Le déclin de la fertilité masculine est mondial et s’accélère
La pollution et les modes de vie sont à l’origine d’une chute accélérée de la concentration des spermatozoïdes chez l’homme. Ce déclin est désormais observé dans le monde entier, indique une méta-analyse publiée mardi 15 novembre.
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Le déclin rapide de la fertilité masculine ne concerne pas seulement les pays du Nord, mais le monde entier. Loin de ralentir pour se stabiliser, le phénomène est en forte accélération. Ce sont les éléments saillants de travaux de synthèse, publiés mardi 15 novembre dans la revue Human Reproduction Update, les plus exhaustifs conduits à ce jour sur la chute de la concentration de spermatozoïdes chez l’humain.
Les causes de ce déclin font, depuis une vingtaine d’années, l’objet de nombreuses recherches, pointant des facteurs individuels liés au mode de vie (tabagisme, sédentarité, alimentation, etc.) et des causes environnementales liées à la pollution atmosphérique, à divers médicaments et à l’omniprésence de certaines substances de synthèse dans l’environnement et la chaîne alimentaire (plastifiants et pesticides notamment).
Les épidémiologistes Hagai Levine (Université hébraïque de Jérusalem), Shanna Swan (faculté de médecine Mount-Sinai à New York), et leurs collègues ont réuni les résultats de l’ensemble des études publiées – soit plusieurs centaines – sur le sujet. Ils ont identifié des données disponibles dans plus d’une cinquantaine de pays, couvrant au total la période 1973-2018.
De 1973 à 2018, la concentration moyenne de gamètes dans le sperme est passée de 101 à 49 millions par millilitre
Selon leurs résultats, au cours de ces quarante-six années, la concentration moyenne de gamètes dans le sperme de la population masculine générale est passée de 101 millions par millilitre (M/ml) à 49 M/ml. Un niveau déjà considéré comme celui d’un homme « subfertile », souligne Mme Swan. « La France ne fait pas exception, précise Hagai Levine.En France, grâce à la disponibilité de données de bonne qualité, nous avons la certitude qu’il y a un déclin fort et durable, comme ailleurs dans le monde. »
Une menace « pour la survie de l’humanité »
En incluant toutes les données postérieures à 1973, le taux moyen de la chute est de 1,16 % par an au niveau mondial. Ce rythme a plus que doublé depuis le début du XXIe siècle, passant à un déclin de 2,64 % par an sur la période 2000-2018. Une accélération qualifiée d’« alarmante » par les auteurs. « Nos résultats sont comme le canari dans la mine, déclare M. Levine. Nous avons entre les mains un problème grave qui, s’il n’est pas maîtrisé, pourrait menacer la survie de l’humanité. » Rien de moins.
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« Dans cette méta-analyse, la plus importante jamais réalisée sur la qualité du sperme, Hagai Levine et ses collègues montrent une baisse continue du nombre de spermatozoïdes, confirme le toxicologue Andreas Kortenkamp (université Brunel, à Londres), qui n’a pas participé à cette étude. La force de ces travaux est de montrer pour la première fois que ces tendances concernent également les pays d’Afrique et d’Amérique du Sud. C’est réellement inquiétant. »
De fait, les mêmes chercheurs avaient publié en 2017 des estimations semblables sur la période 1973-2011, mais, à l’époque, ils n’avaient pu rassembler de données probantes que pour l’Europe, l’Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Trop rares et dispersés, les travaux menés dans le reste du monde ne permettaient pas de suspecter que les mêmes tendances y fussent à l’œuvre. Les études publiées depuis sur la situation en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud confirment, selon les auteurs, que la baisse est mondiale. Si l’on s’en tient aux hommes sans facteurs de risque particuliers, explique Mme Swan, « le rythme du déclin y est très similaire » à celui précédemment décrit pour les pays occidentaux.
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Surtout, les résultats présentés en 2017 reposaient sur trop peu de données pour évaluer avec un haut niveau de confiance l’évolution du phénomène avec le temps. L’afflux de nouvelles études a permis de combler cette lacune et suggère une forte accélération de la perte de spermatozoïdes. A chaque décennie, celle-ci semble se produire toujours plus vite : 1,16 % par an pour les données post-1973, 1,3 % par an après 1985, 1,9 % par an après 1995 et 2,64 % par an depuis 2000. « Je ne m’attendais pas à ce que le rythme du déclin ait pu plus que doubler », dit Mme Swan. Une chute moyenne de 2,64 % par an n’est pas anecdotique : elle correspond à une division par deux tous les vingt-cinq ans environ.
