La prévention, cet autre chantier du ministère de la santé
Alors que le ministre François Braun vient d’annoncer l’instauration, dans le budget de la « Sécu », de trois bilans individuels à 25, 45 et 65 ans, le débat sur les meilleures options pour toucher l’ensemble de la population est relancé.
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L’annonce a été accueillie comme un « symbole » même si, avant de parler de « virage », bon nombre d’acteurs de la santé disent « attendre de voir ». En s’engageant à inscrire dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, qui sera présenté lundi 26 septembre en conseil des ministres, une consultation médicale gratuite à 25, à 45 puis à 65 ans, François Braun fait la démonstration qu’il entend bien être à la fois ministre de la santé « et » de la prévention.
Un intitulé nouveau, en tout cas sur la « période récente », avancent les connaisseurs du sujet, qui n’ont d’autre exemple en tête que celui de sa prédécesseure Brigitte Bourguignon, restée quelques semaines à ce poste avant d’être défaite aux législatives.
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« On entre dans l’ère de la prévention », s’est félicité François Braun le 18 septembre, dans les colonnes du Journal du dimanche, esquissant les contours des trois nouveaux rendez-vous santé. A 25 ans, la consultation sera centrée sur les vaccins, d’éventuelles addictions ou encore des difficultés liées à l’entrée dans la vie professionnelle. Les jeunes seront aussi sensibilisés à la nécessité d’avoir un médecin traitant. A 45 ans, l’accent sera mis sur le dépistage de certains cancers, l’activité physique ou encore la santé mentale. A 65 ans enfin, le check-up portera davantage sur la prévention de la perte d’autonomie et d’autres maladies, dont, de nouveau, les cancers.
« Résultats globalement médiocres »
L’effet de surprise est relatif. L’idée d’un « bilan de santé complet et gratuit aux âges-clés de la vie » a figuré en bonne place dans le programme de campagne du candidat Macron. François Braun a donné le ton lors du congrès de la Mutualité, du 7 au 9 septembre : « La France accuse un retard d’ensemble en matière de prévention, notamment si nous regardons ce qui se passe chez nos voisins européens, a-t-il souligné à cette occasion, adossant son diagnostic à quelques chiffres : Le budget moyen consacré à la prévention équivaut à 3 % des dépenses de santé dans l’Union européenne, a-t-il rappelé, quand il est de moins de 2 % en France. » Un « parent pauvre », comme disent les médecins.
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Si l’on regarde au-delà des frontières, les « bons élèves » de la prévention sont connus : ce sont les Néerlandais, les Allemands, les pays scandinaves… Pas la France, dont le système de santé s’est historiquement construit sur les soins. La Cour des comptes, qui s’est attachée à mesurer l’impact des politiques de prévention, faisait état, en décembre 2021, de « résultats globalement médiocres ».
« Depuis des décennies, la prévention n’avance qu’en réaction aux crises sanitaires successives, rappelle le médecin et ancien directeur de Santé publique France, François Bourdillon. On ne peut qu’espérer que le contexte actuel, fortement marqué par le Covid, et cette nouvelle mandature nous mènent au-delà d’un catalogue de mesures. »
Celles-ci sont, à ce stade, accueillies plutôt favorablement par la médecine de ville.« Cela fait vingt ans que nous demandons des consultations de prévention »,rappelle Luc Duquesnel, président des généralistes de la Confédération des syndicats médicaux français. Ce type de suivi existe pour les enfants et les adolescents, relève-t-il, en référence à la série d’examens prévus avant 16 ans.« Mais nous, nous passons l’essentiel de nos carrières à soigner des patients qui viennent quand/parce que ils sont malades. Il y a une vraie prise de conscience professionnelle, mais la prévention n’infuse pas encore dans les pratiques. » « Ce type de consultation longue, qui doit être assurée par les médecins traitants, portera ses fruits à moyen et long terme sur la santé des patients et dans leur prise en charge », défend aussi la généraliste Agnès Giannotti, de MG France.
