Urgences : « Il a fallu une crise sans précédent, celle du Covid-19, pour que le 15 retrouve sa fonction »
CHRONIQUE
Armand Hatchuel
Professeur à Mines Paris, université PSL
En revenant dans sa chronique sur l’histoire du numéro d’urgence du SAMU, le professeur en sciences de gestion Armand Hatchuel analyse le rôle de la régulation des flux de patients dans l’hôpital public.
Publié le 06 septembre 2022 à 08h48 Mis à jour le 06 septembre 2022 à 10h24 Temps de Lecture 2 min.
Entreprises. Durant l’été, plusieurs départements français ont introduit la règle d’un appel obligatoire au numéro 15 pour pouvoir, avec son aval, se présenter aux urgences. Cette mesure répondait à la saturation habituelle de ces services, soudain aggravée par la pénurie de personnels soignants.
Mais s’agit-il uniquement de demander aux centres du Service d’aide médicale urgente (SAMU) – et transitoirement – une tâche de régulation qui n’est pas dans leur mission ? A la lumière de l’histoire hospitalière, une autre perspective s’impose : on devrait, au contraire, y voir un retour aux sources du numéro 15, et à la coordination des acteurs de l’urgence médicale dont il devait être l’instrument.
Datant des années 1980, la création du numéro 15 répondait déjà à une situation inquiétante, car les crises à venir des urgences médicales étaient clairement annoncées. Les hôpitaux voyaient un afflux constamment croissant de patients dont seule une minorité (de 5 % à 6 %, à l’époque) nécessitait une prise en charge médicale immédiate. La médecine de ville se retirait des gardes, tandis que des associations de praticiens se spécialisaient dans la visite à domicile.
Les hôpitaux réservés aux pathologies aiguës
Les détresses sociales compliquaient et augmentaient le flux des demandes : les personnes âgées, nécessitant un placement de long séjour ou des soins chroniques, encombraient les urgences car les hôpitaux étaient de plus en plus réservés aux pathologies aiguës.
Parallèlement, la médecine des urgences les plus graves faisait de grands progrès : les SAMU se multipliaient et s’équipaient en ambulances adaptées au traitement sur place des cas les plus lourds. Quant aux pompiers (qui peuvent avoir leurs propres équipes médicales) et aux policiers, leur intervention était parfois indispensable à domicile ou sur la voie publique.
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De multiples études alertaient sur ces bouleversements et préconisaient une régulation impliquant tous les intervenants privés et publics. Régulation sans laquelle les urgences des hôpitaux – le seul recours facile et disponible à toute heure – seraient inévitablement débordées. Le 15 est né de ce besoin et sa tâche devait être d’identifier la nature de l’urgence, d’orienter le patient et de diligenter, si besoin, l’intervention la plus appropriée [cf. « Le 15 à Paris, un numéro unique pour les urgences médicales », collectif de chercheurs, publication de l’Ecole des mines, 1980].
En moins de deux ou trois minutes
Or, durant des décennies, les autorités de santé n’ont pas promu cet usage du 15 alors que la croissance rapide des flux aux urgences et les difficultés de ces services (attentes, incivilités, encombrements…) n’ont jamais cessé. Il a fallu une crise sans précédent, celle du Covid-19, pour que le 15 retrouve sa fonction.
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Aujourd’hui, Il faut surtout tirer le meilleur parti d’une telle régulation. Car, bien conçus, les centres 15 peuvent assurer qu’un appel sera toujours pris et écouté en moins de deux ou trois minutes. Or, pour l’urgence médicale, réelle ou ressentie, ce sont un signalement précoce et la réponse rapide la plus appropriée qui comptent le plus. En outre, la régulation est au service des acteurs de l’urgence, car tous craignent d’être saturés par des demandes peu justifiées ou mal orientées au détriment de leurs activités ou de cas plus prioritaires.
Les premières données du terrain semblent confirmer ces vérités anciennes. Mais à l’avenir, plutôt que d’imposer l’appel au 15, il faudrait qu’une large part des Français en usent spontanément parce qu’on leur aura mieux expliqué sa véritable fonction.
Armand Hatchuel(Professeur à Mines Paris, université PSL)