Fin de vie : « Si on appliquait la loi avant de chercher à la modifier ? »
TRIBUNE
Laurent Frémont
Juriste
Avant d’envisager la mise en place d’une convention citoyenne, is, estime le juriste Laurent Frémont, fondateur du collectif Tenir ta main, dans une tribune au « Monde ».
Publié le 05 septembre 2022 à 18h00 Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/05/fin-de-vie-si-on-appliquait-la-loi-avant-de-chercher-a-la-modifier_6140289_3232.html
Après le climat, c’est au tour de la fin de vie de faire l’objet d’une convention citoyenne. On laissera chacun juger de la pertinence d’un tel calendrier, alors que nos concitoyens sont confrontés à des angoisses autrement plus concrètes que cette éternelle question de société. Mais on s’interrogera davantage sur l’opportunité d’une nouvelle loi sur la fin de vie, six ans à peine après le vote de la loi Claeys-Leonetti.
1999, 2002, 2010, 2016… Au cours des dernières décennies, le cadre juridique de la fin de vie a fait l’objet de nombreuses évolutions législatives, bien davantage que dans d’autres domaines moins sensibles du droit médico-social. La perspective de nouveaux changements législatifs laisse pour le moins dubitatif. Elle interroge le juriste comme le citoyen éclairé quant au respect de l’exigence de sécurité juridique, consistant à « savoir et prévoir » le droit, selon la formule du professeur Bernard Pacteau. On analysera la teneur de cet impératif sous l’angle de l’appropriation, de la stabilité et de l’effectivité de la norme.
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Se pose d’abord la question essentielle de l’appropriation de la norme, par les patients comme par les soignants. Par les patients d’abord. La loi Claeys-Leonetti leur offre de nouveaux droits, en revalorisant les directives anticipées et en renforçant le rôle de la personne de confiance. Peut-on estimer que ses objectifs sont atteints, quand seulement 48 % des Français connaissent les directives anticipées (Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, 2021) ?
Responsabilité et humilité
Par les soignants ensuite. Alors que la loi introduit le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, les spécialistes reconnaissent que des études complémentaires seraient nécessaires pour mieux appréhender l’appropriation de cette pratique par les équipes (Bretonnière et Fournier, Journal of Pain and Symptom Management, 2021). 91 % des Français affirment que leur médecin traitant ne les a pas informés sur leurs droits et sur les dispositifs existants. S’interroge-t-on enfin sur la persistance de l’obstination déraisonnable – pourtant interdite depuis 2005 – et ses effets, sur les patients comme sur les proches ? Certaines pratiques d’acharnement méritent d’être mieux recensées et combattues afin d’y mettre un terme définitif.
Il est donc essentiel de renforcer l’appréhension du cadre juridique existant, en formant les soignants et en informant les patients. Ce long travail mérite responsabilité et humilité, et ne saurait être balayé par des conclusions hâtives.
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Se pose ensuite la question de la stabilité de la norme. Le droit de la fin de vie tâtonne et a encore besoin d’ajustements. Récemment, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité afin de clarifier la prise en compte des directives anticipées dans les décisions médicales – lors d’un arrêt de traitement décidé par l’équipe soignante. Tout porte à croire que les situations nouvelles créées par la loi de 2016 n’ont pas fini d’épuiser les voies de recours. Il incombe au juge de continuer à tracer des lignes de conduite au sein de la « zone grise » de l’éthique.
Dans ces conditions, comment justifier un tel empressement à faire évoluer la loi ? Dispose-t-on de données nouvelles sur l’application de la législation ? A-t-on tiré un réel bilan de l’application de celle-ci ? Où sont les nécessaires « points de contact entre l’arène savante et l’arène politique », pour reprendre la formule de Stéphanie Hennette-Vauchez ?