« Les causes plausibles de ce déclin se placent dans deux groupes : l’impact du mode de vie – le tabagisme, l’obésité, le stress, le binge drinking, etc. – et les produits chimiques présents dans l’environnement, en particulier les perturbateurs endocriniens comme les phtalates et le bisphénol A [des plastifiants] ou des métaux lourds comme le plomb, explique Shanna Swan. Il y a une vaste littérature scientifique sur l’impact du mode de vie sur la fonction reproductive. Celle sur les produits chimiques est plus récente, mais elle est convaincante pour plusieurs classes de substances. »
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En outre, prévient la chercheuse américaine, séparer strictement les causes comportementales et chimiques est difficile car « certaines substances peuvent avoir un effet sur des facteurs attribués au mode de vie, comme l’obésité ». Ainsi, la nourriture ultratransformée est, par exemple, plus fréquemment contaminée par des produits capables d’altérer le métabolisme, de favoriser la prise de poids ou encore d’altérer les fonctions reproductives. Andreas Kortenkamp ne dit pas autre chose. « Cette nouvelle étude donne un caractère d’urgence à la recherche des causes évitables de ces tendances, notamment les expositions chimiques », dit le toxicologue allemand, auteur de nombreux travaux de référence sur le sujet.
Altération de la santé générale
« Nous appelons de toute urgence à une action mondiale pour promouvoir des environnements plus sains, pour réduire les expositions [chimiques] et lutter contre les comportements qui menacent notre santé reproductive », renchérit Hagai Levine. Le hasard des calendriers suggère que les supplications des chercheurs demeureront un vœu pieux : ces jours-ci, les organisations non gouvernementales de défense de la santé et de l’environnement déplorent le report, à la fin de l’année 2023, de la révision du règlement européen sur les produits chimiques (Reach). Un report qui pourrait rendre impossible, avant la fin de la mandature de la Commission européenne, ce renforcement réglementaire prévu dans le cadre du Pacte vert d’Ursula von der Leyen, et destiné à sortir du marché unique un grand nombre de substances dangereuses.
Le déclin de la qualité du sperme n’est toutefois que l’un des facteurs en cause dans l’infertilité des couples ou la diminution de la fécondité. « Il est très probable que cette baisse du nombre de spermatozoïdes joue un rôle dans la fréquence des troubles de la fertilité, même s’il est difficile de savoir dans quelles proportions, dit l’épidémiologiste Rémy Slama, responsable de l’Institut de santé publique de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), qui n’a pas participé à ces travaux. Mais en tout état de cause, il serait trompeur de penser que ce problème peut être résolu simplement par plus d’assistance médicale à la procréation. La baisse de la qualité du sperme est associée à d’autres phénomènes, comme la hausse de l’incidence du cancer du testicule, multipliée par 2,5 au cours des trente dernières années en France, et de la fréquence des malformations de l’appareil génital des garçons. »
De même, Shanna Swan précise que la chute du nombre de spermatozoïdes va de pair avec une altération, non seulement de la santé générale masculine mais, aussi, de la santé reproductive des femmes. Pour la chercheuse américaine, la fertilité des hommes et des femmes chutent probablement au même rythme. Si l’on parle moins de la santé reproductive des femmes, ajoute Mme Swan, c’est pour une raison simple : « Il est bien plus difficile de compter des ovules que des spermatozoïdes. »
Stéphane Foucart
L’infertilité, un « enjeu de santé publique majeur » négligé par les pouvoirs publics
En France, un couple sur quatre en âge de procréer est touché par l’infertilité, indique un rapport remis en février au ministère de la santé.
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L’infertilité est un « enjeu de santé publique majeur » qui n’a « jamais été traité comme tel par les pouvoirs publics ». Le rapport sur les causes de l’infertilité, commandé dans le cadre des lois de bioéthique de 2021 et remis au ministère de la santé fin février, s’ouvre sur un constat sévère, à la mesure de l’ampleur du problème.
