la surveillance, sur un site placé sous hautes mesures de sécurité, s’exprime pourtant de façon crescendo. « Des activistes ayant participé à des rencontres en zone officielle abordant le sort d’Alaa Abdel Fattah ont été photographiés et filmés, et les images partagées sur les réseaux sociaux, accuse un membre d’une organisation internationale sous couvert d’anonymat. Ils sont présentés comme des fauteurs de troubles en Egypte. »
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« On sent une intrusion sécuritaire très poussée. Dès notre arrivée à l’aéroport de Charm El-Cheikh, nos passeports ont plusieurs fois été pris en photo par des agents de sécurité ou des volontaires. A l’hôtel, nous avons dû dire pour qui nous travaillons, alors que cela ne les concerne pas, regrette Marine Pouget, responsable gouvernance internationale sur le climat au Réseau action climat. On ne se sent pas menacés, mais on se sent fichés. Nous repartons dans quelques jours. Ce n’est pas le cas de nos partenaires égyptiens. »
Selon elle, les pays occidentaux alliés de l’Egypte auraient dû avoir une parole publique pour défendre l’idée d’une marche dans les rues de Charm el-Cheikh. « Les organisateurs du bureau climat de l’ONU [la CCNUCC] nous ont aidés pour tenir cette marche et d’autres actions en zone bleue. Mais nous allons leur demander des règles très claires pour la prochaine COP [prévue aux Emirats arabes unis], afin d’éviter les abus », prévient un militant qui a requis l’anonymat.
Ce papier a été republié le 13 novembre à 16h25 pour anonymiser une personne qui ne souhaitait pas voir son nom apparaître.
Laure Stephan(Charm El-Cheikh, envoyée spéciale)
Climat : à la COP27, des débats sur l’agriculture et l’alimentation mais peu d’avancées
Les associations déplorent que la mise en avant de solutions technologiques ait pris le pas, dans les instances de discussion de la COP27, sur la réflexion sur l’organisation des systèmes alimentaires.
Temps de Lecture 4 min.

La présidence égyptienne de la 27e conférence mondiale pour le climat (COP27) s’était engagée à accorder aux questions agricoles et alimentaires une place plus centrale. Jusqu’à présent, ce secteur, qui pèse pour un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre et subit de plein fouet les effets du réchauffement, était relégué au second plan des négociations officielles, loin derrière les enjeux d’énergie ou de transport.
Fin octobre, quelques jours avant l’ouverture de la conférence à Charm El-Cheikh, une évaluation menée par plusieurs fondations avait montré que les systèmes alimentaires ne percevaient qu’une infime part des financements publics consacrés au climat (3 %).
De fait, à Charm El-Cheikh, l’alimentation a été davantage débattue. Quelque 200 événements parallèles et quatre pavillons – sur la centaine montée pour cette grand-messe du climat – étaient consacrés à cette thématique, et surtout, une journée lui a été consacrée dans l’agenda officiel, le 12 novembre, une première dans l’histoire des COP.
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C’est enfin l’inscription à l’ordre du jour des négociations du sujet des « pertes et dommages », ces dégâts irréversibles provoqués par le dérèglement du climat, qui a porté l’attention sur les questions agricoles et de sécurité alimentaire, indissociables des discussions sur la justice climatique.
Les discussions sur l’innovation ont primé
« Il y a eu certes une plus grande attention, observe Marie Cosquer, analyste à Action contre la faim, mais, comme nous le craignions, le débat a été monopolisé par le secteur privé et orienté sur des solutions technologiques. » Plutôt que de parler des déséquilibres de pouvoir dans les systèmes alimentaires, ce sont ces discussions sur l’innovation qui ont primé.
«A la COP, beaucoup voient les systèmes alimentaires comme une question d’efficacité, mais l’enjeu est plus profond,insiste Million Belay, coordinateur de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique. Il est économique, social, et la dimension des droits humains – droit à l’alimentation, droit à la terre… – y est fondamentale. »
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Parmi les annonces faites à Charm El-Cheikh, l’initiative « AIM for climate » (AIM4C) des Etats-Unis et des Emirats arabes unis, est emblématique de la promotion de solutions technologiques, sans réflexion plus systémique. Ce dispositif, qui devrait être abondé à hauteur de 8 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros) sur cinq ans, soutient notamment le déploiement d’additifs dans l’alimentation du bétail pour réduire les émissions de méthane du secteur de l’élevage, mais n’envisage pas de redimensionner la taille des cheptels.