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Une consultation de quelle durée ? Et facturée combien ? Ce devrait être plus clair après les négociations de la convention médicale entre Assurance-maladie et médecins libéraux – qui débuteront en octobre et fixeront, pour cinq ans, le cadre d’exercice de ces derniers. Le Syndicat des médecins libéraux plaide, déjà, pour un rendez-vous d’une heure, facturé 150 euros. « Pour que cette consultation ait du sens, il faudra qu’elle soit précédée d’un bilan biologique, fait valoir son porte-parole, Philippe Vermesch, et qu’elle débouche sur un plan personnalisé de prévention. »
« Fausse bonne idée »
A ce stade, le ministère précise que les trois bilans seront remboursés par l’Assurance-maladie : « Pour permettre de les rendre accessibles au plus grand nombre, ils seront réalisés grâce à l’implication et l’engagement d’une grande diversité de professionnels impliqués dans la prévention », sans détailler encore le rôle de chacun.
Mais le débat a d’ores et déjà rebondi, notamment parmi les spécialistes de santé publique. « La médecine de prévention doit s’appuyer sur une diversité d’acteurs, et pas seulement sur ceux de la santé, défend M. Bourdillon. Il est urgent de mobiliser, aussi, la protection maternelle et infantile, la protection de l’enfance, les enseignants, qui sont les mieux placés pour faire une éducation à la santé, les associations… L’approche médicale n’est qu’un maillon d’une action qui doit être pluriprofessionnelle. »
Autre impératif mis en avant : la nécessité d’« aller vers » les patients. « Proposer des visites gratuites va dans le bon sens, mais on en connaît les limites : ce sont toujours les mêmes patients, autrement dit ceux déjà bien suivis, qui en tirent bénéfice, explique Olivier Saint-Lary, à la tête du Collège national des généralistes enseignants. Il est important que la médecine de prévention trouve les leviers – dans sa communication, dans son évaluation… – et multiplie les voies pour se rapprocher des publics qui en ont le plus besoin. »

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Chef d’un service dévolu à l’innovation en prévention – le seul en France – au CHU de Bordeaux, François Alla ne cache pas ses réserves. « La consultation de prévention à un âge cible, c’est une fausse bonne idée, dit-il. J’ai entendu ce type d’annonce politique des dizaines de fois, alors que les données scientifiques montrent clairement son absence d’efficacité en population générale. » L’Assurance-maladie a pris le « bon virage » il y a quelques années, poursuit ce professeur, en faisant venir les « publics vulnérables » dans ses centres d’examen.
« Stratégie de rattrapage »
Linda Cambon, chercheuse en santé des populations à Bordeaux, regrette, quant à elle, ce qu’elle qualifie de « stratégie de rattrapage, encore une fois centrée sur le système de soins, quand la recherche plaide pour une approche globale portée par une politique interministérielle ».
« On ne part pas de rien », défend-on à l’Assurance-maladie, en rappelant les actions de prévention et de dépistage développées ces dernières années, dont celles, gratuites, de plusieurs cancers. Ou l’accompagnement mère-enfant. Il n’empêche : le tableau de bord annuel qu’elle a dévoilé cet été montre qu’en matière de consommation d’alcool ou de vaccination contre certaines maladies, les résultats peuvent encore être améliorés.
Autre rapport, autres nuances : l’étude sur l’« Etat de santé de la population en France à l’aune des inégalités sociales », publiée le 21 septembre par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, revient longuement sur le « gradient social » dans la participation aux actions de prévention.
Concernant le dépistage du cancer du sein, par exemple, pour lequel une mammographie est proposée tous les deux ans (entre 50 et 74 ans), les chiffres parlent d’eux-mêmes : si 31 % des femmes de cette tranche d’âge ont déclaré une mammographie depuis plus de deux ans – voire jamais –, le ratio tombe à 24 % parmi les femmes des catégories les plus aisées, mais atteint 39 % des femmes les plus modestes. L’écart est encore plus frappant quand on porte le regard vers l’outre-mer : 72 % des femmes de 50 ans et plus n’ont jamais eu de mammographie à Mayotte, contre 7 % en France métropolitaine.
D’autres enseignements du rapport de la Drees sur le champ des comportements ayant un impact sur la santé (consommation d’alcool, tabac, sédentarité…) plaident aussi pour le déploiement tous azimuts de stratégies de prévention.
La question rebondira, tout le monde l’espère, lors du Conseil national de la refondation. Son volet santé démarrera au Mans le 3 octobre.
Mattea Battaglia