En France, écrivent Samir Hamamah, chef du service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, et Salomé Berlioux, fondatrice de l’association Chemins d’avenirs, les deux rapporteurs, ce sont près de 3,5 millions de personnes qui sont touchées par l’infertilité – soit un couple sur quatre en âge de procréer qui ne parvient pas à obtenir de grossesse après une année de rapports non protégés. A la fin des années 2010, environ 3,4 % des enfants français naissaient grâce à une technique d’assistance médicale à la procréation, soit un enfant sur trente.
Dans l’inventaire des causes d’infertilité, les rapporteurs évoquent d’abord des causes socio-économiques, en particulier l’évolution de l’âge de la première grossesse. « L’âge moyen des femmes à la première naissance augmente progressivement, écrivent-ils. En 2019, il était en France de 28,8 ans, soit près de cinq ans de plus qu’en 1975, période à laquelle les femmes mettaient au monde leur premier enfant à 24 ans. Or, la fertilité féminine décline dès 30 ans, et cette chute s’accélère significativement à partir de 35 ans. »
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Les chiffres d’infertilité par tranche d’âge cités par le rapport – qui remontent toutefois à 2004 – indiquent que lorsque leur projet parental commence à 30 ans, 91 % des femmes ont un enfant sans recourir à l’assistance médicale à la procréation. Cinq années plus tard (35 ans), ce chiffre tombe à 82 %, puis à 57 % quand elles ont 40 ans.
Méconnaissance du grand public et des professionnels
Les causes environnementales, et en particulier l’exposition à la pollution atmosphérique, aux métaux lourds et aux perturbateurs endocriniens – ces substances chimiques capables d’interférer avec le système hormonal – ne sont pas en reste. Cette thématique est « majeure », écrivent les rapporteurs, bien que « peu connue du grand public et des professionnels de santé ». « De nombreuses études décrivent un lien entre l’exposition à certaines familles de substances chimiques et les troubles de la fertilité et de la reproduction humaine, précisent-ils. Baisse de la qualité du sperme, augmentation de la fréquence d’anomalies du développement des organes génitaux ou de la fonction de reproduction, abaissement de l’âge de la puberté, cancers hormono-dépendants comme les cancers du sein ou les cancers de la prostate. »
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Les auteurs notent que ces produits se retrouvent dans l’alimentation (pesticides, plastifiants, etc.) et dans de nombreux produits de la vie courante. En France, précisent-ils, les données de biosurveillance humaine de Santé publique France « montrent une imprégnation généralisée du sang et des fluides corporels humains pour six familles de polluants, présents dans les produits de consommation courante, à savoir, les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les éthers de glycol, les retardateurs de flamme bromés et les composés perfluorés ». L’exposition à ces produits pendant la vie fœtale, par le biais des femmes enceintes, est en outre susceptible d’avoir des effets sur la fertilité ultérieure de l’enfant à naître.Lire aussi Article réservé à nos abonnés Sommes-nous une « génération infertile » ?
Les auteurs listent également les causes comportementales connues (alimentation, tabac, alcool, cannabis), ainsi que des causes médicales – des traitements susceptibles d’altérer la fertilité.
Les rapporteurs plaident pour la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité et articulent leurs propositions d’action autour de six axes. Les trois premiers tiennent à l’éducation des différents publics (jeunes, couples en âge de procréer) et au renforcement de la formation du personnel médical sur la santé reproductive et les facteurs d’altération de la fertilité. Ils proposent notamment un étiquetage spécifique pour les produits alimentaires contenant des phyto-œstrogènes (présents dans le soja, le fenouil, etc.). Les trois derniers axes reposent sur l’amélioration du diagnostic et de l’identification des troubles de la fertilité, le financement de la recherche sur le sujet et la création d’un grand « institut national de la fertilité » – sur le modèle de l’Institut national du cancer – chargé de coordonner la recherche et d’harmoniser les pratiques médicales.
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Stéphane Foucart
Voir aussi:
Perturbateurs endocriniens, phtalates… prématurité et infertilité masculine
https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/07/37303/
https://environnementsantepolitique.fr/2021/09/23/dossier-sur-les-perturbateurs-endocriniens-hcsp/