Une autre initiative présentée à la COP27, FAST (« Agriculture et alimentation pour une transformation durable »), portée par l’Egypte et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation pour financer la transition agricole dans les pays du Sud, a été critiquée pour son manque de précisions sur les financements et le type de transformation soutenue. « Ce n’est pas clair si cette initiative permettra de mobiliser des fonds nouveaux ou déjà existants, réagit Marie Cosquer. Et quand bien même ce seraient des financements additionnels, nous redoutons qu’ils n’aillent pas aux principaux concernés, notamment les petits producteurs. »
En parallèle, les discussions ont été tendues dans le cadre du « dialogue de Koronivia », le canal de discussion sur les pratiques agricoles instauré en 2017 lors de la COP présidée par les Fidji (et qui tire son nom d’une graminée tropicale). Au grand dam de plusieurs représentants, le texte final adopté par le groupe de travail animant ce dialogue acte la poursuite des discussions pour quatre ans, mais ne mentionne ni l’enjeu d’une approche englobant les systèmes alimentaires (qui renvoient à la problématique de la distribution, du gaspillage et des régimes alimentaires) ni celui de l’agroécologie.
Pour Million Belay, « c’est une vraie déception. Il a été prouvé que l’agroécologie renforçait la résilience, parce qu’elle repose sur la diversité alimentaire, sur la santé des sols, et qu’elle est construite à partir des connaissances paysannes. C’est une valeur ajoutée pour la nature. »
Clivages autour des marchés du carbone
D’autres lignes de tension sont apparues lors de ce dialogue, les pays du Nord poussant pour que l’atténuation des émissions du secteur agricole soit intégré dans le processus (jusqu’alors centré sur l’adaptation et la sécurité alimentaire), tandis que les pays du Sud craignaient que cela leur impose de nouvelles contraintes. Jusqu’au bout, l’Inde a freiné sur la déclaration finale. « On est sur des discussions très lentes, encore très institutionnelles et éloignées de l’action de terrain et du déblocage de financements », regrette Marie Cosquer.
Les clivages se sont également manifestés autour de la question des marchés du carbone, par lesquels un Etat ou une entreprise émetteurs peuvent acheter des crédits à un autre acteur dont l’activité permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Charm El-Cheikh devait être l’occasion d’avancer sur la concrétisation de l’article 6 de l’accord de Paris, qui prévoit la mise en place de trois nouveaux mécanismes, dont deux marchés du carbone régulés. Mais les discussions n’ont pas permis de résoudre toutes les questions de méthodologie et de définition des puits de carbone, et ont été renvoyées à la prochaine conférence climat.
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Les associations sont particulièrement attentives aux risques que comportent ces mécanismes en matière agricole. « Jusqu’à présent, ce sont surtout des projets de reforestation qui ont bénéficié des crédits carbone, relève Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre solidaire, avec des dérives d’accaparement de terres et de non-respect des droits humains. Dans le secteur agricole, ce sont les grosses entreprises agro-industrielles qui sont intéressées par ce type de projets, qui privilégient des calculs d’objectifs en matière de CO2, sans réflexion sur des changements systémiques. Les petits paysans risquent d’être pénalisés. »
Pour la prochaine COP, qui se tiendra en 2023 à Dubaï, la présidence émiratie compte renforcer la place de l’agriculture dans les négociations, la plaçant au même niveau de discussion que l’énergie. Une vaine promesse ? Observateurs et experts se méfient. Pour Million Belay, « tout dépend de quelle agriculture on parle et qui sera autour de la table ». Marie Cosquer dit « craindre le pire » de cette COP pilotée par les Emirats arabes unis. « Quel que soit son agenda précis, celle-ci sera complètement hors sol et beaucoup d’organisations questionnent leur participation. »
Mathilde Gérard