Urgence réelle
Se pose enfin et surtout la question de l’effectivité de la norme. Certes, la loi ne saurait déterminer un quelconque « bien mourir » ; mais son rôle est de garantir à chacun les meilleures conditions pour traverser cet ultime passage. Or, l’égalité devant les soins palliatifs, pourtant garantie par la loi Kouchner de 1999, n’est toujours pas effective. Selon les chiffres de l’inspection générale des affaires sociales, 62 % des personnes décédées qui auraient dû bénéficier de soins adaptés en ont été privées. Et si on appliquait la législation avant de chercher à la modifier ? Là est la réelle urgence : mettre en œuvre une loi qui demeure inappliquée plus de vingt ans après son adoption, faute de moyens disponibles.
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Pour finir, interrogeons-nous sur les conditions d’une convention citoyenne fructueuse. Vouloir développer les outils d’une démocratie plus participative est louable ; mais à condition d’en jouer le jeu avec sérieux. Dispose-t-on de tous les éléments pour dresser un état des lieux exhaustif et rigoureux de la législation actuelle ? A-t-on pris toutes les dispositions pour s’assurer de la qualité et de l’objectivité des débats ? Ce n’est qu’à ces conditions que cet important moment de notre vie démocratique pourra être digne et responsable.
« Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante », faisait dire Montesquieu à Usbek dans les Lettres persanes. Osons espérer que, sur un sujet d’une telle gravité, la main du citoyen comme celle du législateur saura se faire prudente et humble.
Laurent Frémont est enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po Paris et fondateur du collectif Tenir ta main.
Laurent Frémont(Juriste)
Claude Evin : « Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne »
TRIBUNE
Claude Evin
Ancien ministre
Alors que le président Macron a annoncé que la fin de vie ferait l’objet d’une convention citoyenne, l’ancien ministre des affaires sociales appelle, dans une tribune au « Monde », à mettre en place une législation « qui puisse exister pour tous, de façon égalitaire ».
Publié le 05 septembre 2022 à 05h00 Mis à jour le 05 septembre 2022 à 19h41 Temps de Lecture 4 min.
Préparer sa fin de vie, c’est comme préparer un voyage dans une région dont on ne saurait rien, dont on ne disposerait d’aucune carte, le tout à une période inconnue. Un voyage dont on est sûr de ne pas revenir. Car si la mort est une certitude pour chaque être vivant, l’heure du rendez-vous et ses modalités restent généralement inconnues. Le sujet lui-même est un sujet de premier abord peu séduisant : quel bien portant peut avoir envie de parler de la mort, si ce n’est pour évoquer celle d’autrui ou pour en faire un sujet de thèse ?
Pourtant, autant le vieillissement de la population que l’impact des maladies chroniques en font un sujet de société. Et l’on assiste indéniablement à un empowerment – un accroissement de la capacité d’agir – des citoyens usagers du système de santé, qui réclament une plus grande implication dans les choix de santé les concernant, une amélioration de leurs échanges avec les professionnels et une valorisation de leur expertise de patients, tout cela renforçant la démocratie en santé.
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Notre législation en matière de fin de vie, notamment la loi Claeys-Leonetti de 2016, va dans ce sens. Elle offre la possibilité de mobiliser des dispositifs et des pratiques permettant à chacun d’exprimer ses volontés concernant ce moment particulier de sa vie : la rédaction des directives anticipées, la désignation d’une personne de confiance, le droit de refuser ou de solliciter l’arrêt des traitements (y compris la nutrition et l’hydratation artificielles), la possibilité de demander, sous certaines conditions, à être sédaté profondément jusqu’au décès. Autant de dispositifs, aujourd’hui encore insuffisamment connus, qui visent à respecter les préférences de chacun.
Malgré cela, une partie importante de la population se trouve encore confrontée au décès d’un proche ou à la perspective du sien sans disposer de l’ensemble des connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées et pour que celles-ci soient respectées. Plus globalement, on peut constater un manque d’anticipation autour de la fin de vie, d’autant plus problématique dès lors que cette phase se passe au domicile, comme c’est pourtant le souhait d’une majorité de nos concitoyens. Ce manque d’anticipation concerne aussi bien les patients que les professionnels de santé.
