Sauver la pédiatrie hospitalière : loin d’être un jeu d’enfant

Paris, le lundi 24 octobre 2022
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– Depuis plusieurs années, les épidémies de bronchiolite entraînent quasiment systématiquement la saturation des services de pédiatrie hospitalière. La déprogrammation des interventions non urgentes, les transferts des enfants dans des régions éloignées de leur domicile, les heures d’attente pour les nourrissons et leurs familles : c’est le lot d’un grand nombre d’établissements.
Les raisons sont bien connues : une médecine de ville qui, elle aussi débordée, ne peut répondre à toutes les demandes ne nécessitant pas d’hospitalisations et des structures qui font face à un manque de personnel. Pour 2022, le scénario est le même : c’est également entre le 20 et le 25 octobre 2021 que les journaux, dont le JIM, décrivaient le pic épidémique de bronchiolite et les affres des services de pédiatrie.
Les transferts de jeunes patients ne sont jamais anodins
Jusqu’au début de la semaine dernière, le gouvernement temporisait. Si Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargé de l’Organisation territoriale et des professions de santé reconnaissait l’existence de « tensions », le ministre de la Santé, François Braun observait : « Ce n’est pas la première année, les professionnels ont l’habitude de ces pics hivernaux…Il peut arriver qu’il y ait des saturations de lit nécessitant des transferts d’enfants vers d’autres hôpitaux, voire des régions de proximité. Pour autant, ces transferts se font dans d’excellentes conditions, sans mettre en danger les enfants ».
La petite phrase a mis le feu aux poudres chez les pédiatres hospitaliers, réprouvant fortement que l’on puisse considérer ainsi les transferts de patients. « La réalité, c’est que le transfert longue distance d’un enfant instable nécessitant une prise en charge en réanimation est en soi une prise de risque » tandis que « quand on transfère un enfant, les équipes de SAMU, déjà en sous effectifs, ne sont plus disponibles localement pendant plusieurs heures pour les interventions urgentes mettant en danger des enfants », rappelle le Collectif Pédiatrie, également à l’origine d’une tribune interpellant le Président de la République publiée vendredi dans Le Parisien.
Rustines gouvernementales
La publication de ce texte signalant la responsabilité des « dirigeants actuels et passés [qui] ont fermé les yeux sur l’abandon de l’hôpital public et des services de pédiatrie » a accéléré la prise de décision de l’exécutif. Hier, le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la Santé, Olivier Véran annonçait le déclenchement du plan blanc dans les services de pédiatrie de plusieurs régions.
Quelques temps plus tard, suivaient les annonces du ministère de la Santé quant au déblocage de 150 millions d’euros afin de permettre l’embauche en urgence de soignants en intérim dans les services en tension, tandis que des « Assises de la pédiatrie » devraient être organisées au printemps.
150 millions d’euros, mais pour payer qui ?
Cependant, pour les représentants des praticiens, le bilan est amer. Les plans blancs ne sont qu’un pis-aller : ils supposent en effet la déprogrammation de soins non urgents, ce qui constitue une altération de la qualité des soins aux plus jeunes. Ainsi, le collectif remarque : « les opérations chirurgicales urgentes reportées par manque de personnel sont une mise en danger » et ajoute encore : « le report et les annulations de soins des enfants atteints de maladies chroniques ne sont pas sans conséquence sur leur santé ».
Il signale par ailleurs que l’autre conséquence du plan blanc est l’annulation des « jours de repos et de congés, contribuant à aggraver la crise des soignants qui quitteront de nouveau l’hôpital dès le plan blanc terminé ».
Concernant les 150 millions d’euros, le gouvernement lui-même ne semble pas dupe. François Braun a en effet fait remarquer que ces fonds devraient aider les hôpitaux à faire face aux tensions grâce à des personnels supplémentaires, mais « à condition qu’on en trouve ». Or, aujourd’hui, faute de personnels, « 20 % des lits d’hospitalisation sont fermés », de même que certaines places de réanimation, quelques blocs opératoires, voire des Samu et des services d’urgences pédiatriques entiers (comme à Poissy).
Perte de sens face à des conditions de travail indignes
Ainsi, ces mesures rustines ne feront rien contre la fuite des soignants, ainsi décrite par le Collectif : « Tous les jours nous sommes contraints de renoncer à notre cœur de métier en mettant en danger des enfants et en leur fournissant des soins non adaptés. Le tri qui nous est imposé entraine des pertes de chance. Cela n’est pas éthique et inacceptable, provoquant un sentiment de perte de sens de notre métier de soignant. Des soignants, infirmiers et infirmières, puéricultrices, aides-soignantes et aides-soignants, axillaires de puériculture, pédiatres quittent tous les jours l’hôpital constatant ne plus arriver à soigner, par peur de l’erreur passée ou à venir, inévitable dans les conditions de travail actuelles ».
Elles seront également impropres à répondre aux problématiques organisationnelles. Le Pr Stéphane Dauger (Service de Médecine Intensive-Réanimation Pédiatriques, Hôpital Robert Debré), raconte par exemple dans un groupe d’échanges avec ses confrères : « Nous recevons des appels des différents SAMU d’Ile de France qui « prennent une option » sur un lit de réa, que l’on bloque, et lorsque, faute de nouvelles, on en sollicite plusieurs heures plus tard, on apprend qu’on lui a trouvé une place ailleurs. On se retrouve avec des lits bloqués – nous n’avons que 6 places de réa. Nous sommes en difficulté pour trouver des places d’aval (…) en sortie de réa, sans aucun doute faute de place parce que la situation est tendue, mais aussi parce que nous ne connaissons pas forcément bien l’organisation et la gradation du réseau pédiatrique dans votre région. Enfin l’organisation du retransfert en sortie de réa vers son hôpital de proximité pose problème ».
Stop aux Grenelles et autres Ségurs, place à l’action !
Les Assises de la pédiatrie seront-elles à la hauteur des attentes afin d’éviter que l’hiver prochain un autre plan rustine ne soit déclenché en urgences pour répondre à des saturations bien prévisibles ?
Le Collectif est sans illusion : « Nous relevons que cette annonce survient après le déroulement du Ségur de la Santé, de la Mission Flash, du Conseil de la Refondation … ce qui témoigne de l’inefficacité manifeste de telles mesures. C’est maintenant que la pédiatrie est asphyxiée, c’est maintenant qu’il faut agir. Et comme nous l’avons souligné dans notre lettre au Président, les solutions sont déjà identifiées dans le rapport de l’IGAS sur la Pédiatrie »insiste le Collectif en réponse aux déclarations des ministres.
Il plaide notamment pour « des ratios de personnel paramédical et médical par patients, définis par décret (…) une gouvernance de l’hôpital public recentrée sur les services et intégrant les soignants et les usagers » et des dispositifs pour « attirer et fidéliser le personnel ».
Aurélie Haroche
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