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Débat permanent
La plupart des positions publiques et des débats autour de la fin de vie ne semblent aujourd’hui se réduire qu’à la question de savoir s’il faut ou non légiférer sur une aide active à mourir. Les attentes et les besoins des patients et de leurs proches impliqués sont rarement pris en compte.
Il faut le marteler : la question de la fin de vie ne se réduit pas à l’adoption d’un texte législatif. Même dans les pays qui ont légiféré en faveur d’une aide active à mourir, les débats ne sont pas figés, loin de là. Les questions relatives aux modalités de mise en œuvre, de temporalité, d’éligibilité des personnes et des ressources à destination des soins palliatifs continuent d’être débattues, et leur traitement nécessite un cadre suffisamment ouvert à la controverse et à l’écoute des points de vue de chacun – qu’il s’agisse des citoyens ou bien de celles et de ceux qui œuvrent au quotidien dans ce contexte. La complexité et l’évolutivité sont des attributs inhérents aux enjeux qui entourent la fin de vie.
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Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne. Dans un paysage nourri par les représentations, les croyances individuelles et la désinformation, la nécessité de disposer de données fiables s’impose comme une évidence. Un véritable travail d’acculturation autour de la fin de vie est nécessaire pour aider les citoyens à construire une vision sur leur propre fin de vie et sur les choix qu’ils souhaitent voir adoptés par notre société. Ce travail doit être porté en lien avec les usagers, les professionnels, les institutions, ainsi qu’avec les acteurs de l’éthique et de la participation citoyenne. La nécessaire montée en compétences de la société autour des enjeux de fin de vie se base sur deux leviers : l’information et l’éducation des usagers ainsi que des professionnels de santé, d’une part ; l’identification des attentes et des besoins des personnes et leur prise en compte, d’autre part.
Ouverture, écoute et fiabilité
Lors de la présentation de son projet présidentiel, en mars, Emmanuel Macron a annoncé que le sujet de la fin de vie ferait l’objet d’une convention citoyenne. Cette démarche s’impose. En reprenant, le principe du « rien sur nous sans nous », il serait pertinent en effet que les réflexions, démarches, pratiques et dispositifs, liés à la fin de vie, soient alimentés, enrichis et évalués par les attentes et les préférences des usagers. C’est parce que le débat concerne tous les citoyens aujourd’hui et demain que la question ne peut pas être accaparée uniquement par des voix partisanes, nécessairement subjectives et militantes. Ce débat doit être porté par des instances neutres, publiques, dont la mission principale serait de garantir l’ouverture, l’écoute et la fiabilité des méthodologies proposées pour les échanges.Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés« Pour une convention citoyenne sur la fin de vie »
Cela réaffirme l’importance et le rôle de telles structures, dont la mission ne sera que plus essentielle dans l’accompagnement de l’élaboration de ce débat citoyen : le Conseil économique, social et environnemental comme instance de consultation citoyenne, le Comité consultatif national d’éthique pour porter la réflexion éthique, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) dont la mission est de produire une expertise indépendante, de diffuser l’information et les pratiques autour de dispositifs de droit liés à la fin de vie et d’accompagner le débat public autour de ces questions majeures.
Un des intérêts d’une législation sur la fin de vie, c’est qu’elle puisse exister pour tous, de façon égalitaire. Ce qui signifie qu’elle a une chance d’être applicable, avec pour cela des ressources adéquates, des médicaments disponibles, des soignants formés, des proches assez informés et accompagnés pour être soutenants – et, bien sûr, des patients assez familiarisés avec les enjeux de la fin de vie, de leur fin de vie, pour pouvoir utiliser cette loi de façon profitable pour eux – quelle que soit la loi. Le CNSPFV est un lieu d’échange privilégié, un lieu d’élaboration d’une pensée forcément plurielle, forcément complexe, qui sait que le droit est nécessaire, mais qu’il ne suffit pas à garantir l’autonomie, l’absence de souffrance ou l’égalité de traitement des citoyens.
Capable de s’appuyer sur l’observation des signaux faibles, afin de faire remonter les failles et d’impulser l’élaboration des politiques publiques, il représente cette voie de neutralité nécessaire pour pouvoir intégrer la réalité du terrain dans la préparation d’un débat, d’une consultation citoyenne ou parlementaire. L’égalité, cela ne se décrète pas, cela se construit.
Claude Evin, ancien ministre des affaires sociales et de la solidarité (1988-1991), est avocat et médiateur.
Claude Evin(Ancien ministre)
Fin de vie : vers un changement de loi ?
par
13 septembre 2022
Voir aussi:
Revue de presse rédigée par Nathalie Churlet
Le Figaro –
« Fin de vie : vers une loi sur l’aide active à mourir »
« Après l’avis du Comité national d’éthique, le chef de l’État va lancer une consultation citoyenne [dès le mois d’octobre] », indique Agnès Leclair dans Le Figaro.
« Il existe «une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir», selon le CCNE, pour qui la loi actuelle ne permet pas de répondre aux demandes de patients atteints de maladies graves et incurables provoquant des souffrances réfractaires, et dont le pronostic vital est engagé à moyen terme », poursuit la journaliste.
« Autrement dit, un nouveau texte devrait répondre aux demandes des patients touchés par certains cancers ou des maladies dégénératives, comme la maladie de Charcot, à qui il reste entre quelques mois et un an à vivre », note-t-elle.
« Le CCNE précise cependant que cette évolution majeure ne devrait se faire qu’à «certaines conditions strictes», dont la première est le développement massif des soins palliatifs dans le pays pour en permettre l’accès à tous les Français qui en ont besoin », observe-t-elle.
Les travaux « seront menés sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Une instance que les opposants à l’euthanasie soupçonnent de manquer de neutralité », et « les conclusions de cette nouvelle convention citoyenne sont attendues en mars 2023 » avec pour « objectif (…) une évolution de la loi « d’ici à la fin de l’année 2023 », précise l’article.
« Reste à définir les contours de ce futur texte. Aujourd’hui, le débat public est très centré sur l’euthanasie, et Emmanuel Macron a lui-même glissé pendant la campagne présidentielle qu’il était favorable au modèle belge. Mais le CCNE, lui, n’en dit finalement pas grand-chose. Son avis se focalise sur l’assistance au suicide comme possibilité d’un nouveau droit. Un droit qui serait encadré, soumis à l’avis d’un médecin puis à une procédure collégiale afin d’éviter « toute banalisation ou dérive », analyse Agnès Leclair.
« Il faut s’assurer que cette demande soit ferme, éclairée, constante et motivée », résume le professeur Régis Aubry, médecin en soins palliatifs et co-rapporteur de l’avis du CCNE. « Le patient pourrait ensuite avoir accès à un produit létal. Une «kill pill» («pilule létale») qu’il serait libre de «se procurer (ou non)» et de «s’administrer (ou non)». Une manière de laisser aux malades la possibilité de changer d’avis », complète l’article.
« Cette procédure décrite dans l’avis est proche du suicide assisté tel qu’il est pratiqué dans l’État de l’Oregon, aux États-Unis. Elle requiert une moindre implication des soignants que l’euthanasie, car c’est le patient qui accomplit lui-même le geste létal », rappelle Le Figaro.
« Le sujet de l’euthanasie n’a été abordé que par un détour dans cet avis : le cas des personnes qui ne seraient «physiquement plus aptes» à avoir recours au suicide assisté. Les exclure de ce droit provoquerait «un problème d’égalité des citoyens» et donc «une difficulté éthique majeure» », pointe l’instance.
« Paradoxe de cet avis, c’est l’impossibilité d’accès à une aide active à mourir qui soulève un problème éthique », développe la journaliste. « Le CCNE s’est cependant gardé de trancher cette question d’une exception d’euthanasie. (…) Au législateur d’en décider, botte en touche le Comité d’éthique », conclut-elle.